Charles Dallet

한국교회사 (불어본)

이윤진이카루스 2013. 2. 14. 10:07
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Full text of "Histoire de l'église de Corée : précédée d'une introduction sur l'histoire, les institutions, la langue, les moeurs et coutumes coréennes : avec carte et planches"

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H I STOIRE 
DE 
L'ÉGLISE DE CORÉE 
T. 1. 
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TYPOGRAPHIE 
KDMOND MONNOYKR 
AU il A N S (' S A R T H E 
HïSTOmE 
DE 
L'ÉGLISE DE CORÉE 
PRECEDEE D UNE 
INTRODUCTION 
Sur l'histoire, les institutions, la langue, les mœurs 
et coutumes coréennes 
AVEC CARTE ET PLANCHES 
PAR CH. DA.LLET 
Missionnaire apostolique 
DE I. A SOCIÉTÉ DES M I S S 1 N S - É T R A N G È P, E S 
TOME PREMIER 
PARIS 
Librairie VICTOR PALMÉ, Éditeur 
Hue de Grenelle-Saint-Germaiu, :25 
1874 
MOV 26 1958 
Sainte Vierge Marie, reine des apôtres, reine des 
martyrs , reine des confesseurs , permettez-moi de 
déposer humblement à vos pieds cette histoire 
d'apôtres, de confesseurs et de martyrs. 
Vous avez droit à cet hommage, parce que vous 
êtes la patronne spéciale de l'Église de Corée ; parce 
que tous les martyrs dont je raconte le triomphe, 
tous, missionnaires et néophytes , se glorifiaient du 
titre de vos enfants. Ces pages ^ teintes de leur sang, 
sont une nouvelle et éclatante démonstration de cette 
vérité : que l'on ne peut aimer le Dieu fait homme 
sans aimer la Mère de Dieu. Oui , ils aimaient 
.Jésus-Christ, puisqu'ils ont voulu être pour lui 
flagellés, étranglés, décapités, coupés en morceaux ; 
et par une conséquence naturelle et nécessaire, ils 
vous aimaient aussi , et ils sont allés au supplice , le 
scapulaire sur les épaules et le chapelet à la main. 
Vierge bénie ! protégez cette pauvre mission de 
Corée; protégez toutes les missions de la sainte Église 
vj 
catholique. Obtenez de votre Fils la conversion des 
infidèles. Pressez l'accomplissement des prophéties qui 
annoncent que toutes les nations se ressouviendront 
du Seigneur , que les îles lointaines connaîtront la 
gloire de son nom. Et, quand luira ce grand jour, 
quand ces centaines de millions d'idolâtres sortiront 
de leurs ténèbres et viendront à l'admirable lumière de 
Jésus-Christ crucifié, ils vous aimeront, ils chanteront 
votre gloire, ils crieront d'une grande voix: Salut, 
Vierge souverainement belle ! c'est de vous qu'est née 
la lumière du monde. 
Vale! valde décora... 
Ex quel mundo Lux est orta. 
Protestation. 
Conformémenl au décret d'Urbain VIII, je déclare qu'en employant, dans 
celte histoire, les qualifications de Saint, de Martyr, de Confesseur, etc., 
je n'ai fait que suivre la manière de parler ordinaire , reçue parmi les 
fidèles, et que je n'ai entendu préjuger en rien la décision officielle de 
l'Eglise, à qui seule il appartient de décerner ces titres dans leur sens 
véritable et complet. 
Ch. D. 
PREFACE 
L'Église de Dieu ne connaît ni défaillance ni déclin. Établie 
pour rendre témoignage à la vérité, ponr enseigner tontes les 
nations, elle remplit toujours et partout ce double devoir, mal- 
gré tous les obstacles, en face de toutes les tyrannies, et il 
n'existe pas de pays si soigneusement fermé qu'elle n'y ait péné- 
tré, pas de peuple si isolé, si séquestré de tous rapports avec les 
autres peuples, qu'elle n'y ait porté l'Évangile et conquis des 
fidèles. A l'extrémité de l'Asie, entre la Chine et le Japon, se trouve 
le royaume de Corée. Tout le monde a entendu parler de la 
Chine et du Japon : tout le monde a lu des livres, des relations 
de voyage, qui en donnent des notions plus ou moins exactes. 
Mais la Corée, qui la connaît ? Les géographes eux-mêmes n'en 
savent guère que le nom, nul savant ne s'en est occupé, nul 
voyageur n'a pu la parcourir ; les expéditions tentées dans ces 
derniers temps pour faire respecter par son gouvernement les 
lois de l'humanité ont misérablement échoué, et aujourd'hui elle 
demeure plus obstinée que jamais dans son isolement. Et cepen- 
dant, dans ce pays ignoré, Jésus-Christ a de nombreux et fer- 
vents adorateurs ; son Église, depuis quatre-vingts ans, n'a cessé 
d'y grandir à travers une persécution incessante, qui dure encore 
et qui a fait déjà des milliers de victimes. 
Raconter l'histoire de l'Église de Corée, son origine providen- 
tielle, ses rapides développements ; faire connaître les mission- 
naires qui l'ont évangélisée, le pays qui a été le théâtre de leurs 
travaux et de leur martyre, le caractère du peuple auquel ils ont 
prêché, les difficultés de tout genre qu'ils ont eu à vaincre ; rap- 
peler les souffrances des chrétiens persécutés, la cruauté de leurs 
bourreaux ; décrire les péripéties, les angoisses de cette lutte 
acharnée entre Jésus-Christ et l'Enfer ; jiublier les actes des 
martyrs et sauver de l'oubli quelques-uns des exemples de vertu 
héroïque qui ont illustré le nom chiétien, tel est l'objet de ce 
YllJ 
livre. 11 servira, je Fespère, à glorifier Notre Seigneur Jésus- 
Christ, l'auteur el le consommateur de notre foi, en montrant 
que son bras n'est point raccourci, et que sa grâce opère aujour- 
d'hui les mêmes prodiges de conversion que dans les premiers 
siècles. 
Peut-être aussi cette lecture contribuera-t-elle à dissiper quel- 
ques préventions, à redresser quelques idées fausses au sujet 
des missions et des missionnaires. Je ne parle pas des préven- 
tions et des erreurs des impies. L'homme qui a eu le malheur 
de renier son baptême, qui ne croit plus au Fils de Dieu fait 
homme pour nous, et à la rédemption par les mérites de sou 
sang, cet homme-là, bien évidemment, ne comprendra jamais 
pourquoi nous allons prêcher Jésus-Christ, et travailler au salut 
des âmes. Mais, même parmi les croyants, il n'est pas rare de 
rencontrer des préjugés fâcheux et des notions inexactes. Les 
uns s'étonnent qu'il faille un temps si long pour convertir des 
peuples : ils trouvent mesquins les résultats obtenus quand les 
baptêmes ne se comptent pas par millions. D'autres, subissant à 
leur insu l'influence de cette théorie matérialiste qui prétend 
tout expliquer dans l'histoire des peuples par des différences de 
race et de climat , affectent de craindre que les conversions 
opérées ne soient pas solides, que ces nouveaux chrétiens no 
soient, pour ainsi dire, d'une espèce inférieure aux chrétiens 
d'Europe. 
Sans doute, ce qui s'est (ait jusqu'à })résent est peu de chose 
en comparaison de ce qui reste à faire ; sans doute il est doulou- 
reux de voir qu'aujourd'hui, dix-neuf siècles après la Pentecôte, 
les trois quarts du genre humain restent à convertir. Mais il ne 
faut pas oublier quel est devant Dieu le prix d'une seule âme ; il 
ne faut pas surtout que l'impatience de contempler le triomphe 
final et universel promis à l'Eglise, nous rende injustes envers les 
œuvres actuelles. La conversion des nations chrétiennes, dans 
des conditions beaucoup plus favorables, n'a été l'ouvrage ni 
d'un jour ni même d'un siècle. 
Quant à la solidité des conversions, la toi nous apprend que 
Jésus-Christ est venu sauver tous les hommes, et qu'il a ordonné 
de prêcher l'Évangile de son règne à tous les peuples, d'où il suit 
nécessairement que tous les hommes sont aptes à recevoir et à 
garder la foi, que toutes les nations sont appelées à l'Évangile. El 
en fait, le nombre et le courage des martyrs parmi les néophytes, 
en Corée comm<' au Tong-l<ing et ailleurs, prouve bien que les 
chrétientés nouvelles ne sont inférieures à aucune des anciennes, 
IK 
et ([lie le même Suint-Esprit sait animer de la même grâce toute- 
(juissante, les hommes de toute race, de toute langue et de toute 
couleur. La plus grande preuve de foi, le plus grand acte de 
charité, c'est le martyre. Or, là où il y a eu des martyrs, l'Église 
est solidement fondée, car le sang des martyrs est, en Asie aussi 
bien qu'en Europe, une semence de chrétiens. on objectait le 
Japon, illustré jadis par la mort de tant et de si glorieux témoins 
de Jésus-Christ. La foi chrétienne, en effet, y semblait anéantie. 
Les idolâtres l'avaient noyée dans le sang ; les hérétiques, plus 
abjects, avaient pendant deux cents ans scellé son sépulcre, en 
foulant aux pieds la croix. Voyez aujourd'hui les descendants 
des martyrs confessant, par milliers, dans les prisons ou dans 
l'exil, la foi qu'ils ont su conserver, sans prêtres, sans autels, 
sans sacrements, à travers une persécution de trois siècles. La 
résurrection du catholicisme en Angleterre a-t-elle rien de plus 
frappant, de plus surnaturel que sa résurrection au Japon ? et 
l'histoire de l'Église universelle offre-t-elle beaucoup d'exemples 
d'une aussi inébranlable fidélité dans la foi ? 
Plus d'un lecteur peut-être, en parcourant l'histoire de 
l'Église de Corée, s'étonnera, non pas qu'on ait fait si peu, mais 
qu'on ait pu faire autant, en quelques années, et malgré de si 
puissants obstacles. Plus d'un peut-être, loin démettre en ques- 
tion la foi des néophytes, se frappera humblement la poitrine, et 
demandera à Dieu la grâce d'imiter leur courage, la grâce de se 
trouver comme eux au jour de l'épreuve, aussi fort, aussi persé- 
vérant, aussi véritablement chrétien. 
L'histoire proprement dite est précédée d'une introduction sur 
les institutions, le gouvernement, les mœurs et coutumes de la 
Corée. J'y ai réuni et classé un grand nombre de renseignements 
épars, çà et là, dans les lettres des missionnaires, et (jui n'au- 
raient pu facilement se placer dans le texte; un chapitre spécial 
est consacré à l'exposé de notions grammaticales élémentaires 
sur la langue coréenne, langue à peu près inconnue, jusqu'au- 
jourd'hui, aux orientalistes ; et dans un autre j'ai donné, tout au 
long, le tableau officiel des divisions administratives du royaume. 
Ce travail préliminaire, qui complète le récit des faits et qui est 
à son tour complété par lui, présente néanmoins des lacunes 
inévitables. Mais, tel qu'il est, il a une valeur unique en son 
genre, puisque les missionnaires sont les seuls Européens qui 
aient jamais séjourné dans le pays, qui en aient parlé la langue, 
qui aient pu, en vivant de longues années avec les indigènes, 
ronnaîlre sérieusement leurs lois, leur caractère, leurs préjugés 
et leurs habitudes. 
Quant à l'exactitude de ces renseignements, elle est aussi 
grande que possible. Cependant il ne faut pas oublier que la 
position des missionnaires, toujours cachés, presque toujours 
poursuivis, ne leur a pas permis, en certains cas, de vérifier par 
eux-mêmes ce qu'ils entendaient dire, et de comparer entre elles 
les mœurs des différentes provinces. Bien souvent, ce qui est 
absolument vrai dans une partie du pays, ne Test que relative- 
ment dans une autre. Aussi Fillustre martyr, Mgr Daveluy, était 
rinterprète de tous ses confrères, lorsque, donnant dans une de 
ses lettres d'assez longs détails de mœurs, il ajoutait : « Ce que 
je vous envoie est peu de chose; c'est incomplet, embrouillé. 
Peut-être, contre ma volonté, il s'y sera glissé quelque erreur; 
mais j'ai fait de mon mieux. » Cette timidité consciencieuse dans 
un témoin, n'est-elle pas, pour les lecteurs sérieux, la meilleure 
garantie de la sincérité de ses paroles ? 
L'histoire de l'Église de Corée est faite avec les lettres des 
missionnaires et les relations coréennes dont ils ont envoyé la 
traduction ; il n'y a pas d'autres matériaux possibles. Pour les 
temps qui ont précédé l'arrivée des prêtres européens, le plus 
grand nombre des documents ont été recueillis par Mgr Daveluy. 
Avant lui, on n'avait, sur les premières persécutions, que des 
fragments de lettres ou des récits isolés. En 4857, il fut chargé 
])ar un autre martyi'. Mgr Berneux , de rechercher tous les 
documents chinois ou coréens existants, de les traduire en fran- 
çais, et de les compléter autant que possible, en interrogeant 
lui-même, sous la foi du serment, les témoins oculaires. Il était 
déjà bien tard, car ces témoins restaient en petit nombre pour 
les martyrs de la première époque, et la plupart des relations 
écrites avaient disparu dans les diverses persécutions. on verra 
dans le cours de cette histoire, au prix de (juelles peines 
Mgr Daveluy parvint à accomplir sa tâche. 
Je dois faire remarquer qu'il y a quelquefois des différences 
pour l'orthographe des noms propres de lieux ou de personnes, 
dans les lettres de diverses époques ou de divers missionnaires. 
Certaines lettres coréennes n'ont pas d'équivalent dans notre 
alphabet, et, en Corée comme ailleurs, la prononciation varie 
suivant les provinces; chacun a reproduit de son mieux les sons 
tels qu'illes entendait. J'ai cru devoir respecter ces différences 
d'orthographe, jusqu'il ce qu'une règle générale de transcription 
^,1 
ail été arrêtée par les missionnaires. Au reste, ce petit incon- 
vénient est commun, on le sait, à tous les livres d'iiistoire et de 
géographie qui parlent de l'extrême Orient. 11 est même moindre 
ici que dans d'autres livres, parce que tous les missionnaires 
étaient français, habitués, par conséquent, à donner une valeur 
identique aux mêmes lettres de Talphabet. 
Une objection que l'on fera peut-être , et que je me suis 
faite moi-même plus d'une fois, c'est la monotonie de certains 
récits de persécution : toujours les mêmes interrogatoires, les 
mêmes questions, les mêmes réponses, les mêmes supplices : 
toujours d'un côté la même lâcheté dans la force et le mensonge, 
et, en face, le même courage dans la faiblesse et la vérité. Mais 
cet inconvénient, si c'en est un, est inévitable dans une histoire 
comme celle-ci. Les pages d'un martyrologe sont nécessaire- 
ment monotones comme des bulletins de victoire, et bien des 
chapitres de ce livre ne sont qu'un martyrologe. Puisque ni les 
bourreaux ne se sont lassés de torturer, ni les chrétiens de mou- 
rir, ni Dieu de donner à ses martyrs la force et la persévérance, 
pourquoi me serais-je lassé de raconter leurs triomphes? Pour- 
quoi laisser dans un oubli volontaire parmi les hommes, ceux 
qui sont maintenant les élus de Dieu, et dont un grand nombre 
seront un jour, il faut l'espérer, placés sur nos autels? 
D'ailleurs, une raison toute spéciale et d'une importance sou- 
veraine me défendait de supprimer ou de trop abréger les actes 
des martyrs. 11 n'y aura pas d'autre histoire de ces témoins de 
Jésus-Christ , puisqu'il n'y a pas d'autres documents. Or les 
originaux chinois et coréens recueillis par Mgr Daveluy ont péri 
dans un incendie, en 1863 ; les copies de ces relations qui se 
trouvaient dans diverses chrétientés indigènes ont été détruites 
pendant la dernière persécution ; les traductions envoyées en 
Europe, ainsi que la correspondance des missionnaires, n'exis- 
tent que dans les archis es du séminaire des Missions-Étrangères, 
et, si un accident les faisait disparaître, l'histoire des origines 
de l'Église de Corée serait irrémédiablement perdue. 11 fallait 
donc assurer la connaissance de ces faits qui appartiennent à 
l'histoire générale de l'Église catholique ; il fallait surtout con- 
server, pour les chrétiens de Corée, ces glorieux récils de la foi 
et des souffrances de leurs pères, indiquer aulant ([ue possible 
le nom, la famille, l'histoire particulière de chacun des martyrs, 
ahn que ces noms, ces faits, ces détails puissent être connus un 
jour de leurs descendants, dont ils seront le plus beau titre de 
noblesse. 
XII 
Dans le cours de l'ouvrage, j'ai, le plus souvent, cité les lettres 
des missionnaires au lieu de les analyser. 11 en résulte quelque- 
fois des longueurs, des répétitions, mais ces légers inconvénients 
m'ont semblé plus que contrebalancés par l'intérêt qui s'attache 
à ces lettres elles-mêmes. La plupart de ceux qui les ont écrites 
ont, quelque temps après, scellé la foi de leur sang, et les lecteurs 
chrétiens aimeront à entendre les martyrs raconter leur propre 
histoire, ou celle d'autres martyrs. 
Je ne me fais pas illusion sur les nombreuses fautes de style, 
d'arrangement, etc., qui se rencontrent dans ce livre. Il est 
impossible qu'un missionnaire passe sa vie à catéchiser des idolâ- 
tres, sans oublier plus ou moins sa langue maternelle, et je prie 
le lecteur de ne pas se montrer trop sévère pour les incorrections 
inévitables en pareil cas. Forcément éloigné de ma mission par 
une longue et terrible maladie, j'ai fait de mon mieux pour 
remplir la tâche que l'obéissance m'a imposée : tâche trop lourde 
pour mes facultés affaiblies, mais tâche bien agréable, puisqu'elle 
m'a fait vivre plusieurs années dans la société intime des martyrs 
et des confesseurs dont j'écrivais l'histoire. 
Puissent ces pages contribuer à l'exaltation de la Sainte Église 
catholique, en faisant connaître quelques-uns des prodiges de 
grâce que Dieu se plaît à opérer, en elle et par elle, aux extré- 
mités du monde ! 
Puissent-elles inspirer aux fidèles le désir de prier avec plus 
de persévérance et de ferveur pour la conversion de tous les 
peuples, et spécialement pour la mission de Corée, afin que Dieu 
daigne abréger ses longues épreuves ! 
Puissent-elles surtout susciter quelques vocations à l'apostolat 
des infidèles! Puissent les paroles et les exemples de ces glorieux 
confesseurs de Jésus-Christ remuer le cœur des jeunes élèves du 
sanctuaire, afin qu'animés d'une sainte émulation, quelques-uns 
au moins s'écrient : « Et moi aussi, je serai missionnaire! c'est 
pour moi un devoir, c'est une nécessité ; malheur à moi si je ne 
vais prêcher l'Évangile! » Nécessitas enim mihi incumhit, vœ 
enim mihi est si non evanyeUzavero ! ( I Cor. ix, 16.) 
HISTOIRE DE L'ÉGLISE DE COREE 
A Notre cher Fils Charles Dallet, missionnaire apostolique de 
la Société des Missions-Étrangères , Paris. 
PIE IX, PAPE. 
Cher Fils, Salut et Bénédiction Apostolique. 
Combien les missionnaires catholiques ont mérité, non-seule- 
ment de la religion, mais aussi de la géographie, de Fhistoire, 
de la science, est chose connue de tous ceux qui ont parcouru 
leurs écrits. Vous avez dignement marché sur leurs traces. Cher 
Fils, par cette histoire jusqu'à présent ignorée de la Péninsule 
coréenne que vous venez de rédiger en deux volumes. Tout ce 
que les monuments des nations voisines ont pu faire connaître 
sur ce peuple qui n'a pas d'histoire propre, tout ce que de longues 
recherches et d'intelligentes observations ont pu révéler au sujet 
de son pays, de ses mœurs, de sa religion, de sa langue, de son 
commerce, vous l'avez recueilli et mis en ordre, faisant ainsi à 
la science un présent d'autant plus précieux qu'il s'agit d'une 
contrée impénétrable aux étrangers. 
Évidemment, la charité de Jésus-Christ a seule pu acquérir et 
répandre la connaissance de tant de choses ignorées, puisque 
seule elle a pu allumer dans le cœur des missionnaires ce zèle 
brûlant du salut des âmes qui les a poussés à affronter joyeuse- 
ment toutes les fatigues, au péril certain de leur vie, afin de 
porter la lumière de l'Évangile aux nations assises à l'ombre de 
la mort. Et cette œuvre d'évangélisation, avec quel zèle, quelle 
constance, quel succès ils l'ont accomplie ! on le voit par toute 
la série des faits que vous avez racontés; on le voit par celte 
persécution atroce dont les chrétiens sont depuis un siècle les 
victimes, et dont les écrits publics ont souvent déploré les excès; 

on le voit surtout par ces légions de martyrs qui, avec un 
admirable courage, ont confessé, dans les épreuves elles tortures, 
la foi qu'on leur avait inspirée, et Tont enfin scellée de leur 
sang. 
C'est pourquoi Nous vous félicitons d'avoir rédigé cette 
histoire, si glorieuse pour l'Église, si propre à encourager au 
milieu de tant de périls les chrétiens du monde entier, si utile à 
la science elle-même. Nous en acceptons les volumes avec 
reconnaissance, et Nous augurons que ce livre excitera enfin 
les cœurs ennemis de notre très-sainte religion à admirer tant 
de force et tant de vertu. 
Recevez, Cher Fils, en témoignage de Notre paternelle bien- 
veillance, et comme gage de la faveur divine, la Bénédiction 
Apostolique, que Nous vous accordons bien affectueusement. 
Donné à Rome, près Saint-Pierre, le vingt-septième jour de 
septembre de l'an 1875, trentième année de Notre pontifical. 
PIE IX, Pape. 
Dilecto Filio Carolo Dallet, missionario apostolico e Societate 
Missionum Exterai'um, Lutetiam Parisiorum. 
Plus PP. IX. 
Dilecte Fili,SalutemetApostolicamBenedictionem. Quambene 
meruerint Missionarii catholici non de religione tantum, sed et 
de geographia, de historia, de scientia compertum est omnibus, 
qui scripta eorum evolverint. Eorum vestigia tu egregie calcasti, 
Dilecte Fili, per incompertam hactenus historiam Choreanae pe- 
ninsulae, quam duobus voluminibus es complexus. Quidquid 
enim erui potuit e monumentis proximarum nationum quoad 
populum propria [carentem historia, quidquid diligentes diutur- 
naeque disauisitiones et observationes regionis, morum, reli- 
gionis, linguœ, commercii suppeditare potuerunt, digesta exhi- 
buisti scientiae, eo pretiosiore ipsius lucro, quod de populo agatur 
alienigenis incrustabili. 
Profecto sola Christi caritas tôt ignotarum rerum nolitiam 
coraparare potuit et vulgare, cum ipsa dumtaxat ingerere po- 
tuerit Missionariis incensum illud salutis animarum sludiam, 
quo compulsi subirent alacriter labores omnes cerlumque vita) 
discrimen, ut evangelii lucem afferrent sedentibus in umbra 
mortis. Id autem qua industria, qua constanlia, quo fructu illi 
perfecerint testatur universa a te descripta factorum séries, 
testatur sœcularis et acerbissima christianorum insectatio stepe 
publiais deplorata scriptis, testantur agmina martyrum, qui tîdem 
sibi inditam fortissima aerumnarum et tormentorum passione, 
suoque demum sanguine propugnarunt et confirmarunt. 
Historiam banc igitur adeo gloriosam Ecclesiae, adeo accom- 
modatara erigendis ubique tôt inter pericula fidelibus, adeo uti- 
lem ipsi scientiae te contexuisse gratulamur; et dum grato exci- 
pimus animo ejus volumina, iis ominamur, ut animos religioni 
nostrae sanctissimae infensos tandem excitent ad tantse virtutis et 
fortitudinis admirationem. Intérim excipe, Dilecte Fili, paternse 
benevolentiœ Nostrae pignus Apostolicam Benedictionem, quam 
divini favoris auspicem tibi peramanter impertimus. 
Datum Romae apud Sanctum Petrum die 27^ Septembris Anno 
1875. 
Pontificatus Nostri Anno Tricesimo. 
Plus PP. IX. 
INTRODUCTION 
SUR 
l'histoire, les institutions, la langue, les mœurs 
et coutumes coréennes. 
Géographie physique de la Corée. — Sol. — Climat. — Productions. 
Population. 
Le royaume de Corée, au nord-est de TAsie, se compose d'une 
presqu'île de forme oblongue, et d'un nombre d'îles très-consi- 
dérable, surtout le long de la côte ouest. L'ensemble est compris 
entre 33° 15' et 42° 25' de latitude nord ; 122° 15' et 128° 30' 
de longitude est de Paris. Les habitants de la presqu'île lui assi- 
gnent une longueur approximative de 3,000 lys (1), environ 
300 lieues, et une largeur de 1,300 lys, ou 130 lieues ; mais ces 
chiffres sont évidemment exagérés. La Corée est bornée au nord 
par la chaîne des montagnes Chan-yan-alin, que domine le Paik- 
tou-san (montagne à la tête blanche), et par les deux grands 
fleuves qui prennent leur source dans les flancs opposés de cette 
chaîne. Le Ya-lou-kiang (en coréen Am-no-kang, fleuve du ca- 
nard vert) coule vert l'ouest et se jette dans la mer Jaune ; il 
forme la frontière naturelle entre la Corée et les pays chinois du 
Léao-tong et de la Mandchourie. Le Mi-kiang (en coréen Tou- 
man-kang) qui va se jeter à l'est dans la mer du Japon, sépare 
la Corée de la Mandchourie et des nouveaux territoires russes, 
(1) Le ly est de 360 pas géométriques, — 567 mètres. Dix lys équivalent à 
la lieue marine ou géographique de vingt au degré. 
T. I. — l'église de CORÉE. U 
Il lîSTRODUCTION. 
cédés par la Chine en novembre 1860. — Les autres limites 
sont : à l'ouest et au sud-ouest, la mer Jaune; à Test, la mer du 
Japon ; et au sud-est, le détroit de Corée, d'une largeur moyenne 
de vingt-cinq lieues, qui sépare la presqu'île coréenne des îles 
Japonaises. 
Le nom de Corée vient du mot chinois Kao-li, que les Coréens 
prononcent Kô-rie et les Japonais Kô-raï. C'était le nom du 
royaume sous la dynastie précédente; mais la dynastie actuelle, 
qui date de Tannée im-sin, 1392 de notre ère, changea ce nom 
et adopta la dénomination de Tsio-sien (Tchao-sien), qui est 
aujourd'hui le nom officiel du pays. La signification même du 
mot Tsio-sien, sérénité du matin, montre que ce nom vient des 
Chinois, pour qui la Corée est, en effet, le pays du matin. Quel- 
quefois aussi, dans les livres chinois, la Corée est désignée par 
le mot Tong-koué, royaume de l'Orient. Les Tartares Mandchoux 
la nomment Sol-ho. 
Cette contrée, inconnue en Europe avant le xvi* siècle, figure 
comme une île dans les premières cartes hollandaises. Vers la 
fin du XVII'' siècle, l'empereur chinois Kang-hi essaya vainement 
d'obtenir du roi de Corée les documents géographiques nécessai- 
res pour compléter la grande carte de l'empire, à laquelle travail- 
laient alors les missionnaires de Péking. Ses ambassadeurs furent 
reçus avec la pompe voulue ; on leur prodigua les protestations 
et les offres de services, mais ils ne rapportèrent en réalité qu'un 
plan très-incomplet qu'ils avaient vu dans le palais du roi, à 
Séoul. Ce fut d'après cette carte, et les données nécessairement 
imparfaites des livres chinois, que le P. Régis et ses collègues 
tracèrent la description de la Corée que l'on trouve dans l'atlas 
de Duhalde , et que les livres postérieurs se sont contentés 
d'abréger ou de reproduire. 
En 1845, le vénérable martyr André Kim, prêtre coréen, 
copia lui-même une carte, sur les plans officiels conservés dans 
les archives du gouvernement à Séoul. Celle que nous donnons 
en tête de cet ouvrage a été dressée, pour le littoral, d'après les 
cartes du dépôt de la marine, et pour l'intérieur du pays, d'après 
une carte indigène assez récente, traduite par Mgr Ridel, vicaire 
apostolique de Corée. 
La Corée est un pays de montagnes. Une grande chaîne, 
partant des Chan-yan-alin dans la Mandchourie, se dirige du 
nord au sud, en suivant le rivage de l'est dont elle détermine les 
contours, et les ramifications de cette chaîne couvrent le pays 
presque tout entier. « En quelque lieu que vous posiez le pied, 
IINTRODUCTION. III 
écrivait un missionnaire, vous ne voyez que des montagnes. 
Presque partout, vous semblez être emprisonné entre les rochers, 
resserré entre les flancs de collines, tantôt nues, tantôt couvertes 
de pins sauvages, tantôt embarrassées de broussailles ou cou- 
ronnées de forêts. Tout d'abord, vous n'apercevez aucune issue; 
mais cherchez bien, et vous finirez par découvrir les traces de 
quelque étroit sentier, qui, après une marche plus ou moins 
longue et toujours pénible, vous conduira sur un sommet d'où 
vous découvrirez l'horizon le plus accidenté. Vous avez quelque- 
fois, du haut d'un navire, contemplé la mer, alors qu'une forte 
brise soulève les flots en une infinité de petits monticules aux 
formes variées.. C'est en petit le spectacle qui s'offre ici à vos 
regards. Vous apercevez dans toutes les directions des milliers 
de pics aux pointes aiguës, d'énormes cônes arrondis, des rochers 
inaccessibles, et plus loin, aux limites de l'horizon, d'autres 
montagnes plus hautes encore, et c'est ainsi dans presque tout 
le pays. La seule exception est un district qui s'avance dans la 
mer de l'Ouest, et se nomme la plaine du Naï-po. Mais par ce 
mot de plaine, n'allez pas entendre une surface unie et étendue 
comme nos belles plaines de France, c'est simplement un endroit 
où "les montagnes sont beaucoup moins hautes, et beaucoup plus 
espacées que dans le reste du royaume. Les vallées plus larges 
laissent un plus grand espace pour la culture du riz. Le sol, d'ail- 
leurs fertile, y est coupé d'un grand nombre de canaux, et ses 
produits sont si abondants que le Naï-po est appelé le grenier 
de la capitale. » 
Les forêts sont nombreuses en Corée, mais c'est dans les pro- 
vinces septentrionales que l'on trouve les plus belles. Les bois de 
construction de différentes espèces y abondent, les pins et sapins 
surtout. Ces derniers étant les plus employés, parce qu'ils sont 
très-faciles à travailler, le gouvernement veille à leur conserva- 
tion, et afin que chaque village ait toujours à sa portée les arbres 
nécessaires, les mandarins sont chargés d'en surveiller l'exploi- 
tation, et d'empêcher qu'on n'en coupe un trop grand nombre à 
la fois. 
Il semble certain que les montagnes recèlent des mines abon- 
dantes d'or, d'argent et de cuivre. on assure qu'en beaucoup 
d'endroits, dans les provinces septentrionales surtout, il suffit de 
remuer un peu la terre pour rencontrer l'or, et qu'il se trouve en 
paillettes dans le sable de certaines rivières. Mais l'exploitation 
des mines est défendue par la loi sous des peines si sévères, que 
l'on n'ose pas le ramasser, parce qu'il serait à peu près impos- 
IV INTRODUCTION. 
sible de le vendre. Quelle est la véritable cause de cette prohibi- 
tion ? Les uns disent que cela tient au système de tout temps 
suivi par le gouvernement coréen, de faire passer le pays pour 
aussi petit et aussi pauvre que possible, afin de décourager l'am- 
bition de ses puissants voisins. D'autres croient que l'on redoute 
les soulèvements et les troubles qu'amènerait infailliblement la 
concentration d'un grand nombre d'ouvriers dans des pays éloi- 
gnés de la capitale, et où l'action de l'autorité est presque nulle. 
Le complot de 1811 se forma, dit-on , dans une de ces réunions. 
Quoi qu'il en soit, la loi est strictement observée, et la seule 
exception que l'on connaisse est la permission accordée, il y a 
vingt-cinq ans, d'exploiter pendant quelques mois les mines 
d'argent de Sioun-beng-fou, dans la province de Kieng-sang. Le 
cuivre de Corée est d'une excellente qualité, mais on ne l'emploie 
point, et c'est du Japon que vient celui qui sert dans le pays. Le 
minerai de fer est si commun, dans certains districts, qu'après les 
grandes pluies il suffit de se baisser pour le ramasser. Chacun 
en fait provision à son gré. 
Les silex (pierres à fusil) ne se trouvent guère que dans la 
province de Hoang-haï, et encore sont-ils d'une qualité tout h fait 
grossière. on fait venir de Chine ceux dont on se sert habi- 
tuellement. 
Le climat de la Corée n'est point ce que l'on nomme un climat 
tempéré. Comme dans tous les pays de l'extrême Orient, il y fait 
beaucoup plus froid en hiver, et beaucoup plus chaud en été, que 
dans les contrées européennes correspondantes. Dans le nord, le 
Tou-man-kang est gelé pendant six mois de l'année, et le sud de 
la presqu'île, quoique sous la même latitude que Malte ou la 
Sicile, reste longtemps couvert de neiges épaisses. Par 35° de 
latitude, les missionnaires n'ont pas vu descendre le thermomètre 
au-dessous de — 15" centigrades, mais par 37° 30' ou 38°, ils 
ont trouvé souvent — 25°. Le printemps et l'automne sont géné- 
ralement fort beaux. L'été, au contraire, est l'époque des pluies 
torrentielles qui souvent interceptent, pendant plusieurs jours, 
toute espèce de communications. 
Dans les vallées, pour peu que le terrain soit favorable, on 
plante du riz, et l'immense quantité de ruisseaux ou petites riviè- 
res qui descendent des montagnes, donne la facilité de former 
les étangs nécessaires à cette culture. Jamais on ne laisse repo- 
ser les terres ainsi arrosées; elles sont toujours en rapport. Ail- 
leurs, on sème du blé, du seigle ou du millet. Les instruments 
aratoires sont aussi simples et aussi primitifs que possible. Le 
INTRODUCTION. V 
bœuf est seul employé à la charrue; on n'a jamais recours au 
cheval, et un jour qu'un missionnaire engageait des chrétiens à 
se servir de sa monture, ce fut un éclat de rire général, absolu- 
ment comme si en France on proposait de labourer avec des 
chiens. Du reste, le cheval ne vivrait pas en travaillant dans les 
rizières, parce qu'elles sont constamment inondées. Outre le fumier 
et les autres engrais animaux que l'on recueille très-soigneuse- 
ment, on emploie, pour la culture, les cendres dont chaque mai- 
son coréenne est riche, car le bois n'est pas cher, et on en con- 
sume prodigieusement pendant l'hiver. De plus, au printemps, 
quand les arbres commencent à se couvrir de feuilles, on coupe 
les branches inférieures, et on les répand sur les champs où on 
les laisse pourrir. Après les semailles, pour empêcher les oiseaux 
de manger les grains, et pour protéger les jeunes tiges contre les 
chaleurs excessives qui les dessécheraient sur pied, on recouvre 
les champs d'autres branches que l'on enlève plus tard, quand la 
plante est assez forte. 
Le manque de chemins et de moyens de transport, dans ce 
pays montagneux, empêche absolument toute grande culture. 
Chacun cultive seulement le terrain qui est autour de sa maison 
et à sa portée. Aussi les gros villages sont rares, et la population 
des campagnes est disséminée en hameaux de trois ou quatre 
maisons, dix à douze au plus. La récolte habituelle suffit à peine 
aux besoins des habitants, et les famines sont fréquentes en 
Corée. Pour la classe la plus pauvre de la population, on peut 
dire qu'elles sont périodiques à deux époques de l'année : d'abord 
au printemps, quand on attend la récolte du seigle qui se fait 
en juin ou juillet, puis avant la récolte du millet, en septembre 
ou octobre. L'argent ne se prêtant qu'à un taux très-élevé, les 
malheureux dont les petites provisions sont épuisées ne peuvent 
aller acheter du riz ou d'autres grains, et n'ont pour vivre que , 
quelques herbes cuites dans l'eau salée. 
Outre le riz, le blé, le seigle et le millet, les principales pro~ 
ductions du pays sont : des légumes de toute espèce mais très- 
fades, le coton, le tabac, et diverses plantes fibreuses propres h 
confectionner de la toile. Le tabac a été introduit en Corée par 
les Japonais, vers la fin du xvi*" siècle. La plante à coton vient 
de Chine. Il y a cinq cents ans, dit-on, elle était inconnue en 
Corée, et les Chinois prenaient toutes les précautions possibles 
pour empêcher l'exportation des graines, afin de vendre aux 
Coréens des tissus de leurs fabriques. Mais un jour, un des mem- 
bres de l'ambassade annuelle réussit à se procurer trois graines, 
VI INTRODUCTION. 
qu'il cacha dans un tuyau de plume, et dota son pays de ce pré- 
cieux arbrisseau. La plante à coton périt chaque année, après la 
récolte ; on la sème de nouveau au printemps, comme le blé et dans 
les mêmes terrains. Quand le germe est sorti de terre, on arra- 
che un grand nombre de pieds, afin que ceux qui restent soient 
à la distance d'une dizaine de pouces ; on relève un peu la terre 
autour de chaque tige; on a soin d'enlever constamment les 
herbes parasites, et , en septembre, on obtient une assez belle 
récolte. La pomme de terre, introduite à une époque récente, 
n'est presque pas connue des Coréens. La culture en est inter- 
dite par le gouvernement ; on ne sait pourquoi. |Les chrétiens 
seuls en font pousser quelques-unes en cachette, afin de pouvoir 
offrir des légumes européens aux missionnaires, lorsqu'ils vien- 
nent visiter leurs villages. 
Ce sont les chrétiens qui, les premiers en Corée, ont cultivé 
les montagnes. Repoussés par la persécution dans les coins les 
plus écartés, ils ont défriché pour ne pas mourir de faim, et 
l'expérience de quelques années leur a enseigné le système de 
culture le plus convenable à ce genre de terrain. Les païens, 
étonnés du succès de leurs tentatives, les ont imités, et aujour- 
d'hui beaucoup de montagnes sont cultivées. Le tabac est la 
principale récolte de ces lieux élevés ; le millet y réussit assez 
bien, ainsi que le chanvre et certaines espèces de légumes, 
mais le coton n'a pu encore y être acclimaté. Ce genre de cul- 
ture qui demande beaucoup plus de travail que celui de la 
plaine, offre en échange de grands avantages aux laboureurs 
pauvres. Les impôts sont moins élevés ; le bois, l'herbe, les fruits 
sauvages, sont en abondance sous la main. Le gros navet, dont 
il se fait une consommation considérable, vient très-bien au mi- 
lieu des plantations de tabac et fournit une ressource précieuse. 
Malheureusement, la terre s'épuise assez vite, et tandis que dans 
les vallées on ne voit jamais de champs en jachère, il faut, sur 
les montagnes, après quelque temps, laisser reposer le terrain 
pendant plusieurs années; encore ne retrouve-t-il presque jamais 
la même force productive qu'il avait après le premier défriche- 
ment. 
Les fruits sont abondants en Corée ; on y retrouve presque 
tous ceux de France, mais quelle différence pour le goût ! Sous 
l'influence des pluies continuelles de l'été, pommes, poires, 
prunes, fraises, mûres, raisins, melons, etc., tout est insipide 
et aqueux. Les raisins ont un suc désagréable ; les framboises 
ont moins de saveur que les mûres sauvages de nos haies; les 
INTRODUCTION. VII 
fraises, très-belles à la vue, sont immangeables ; les pêches ne 
sont que des avortons véreux, etc. on mange beaucoup de corni- 
chons et de pastèques ou melons d'eau, qui sont peut-être le seul 
fruit passable que produise le pays. Quelques missionnaires font 
une autre exception en faveur du fruit du lotus diospyros, que 
Ton désigne en France par son nom Japonais : kaki (le nom 
coréen est kam). Pour la couleur, la forme et la consistance, ce 
fruit ressemble assez à une tomate mûre. Le goût rappelle celui 
de la nèfle, mais lui est bien supérieur. 
Les fleurs sont très-nombreuses. Pendant la saison , les 
champs sont émaillés de primevères de Chine, de lis de diffé- 
rentes espèces, de pivoines et d'autres espèces inconnues en 
Europe. Mais, à part leglantine, dont le feuillage est très- 
élégant, et le muguet qui ressemble à celui d'Europe, toutes ces 
fleurs sont inodores, ou d'un parfum désagréable. 

on cultive aussi le gen-seng, mais il est extrêmement infé- 
rieur en qualité au gen-seng sauvage de la Tartarie. Cette 
plante fameuse est, au dire des habitants de l'extrême Orient, 
le premier tonique de l'univers. Ses effets sont bien supérieurs à 
ceux du quinquina. D'après les Chinois, le meilleur gen-seng est 
le plus vieux ; il doit être sauvage, et dans ce cas il se vend au 
prix exorbitant de 50,000 francs la livre. La racine seule est 
en usage, on la coupe en morceaux que l'on fait infuser dans 
du vin blanc pendant un mois au moins. on prend ce vin à très- 
petites doses. Il n'est pas rare de voir des malades à l'article 
delà mort, qui, au moyen de ce remède, parviennent à prolonger 
leur vie de quelques jours. Le gen-seng cultivé abonde dans 
les diverses provinces de Corée. on le joint à d'autres drogues 
pour fortifier le malade, mais on ne l'emploie presque jamais 
seul. Depuis quelques années, son prix a doublé, à cause de lu 
quantité considérable que l'on fait passer en Chine par contre- 
bande, car les habitants du Céleste-Empire en font encore plus 
grand usage que les Coréens. — Le gen-seng, essayé à diverses 
reprises parles Européens, leur a, dit-on, causé le plus souvent 
des maladies inflammatoires très-graves ; peut-être en avaient-ils 
pris de trop fortes doses; peut-être aussi faut-il attribuer cet 
insuccès à la différence des tempéraments et de l'alimentation 
habituelle. 
Les animaux sauvages, tigres, ours, sangliers, sont très-nom- 
breux en Corée, les tigres surtout, qui, chaque année, font beau- 
coup de victimes. Ils sont d'une petite espèce. on trouve aussi 
quantité de faisans, de poules d'eau et d'autre gibier. Les ani- 
VIII INTRODUCTION. 
maux domestiques sont généralement d'une race inférieure. Les 
chevaux quoique très-petits, sont assez vigoureux. Les bœufs sont 
de taille ordinaire. Il y a énormément de porcs et de chiens, mais 
ces derniers sont peureux à l'excès, et ne servent guère que 
comme viande de boucherie. on assure que la chair du chien 
est très-délicate; quoi qu'il en soit, c'est en Corée un mets des 
plus distingués. Le gouvernement défend d'élever des moutons et 
des chèvres ; le roi seul a ce privilège. Les moutons lui servent 
pour les sacrifices des ancêtres ; les chèvres sont réservées pour 
les sacrifices à Confucius. 
Il est impossible de parler du règne animal en Corée sans 
mentionner les insectes et la vermine de toute espèce, poux, 
puces, punaises, cancrelats, etc., qui, pendant l'été surtout, 
rendent si pénible aux étrangers le séjour dans ce pays. Tous les 
missionnaires s'accordent à y voir une véritable plaie d'Egypte. 
En certaines localités, il est physiquement impossible de dormir 
à l'intérieur des maisons pendant les chaleurs, à cause des can- 
crelats, et les habitants préfèrent coucher au grand air, malgré 
le voisinage des tigres. Le cancrelat ronge la superficie de la 
peau, et y fait une plaie plus gênante et plus longue à guérir 
qu'une ccorchure ordinaire. Ces animaux, beaucoup plus gros 
que les hannetons, se multiplient avec une rapidité prodigieuse, 
et le proverbe coréen dit : "Quand une femelle de cancrelat ne 
fait que quatre-vingt-dix-neuf petits en une nuit, elle a perdu 
son temps. 
Le climat de la Corée est assez sain, mais l'eau, insipide par- 
tout, est, dans plusieurs provinces, la cause d'une foule de ma- 
ladies. Le plus généralement, ce sont des fièvres intermittentes 
qui durent plusieurs années. Quelquefois, comme dans la pro- 
vince de Kieng-sang, l'une des plus fertiles, l'eau cause des 
scrofules, des accidents nerveux, l'enflure démesurée d'une des 
jambes, rarement des deux à la fois. Dans certains districts de 
cette même province, elle produit une vieillesse prématurée; les 
dents tombent, les jambes s'affaiblissent, les ongles des doigts se 
décharnent et arrivent à couvrir presque toute la première pha- 
lange. Les Coréens nomment cette maladie southo, c'est-à-dire 
mal causé par l'eau et le terrain ; en ce sens que l'eau agit non- 
seulement d'une manière directe comme boisson, mais aussi en 
rendant malsains et dangereux les fruits et légumes qui ailleurs 
sont utiles ou au moins inoffensifs. 
Certaines maladies sont en Corée de véritables fléaux, entre 
autres la petite vérole. Il n'y a peut-être pas dans tout le pays 
INTRODUCTION. IX 
cent individus qui n'en aient été attaqués. Elle est d'une violence 
extrême. Souvent, dans un district, tous les enfants en sont pris 
en même temps, et ont le corps couvert de pustules ou de croûtes 
dégoûtantes. L'air en est tellement infecté, qu'on ne peut, sans 
danger, demeurer dans les maisons. Ceux qui échappent dans le 
bas âge sont sûrs d'être attaqués plus tard, et alors le danger est 
bien plus grand. Plus de la moitié des enfants meurent de cette 
maladie, et, en certaines années, presque aucun ne survit. Un 
médecin chrétien racontait un jour k Mgr Daveluy que, quelques 
semaines auparavant, sur soixante-douze enfants pour lesquels 
il avait donné des remèdes, deux seulement avaient échappé à la 
mort. Chaque année, à la capitale, les victimes se comptent par 
milliers. 
Parmi les maladies qui attaquent plus particulièrement les 
adultes, il faut citer une sorte de peste ou typhus, dont les cas 
sont fréquents. Si l'on ne peut provoquer la sueur, la mort est 
inévitable en trois ou quatre jours. Puis, les indigestions subites 
qui étouffent le malade et causent une mort instantanée, l'épi- 
lepsie qui est très-commune, le choléra, etc. 
La mortalité, on le voit, est grande en Corée, et si aux causes 
énumérées ci-dessus, on joint l'abominable pratique de l'avorte- 
ment;siron considère que les enfants qui perdent leur mère 
avant l'âge de deux ou trois ans ne peuvent guère lui survivre, 
parce qu'on ne connaît aucun moyen de les nourrir, on comprend 
fîicilement que la population n'augmente pas dans de grandes 
proportions. Les missionnaires ont remarqué une fois que le 
nombre total des chrétiens était resté à peu près stationnaire 
pendant dix ans, quoiqu'il y eût eu, dans l'intervalle, mille à 
douze cents conversions d'adultes, ce qui indiquerait un excé- 
dant sensible du nombre des morts sur celui des naissances. 
Mais la situation particulière des néophytes, toujours persécutés, 
presque tous réduits à la misère, ne permet pas de tirer de ce 
fait une conséquence générale. Les Coréens, d'ailleurs, sont con- 
vaincus que le chiffre de la population augmente et que leur 
pays est de plus en plus peuplé, et certains faits semblent leur 
donner raison. Ainsi, depuis quelques années, il y a peu de pro- 
vinces où ne s'élèvent de nouveaux villages, peu de villages où 
ne se bâtissent quelques nouvelles chaumières. Les champs et les 
rizières abandonnés autrefois comme peu fertiles, sont de toutes 
parts remis en culture. Sauf dans les deux provinces septentrio- 
nales, les montagnes sont presque partout défrichées, et les tigres 
refoulés de leurs repaires deviennent beaucoup moins nombreux. 
X INTRODUCTION. 
Quelle est aujourd'hui la population totale de la Corée ? il est 
difficile de le savoir exactement. Les statistiques officielles du 
gouvernement comptaient, il y a trente ans, plus de un million 
sept cent mille maisons et près de sept millions et demi d'habi- 
tants ; mais les listes sont faites avec tant de négligence qu'on 
ne peut pas s'y fier. Il semble certain que beaucoup d'individus 
ne sont pas comptés. Peut-être ne se tromperait-on guère en 
estimant à dix millions le chiffre total, ce qui donnerait une 
moyenne de presque six individus par maison. Quelques géogra- 
phes modernes supposent à la Corée quinze millions d'habitants, 
mais ils ne disent point sur quoi se basent leurs conjectures 
évidemment très-exagérées. 
Les Coréens se rattachent au type mongol, mais ils res- 
semblent beaucoup plus aux Japonais qu'aux Chinois. Ils ont 
généralement le teint cuivré, le nez court et un peu épaté, les 
pommettes proéminentes, la tète et la figure arrondies, les sour- 
cils élevés. Leurs cheveux sont noirs ; il n'est pas rare cependant 
de rencontrer des cheveux châtains, et même châtain-clair. 
Beaucoup d'individus n'ont point de barbe, et ceux qui en ont 
l'ont peu fournie. Ils sont de taille moyenne, assez vigoureux, et 
résistent bien à la fatigue. Les habitants des provinces du Nord, 
voisines de la Tartarie, sont beaucoup plus robustes et presque 
sauvâmes. 
II 
Histoire de la Corée. — Son élat de vasselage vis-à-vis de la Chine. 
Origine des divers partis politiques. 
Il est difficile, sinon impossible, de faire une histoire sérieuse 
et suivie de la Corée, faute de documents. Les différentes his- 
toires coréennes, écrites en langue chinoise, ne sont, au dire de 
ceux qui ont pu les parcourir, que des compilations indigestes 
de faits plus ou moins imaginaires, servant de texte à des 
déclamations emphatiques. Les savants coréens eux-mêmes n'y 
ajoutent aucune foi, et n'en font jamais un objet d'étude ; ils 
se bornent à lire l'histoire de la Chine. on rencontre, il est 
vrai, des abrégés d'histoire en langue coréenne, mais ce ne sont 
que des recueils d'anecdotes curieuses, vraies ou fausses, arran- 
gées pour l'amusement des dames, et qu'un lettré rougirait 
d'ouvrir. 
Ces différents recueils, d'ailleurs, n'ont trait qu'à l'histoire 
ancienne du pays, car il est sévèrement défendu de faire ou 
d'imprimer l'histoire moderne, c'est-à-dire celle des princes de 
la dynastie aclucUe. Voici comment se conservent les documents. 
Certains dignitaires du palais inscrivent secrètement, et comme 
ils l'entendent, tout ce qui se passe; puis on dépose ces écrits 
cachetés dans quatre coffres conservés dans quatre différentes 
provinces. Quand la dynastie sera éteinte, et qu'une autre lui 
aura succédé, on composera l'histoire officielle à l'aide de ces 
rédactions diverses. Il est d'usage, néanmoins, dans la plupart 
des grandes familles nobles, de noter sur des registres particu- 
liers les principaux événements, mais avec la précaution de ne 
jamais manifester ni un jugement ni une opinion sur les actes 
des ministres ou môme des agents subalternes ; autrement l'écri- 
vain risquerait sa tête. 
C'est donc principalement à l'aide des livres chinois et japo- 
nais que l'on a pu réunir quelques notions un peu certaines sur 
l'histoire de Corée. Au lieu de fatiguer le lecteur par d'ennuyeuses 
citations et dissertations, d'ailleurs parfaitement étrangères à 
XII INTRODUCTION, 
notre but, nous donnerons en quelques mots une analyse suc- 
cincte de ce qu'il importe de savoir (1). 
Les premiers missionnaires et voyageurs en Cliine croyaient 
que la langue coréenne n'était qu'un patois de la langue chi- 
noise; ils en concluaient l'identité d'origine entre les deux 
peuples. on sait aujourd'hui que les deux langues et les deux 
peuples différent, et il est certain que les Coréens sont, non pas 
Chinois, mais Tartares d'origine. 

on ne connaît absolument rien de l'histoire de Corée avant le 
premier siècle de l'ère chrétienne. Alors seulement on trouve les 
traces de trois États distincts qui se partagent la péninsule : au 
nord et au- nord-est le royaume de Kao-li, à l'ouest celui de 
Pet-si, au sud-est celui de Sin-la. Un chaos de guerres civiles 
interminables entre ces États rivaux, des querelles sans cesse 
renaissantes entre le royaume de Kao-li et la Chine d'une part, 
entre le royaume de Sin-la et le Japon d'autre part, voilà l'his- 
toire de Corée pendant plus de dix siècles. Ce qui semble évident, 
c'est que vers la fin de cette période le royaume de Sin-la eut 
une prépondérance marquée sur les deux autres. En effet, les 
histoires de Corée donnent le nom de Sin-la à la dynastie qui 
précéda celle de Kao-li ou Korie. Une autre preuve de cette 
supériorité, c'est que l'ouest et le nord paraissent avoir presque 
toujours été, de gré ou de force, sous la suzeraineté de la Chine, 
tandis que le sud ou royaume de Sin-la, soutint, pendant des 
siècles, la guerre contre le Japon, avec des alternatives de succès 
et de revers. Les annales japonaises mentionnent une cinquan- 
taine de traités successifs entre les deux peuples. 
Quoi qu'il en soit, c'est vers la fin du onzième siècle, sous 
Ouang-kien, c'est-à-dire Ouang le fondateur, que les trois 
royaumes coréens furent définitivement réunis en un seul. Le roi 
de Kao-li, appuyé par la Chine, conquit les États de Pet-si et de 
Sin-la, forma une seule monarchie, et en reconnaissance du se- 
cours que lui avait donné la dynastie mongole qui s'établissait 
alors à Péking, reconnut officiellement la suzeraineté de l'empe- 
reur. Les historiens chinois donnent de celte révolution une ver- 
sion un peu différente. D'après eux, Tchéou-ouang, le dernier 
empereur de la dynastie des Yn, prince cruel et débauché, avait 
disgracié et envoyé en exil son neveu Kei-tsa, dont les remon- 
(1) Ceux qui voudraient étudier à fond la question n'ont qu'à consulter, 
entre autres ouvrages, ^rc/iù' zur BeschreibuiiQ l'ou'/apa??, par M. de Siebold. 
INTRODUCTION. Xlll 
iraiices lui étaient désagréables. Oii-ouang ayant renversé 
Tcliéoii-ouang et mis fin à la dynastie des Yn, rappela Kei-tsa, 
le tit roi de Corée, et lui donna pour armée les débris des troupes 
qui avaient servi son oncle. 
Les descendants du fondateur de l'unité coréenne régnèrent 
pacifiquement pendant plus de trois cents ans. Ce sont ces 
princes qui, dans les livres et les traditions du pays, sont dési- 
gnés sous le nom de dynastie Kaoli ou Korie. 
Au xiv^ siècle, la chute de la dynastie mongole en Chine en- 
traîna par contre-coup celle de la dynastie vassale en Corée. 
Tai-tso, que les histoires chinoises nomment Li-tan, protégé par 
la dynastie Ming qui venait de supplanter les Mongols, s'empara 
du pouvoir en Corée, l'an 1392, et fonda la dynastie actuelle, 
dont le nom officiel est Tsi-tsien. Les nouveaux empereurs de 
Chine profitèrent de cette révolution pour étendre leurs droits 
de suzeraineté, et c'est alors que fut imposé aux Coréens l'usage 
de la chronologie et du calendrier chinois. Tai-tso, affermi sur 
le trône, quitta la ville de Siong-to ou Kai-seng, où avaient résidé 
ses prédécesseurs, et établit sa capitale à Han-iang (Séoul). 11 
partagea le pays en huit provinces, et organisa tout le système 
de gouvernement et d'administration qui se conserve encore 
aujourd'hui. 
Les premiers successeurs deTaï-tso semblent avoir acquis une 
assez grande puissance, car sous le roi Siong-siong qui occupa 
le trône de I0O6 à 1544, on trouve mentionnée une guerre avec 
le Japon, à l'occasion de la révolte de Taïma-to (île de Tsou- 
sima ou Tsou tsima\ et de quelques autres provinces japonaises 
qui étaient alors tributaires de la Corée. Mais, quelques années 
plus tard, le Japon prit sa revanche, et Taïko-Sama mit la Corée 
à deux doigts de sa perte. En 1592, ce prince, aussi grand 
guerrier qu'habile politique, envoya une armée de deux cent 
mille hommes en Corée. Son plan était de frayer une voie à l'en- 
vahissement de la Chine. En vain les Chinois accoururent au 
secours des Coréens contre l'ennemi commun, ils furent battus 
en plusieurs rencontres ; et les trois quarts de la Corée tombèrent 
au pouvoir des Japonais qui, probablement, seraient demeurés 
maîtres de tout le pays, si la mort de Taïko-Sama, en 1598, 
n'avait forcé ses troupes à retourner au Japon en abandonnant 
leur conquête. En 1615, à la chute de la famille de Taïko-Sama, 
le chef de la dynastie actuelle du Japon signa définitivement la 
paix avec les Coréens. Les conditions en étaient très-dures et 
très-humiliantes pour ces derniers, car ils devaient payer chaque 
XIV INTRODUCTION. 
année un tribut de trente peaux humaines. Après quelques 
années, cet impôt barbare fut changé en une redevance annuelle 
d'argent, de riz, de toiles, de gen-seng, etc., etc. En outre, les 
Japonais gardèrent la propriété du port de Fousan-kaï, sur la 
côte sud-est de la Corée, et ils en sont encore aujourd'hui les 
maîtres. Ce point important est occupé par une colonie de trois 
ou quatre cents soldats et ouvriers, qui n'ont aucune relation avec 
l'intérieur du pays, et ne peuvent faire de commerce avec les 
Coréens qu'une ou deux fois par mois, pendant quelques heures. 
Fousan-kaï est sous l'autorité du prince de Tsou-tsima (1). Jus- 
qu'en 1790, le roi de Corée était obligé d'envoyer une ambassade 
extraordinaire au Japon pour notifier son avènement, et une 
autre tous les dix ans pour payer le tribut. Depuis cette époque, 
les ambassades ne vont qu'à Tsou-tsima, ce qui demande beau- 
coup moins de pompe et de dépenses. 
En 1636, quand la dynastie mandchoue qui règne actuelle- 
ment en Chine renversa les Ming, le roi de Corée prit parti 
pour ces derniers. Son pays fut aussitôt envahi par les Mand- 
choux, et il ne put opposer de résistance sérieuse à l'ennemi qui 
vint lui dicter des lois dans sa propre capitale. Il y a encore au- 
jourd'hui, près d'une des portes de Han-iang (Séoul), un temple 
(1) La possession de Fousan-kaï par les Japonais est un témoignage per- 
manent de la défaite des Coréens, et leur orgueil national en est vivement 
blessé. Aussi, leurs histoires ont-elles grand soin de passer sous silence les 
faits dont nous venons de parler et de les remplacer par des légendes 
ridicules. Voici, par exemple, comment les notes explicatives d'une carte 
coréenne rendent compte de la présence des étrangers sur le sol de la Corée. 
« Séjour des barbares, habitants de Taïma-to, à Tsieu-lieng (petite île à 
deux ou trois lieues sud- est de Fousan-kai;. 
« Lorsque Siei-tsong-tsio régnait, plusieurs barbares de Taïma-to quittèrent 
cette île et vinrent s'établir sur les côtes de Corée, dans trois petits ports, 
appelés ports de Pou-san, d'Ieum et de Tsiei, et ils ne tardèrent pas à y 
devenir nombreux. 11 y avait cinq ans que Tsou-tsong était roi, lorsque les 
barbares de Pou-san et d'Ieum excitèrent des troubles, et pendant une nuit 
ils détruisirent les murailles de la ville de Pou-san dont ils tuèrent aussi le 
mandarin Ni Uu-tsa. Battus par les troupes de l'État, ils ne purent continuer 
à vivre dans ces ports, et se retirèrent dans Tinlérieur du pays. Cependant, 
peu après, ayant demandé pardon de leur faute, ils obtinrent de venir s'y 
établir de nouveau. Ce ne fut que pour quelque temps, car, un peu avant 
l'année im-tsin (1592}, ils retournèrent tous à Taïma-to leur patrie. En 
Tannée keï-haï (1599), le roi Sieun-lsio eut des communications avec les 
barbares de Taïma-to. 11 arriva qu'il les appela aux lieux qu'ils avaient 
quittés sur les côtes de Corée, leur bàlit des maisons, les traita avec bien- 
veillance, établit à cause d'eux un marché qui avait lieu chaque cinq jours 
à partir du troisième jour de chaque mois, et même quand ils avaient une 
plus grande quantité de marchandises, il permettait de tenir les marchés 
plus souvent encore. » 
INTRODUCTION, XV 
bâti alors en l'honneur du général mandchou (|ui commandait 
Texpédilion, el le peuple lui rend des honneurs divins. Le traité 
conclu en 1637, sans aggraver sérieusement les conditions réelles 
du vasselage de la Corée vis-à-vis de la Chine, rendit celte sou- 
mission beaucoup plus humiliante dans la forme. Le roi dut 
reconnaître à Fempereur, non plus seulement le droit d'investi- 
ture, mais l'autorité directe sur sa personne, c'est-à-dire : la rela- 
tion de maître à sujet (koun-sin). 
L'un des articles de cette convention, signée le 30 de la troi- 
sième lune de tieng-tsiouk (1637-38), règle ainsi qu'il suit le 
payement du tribut annuel : 
« Chaque année il sera présenté : Cent onces d'or. — Mille 
onces d'argent. — Dix mille sacs de riz en grain sans la balle. — 
Deux mille pièces de soie. — Trois cents pièces de mori (espèce 
de lin). — Dix mille pièces de toile ordinaire. — Quatre cents 
pièces de toile de chanvre. — Cent pièces de toile de chanvre fin. 
— Mille rouleaux de vingt feuilles de grand papier. — Mille rou- 
leaux de petit papier. — Deux mille bons couteaux. — Mille 
cornes de buffle. — Quarante nattes avec dessins. — Deux cents 
livres de bois de teinture. — Dix boisseaux de poivre. — Cent 
peaux de tigres. — Cent peaux de cerfs. — Quatre cents peaux 
de castors. — Deux cents peaux de rats bleus, etc., etc. — Cet 
envoi commencera à l'automne de l'année kei-mio (1639). » 
Le sac de riz dont il est ici question est la charge d'un bœuf, 
un peu moins de deux hectolitres. Quelques années après le 
traité, en 1650, l'ambassadeur coréen, dont la fille, emmenée 
captive par les Mandchoux, était devenue sixième femme de 
l'empereur, obtint que le tribut en riz fût diminué de neuf mille 
sacs. Les autres articles du traité fixent en détail toutes les rela- 
tions entre les deux pays, et sauf quelques modifications insigni- 
fiantes sur des points de détail, c'est ce traité qui jusqu'à pré- 
sent est la loi internationale. 
Une ambassade coréenne va chaque année à Péking payer le 
tribut et recevoir le calendrier. Cette dernière clause est, dans 
l'idée de ces peuples, d'une importance capitale. En Chine, la 
fixation du calendrier est un droit impérial, exclusivement réservé 
à la personne du Fils du Ciel. Différents tribunaux d'astronomes 
et de mathématiciens sont chargés de le préparer, et, chaque 
année, l'empereur le promulgue par un édit, muni du grand 
sceau de l'État, défendant sous peine de mort d'en suivre ou 
d'en publier un autre. Les grands dignitaires de l'empire vont le 
recevoir solennellement au palais de Péking; les mandarins et 
XVI INTRODUCTION. 
employés subalternes le reçoivent des gouverneurs ou vice-rois. 
Recevoir ce calendrier, c'est se déclarer sujet et tributaire de 
l'empereur : le refuser, c'est se mettre en insurrection ouverte. 
Jamais les rois de Corée n'ont osé, depuis le traité, se passer du 
calendrier impérial; mais pour sauvegarder leur autorité vis-à-vis 
de leurs propres sujets, et se donner un certain air d'indépen- 
dance, ils affectent d'y faire quelques changements, plaçant les 
longues lunaisons (celles de trente jours) à des intervalles diffé- 
rents, avançant ou retardant les mois intercalaires, etc., de sorte 
que les Coréens, pour connaître les dates civiles et l'époque des 
fêtes officielles, sont forcés d'attendre la publication de leur 
propre calendrier. 
De plus, chaque nouveau roi de Corée doit, par une ambas- 
sade expresse, demander l'investiture à l'empereur ; il doit 
rendre compte de tout ce qui concerne sa famille, et des princi- 
paux événements qui surviennent dans son royaume. La plupart 
des ambassadeurs chinois étant, dans la hiérarchie impériale, 
d'un grade supérieur au roi de Corée, celui-ci doit aller hors de 
sa capitale pour les recevoir et leur offrir ses humbles salutations, 
et il doit pour cela prendre une autre porte que celle par oii 
l'ambassadeur fait son entrée. Celui-ci, pendant son séjour, ne 
sort point du palais qui lui est destiné, et tout ce qui paraît 
chaque jour sur sa table, vaisselle, argenterie, etc., devient sa 
propriété, ce qui occasionne au gouvernement coréen d'énormes 
dépenses. Il paraît aussi que les ambassadeurs coréens n'ont pas 
le droit de passer par la porte de Pien-men, première ville chi- 
noise sur la frontière, et qu'ils sont obligés de faire un détour. 
La couleur impériale est interdite au roi de Corée ; il ne peut pas 
porter une couronne semblable à celle de l'empereur ; tous les 
actes civils doivent se dater des années de l'empereur; et quand 
quelque chose de grave arrive à Péking, le roi doit envoyer par 
une ambassade extraordinaire, ses félicitations ou ses condo- 
léances, selon les cas. Le traité porte aussi que le gouvernement 
coréen n'a pas le droit de battre monnaie, mais cet article n'est 
plus observé. 

on trouve dans Duhalde un exemple curieux des rapports 
officiels entre les deux cours : c'est le placet présenté à l'empe- 
reur Kang-hi, en 1694, par un des princes de la dynastie Ni. 
11 est conçu en ces termes : 
« Le royaume de Tchao-sien présente ce placet, dans la vue 
de mettre l'ordre dans sa famille, et pour faire entendre les désirs 
du peuple. 
INTRODUCTION. XVII 
« Moi, votre sujet, je suis un homme dont la destinée est peu 
fortunée : j'ai été longtemps sans avoir de successeur ; enfin j'ai 
eu un enfant mâle d'une concubine. Sa naissance m'a causé une 
joie incroyable : j'ai pris aussitôt pour reine la mère qui l'avait 
engendré; mais j'ai fait en cela une faute, qui est la source de 
plusieurs soupçons. J'obligeai la reine Min-cïii, mon épouse, à 
se retirer dans une maison particulière, et je fis ma seconde 
femme, Tchang-chi, reine en sa place. J'informai alors en détail 
Votre Majesté de cette affaire. Maintenant je fais réflexion que 
Min-chi a reçu les patentes de création de Votre Majesté, qu'elle 
a gouverné ma maison, qu'elle m'a aidé aux sacrifices, qu'elle 
a servi la reine ma bisaïeule et la reine ma mère; qu'elle a 
porté le deuil de trois ans avec moi. Suivant les lois de la 
nature et de l'équité, je devais la traiter avec honneur; mais je 
me suis laissé emporter à mon imprudence. Après que la chose 
fut faite, j'en eus un extrême regret. Maintenant pour me confor- 
mer aux désirs des peuples de mon royaume, j'ai dessein de 
rendre à Min-chi la dignité de reine, et de remettre Tchang-chi 
au rang de concubine. Par ce moyen, le gouvernement de la 
famille sera dans l'ordre, et le fondement des bonnes mœurs et 
de la conversion de tout un État, sera rectifié. 
« Moi, votre sujet, quoique je déshonore par mon ignorance 
et ma stupidité le titre que j'ai hérité de mes ancêtres, il y a 
pourtant vingt ans que je sers Votre Majesté suprême, et je dois 
tout ce que je suis à ses bienfaits, qui me couvrent et me protè- 
gent comme le Ciel. Il n'y a aucune affaire domestique ou 
publique, de quelque nature qu'elle soit, que j'ose lui cacher. C'est 
ce qui me donne la hardiesse d'importuner deux et trois fois Votre 
Majesté sur cette affaire. A la vérité je suis honteux de passer 
ainsi les bornes du devoir ; mais comme c'est une affaire qui 
touche l'ordre qui doit se garder dans la famille , et qu'il 
s'agit de faire entendre les désirs du peuple, la raison veut 
que je le fasse savoir avec respect à Votre Majesté. » 
L'empereur répondit à ce placet par l'édit suivant : 
« Que la cour à qui il appartient, délibère et m'avertisse. » 
La cour dont il est question est celle des rites. Elle jugea 
qu'on devait accorder au roi sa demande, ce qui fut ratifié par 
Tempereur. on envoya des officiers de Sa Majesté pour })orter à 
la reine de nouvelles lettres de création, des habits magnifiques, 
et tout ce qu'il fallait pour remplir les formalités accoutumées. 
L'année suivante le roi envoya un autre placet à Kang-hi. L'em- 
pereur l'ayant lu, porta cet édit : 
T. I. — l'Église de corée. b 
XVIII INTRODUCTION. 
« J'ai vu le compliment du roi : je le sais. Que la cour à qui 
il appartient le sache : les termes de ce placet ne sont pas conve- 
nables ; on y manque au respect. J'ordonne qu'on examine et 
qu'on m'avertisse. » 
Sur cet ordre, le li-pou ou cour des rites condamna le roi de 
Corée à une amende de dix mille onces chinoises d'argent, et à 
être privé pendant trois ans des présents que lui fait l'empereur 
en échange du tribut annuel (1). 
Les pièces que l'on vient de lire, et d'autres analogues que 
l'on verra dans cette histoire, montrent que la suzeraineté de la 
Chine sur la Corée est très-réelle. on comprend que suivant les 
circonstances, suivant le caractère respectif des souverains de 
chaque pays, les liens de subordination sont plus ou moins res- 
serrés ou relâchés, mais ils existent toujours. 
Au reste, les empereurs chinois, en habiles politiques, ména- 
gent les ressources et les susceptibilités du gouvernement coréen. 
Ils reçoivent les tributs mentionnés plus haut, mais ils font en 
échange des présents annuels aux ambassadeurs coréens et aux 
gens de leur suite ; ils envoient à chaque nouveau roi un man- 
teau royal et des ornements de prix. De même, ils ont le droit 
de demander à la Corée des subventions en vivres, munitions et 
soldats, mais ils n'en usent presque jamais, et surtout, quoiqu'ils 
le puissent à la rigueur d'après la lettre des traités, ils ne se 
mêlent en rien de l'administration intérieure du royaume. La 
dynastie des Ouang (mongole) intervint autrefois à diverses repri- 
ses, pour faire ou défaire les rois de Corée, et à cause de cela 
son souvenir est exécré dans le pays. Les Ming, plus sages, trai- 
tèrent les Coréens en alliés, plutôt qu'en vassaux ; ils envoyèrent 
une armée au secours du roi de Corée lors de la grande invasion 
japonaise, et aujourd'hui encore l'affection et la reconnaissance 
du peuple coréen leur est acquise, à ce point que l'on conserve 
précieusement divers usages contemporains de cette dynastie, 
quoiqu'ils aient été abolis en Chine par les empereurs mand- 
choux. Ces derniers ne sont pas aimés en Corée, et sur les regis- 
tres des particuliers, on ne date point les événements des années 
de leur règne. Néanmoins, leur joug n'est pas très-lourd, et la 
pensée de le secouer ne vient à la tête de personne. 

on croit généralement en Corée, qu'un des articles du traité 
de 1637 prévoit le cas où les Mandchoux, perdant la Chine, 
(1) Duhal<J(% nescription de l'nvpirc de la Chine, l. Ilî. 
INTRODUCTION. XIX 
seraient forcés de se retirer dans leur propre pays. La Corée devrait 
alors, dit-on, leur fournir trois mille bœufs, trois mille chevaux, 
leur payer une somme énorme en argent, et enfin leur envoyer 
trois mille jeunes filles de choix. on prétend que, s'il y a tou- 
jours en Corée tant de filles esclaves des diverses préfectures, 
c'est pour que le gouvernement puisse, au besoin, accomplir cette 
clause du traité. Mais les missionnaires n'ont jamais pu découvrir 
de document officiel à ce sujet. 
Depuis 1636, la Corée n'a eu de guerres ni avec le Japon, ni 
avec la Chine. Ce peuple a eu le bon sens de ne point renouveler 
des luttes trop inégales, et afin de ne point tenter l'ambition de 
ses puissants voisins, il a toujours affecté de se faire aussi 
petit que possible, et de mettre toujours en avant sa faiblesse et 
la pauvreté du pays et du peuple. De là, la défense d'exploiter les 
mines d'or et d'argent, les lois somptuaires fréquemment renou- 
velées, qui maintiennent dans d'étroites limites le luxe et le 
faste des grands. De là aussi, l'interdiction à peu près absolue de 
communiquer avec les étrangers. Par ce moyen la paix s'est 
conservée, et l'histoire des derniers siècles ne nous offre d'autres 
événements que des intrigues de palais, qui, une ou deux fois, 
réussirent à remplacer un roiparquelqu'autre prince de la même 
famille, et le plus souvent n'aboutirent qu'à l'exécution capitale 
des conspirateurs et de leurs complices vrais ou supposés. Du 
reste, pas un changement, pas une amélioration sérieuse. Ce que 
nous appelons vie politique, progrès, révolutions, n'existe pas 
en Corée. Le peuple n'est rien, ne se mêle de rien. Les nobles, 
qui seuls ont en main le pouvoir, ne s'occupent du peuple que 
pour le pressurer et en tirer le plus d'argent possible. Us sont 
eux-mêmes divisés en plusieurs partis qui se poursuivent réci- 
proquement avec une haine acharnée, mais leurs divisions n'ont 
nullement pour cause ou pour mot d'ordre des principes diffé- 
rents de politique et d'administration ; ils ne se disputent que les 
dignités, et l'influence dans les affaires. Depuis bientôt trois 
siècles l'histoire de Corée n'est que le récit monotone de leurs 
luttes sanglantes et stériles. 
Voici, d'après quelques documents coréens et les traditions 
universellement répandues dans le pays, l'origine de ces diffé- 
rents partis. 
Sous le règne du Sieng-tsong (1567 à 1592), une dispute s'é- 
leva entre deux nobles des plus puissants du royaume, à l'occa- 
sion d'une grande dignité confiée à l'un d'eux, et à laquelle 
l'autre prétendait avoir des droits. Les familles, les amis et 
XX INTRODUCTION. 
dépendants des deux compétiteurs prirent pari à la querelle ; le 
roi, par prudence, ménagea les uns et les autres , et ils restèrent 
divisés sous les noms de Tong-in (orientaux) et Sié-in (occiden- 
taux). Quelques années plus tard, une cause aussi futile amena la 
formation de deux autres partis, que l'on appela Nam-in (méri- 
dionaux) et Pouk-in (septentrionaux). Bientôt les orientaux se 
joignirent aux méridionaux et ne formèrent qu'un seul parti 
sous le nom de ces derniers : Nam-in. Les septentrionaux très- 
nombreux se divisèrent d'abord entre eux, et formèrent les Tai- 
pouk et Sio-pouk, c'est-à-dire grands et petits septentrionaux. Les 
Tai-pouk s'étant mêlés à des conspirations contre le roi furent 
presque tous mis ta mort, et ce qui restait ne tarda pas à se réunir 
aux Sio-pouk, de sorte qu'à l'avènement de Siouk-tsong, en 1674, 
il restait trois partis bien marqués , savoir les Sié-in (occiden- 
taux), les Nam-in (méridionaux), et les Sio-pouk (petits septen- 
trionaux). 
Pendant le règne de Siouk-tsong, un incident ridicule amena 
de nouveaux changements. Un jeune noble Sié-in, nommé loun, 
avait pour précepteur un lettré de grande réputation appelé 
0-nam. Le père de loun étant mort, celui-ci prépara une épitaplie, 
mais le précepteur en proposa une autre. on ne put se mettre 
d'accord ; chaque rédaction eut ses partisans, et on s'échauffa si 
bien que le parti Sié-in fut scindé en deux nouveaux partis, 
celui de loun sous le nom de Sio-ron, celui de 0-nam sous celui 
de No-ron. 
Telle est l'origine des quatre partis qui, de nos jours encore, 
existent en Corée. Tous les nobles appartiennent nécessairement 
à l'une de ces factions, dont l'unique souci est de s'emparer des 
dignités et d'en fermer l'accès à leurs ennemis. De là, des dis- 
cordes continuelles, des luttes qui le plus souvent se terminent 
par la mort des principaux chefs du parti vaincu ; non point que 
l'on ait ordinairement recours aux armes où à l'assassinat, mais 
ceux qui parviennent à supplanter leurs rivaux forcent le roi à 
les condamner à mort, ou tout au moins à l'exil perpétuel. Dans 
les temps de calme, le parti dominant, tout en gardant pour lui- 
même avec une précaution jalouse les positions influentes, laisse 
partager les charges et emplois ordinaires aux nobles de l'autre 
parti, afin d'éviter une opposition trop violente; mais on ne se 
rapproche jamais, et le gouvernement tolère que les membres 
de factions opposées ne se parlent point, même quand l'accom- 
plissement de leurs fonctions administratives semble l'exiger. 
Ces haines sont héréditaires ; le père les transmet à son fils, et 
INTRODUCTION. XXI 
l'on n'a pas d'exemple qu'une famille ou un individu ait changé 
de parli, surtout entre les Nam in et les No-ron, qui ont toujours 
été les plus nombreux, les plus puissants et les plus acharnés. 
on n'a jamais non plus entendu parler de mariages entre les fa- 
milles de camps opposés. Le noble qui par l'intrigue d'un ennemi 
perd sa dignité ou sa vie, laisse à ses descendants le soin de sa 
vengeance. Souvent il leur en remet un gage extérieur ; par 
exemple, il donnera à son fils un habit avec ordre de ne point le 
dépouiller avant de l'avoir vengé. Celui-ci le portera sans cesse 
et, s'il meurt avant d'avoir réussi, le transmettrai son tour à ses 
enfants avec la même condition. 11 n'est pas rare de voir des 
nobles vêtus de ces haillons qui, depuis deux ou trois générations, 
leur rappellent nuit et jour qu'une dette de sang leur reste à payer 
pour apaiser les âmes de leurs ancêtres. 
En Corée, ne pas venger son père, c'est le renier; c'est prou- 
ver qu'on est illégitime et qu'on n'a aucun droit de porter son 
nom ; c'est violer dans son point fondamental la religion du 
pays qui ne consiste guère que dans le culte des ancêtres. Si 
le père a été mis à mort légalement, il faut que son ennemi ou 
le fils de son ennemi ait le même sort ; si le père a été exilé, il 
faut que son ennemi soit exilé; s'il a été assassiné, il faut que son 
ennemi soit assassiné, et, en pareil cas, l'impunité à peu près 
complète est assurée au coupable, car il a pour lui le sentiment 
religieux et national du pays. 
Le moyen le plus ordinairement employé par les factions 
rivales, c'est de s'accuser de conjuration contre la vie du roi. 
on multiplie les pétitions, les faux témoignages ; on corrompt 
les ministres à force d'argent. Si, comme il arrive souvent, 
les premiers pétitionnaires sont incarcérés, battus, condamnés à 
d'énormes amendes ou exilés, on se cotise pour payer les frais, et 
l'on fait de nouvelles tentatives qui, grâce à la vénalité des hauts 
fonctionnaires et à la faiblesse du roi, finissent par réussir. Alors 
ceux du parti vainqueur font curée des places et des dignités ; 
ils usent et abusent du pouvoir pour s'enrichir eux-mêmes, ruiner 
et persécuter leurs ennemis, jusqu'à ce que ceux-ci trouvent l'oc- 
casion favorable de les supplanter à leur tour. 
Les différents partis mentionnés plus haut se sont encore sub- 
divisés en deux couleurs ou plutôt deux nuances. Voici à quelle 
occasion : 
Le roi qui occupait le trône de Corée en 1720, n'avait pas de 
fils pour lui succéder. La division se mit parmi les grands du 
royaume; les uns voulaient faire proclamer immédiatement leng- 
XXII INTRODUCTION. 
tsong, frère du roi, prince habile et cruel ; les autres préféraient 
attendre , espérant toujours que le roi ne mourrait pas sans pos- 
térité. on nomma les premiers Piek ou Piek-pai, les seconds Si 
ou Si-pai. Les Piek envoyèrent secrètement à Péking pour obte- 
nir l'investiture en faveur de leng-tsong ; mais les Si, avertis à 
temps, poursuivirent les émissaires qui furent rejoints sur le 
territoire coréen et décapités. Cependant le vieux roi mourut sans 
laisser d'enfant, et leng-tsong monta sur le trône en 1724. La 
voix publique l'accusait, non sans raison, de s'être frayé un che- 
min au pouvoir par un double crime, d'avoir empêché par diverses 
médecines que son frère n'eût des descendants, puis de l'avoir 
empoisonné. Exaspéré par ces rumeurs et appuyé par les Piek, 
le nouveau roi, à peine couronné, fit périr un grand nombre 
de Si, qu'il savait être ses ennemis. Quelques années après, son 
fils aîné étant mort en bas âge, il déclara son second fils nommé 
Sa-to héritier du trône, et l'associa au gouvernement. Ce jeune 
prince, que tous s'accordent à représenter comme un homme 
accompli, engageait souvent son père à oublier ses rancunes pas- 
sées contre les Si, à proclamer une amnistie générale, et à tenter 
franchement une politique de réconciliation. leng-tsong, irrité de 
ces reproches et poussé par les Piek, résolut de mettre son fils à 
mort. on fabriqua un grand coffre en bois, où Sa-to reçut l'or- 
dre de se coucher tout vivant, puis on ferma ce cercueil, on le 
scella du sceau royal, on le couvrit d'herbes, et après quelques 
heures le jeune prince mourut étouffé. 
Sa mort augmenta l'exaspération entre les Si, ses partisans, 
et les Piek qui l'avaient fait condamner au supplice, et la que- 
relle dure encore. Les Si voudraient que Sa-to, ayant été proclamé 
prince héritier et associé à l'administration des affaires de l'Étal, 
soit mis au nombre des rois. Les Piek s'y sont toujours opposés, 
et jusqu'à présent, ils ont réussi à empêcher cette réhabilitation 
posthume. La distinction entre Si et Piek ne se retrouve guère 
que parmi les deux partis les plus considérables, les Nam-in et 
les No-ron. Chacun s'associe à telle ou telle couleur suivant son 
inclination personnelle, et souvent il arrive que le père est Piek 
tandis que le fils est Si, ou que deux frères sont de couleur diffé- 
rente. Ces nuances politiques n'empêchent nullement les mariages 
entre les familles, et c'est en ceci surtout que les Si et les Piek 
diffèrent des partis politiques proprement dits, que nous avons 
indiqués plus haut. En général, les personnes remuantes et ambi- 
tieuses se mettent du parti des Piek, tandis que les Si se sont 
toujours montrés plus modérés et plus portés à la conciliation. 
INTRODUCTION. XXIII 
Quand la religion chrétienne fut introduite en Corée à la fin 
du siècle dernier, la plupart des nobles qui se convertirent 
d'abord étaient des Si, et appartenaient au parti Nam-in ; il n'en 
fallut pas davantage pour ameuter contre elle les Piek et les 
No-ron, et nous verrons dans cette histoire, que ces haines poli- 
tiques furent pour beaucoup dans les premières persécutions. Le 
parti Nam-in, extrêmement puissant jusqu'en 1801, ne put sou- 
tenir le choc ; il fut totalement renversé, la plupart de ses chefs 
périrent, et aujourd'hui les No-ron, en pleine possession du pou- 
voir, n'ont plus à redouter de compétiteurs sérieux. Les Sio-ron, 
parti nombreux mais souple et complaisant, obtiennent un assez 
grand nombre de dignités. on en accorde quelques-unes, mais 
avec réserve, aux Nam-in et aux Sio-pouk. Ces derniers, du reste, 
sont en petit nombre et n'ont point d'influence dans le pays. 
Voici comment une caricature coréenne représente cet état de 
choses. Le No-ron richement vêtu est assis h une table somptueu- 
sement servie, et savoure à son aise les meilleurs morceaux. Le 
Sio-ron assis à côté, mais un peu en arrière, fait gracieusement 
l'office de serviteur, et pour prix de son obséquiosité reçoit une 
partie des mets. Le Sio-pouk, sachant que le festin n'est pas 
pour lui, est assis beaucoup plus loin d'un air grave et calme; il 
aura quelques restes quand les autres seront rassasiés. Enfin le 
Nam-in, couvert de haillons, se tient debout derrière le No-ron 
dont il n'est pas aperçu; il se dépite, grince des dents, et montre 
le poing, comme un homme qui se promet une vengeance écla- 
tante. Cette caricature, publiée il y a vingt ou trente ans, donne 
une idée très-exacte de la position respective des partis à 
l'époque actuelle. 
III 
Kois. — Princes du sang. — Eunuques du palais. — Funérailles royales. 
En Corée, comme chez tous les autres peuples de TOrient, la 
forme de gouvernement est la monarchie absolue. Le roi a plein 
pouvoir d'user et d'abuser de tout ce qu'il y a dans son royaume; 
il jouit d'une autorité sans limites sur les hommes, les choses et 
les institutions; il a droit de vie et de mort sur tous ses sujets 
sans exception, fussent-ils ministres ou princes du sang royal. 
Sa personne est sacrée, on l'entoure de tous les respects imagi- 
nables, on lui offre avec une pompe religieuse les prémices de 
toutes les récoltes, on lui rend des honneurs presque divins. Bien 
qu'il reçoive de l'empereur de Chine un nom propre en même 
temps que l'investiture, par respect pour sa haute dignité il est 
défendu sous des peines sévères de prononcer jamais ce nom, qui 
n'est employé que dans les rapports officiels avec la cour de 
Péking. Ce n'est qu'après sa mort que son successeur lui donne 
un nom, sous lequel l'histoire devra ensuite le désigner. 
En présence du roi, nul ne peut porter le voile dont la plupart 
des nobles et tous les gens en deuil se couvrent habituellement le 
visage ; nul ne peut porter lunettes. Jamais on ne doit le toucher, 
jamais surtout le fer ne doit approcher de son corps. Quand le 
roi Tieng-tsong-tai-oang mourut, en 1800, d'une tumeur dans le 
dos, il ne vint à l'idée de personne d'employer la lancette qui 
probablement l'eût guéri, et il dut trépasser selon les règles de 
l'étiquette. on cite le cas d'un autre roi qui souffrait horrible- 
ment d'un abcès à la lèvre. Le médecin eut l'heureuse idée d'ap- 
peler un bonze pour faire devant Sa Majesté tous les jeux, tous 
les tours, toutes les grimaces possibles ; le royal patient se mit à 
rire à gorge déployée, et l'abcès creva. Jadis, assure-t-on, un 
prince plus sensé que les autres força le médecin à pratiquer sur 
son bras une légère incision ; mais il eut ensuite toutes les peines 
du monde à sauver la vie de ce pauvre malheureux, devenu ainsi 
coupable du crime de lèse-majesté. Nul Coréen ne peut se pré- 
senter devant le roi sans être revêtu de l'habit d'étiquette, et 
sans des prostrations interminables. Tout homme à cheval est 
INTRODUCTION. XXV 
tenu de mettre pied à terre en passant devant le palais. Le roi 
ne peut se familiariser avec aucun de ses sujets. S'il touche 
quelqu'un, l'endroit devient sacré, et on doit porter, toute la vie, 
un signe ostensible, généralement un cordon de soie rouge, en 
souvenir de cette insigne faveur. Naturellement, la plupart de 
ces prohibitions et de ces formalités n'atteignent que les hommes; 
les femmes peuvent entrer partout au palais, sans que cela tire à 
conséquence. 
L'effigie du roi n'est pas frappée sur les monnaies; on y met 
seulement quelques caractères chinois. on croirait faire injure 
au roi en plaçant ainsi sa face sacrée sur des objets qui passent 
dans les mains les plus vulgaires, et souvent roulent à terre, dans 
la poussière ou la boue. Il n'y a de portrait du roi que celui qu'on 
fait après sa mort, et qui est gardé au palais même, avec le plus 
grand respect, dans un appartement spécial. Quand les navires 
français vinrent pour la première fois en Corée, le mandarin qui 
fut envoyé à bord pour se mettre en rapport avec eux, fut horri- 
blement scandalisé de voir avec quelle légèreté ces barbares d'oc- 
cident traitaient la face de leur souverain, reproduite sur les 
pièces de monnaie, avec quelle insouciance ils la mettaient entre 
les mains du premier venu, sans s'inquiéter le moins' du monde 
si on lui montrerait ou non le respect voulu. Le commandant 
offrit à ce mandarin un portrait de Louis-Philippe, mais il refusa 
de le recevoir. Peut-être craignait-il d'être puni par son gouver- 
nement pour avoir accepté quelque chose des barbares. Mais il 
est plus probable qu'il crut voir un piège dans cet acte de poli- 
tesse. 11 se fût trouvé très-embarrassé pour emporter ce tableau 
avec la pompe convenable, et d'un autre côté, ne pas témoigner 
au portrait du souverain la déférence requise, eût été, dans son 
esprit, une insulte grave aux étrangers et une provocation h la 
guerre. 
D'après les livres sacrés de la Chine, le roi s'occupe unique- 
ment du bien général. Il veille à la stricte observation des lois, 
rend justice à tous ses sujets, protège le peuple contre les exac- 
tions des grands fonctionnaires, etc., etc. De tels rois sont rares 
en Corée. Le plus souvent on a sur le trône des fainéants, des 
êtres corrompus, pourris de débauche, vieillis avant l'âge, abru- 
tis et incapables. Et comment en serait-il autrement pour de 
malheureux princes appelés au trône dès leur jeunesse, d ont on 
adore tous les caprices, à qui personne n'ose donner un avis, 
qu'une étiquette ridicule enferme dans leur palais, au milieu 
d'un sérail, dès l'âge de douze ou quinze ans ! D'ailleurs, en 
XXVI INTRODUCTION. 
Corée, comme en d'autres pays dans des circonstances analogues, 
il se rencontre presque toujours des ministres ambitieux qui spé- 
culent sur les passions du maître, et cherchent à l'énerver par 
l'abus des plaisirs, afin qu'il ne puisse se mêler des affaires du 
gouvernement, elles laisse régner eux-mêmes sous son nom. 
Il est donc rare que le roi soit capable d'administrer par lui- 
même et de surveiller les ministres et les grands dignitaires. 
Quand il le fait, le peuple y gagne, car alors les mandarins sont 
obligés d'être sur leurs gardes et de remplir leur devoir avec plus 
d'attention. Des émissaires secrets rapportent au roi les cas d'op- 
pression, de concussion, de déni de justice, et les coupables 
sont punis, au moment où ils s'y attendent le moins, par la dis- 
grâce ou par l'exil. Aussi la masse du peuple, généralement atta- 
chée au roi, ne l'accuse pas des actes de tyrannie et d'oppression 
dont elle a à souffrir. Toute la responsabilité en retomlie sur les 
mandarins. Jadis il y avait au palais une boîte appelée sin- 
moun-ko, établie par le troisième roi de la dynastie actuelle, 
vers le commencement du xv^ siècle, pour recevoir toutes les 
pétitions adressées directement au roi. Cette boîte existe encore, 
mais elle est devenue à peu près inutile, car on ne peut y arriver 
qu'en payafnt des sommes énormes. Aujourd'hui, ceux qui veulent 
faire au roi une demande ou réclamation s'installent aux portes 
du palais et attendent que Sa Majesté sorte. Alors ils frappent du 
tam-tam, et à ce signe un valet vient recevoir leur pétition, 
laquelle est remise à un des dignitaires de la suite du roi; mais 
cette pièce est presque toujours oubliée si le pétitionnaire n'a 
pas le moyen de dépenser l'argent voulu pour s'assurer les pro- 
tections nécessaires. Un autre moyen, employé quelquefois, est 
d'allumer un grand feu sur une montagne qui se trouve près de 
la capitale, vis-à-vis du palais. Le roi voit ce feu et s'informe de 
ce qu'on demande. 
Outre les largesses d'usage dans les grandes circonstances, le 
roi, d'après la coutume du pays, est chargé de pourvoir à l'en- 
tretien des pauvres. Le recensement de 1845 comptait quatre 
cent cinquante vieillards ayant droit à recevoir l'aumône royale. 
on donne aux octogénaires chaque année : cinq mesures de riz, 
deux de sel et trois de poisson ; aux septuagénaires : quatre 
mesures de riz, deux de sel et deux de poisson. La mesure de riz 
dont il est ici question suflit à la nourriture d'un homme pendant 
dix jours. 
L'aristocratie étant très-puissante en Corée, il semble au pre- 
mier abord que les princes du sang, les frères, oncles ou neveux 
INTRODUCTION. XXVII 
des rois, doivent jouir d'un grand pouvoir. C'est tout Topposé. Le 
despotisme est, par essence, soupçonneux et jaloux de toute 
influence étrangère, et jamais les princes ne sont appelés à rem- 
plir aucune fonction importante, ni à se mêler des affaires. S'ils 
ne se tiennent pas rigoureusement à l'écart, ils s'exposent h être 
accusés, sous le plus frivole prétexte, de tentative de rébellion, et 
ces accusations trouvent facilement crédit. Il arrive très-fré- 
quemment que ces princes sont condamnés à mort par suite 
d'intrigues de cour, même quand ils vivent dans la retraite et le 
silence. Dans les soixante dernières années, quoique la famille 
royale compte très-peu de membres, trois princes ont été ainsi 
exécutés. 
Au reste, la puissance royale, quoique toujours suprême en 
théorie, est maintenant, en fait, bien diminuée. Les grandes 
familles aristocratiques, profitant de plusieurs régences succes- 
sives et du passage sur le trône de deux ou trois souverains insi- 
gnifiants, ont absorbé presque toute l'autorité. Les Coréens com- 
mencent à répéter que le roi ne voit rien, ne sait rien, ne peut 
rien. Ils représentent l'état actuel des choses sous les traits d'un 
homme dont la tête et les jambes sont complètement desséchées, 
tandis quela poitrine et le ventre, gonflés outre mesure, menacent 
de crever au premier moment. La tête, c'est le roi ; les jambes et 
les pieds représentent le peuple; la poitrine et le ventre signi- 
fient les grands fonctionnaires et la noblesse qui, en haut, ruinent 
le roi et le réduisent à rien, en bas, sucent le sang du peuple. Les 
missionnaires ont eu en main cette caricature, et ils disent que 
les éléments de rébellion vont chaque jour se multipliant, que le 
peuple, de plus en plus pressuré, prêtera facilement l'oreille aux 
premiers révoltés qui l'appelleront au pillage, et que la moindre 
étincelle allumera infailliblement un incendie dont il est impos- 
sible de calculer les suites. 
Ce que l'on appelle en Corée palais royaux sont de misérables 
maisons qu'un rentier parisien un peu à son aise ne voudrait pas 
habiter. Ces palais sont remplis de femmes et d'eunuques. 
Outre les reines et les concubines royales, il y a un grand nombre 
de servantes que l'on appelle filles du palais. on les ramasse de 
force dans tout le pays, et une fois accaparées pour le service de 
la cour, elles doivent, sauf le cas de maladie grave ou inguéris- 
sable, y demeurer toute leur vie . Elles ne peuvent pas se marier, 
à moins que le roi ne les prenne pour concubines; elles sont 
condamnées à une continence perpétuelle, et si l'on prouve 
qu'elles y ont manqué, leur faute est punie par l'exil, quelque- 
XXVIII IISTRODUCTION. 
fois même par la mort. Ces sérails sont, on le pense bien, le 
théâtre de désordres et de crimes inouïs, et c'est un fait public 
que ces malheureuses servent aux passions des princes, et que 
leur demeure est un repaire de toutes les infamies. 
Les eunuques du palais forment un corps à part; ils subis- 
sent des examens spéciaux, et d'après leur science ou leur 
adresse, avancent plus ou moins dans les dignités qui leur sont 
propres. on prétend qu'ils sont généralement d'un esprit étroit, 
d'un caractère violent et irascible. Fiers de leurs rapports fami- 
liers et quotidiens avec le souverain, ils s'attaquent à tous les 
dignitaires avec une insolence sans égale, et ne craignent pas 
d'injurier même le premier ministre, ce que nul autre ne ferait 
impunément. Ils n'ont guère de relations qu'entre eux, car tous, 
nobles et gens du peuple, les craignent autant qu'ils les mépri- 
sent. Chose étrange ! tous ces eunuques sont mariés, et beau- 
coup d'entre eux ont plusieurs femmes. Ce sont de pauvres filles 
du peuple qu'ils enlèvent par ruse ou par violence, ou qu'ils 
achètent à un assez haut prix. Elles sont enfermées plus stricte- 
ment encore que les femmes nobles, et gardées avec une telle 
jalousie, que souvent leur maison est interdite aux personnes de 
leur sexe, même à leurs parentes. N'ayant point d'enfants, ces 
eunuques font chercher dans tout le pays, par leurs émissaires, 
les enfants et les jeunes gens eunuques ; ils les adoptent, les 
instruisent, et les mettent sur les rangs pour les principaux em- 
plois de l'intérieur du palais. Mais où trouve-t-on ces eunuques? 
Un certain nombre le sont de naissance; on les estime moins 
que les autres, et quelquefois, après examen, ils sont rejetés. 
D'un autre côté, il ne paraît pas que l'usage barbare de la muti- 
lation, de main d'homme, existe dans ce pays ; les missionnaires 
n'en ont jamais entendu citer un seul cas. 3Iais il arrive, de temps 
en temps, que les petits enfants sont estropiés par les chiens. 
En Corée, comme dans quelques autres contrées de l'Orient, les 
chiens sont seuls chargés des soins nécessaires de propreté 
auprès des enfants à la mamelle, c'est-à-dire jusqu'à l'âge de 
trois ou quatre ans, et les accidents du genre dont nous parlons 
ne sont pas rares. Ces enfants devenus grands trouvent, dans 
leur infirmité, une ressource et un moyen de vivre. Quelquefois 
même, s'ils arrivent à une position un peu élevée, ils viennent en 
aide à leurs familles. 
Outre les palais habités par le roi, il y en a d'autres destinés 
exclusivement aux tablettes de ses ancêtres. on y fait exacte- 
ment le même service que dans les premiers; chaque jour on 
INTRODUCTION. XXIX 
salue ces morts comme s'ils étaient vivants, on offre de la nour- 
riture devant les tablettes dans lesquelles leurs âmes sont sup- 
posées résider, et il y a pour leur service des eunuques et des 
filles du palais en grand nombre, le tout organisé sur le même 
pied, et d'après les mêmes règles que dans les palais ordi- 
naires. 
En Corée, où la religion ne consiste guère que dans le culte 
des ancêtres, tout ce qui concerne les funérailles des rois est 
d'une importance extraordinaire, et la cérémonie de leur enter- 
rement est la plus grandiose qu'il y ait dans le pays. Le roi 
étant considéré comme le père du peuple, tout le monde sans 
exception doit porter son deuil pendant vingt- sept mois. Ce 
temps se partage en deux périodes bien distinctes, La première, 
depuis le moment de la mort jusqu'à celui de l'enterrement, dure 
cinq mois. C'est l'époque du deuil strict. Alors, tous les sacri- 
fices des particuliers doivent cesser dans toute l'étendue du 
royaume, les cérémonies des mariages sont interdites, aucun enter- 
rement ne peut avoir lieu, il est défendu de tuer des animaux et 
de manger de la viande, défendu aussi de fustiger les criminels 
ou de les mettre à mort. Ces règles sont, en général, scrupuleu- 
sement observées; cependant il y a quelques exceptions. Ainsi, 
les indigents de la dernière classe du peuple ne pouvant con- 
server leurs morts dans les maisons pendant un temps aussi 
considérable, on tolère qu'ils fassent leurs enterrements sans 
bruit et en secret ; mais l'usage est sacré pour tous les autres. De 
même, à la mort du dernier roi, à cause des chaleurs intolérables 
de l'été et delà nécessité de vaquer aux travaux des champs, son 
successeur donna une dispense générale de l'abstinence. 
Outre ces dispositions spéciales à la première période de 
deuil, il y en a d'autres qui s'appliquent à la fois et aux cinq 
mois qui précèdent l'enterrement et aux vingt-deux qui le 
suivent. Un ordre du gouvernement désigne quels habits on doit 
porter. Toute couleur voyante, toute étoffe précieuse, est sévè- 
rement interdite. Chapeau blanc, ceinture, guêtres, habits, 
chemises, etc., en toile de chanvre écrue, tel est, sous peine 
d'amende et de prison, le costume de tous, jusqu'à ce qu'une nou- 
velle ordonnance ministérielle permette de reprendre les vête- 
ments ordinaires. Les femmes cependant ne sont pas soumises à 
ces règlements, parce qu'elles ne comptent absolument pour rien 
aux yeux de la loi civile et religieuse; d'ailleurs la plupart 
restent presque toujours enfermées dans l'intérieur des maisons. 
Pendant tout le temps du deuil, les réjouissances publiques, les 
XXX INTRODUCTION. 
fêtes, les représentations scéniques, les chants, la musique, en 
un mot toute manifestation extérieure de gaieté est absolument 
défendue. Il y a même, à ce qu'on dit, une ou deux provinces où 
la loi de l'abstinence s'observe pendant les vingt-sept mois consé- 
cutifs. 
Nous avons dit qu'aucun homme n'a le droit de toucher le roi ; 
cette défense subsiste même après sa mort. Quand il a rendu 
le dernier soupir, on prépare le corps, on l'embaume, on le revêt 
des habits royaux, par des procédés particuliers, sans que la 
main de personne ait le moindre contact direct avec lui. Puis on 
le dépose dans une espèce de chapelle ardente, et tous les jours, 
matin et soir, on lui offre des sacrifices avec accompagnement des 
lamentations convenables en pareil cas. Fréquemment, à certains 
jours marqués, toute la cour et les grands dignitaires du voisi- 
nage doivent assister à ces sacrifices. Le roi seul en est dispensé, 
parce qu'on le suppose occupé des affaires de l'Etat. Il ne pré- 
side aux cérémonies que pendant les premiers jours qui suivent 
la mort, puis il délègue un prince de la famille royale pour tenir 
sa place. Aux heures des sacrifices, le peuple de la capitale ainsi 
que les nobles qui, n'étant point en fonctions, n'ont pas le droit 
de pénétrer auprès du cadavre, se rendent en foule autour du 
palais et poussent des hurlements, des gémissements affreux 
pendant le temps fixé ; puis, chacun fait la génuflexion à l'àme du 
défunt et se retire. Dans les provinces, les principaux habitants 
de chaque district se réunissent, aux jours marqués, chez le 
mandarin et, tournés du côté de la capitale, ils pleurent et se 
lamentent tous ensemble officiellement pendant quelques heures, 
et se séparent après avoir fait la génuflexion à l'âme. Tout le 
monde ne pouvant se rendre chez le mandarin, les gens de 
chaque village se réunissent ensemble, et, sur une montagne ou 
sur le bord d'un chemin, observent de la même manière les 
mêmes cérémonies. 
Cependant, on fait tous les préparatifs nécessaires pour Tenter- 
rement. Les géoscopes les plus renommés sont mis en réquisition 
pour indiquer un lieu favorable de sépulture. Ils examinent si la 
nature de tel terrain, la pente dételle colline, la direction de telle 
forêt ou de telle montagne, doit porter bonheur et faire ren- 
contrer la veine du dragon. En effet, selon les Coréens, il y a, 
au centre de la terre, un grand dragon qui dispose de tous les 
biens et de tous les honneurs du monde, en faveur des familles 
qui ont placé les tombeaux de leurs ancêtres dans une position 
à sa guise. Trouver cette position, c'est trouver la veine du 
INTRODUCTION. XXXI 
dragon. Pour la découvrir, les géoscopes se servent d'une bous- 
sole entourée de plusieurs cercles concentriques, où sont gravés 
les noms des quatre points cardinaux, et des cinq éléments 
reconnus par les Chinois: air, feu, eau, bois et terre. Chacun 
de ces devins fait ensuite son rapport, et après des délibérations 
sans fin, sur un point aussi grave, le roi et ses ministres pren- 
nent une décision. on organise toute une armée pour former le 
cortège qui portera le corps du défunt. Pour cela, chaque famille 
noble de la capitale fournit un ou plusieurs esclaves et les habille 
selon l'uniforme voulu. Dans le principe, cet usage très-onéreux 
n'était qu'une marque de respect volontairement offerte; aujour- 
d'hui, c'est une obligation à laquelle nul ne peut se soustraire. 
Certaines corporations de marchands fournissent aussi un nombre 
d'hommes déterminé, et on recrute ce qui manque parmi les 
valets des divers établissements publics. Tous ceux qui doivent 
porter le corps étant ainsi réunis, on les divise en compagnies 
ayant chacune leur numéro et leur bannière, et on les fait 
exercer, pendant le temps voulu, pour que la cérémonie s'exécute 
dans le plus grand ordre. 
Le jour de l'enterrement étant enfin arrivé, on place le corps du 
défunt dans son cercueil sur un énorme brancard magnifiquement 
orné, et chaque compagnie se relève pour le porter en pompe, 
jusque sur la montagne choisie pour lieu de sépulture. Toutes 
les troupes sont convoquées, tous les grands dignitaires en cos- 
tume de deuil accompagnent le roi qui, presque toujours, préside 
en personne à la cérémonie. on enterre le corps suivant les rites 
prescrits, et on offre les sacrifices d'usage, au milieu des cris, des 
pleurs, des hurlements d'une foule innombrable. 
Quelques mois plus tard, un monument s'élève sur la tombe, 
et tout auprès, on bâtit un hôtel pour loger les mandarins chargés 
de garder la sépulture, et d'offrir, k certaines époques, les sacri- 
fices moins solennels. Tout le pays environnant, quelquefois 
jusqu'à trois ou quatre lieues de distance, dépend désormais 
du tombeau royal, et toute autre inhumation y est interdite. on 
fait même exhumer les corps qui ont été auparavant enterrés 
dans cet espace, ou, si personne ne se présente pour les récla- 
mer, on rase le petit tertre qui est sur les tombes afin d'en faire 
disparaître la trace et le souvenir. 
Chaque roi étant enterré à part, les sépultures royales sont 
assez nombreuses dans le pays. Les nobles préposés à leur garde 
sont ordinairement de jeunes licenciés qui se destinent aux 
fondions publiques. C'est pour eux le premier pas dans la car- 
XXXII INTRODUCTION. 
rière, et après quelques mois, ils obtiennent de ravancement et 
passent à d'autres emplois. Ils sont ordinairement deux ou trois 
ensemble, avec un établissement de serviteurs et d'employés 
subalternes, analogue à celui des mandarins. Outre le soin d'offrir 
les sacrifices, ils sont chargés de faire la police sur tout le terri- 
toire qui dépend du tombeau, car ce territoire est soustrait à la 
juridiction des mandarins ordinaires des districts. Les gardiens 
des tombes royales relèvent directement du conseil des ministres. 
IV 
Gouvernement, — Organisation civile et militaire. 
Le roi de Corée a trois premiers ministres qui prennent les 
titres respectifs de : seug-ei-tsieng, admirable conseiller ; tsoa- 
ei-tsieng, conseiller de gauche, — en Corée, la gauche a toujours 
le pas sur la droite — , et ou-ei-tsieng, conseiller de droite. 
Viennent ensuite six autres ministres que Ton nomme pan-tso 
ou juges, et qui sont a la tête des six ministères ou tribunaux 
supérieurs. Chaque pan-tso est assisté d'un tsam-pan ou sub- 
stitut et d'un tsam-ei ou conseiller. Les pan-tso sont ministres 
de second ordre, les tsam-pan de troisième, et les tsam-ei de 
quatrième. Ces vingt et un dignitaires portent le nom générique 
de tai-sin ou grands ministres, et forment le conseil du roi. 
Mais en réalité, toute l'autorité est dans les mains du conseil 
suprême des trois ministres de premier ordre, les dix-huit autres 
ne font jamais qu'approuver et confirmer leurs décisions. Les 
ministres de second ordre ou leurs assistants doivent présenter 
chaque jour un rapport circonstancié pour tenir le roi au cou- 
rant des affaires de leur département. Ils s'occupent des détails 
de l'administration et règlent par eux-mêmes les choses de peu 
d'importance, mais, pour toutes les causes majeures, ils sont 
obligés d'en référer au conseil suprême des trois. 
La dignité de premier ministre est à vie, mais ceux qui en sont 
revêtus n'en exercent pas toujours les fonctions. Sur sept ou huit 
grands personnages arrivés à ce haut grade, trois seulement sont 
ensemble en exercice ; ils sont changés et se relèvent assez fré- 
quemment. 
Voici les noms, l'ordre, et les attributions de chacun des six 
ministères, tels qu'on les trouve dans le code révisé et publié 
en 1785 par le roi Tsieng-tsong : 
1° Ni-tso, ministère ou tribunal des offices et emplois publics. 
Ce ministère est chargé de faire choix des hommes les plus 
capables parmi les lettrés qui ont passé leurs examens, de nommer 
aux emplois, de délivrer des lettres patentes aux mandarins et 
autres dignitaires, de surveiller leur conduite, de leur donner 
de l'avancement, de les destituer ou de les changer au besoin. 
T. I. — l'Église de corék. c 
XXXIV INTRODUCTION. 
Il examine et met en ordre les notes semestrielles que chaque 
gouverneur de province envoie sur tous ses subordonnés, et dési- 
gne au roi les employés qui méritent quelque récompense spé- 
ciale. Les promotions et changements de mandarins peuvent se 
faire en tout temps, mais elles ont lieu plus habituellement à 
deux époques de l'année, à la sixième et à la douzième lune. Les 
nominations aux charges importantes et aux grandes dignités, 
telles que celle de gouverneur d'une province, ne rélèvent pas de 
ce tribunal, mais sont faites par le roi en conseil des ministres. 
2'^ Ho-tso, ministère ou tribunal des finances. 
Ce ministère doit faire le dénombrement du peuple, répartir 
les impôts ou contributions entre les provinces et districts, veil- 
ler aux dépenses et aux recettes, faire tenir en ordre les registres 
de chaque province, empêcher les exactions, prendre les mesures 
nécessaires pour les approvisionnements dans les années de di- 
sette, etc.. Il est aussi chargé de la fonte des monnaies ; mais ce 
dernier point est passé sous silence dans le code de Tsieng-tsong, 
parce que les traités avec la Chine ne reconnaissent pas au gou- 
vernement coréen le droit de battre monnaie. 
3" Niei-tso, ministère ou tribunal des rites. 
Ce ministère, institué pour la conservation des us et coutumes 
du royaume, doit veiller à ce que les sacrifices, les rites et cérémo- 
nies se fassent selon les règles, sans innovation ni changement. 
De lui relèvent les examens des lettrés, l'instruction publique, 
les lois de l'étiquette dans les réceptions, festins et autres cir- 
constances officielles. 
4° Pieng-tso, ministère ou tribunal de la guerre. 
Ce ministère choisit les mandarins militaires, les gardes et les 
guides du roi. 11 est chargé de tout ce qui concerne les troupes, 
le recrutement, les armes et munitions, la garde des portes de 
la capitale, et les sentinelles des palais royaux. De lui relève le 
service des postes dans tout le royaume. 
5° Hieng-tso, ministère ou tribunal des crimes. 
Il est chargé de tout ce qui a rapport à l'observation des lois cri- 
minelles, à l'organisation et à la surveillance des tribunaux, etc. ; 
6" Kong-tso, ministère ou tribunal des travaux publics. 
Ce ministère est chargé de l'entretien des palais ou édifices 
publics, des routes, des fabriques diverses, soit publiques, soit 
particulières, du commerce, et de toutes les affaires du roi, telles 
que son mariage, son couronnement, etc.. 
Outre les vingt et un ministres désignés plus haut, on compte 
encore parmi les grands dignitaires de la cour les sug-tsi et les 
INTRODUCTION. XXXV 
po-tsieng. Les siig-lsi sont lescliambellans qui, outre les fondions 
ordinaires attachées à ce titre, sont chargés d'écrire jour par jour 
tout ce que le roi dit ou fait. Il y en a trois, le to-sug-tsi ou cham- 
bellan en chef, et deux assistants qui prennent le nom de 
pou-sug-tsi. Les po-tsieng sont les commandants des satellites, 
valets des tribunaux et exécuteurs. Il y en a également trois. 
Le po-tsieng en chef et deux lieutenants nommés tsoa-po-tsieng 
et ou-po-tsieng, c'est-à-dire de gauche et de droite. Ce sont ces 
lieutenants qui prennent le commandement des satellites, quand 
il s'agit d'opérer une arrestation importante. 
La capitale oii la cour réside toujours se nomme Han-iang. Ce 
nom toutefois n'est guère en usage, et on l'appelle communément 
Séoul, qui veut dire : la grande ville, la capitale. C'est une ville 
considérable située au milieu de montagnes près du fleuve Hang- 
kang, enfermée de hautes et épaisses murailles, très peuplée, 
mais mal bâtie. A l'exception de quelques rues assez larges, le 
reste ne se compose que de ruelles tortueuses, où l'air ne circule 
pas, où le pied ne foule que des immondices. Les maisons, géné- 
ralement couvertes en tuiles, sont basses et étroites. La capitale 
est divisée en cinq arrondissements, lesquels sont subdivisés en 
quarante-neuf quartiers. Le mur d'enceinte fut construit par 
Tai-tso, fondateur de la dynastie actuelle. Siei-tsong, quatrième 
roi de cette dynastie, y ajouta de nouvelles fortifications. Le mur 
a 9,975 pas de circuit, et une hauteur moyenne de 40 pieds 
coréens, environ 10 mètres. Il y a huit portes dont quatre grandes 
et quatre petites. Les grandes portes sont assez belles, et sur- 
montées de pavillons dans le genre chinois. Cette ville est quel- 
quefois désignée dans les anciens documents, sous le nom de 
Kin-ki-tao, c'est une inexactitude ; to ou tao signifie province, 
Kin-ki-tao ou Kieng-kei-to veut dire, non pas la capitale, mais 
la province de la capitale. 
Depuis l'avènement de Tai-tso en 1392, la Corée est divisée en 
huit provinces dont les noms suivent : 
^ Ham-kieng-to, capitale Ham-heng. 
j Pieng-an-to, — Pieng-iang. 
/ Hoang-haï-to, — Haï-tsiou. 
A l'ouest. I Kieng-keï-to, — Han-iang. 
( Tsiong-tsieng-to, — Kong-tsiou. 
A l'est. Kang-ouen-to, — Ouen-tsiou. 
Kieng-sang-to, — Taï-koii. 
Tsien-la-to, — Tsien-tsiou. 
Au nord. 
Au sud. 
XXXVI INTRODUCTION. 
Les deux provinces du Nord sont couvertes de forêts et très-peu 
habitées. Ce sont les provinces du Sud et de FOuest qui sont 
les plus riches et les plus fertiles. 
A la tête de chaque province se trouve un gouverneur qui 
relève directement du conseil des ministres, et possède des pou- 
voirs très-étendus. Un vieux dicton coréen classe ainsi qu'il suit 
les places de gouverneurs : La plus élevée en dignité est celle de 
Ham-kieng-to ; la plus recherchée pour le luxe et les plaisirs, 
celle de Pieng-an-to ; la plus lucrative celle de Kieng-sang-to ; 
et la dernière sous tous les rapports, celle de Kang-ouen-to. 
Les huit provinces sont subdivisées en trois cent trente-deux 
districts, et chaque district, suivant son importance respective, 
est administré par un mandarin d'un rang plus ou moins élevé. 
on prétend que les districts furent d'abord au nombre de trois 
cent cinquante-quatre, pour répondre au nombre des jours de 
l'année lunaire, parce que chaque district est censé fournir au 
roi son entretien pour un jour. Quoi qu'il en soit, le nombre actuel 
est trois cent trente-deux. 
Voici Tordre hiérarchique des dignités entre les divers man- 
darins des provinces, en commençant par les plus élevées: 
kam-sa ou gouverneur, pou-ioun, sé-ioun, tai-pou-sa, mok-sa, 
pou-sa, koun-siou, hien-lieng, hien-kam. Le gouverneur réside 
dans la métropole de la province, mais il y a sous lui pour admi- 
nistrer cette ville un mandarin qui est son lieutenant ou substitut, 
et se nomme pan-koan. 
Ici vient se placer naturellement une remarque importante : 
c'est qu'il ne faut pas confondre les dignités avec les emplois ou 
charges publiques. Un emploi suppose toujours une dignité, mais 
non réciproquement. Les dignités sont h vie, les emplois sont à 
temps, quelquefois même seulement pour quelques semaines ou 
quelques jours. Il y a une douzaine de dignités différentes, ayant 
chacune des titulaires plus ou moins nombreux, mais ils ne sont 
en activité de service que par intervalles. 
Le premier degré comprend les principaux ministres, le second, 
les ministres ordinaires , et ainsi de suite. Les gouverneurs 
de province doivent avoir au moins le quatrième degré ; les 
préfets ordinaires des villes sont du sixième. Tous les dignitaires, 
sans exception, ont le privilège de ne pouvoir être arrêtés par 
les satiUites des tribunaux ordinaires. Quand ils sont accusés de 
quelque crime, un des mandarins inférieurs du tribunal dont ils 
sont justiciables vient en personne leur intimer l'ordre de le sui- 
vre, mais nul ne peut mettre la main sur eux. D'autres privilèges 
INTRODUCTION. XXXVII 
sont particuliers à certaines classes de dignitaires. Ainsi, ceux 
des quatre degrés supérieurs ont seuls le droit de se faire porter 
dans des chaises spéciales, chacun selon le rang qu'il occupe. 
En dehors de la hiérarchie ordinaire, se trouvent les quatre 
niou-siou , ou préfets des quatre grandes forteresses qui sont 
dans le voisinage de la capitale, savoir : Kang-hoa, Sou-ouen, 
Koang-tsiou et Siong-to (Kaï-seng). Le titre de niou-siou est très- 
élevé, et les premiers ministres eux-mêmes peuvent remplir cette 
place! Le niou-siou n'est pas le mandarin propre de la ville où 
il réside ; un mandarin inférieur remplit cette fonction, et il 
porte le nom de pan-koan ou de kieng-niek. — Les quelques 
ieng ou petits forts établis sur différents points des frontières, 
son^t sous la juridiction des autorités militaires locales. 
Théoriquement, les dignités dont nous avons parlé jusqu'ici, 
excepté les grades supérieurs à celui demok-sa, sont accessibles 
à tout Coréen qui a été reçu docteur dans les examens publics; 
en fait cependant, ces emplois sont toujours occupés, à très-peu 
d'exceptions près, par des nobles. Mais il y a à la préfecture de 
chaque district deux charges subalternes qui sont toujours don- 
nées à des gens du peuple. Le tsoa-siou et le piel-kam sont les 
assistants ou secrétaires du mandarin. Ils peuvent même le rem- 
placer en cas d'absence, mais seulement pour les affaires insi- 
gnifiantes ; car s'il se présente un cas d'importance majeure, on 
doit recourir au mandarin voisin. Les familles des toa-siou et des 
piel-kam obtiennent par le fait une certaine considération locale 
et jouissent de certains privilèges. Quand une de ces charges a ete 
souvent remplie par des membres d'une même famille, celle-ci, 
après un certain temps, devient ce que l'on nomme en Corée 
nobles de province. Au-dessous des assistants il n'y a plus auprès 
des mandarins que les prétoriens, satellites et autres valets des 
tribunaux. Nous en parlerons plus tard. 
Dans chaque province se trouvent plusieurs tsal-pang ou direc- 
teurs des postes. Les stations ou relais de chevaux de poste se 
nomment iek ; ils sont échelonnés, de distance en distance, sur 
toutes les principales routes. Les chevaux que le gouvernement 
y entretient ne servent qu'aux fonctionnaires en voyage. Les 
tsal-pang, chargés de surveiller ce service, ont sous leurs ordres 
un certain nombre d'employés organisés, en petit, sur le modèle 
des prétoires des mandarins. Les valets qui soignent les chevaux 
dépendent du gouvernement à peu près comme des esclaves. Ils 
ne sont pas libres de se retirer à volonté, et demeurent enchaînés 
à cette besogne de génération en génération. 
XXXVIII INTRODUCTION. 
Si de rorganisation civile de la Corée on passe à son organisa- 
tion militaire, ce qui frappe d'abord, c'est le chiffre énorme de 
Tarmée. Les statistiques officielles comptent plus de un million 
deux cent mille hommes portés sur les rôles. Cela vient de ce 
que tout individu valide, non noble, est soldat ; la loi ne recon- 
naît que très-peu d'exceptions. Mais l'immense majorité de ces 
prétendus soldats n'ont jamais touché un fusil. Leurs noms sont 
inscrits sur les registres publics, et ils ont à payer annuellement 
une cote personnelle. Encore ces registres ne méritent-ils aucune 
confiance. Très-souvent ils sont remplis de noms fictifs ; on y voit 
figurer des membres de familles éteintes depuis une ou deux 
générations, et beaucoup de ceux qui devraient être inscrits 
échappent à cette obligation en donnant quelque présent aux 
employés subalternes chargés de la révision des listes. 
Les seules troupes à peu près sérieuses du gouvernement 
coréen sont les dix mille soldats répartis dans les quatre grands 
établissements militaires de la capitale. Ceux-ci sont un peu 
exercés aux manœuvres militaires. Chose curieuse, quoiqu'il y ait 
un ministère de la guerre, les généraux qui commandent ces 
corps d'élite relèvent directement du conseil suprême, qui seul 
a le droit de les nommer ou de les révoquer. Notons aussi, pour 
mémoire, quelques compagnies casernées dans les quatre grandes 
forteresses royales, et les gardes des gouverneurs ou des officiers 
supérieurs qui commandent en province. 
Voici, par ordre hiérarchique, les différents titres d'es manda- 
rins militaires. Un tai-tsieng est un général. Il y en a de plu- 
sieurs degrés, et tous résident à la capitale. Un pieng-sa est le 
commandant d'une province ou d'une demi province. Un siou-sa 
est un préfet maritime. Un ieng-tsiang est une espèce de colonel 
qui a sous lui les trois grades inférieurs d'officiers : tsioung- 
koun, kam-mok-koan et piel-tsiang, titres correspondants, si l'on 
veut, à ceux de capitaine, lieutenant et sous-lieutenant. 
Il est important de noter ici que le cumul des charges civiles 
et militaires est très-commun en Corée. Souvent c'est le gouver- 
neur de la province qui est en même temps pieng-sa ou comman- 
dant militaire. Partout les ieng-tsiang sont en même temps juges 
criminels, et c'est sous ce dernier titre qu'on les désigne presque 
toujours. Ce fait, étrange au premier coup d'œil, s'explique parla 
paix profonde dont la Corée n'a cessé de jouir depuis plus de deux 
siècles. L'armée étant devenue inutile, ce qui concerne son orga- 
nisation se réduit presque à rien, et la force des choses a amené 
tout naturellement celte transformation des officiers en magistrats. 
INTRODUCTION. XXXIX 
Les mandarins militaires ne sont choisis que parmi les nobles ; 
mais quelque élevée que soit leur dignité, ils sont beaucoup 
moins considérés que les mandarins civils. Vis-à-vis de ces 
derniers, ils sont presque sur le pied des gens du peuple. Leur 
posture et leur langage doivent témoigner du respect le plus pro- 
fond, et certains privilèges, tels que le droit de se servir d'une 
chaise à roues, ne leur sont jamais concédés, fussent-ils même 
généraux. Ils ressentent vivement cette inégalité, et dans les 
temps de troubles, quand l'autorité passe de fait dans leurs mains, 
ils se vengent en humiliant et ravalant le plus possible les man- 
darins civils. Cet antagonisme fait comprendre pourquoi, en 
général, les nobles qui sont dans les emplois civils ne permettent 
pas à leurs enfants de rechercher les grades militaires, et pour- 
quoi ces grades sont pour ainsi dire de génération en génération 
le patrimoine des mêmes familles. Il y a cependant des excep- 
tions à cette règle, et plus d'une fois, les descendants des em- 
ployés civils font bon marché de la considération et recherchent 
les charges militaires comme plus lucratives. 
Tous les emplois civils et militaires sont à temps. Un gouver- 
neur ne peut rester en charge que deux ans, mais s'il a du crédit 
à la cour, il peut obtenir d'être transféré sans délai dans une 
autre province. Généralement, on ne peut exercer les fonctions 
de mandarin plus de deux ans de suite, au plus trois ans, après 
quoi on rentre dans la vie privée, jusqu'à ce qu'on obtienne une 
autre charge. Ceux qui ont exercé une fois ces fondions con- 
servent toujours quelques marques extérieures de leur dignité ; 
ils ne sortent plus à pied et sans cortège, et Fusage est d'ajouter 
à leur nom le titre de la préfecture où ils ont été, ou de la charge 
qu'ils ont remplie. 
La paye des divers mandarins civils et militaires, surtout celle 
des gouverneurs, est exorbitante, eu égard aux ressources du 
pays, et à la valeur considérable de l'argent dans une contrée où 
quelques centimes représentent la nourriture nécessaire d'un 
homme chaque jour. Un fonciionnaire qui le voudrait, pourrait 
très-facilement mettre de côté, en un ou deux ans, de quoi vivre 
à l'aise le reste de ses jours. Mais il est rare qu'un mandarin ait 
l'esprit d'économie. A peine entré en charge, il se met sur un pied 
de prince, affiche un luxe extravagant, et comme, d'après les 
mœurs du pays, il doit entretenir non-seulement sa famille, mais 
toute sa parenté, il quitte ses fonctions, une fois le terme arrivé, 
aussi pauvre ([u'auparavant, et souvent avec des dettes de plus. 
Les dignitaires du palais ne touchent aucun traitement. on 
XL INTRODUCTION. 
prétend que leur paye fut supprimée après la guerre du Japon, 
lorsque le gouvernement se trouva sans ressources. on ne leur 
donne aujourd'hui que quelques mesures de pois, chaque mois, 
quand ils sont de service. C'est la ration qui, à l'origine de la 
dynastie actuelle, était assignée à chacun d'eux pour nourrir son 
âne ou son cheval. Comment après cela les empêcher de piller le 
peuple, et de commettre toutes les injustices imaginables? Ces 
dignités de la cour sont cependant recherchées, parce que ceux 
qui les possèdent peuvent toujours, avec un peu d'adresse, obte- 
nir en peu de temps quelque riche mandarinat de province. 
Le système d'administration civile et militaire que nous venons 
d'exposer est complété par une pièce importante, l'institution 
des e-sa ou anaik-sa : inspecteurs royaux. Ce sont des envoyés 
extraordinaires qui, à des époques indéterminées, et toujours en 
secret, visitent les provinces, surveillent la conduite des manda- 
rins et des sujets, et examinent de leurs propres yeux la marche 
des affaires. Leur autorité est absolue; ils ont droit de vie et de 
mort; ils peuvent dégrader et punir tous les employés, sauf les 
gouverneurs de province, et c'est presque toujours sur leurs rap- 
ports que le gouvernement prend les décisions les plus impor- 
tantes. 
11 est inutile d'ajouter que toutes les charges et emplois ne 
sont plus en faveur du peuple, sinon dans les vieux livres de 
morale d'autrefois. Les places se vendent ])ubliquement, et natu- 
rellement ceux qui les achètent travaillent à rentrer dans leurs 
frais, sans même chercher à sauver les apparences. Chaque man- 
darin, depuis le gouverneur jusqu'au plus petit employé subal- 
terne, bat monnaie le mieux qu'il peut, avec les taxes, avec les 
procès, avec tout. Les inspecteurs royaux eux-mêmes trafiquent 
de leur autorité avec la dernière impudence. Un missionnaire 
raconte qu'un jour, dans le district où il se trouvait, quelques 
individus secrètement renseignés arrêtèrent deux chevaux char- 
gés d'argent qu'un de ces fonctionnaires expédiait chez lui, et, 
s'installant sur le bord de la route, distribuèrent cette somme à 
tous les passants, en publiant bien haut la provenance de cette 
bonne aubaine. L'inspecteur compromis n'eut garde de réclamer, 
et quitta immédiatement la ville sans dire mot de son aventure. 
Les impôts ordinaires sur les propriétés, sur certaines profes- 
sions et certains genres de commerce ne sont pas excessifs, mais 
ces impôts légaux ne représentent en réalité qu'une faible partie 
des sommes qu'arrache au peuple la rapacité des mandarins et 
des employés de tout grade. D'ailleurs, les registres de dénom- 
INTRODUCTION. XLI 
brement, d'après lesquels l'impôt est perrii, ne méritent aucune 
contiance. Un fait notoire, dont les missionnaires ont été plu- 
sieurs fois témoins, c'est que les employés des mandarins, lors- 
qu'ils viennent dans les villages pour dresser les listes officielles, 
ont l'impudence de fixer publiquement la somme que devra leur 
payer quiconque ne veut pas être inscrit. Ordinairement c'est une 
affaire de cent ou cent cinquante sapèques (deux ou trois francs). 
S'il s'agit de l'inscription sur les rôles de l'armée, il en colite 
un peu plus pour y échapper ; mais avec de l'argent on en vient 
également à bout. 
Les provisions des magasins publics n'existent que sur les 
livres de compte. Dans le voisinage immédiat de la capitale, les 
arsenaux sont un peu fournis. Un fort, pris par les Américains 
lors de leur expédition (juin 1871), renfermait une cinquan- 
taine de canons de fabrique chinoise, se chargeant par la culasse. 
Il y avait aussi des cuirasses et des casques en toile de coton de 
quarante épaisseurs, impénétrables aux sabres ou baïonnettes, 
et qu'une balle conique seule peut percer. Mais les arsenaux de 
province n'ont ni effets d'habillement, ni munitions, ni une arme 
en bon état. Tout a été vendu par les employés des préfectures, 
qui ont mis à la place quelques haillons et de vieilles ferrailles 
inutiles. Si par hasard un mandarin honnête essaye quelques 
efforts pour remédier à ces dilapidations, tous les employés 
s'unissent contre lui, son action est paralysée, et il est obligé de 
fermer les yeux et de laisser faire, ou bien d'abandonner son 
poste ; heureux encore quand il n'est pas sacrifié aux attaques 
calomnieuses qui le représentent à la cour comme un révolution- 
naire et un ennemi de la dynastie. 
L'anecdote suivante, racontée par M. Pourthié, montre que 
cette corruption universelle part de trop haut, pour qu'il soit 
possible d'y porter remède. « L'hiver dernier (1860-61), le 
ministre Kim Piong-ku-i a perdu la principale autorité qui a 
passé à son cousin Kim Piong-kouk-i, homme violent et assez 
hostile à notre sainte religion. Ce dernier est parvenu au pouvoir 
par un crime d'état qui l'a rendu très-impopulaire, et qui tôt ou 
tard peut lui coûter cher. Quoique beau-frère du roi, il n'avait 
pas assez d'argent pour acheter le poste de premier ministre, 
car ici cette dignité se vend comme tous les autres mandarinats. 
La seule différence est que les lettrés achètent les mandarinats 
ordinaires au ministre en faveur, tandis que celui-ci achète sa 
place aux eunuques. Notre petite Majesté coréenne est, comme 
vous savez, dans le même état qu'étaient jadis nos rois fainéants. 
XLU INTRODUCTION. 
Le ministre en faveur est le maire du palais de la Corée, mais il 
doit, à son tour, compter avec d'autres maires du palais, en ce 
sens qu'il ne peut s'élever à cette dignité, ni la conserver, que 
par la faveur des eunuques de la cour. Ces derniers, hommes 
méprisés et méprisables, généralement petits de taille, rachi- 
tiques, et d'une intelligence très-bornée, séjournent seuls avec 
les nombreuses concubines royales et les servantes du palais, 
dans l'intérieur de la résidence royale. Les ministres et man- 
darins qui ont à parler au roi, entrent dans une salle d'audience 
donnant sur une cour extérieure ; les soldats et autres gardes du 
palais sont consignés extérieurement. Les eunuques seuls servent 
de près le roi, ou plutôt le roi n'a habituellement pour société 
que les femmes et les eunuques. 
« Mais la cour coréenne est très-pauvre, le trésor de l'Etat 
est plus pauvre encore ; les eunuques et leurs compagnes les 
concubines royales et servantes du palais s'en ressentiraient, s'ils 
n'avaient la ressource de se faire payer la place de premier minis- 
tre, et même de temps en temps quelques autres dignités. Il faut 
donc que le personnage au pouvoir accumule don sur don, et ras- 
sasie, chaque jour, toutes ces sangsues avides ; mais surtout lors- 
qu'il s'agit de gagner leur faveur non encore obtenue, de grandes, 
d'énormes sommes sont nécessaires. Or Kim Piong-kouk-i avait 
beau vendre très-cher quelques mandarinats, et revendiquer le 
monopole du gen-seng, il ne pouvait acquérir assez d'argent 
pour acheter tous les individus que le ministre Kim Piong-ku-i 
comblait de richesses. Au milieu de l'hiver dernier, un homme 
qui devait tout ce qu'il était et tout ce qu'il avait à ce même 
Kim Piong-ku-i, alla trouver Kim Piong-kouk-i et lui demanda 
s'il ne voulait pas saisir le pouvoir suprême. « Je ne demande 
pas mieux, » réjjondit le beau-frère du roi, « mais l'argent seul 
« peut me le procurer et je n'en ai pas assez. — Si vous me don- 
« nez la charge de faire rentrer les impôts du midi du royaume, je 
« réponds de vous procurer la somme nécessaire. — Volontiers, » 
dit le ministre, et aussitôt il prit ses mesures en conséquence. 
Les impôts des provinces du Midi consistent surtout en riz, 
que l'on transporte par mer à la capitale. Notre homme ayant 
ramassé tout ce riz et l'ayant chargé sur des barques, fit voile 
vers la Chine, où il le vendit à un prix quadruple de ce qu'il 
aurait valu en Corée. A son retour, il acheta de nouveau la 
quantité de riz nécessaire pour payer les impôts. La différence 
du prix a suffi au beau-frère du roi pour gagner la faveur du 
troupeau d'eunu(|ues et de femmes qui remplissent le palais; il a 
INTRODUCTION. XLIII 
fait destituer son concurrent, et s'est emparé de toute Tautorité. 
L'exportation quelconque des céréales est un crime qui emporte 
la peine capitale ; à plus forte raison, la vente du riz payé en 
impôt pour l'entretien du roi est un énorme crime d'État ; enfin, 
cette fraude a été cause qu'une année de disette est devenue, pour 
])lusieurs provinces, une année de véritable famine. Mais que lui 
importe? Tant qu'il sera })uissant et riche, personne n'osera lui 
demander compte de ses actes. » 
Le tableau suivant des divisions administratives, civiles et 
militaires, est extrait du traité de géographie ([ui a le plus de 
vogue en Corée. Il a été corrigé, vers 1850, d'après les docu- 
ments officiels publiés par le gouvernement. Les villes y sont 
classées par rang d'importance, selon le grade du mandarin 
qui les gouverne. 
« Le royaume a, de l'est à l'ouest, 1,280 lys; du nord au 
sud, 2,998. Il est divisé en huit provinces nommées : Kieng-keï, 
Tsiong-tsieng, Tsien-la, Kieng-sang, Kang-ouen, Hoang-haï, 
Ham-kieng, et Pieng-an. 
« La ville directement à l'est de la capitale est Nieng-haï, 
à 745 lys, dans la province de Kieng-sang, La ville directement 
à l'ouest est Tsiang-ien h 525 lys, dans la province de Hoang- 
haï. La ville directement au sud est Ilaï-nam, à 806 lys, dans la 
province de Tsien-la. La ville directement au nord est on-seng, 
à 2,102 lys, dans la province de Ham-kieng (1). 
L KIENG-KEI-TO. 
« Cette province est bornée à l'est et au nord-est par celle 
de Kang-ouen ; au sud et au sud-est par celle de Tsiong-tsieng; 
au sud-ouest par la mer (Jaune) ; à l'ouest et au nord- ouest par 
la province de Hoang-haï. 
(1) Un coup (]"œil sur la carte montre que colle orientation n'est qira[)- 
proximalive. 
XLIV 
INTRODUCTION. 
« Han-iang sa capitale, et capitale de tout le royaume, est 
divisée en 5 arrondissements. Celui du Centre renferme 8 quar- 
tiers, celui de TEst 12, celui du Sud 11, celui de TOuest 8, et 
celui du Nord 10 : en tout 49 quartiers. 
« La province de Kieng-keï renferme 36 districts, dont 22 
dans la province de gauche (tsoa-to), et 14 dans la province de 
droite (ou-to). Son gouverneur ou kam-sa réside à la capitale, 
mais en dehors des murs, parce qu'il a peu ou point de juri- 
diction à exercer dans la ville royale. Son hôtel est près de la 
porte de l'Ouest. 
Province de gauche (tsoa-to). 
Chefs-lieux de districls. 
Distance 
Nonibre 
Giade 
de la capitale. 
de cantons. 
du mandarin. 
1. 
Kaxg-hoa (île du même nom), 
v. m. (1). Késidence d'un 
niou-siou. 
130 
lys. 
17 
kieng-nlek, 
2. 
KOANG-TSIOU ou SaN-SENO, T. 
m. 
Hcsidence d'un niou-siou. 
oO 
— 
23 
pau-koan. 
3. 
NiE-TSIOL!, 
170 
— 
13 
mok-sa. 
4. 
SOU-OUEN OU HOA-SENG. T. 
m. 
Résidence d'un niou-siou. 
80 
— 
52 
pan-koan. 
o. 
POU-PIENG, 
50 
— 
15 
pou-sa. 
6. 
Nam-iang, 
130 
— 
U 
id. 
7. 
Nl-TSIEN, 
130 
— 
14 
id. 
8. 
In-tsien, 
80 
— 
10 
id. 
9. 
TSIOUK-SAN, 
180 
— 
17 
id. 
10. 
Iang-kevn, 
120 
— 
9 
koun-siou. 
H. 
An-san, 
62 
— 
6 
id. 
1-2. 
An-seng, 
170 
— 
19 
id. 
13. 
KiM-PO, 
60 
— 
8 
id. 
14. 
Ma-tien, 
123 
— 
6 
id. 
15. 
LlONG-lN, 
80 
— 
16 
hien-lieng. 
16. 
TSIN-OUJ, 
123 
— 
11 
id. 
17. 
Iang-tsien, 
40 
— 
4 
id. 
18. 
KeM-TSIEN OU Sl-HEUNG, 
33 
— 
6 
id. 
19. 
TSI-PIENO, 
150 
— 
6 
hien-kam. 
20. 
KOA-TSIEN, 
30 
— 
14 
id. 
21. 
Iang-seng, 
110 
— 
14 
id. 
22. 
Iang-tsi, 
120 
— 
10 
id. 
Provi7ice 
(le 
droite (ou-to). 
Chpfs-Ii.'ux de dislricîs. 
Distanc 
:(; 
Xonibre 
Grade 
de la capitale. 
de cantons. 
du mandai in. 
1. 
SlONG-TO OU KaI-SE.NG, Y. 
m. 
capitale du royaume sous 
la 
dynastie précédente. Résidence 
d'un niou-siou. 
160 
lys. 
17 
kien-niek. 
2. 
Pa-tsiou, 
80 
— 
H 
mok-sa. 
3. 
Iang-tsiou, 
60 
— 
33 
id. 
4. 
Tsiang-ta.\, 
120 
— 
21 
pou-sa. 
(1 
1) Ces deux lettres : v. m. signifient : ville 
; murée. 
INTRODUCTION 
X 
Chefs-Houx 
lie (li 
stricts. 
Distance 
Nombre 
Grade 
(le la cap 
ilalc. 
lie cantons. 
(lu mandarin, 
5. 
KiO-TONG, (île 
du 
même 
nom), 
V. m. 
170 
lys. 
(1) 
10 
siou-sa. 
6. 
Sak-lieng, 
120 
— 
7 
koun-siou, 
7. 
KO-IANG, 
40 
— 
8 
id. 
8. 
KiO-HA, 
80 
— 
7 
id. 
9. 
Ka-pieng, 
145 
— 
4 
id. 
10. 
Ieng-pieng, 
14o 
— 
7 
id. 
11. 
PO-TSIEN, 
100 
— 
9 
hien-kam. 
12. 
EUM-TSIOUK, 
180 
— 
7 
id. 
13. 
TSIEK-SENG, 
ISO 
— 
3 
id. 
14. 
NiEN-TSIEN, 
140 
— 
5 
id. 
XLV 
En tout : 4 niou-siou, 1 kam-sa, 3 mok-sa, 6 pou-sa, 10 koun-siou, 
4 hica-lieng, 8 liien-kam, 1 siou-sa, 2 pan-koan, 2 kieng-niek. • 
on compte dans cette province, en dehors de la capitale, 136,600 maisons. (2). 
SERVICE DES POSTES. 
Il y a dans cette province 6 isal-pang (directeurs des poslcs) chargés de 
surveiller les iek (^stations ou relais de poste). Ils résident à : 
iek. 
Iense, 
district de 
lang-tsiou. 
G 
Ien-hoa, 
— 
Koa-tsien, 
12 
PlENG-KOU, 
— 
lang-tsiou, 
11 
TSIOUNG-LIM, 
— 
In-lsien, 
6 
TO-OUEN, 
— 
Tsiang-tan, 
5 
KlENG-AN, 
— 
Koang-tsiou, 
7 
Le nombre des chevaux entretenus est de 449. 
organisation militaire. 
1 pieng-sa. C'est le gouverneur qui en remplit les fonctions. 
1 siou-sa, dans l'île de Kio-tong (golfe de la capitale). Il a surveillance de 
la marine de trois provinces. 
6 ieng-tsiang. Ce .sont les mandarins de Koang-tsiou, Nam-iang, lang- 
tsiou, Sou-ouen, ïsiang-tan et Tsiouk-san, qui en font les fonctions. 
4 tsioung-koun, dont un près du gouverneur, et un dans chacune des 
villes de Koang-tsiou, Sou-ouen et Siong-to. 
5 kam-mok-koan. 
7 piel-tsiang. 
Le nombre des soldais est de : 106,573. 
II. TSIONG-TSIENG-TO. 
« Cette province est bornée au nord-est par celles de Kang- 
ouen et de Kieng-sang ; au sud-est par celles de Kieng-sang et 
de Tsien-la ; au sud par celle de Tsien-la ; à l'ouest, sud-ouest et 
nord-ouest par la mer (Jaune) ; au nord par la province de 
Kieng-keï. 
(1) Dont 120 lys par terre et 50 par mer. 
(2) C'est le chiffre inscrit dans les listes officielles. Mais, en Corée même, 
tout le monde s'accorde à dire (]ue ces chiffres méritent très-peu de con- 
tiance. 
XLVI 
INTRODUCTION. 
« Elle comprend 54 districts, dont 21 dans la province de 
gauche et 33 dans celle de droite. Sa capitale, résidence du 
kara-sa (gouverneur), était autrefois Tsiong-tsiou ; mais, en 
Tannée im-tsin (1592, lors de la guerre du Japon, elle fut 
transférée à Kong-tsiou, près du fleuve appelé Keum-kang, où 
elle est encore aujourd'hui. 
Province de gauche (tsoa-to). 
Chefs lieux de districts. 
Distance 
Nombre 
Grade 
de la cap 
taie. 
do cantons. 
du mandarin. 
1. TslONG-TSIOU, T. m. 
290 
lys. 
38 
mok-sa. 
2. TSIENG-TSIOU, T. m. 
300 
— 
23 
id. 
.3. TSIENG-POUNG, 
350 
— 
8 
pou-sa. 
4. Tan-iang, 
380 
— 
7 
koun-siou. 
5. KOI-SAN, 
280 
— 
12 
id. 
6. Ok-tsien, 
410 
~ 
11 
id. 
7. PO-EUN, 
380 
— 
10 
id. 
8. TlEN-AN, 
213 
— 
15 
id. 
9. MOLN-EY, 
330 
— 
6 
liien-lieng 
10. TiEl-TSIEN, 
320 
— 
8 
hien-kam. 
H. TSIK-.SAN, 
183 
— 
12 
id. 
12. HOI-IN, 
350 
— 
6 
id. 
13. Ien-poung, 
320 
— 
4 
id. 
14. EUM-SENG, 
245 
— 
4 
id. 
V6. TSIENO-AN, 
280 
— 
6 
id. 
16. TSIN-TSIEN, 
240 
— 
15 
id. 
17. MOK-TSIEN. 
243 
— 
8 
id. 
18. Ieng-tsoun, 
390 
— 
6 
id. 
lu. Ieng-tong, 
460 
— 
7 
id. 
20. HOANG-KAN, 
490 
— 
6 
Id. 
21. TSIENG-SAN, 
430 
— 
6 
id. 
Province de droite (ou-to) 
Cliefs-lieux de districts. 
Distance 
Nombre 
Grade 
de la ca| 
itale. 
de cantons. 
du mandarin 
1. KoNG-TSiou, V. m. capitale de la 
province. Résidence du kam-sa. 
326 
lys. 
26 
pan-koan. 
2. HONG-TSIOU, V. m. 
293 
27 
mok-sa. 
.3. NlM-TSlEN, 
401 
— 
21 
koun-siou 
4. Tai-an, 
418 
— 
6 
id. 
5. Han-san, t. m. 
441 
— 
9 
id. 
6. Se-tsien, m. m. 
461 
— 
10 
id. 
7. MiEN-TSIEN, 
313 
— 
15 
id. 
8. Se-san, 
388 
— 
16 
id. 
9. on-iang, 
233 
— 
8 
id. 
iO. Tai-heung, 
283 
— 
8 
id. 
H. Hong-san, 
413 
— 
9 
hien-kam 
12. Tek-san, 
293 
— 
12 
id. 
13. Pieng-taik, 
173 
— 
6 
id. 
14. Tieng-san, 
351 
— 
6 
id. 
13. TSIENG-IANG, 
323 
— 
9 
id. 
10. EUN-TSIN, 
406 
— 
14 
id. 
17. HOI-TEK, 
381 
— 
7 
id. 
18. TSIN-TSAM 
351 
— 
5 
id. 
19. NiEN-SAN, 
406 
— 
8 
id. 
20. Nl-SENG OU NO-SENG, 
376 
— 
11 
id. 
INTRODUCTION. 
XU 
Distance 
Nombre 
Grade 
(le la capitale. 
lie caillons. 
(lu iiiaudarlii. 
386 lys. 
10 
bien kani, 
396 — 
9 
id. 
443 — 
6 
id. 
393 — 
8 
id. 
323 — 
9 
id. 
373 — 
8 
id. 
358 — 
6 
id. 
333 — 
7 
id. 
233 — 
6 
id. 
263 — 
9 
id. 
251 - 
5 
id. 
291 — 
7 
id. 
223 — 
11 
id. 
riiefs-lieux de districli:. 
21. POU-IE, 
22. SiEK-SENG, 
23. Pi-iN, y. m. 
2'(. Nam-po, V. m. 
25. KlEL-SENG, 
26. PO-RIENG, T. m. 
27. Hai-mi, t. m. 
28. Tang-tsin, 
29. Sin-tsanG, 
30. NiEI-SAN, 
31. TSIEN-EY, 
32. lEN-KT. 
33. A-SAN, 
En tout : t i^am-sa, A mok-sa, dont un est le pan-koan de Kong-tsioii, 
1 pou-sa, 13 koun-siou, 1 iiien-lieng, 35 iiien-kam. 
Nombre de maisons : 244,080. 
SERVICE DES POSTES. 
Il y a 5 tsal-pang, résidant à : 
NiEN-ouEN, district de Tsioung-tsiou , 14 iek. 
Seng-hoan, — 
Nl-IN, — 
Keum-tseng, — 
NlOUL-PONG, — 
Nombre de chevaux entretenus : 761. 
organisation militaire. 
2 pieng-sa, dont l'un est le gouverneur; le second réside à Tsieng-tsiou. 
2 siou-sa ; l'un est le gouverneur; l'autre est dans le district de Po-rieng. 
5 ieng-lsiang, dans le.s villes de Hong-tsiou, Tsieng-tsiou, Kong-lsiou, et 
Tsioung-tsiou; le cinquième est le mandarin de Hai-mi. 
1 tsioung-koun, près du gouverneur. 
1 kam-mok-koan. 
Nombre de soldats : 139,201. 
m. TSIEN-LA-TO. 
« Cette province est bornée au nord par celle de Tsiong- 
isieng ; à Test par celle de Kieng-sang ; au sud et à l'ouest par 
la mer (Jaune). 
« Elle comprend 56 districts, dont 2i à la province de gauche 
et 35 à la province de droite. La capitale, résidence du gouver- 
neur, est Tsien-tsiou. 
Province de gauche (tsoa-to.) 
Tsioung-tsiou , 
14 
Tsik-san, 
12 
Kong-tsiou. 
8 
Hong-tsiou, 
16 
Tsieng-tsiou , 
12 
Cliefs-lieux de districts. 
Distance 
Nonibr(! 
Grade 
de la capitale. 
de caillons. 
du mandarin. 
1. 
Neung-tsiou, 
776 lys. 
9 
mok-,sa. 
2. 
Nam-ouen, V. m. 
636 — 
40 
pou-sa. 
3. 
SOUN-RIEN, V. m. 
796 — 
20 
id. 
4. 
Tam-iang, 
676 - 
12 
id. 
5. 
Tsiang-seng, 
666 — 
15 
id. 
XLVIII 
INTRODUCTION 
. 
Chefs-litux de districts. 
Distance 
Nombre 
Grade 
de la capi 
taie. 
de cantous. 
du mandarin. 
G. PO-SENG, T. m. 
851 
lys. 
18 
koun-siou. 
7. Nak-an, 
786 
6 
id. 
8. SOUN-TSIANG, 
636 
_ 
16 
id. 
9. TSIANG-PIENG, 
706 
— 
9 
hien-lieng. 
\0. NiONG-TAM, 
o36 
— 
4 
id. 
H. KOANG-IANG, T. m. 
821 
— 
12 
hien-kam. 
12. Ok-koa, 
666 
— 
6 
id. 
13. Kou-RiEi, V. m. 
766 
— 
7 
id. 
ii. KOK-SENG, 
676 
— 
8 
id. 
13. OUN-PONG, 
688 
— 
8 
id. 
16. 1.M-SIL, 
S76 
— 
18 
id. 
17. TSIANG-SIOU, 
631 
— 
7 
id. 
18. TSIN-AN, 
586 
— 
13 
id. 
19. TONG-POK, 
726 
— 
11 
id. 
20. HOA-SOUN, 
7.36 
— 
3 
id. 
21. Heung-iang, t. m. 
896 
— 
13 
id. 
Province 
de 
droite 
(OU-TO) 
Chefs-lieux de disliicts. 
Distance 
Nombre 
Gra le 
de la capitale. 
de cantons. 
du mandarin. 
1. TSIEN-TSIOU, y. m. 
capitale 
de 
la province et résidence 
du 
kam-sa. 
306 
lys 
36 
pan-koan. 
2. Na-tsiou, ¥. m. 
7iO 
— 
38 
mok-sa. 
3. TsiEi-TSiou (grande île du 1 
sud)(l), 
T. m. Résidence d'un 
mok 
-sa 
qui est gouverneur de 
l'île. 
1936 
-(2) 
4 
pan-koan . 
i. KOANG-TSIOU, T. m. 
726 
— 
40 
mok-sa. 
î). TSIANG-HENG, 
880 
— 
15 
pou-sa. 
6. MOU-TSIOU, 
320 
— 
12 
id. 
7. hlE-SAX, 
436 
— 
11 
id. 
8. Ik-san, 
430 
— 
10 
koun-siou. 
9. Ko-pou, V. m. 
600 
— 
18 
id. 
10. LiENG-AM, T. m. 
810 
— 
9 
id. 
11. LiENG-KOANG, V. m 
710 
— 
28 
id. 
12. TsiN-TO,fîleduinêmenom),T. 
m. 
1026 
— 
13 
id. 
13. Keum-san, 
486 
— 
12 
id. 
U. TSIN-SAN, 
436 
— 
8 
id. 
lo. KlM-TIEI, 
536 
— 
23 
id. 
16. NiM-Pi, T. m. 
490 
— 
12 
hien-lieng. 
17. Man-kieng, v. m. 
510 
— 
6 
id. 
18. Keum-kou, 
520 
— 
12 
id. 
19. Kang-tsin, V. m. 
866 
— 
21 
hien-kam. 
20. NiONG-AN, T. m. 
436 
— 
3 
id. 
21. Ham-iel, 
450 
— 
9 
id. 
22. Pou-an, 
570 
— 
20 
id. 
23. Ham-pieng, 
770 
— 
4 
id. 
24. Ko-SAN, 
470 
— 
8 
id. 
2a. Tai-in, 
566 
— 
16 
id. 
20. Or-kou, *. m. 
560 
— 
8 
id. 
27. Ham-pieng, 
740 
— 
12 
id. 
28. Heug-tek, 
636 
— 
8 
id. 
(1) Ile de Quelpaert. 
(2) Dont 966 lys par terre et 970 par mer. 
INTRODUCTION. 
XLl 
Chefs-lieux de dislricls. 
Dislance 
Nombre 
Grade 
de la capitale. 
de cantons. 
du mandarin. 
29. TSIENG-EUP, 
596 lys. 
8 
hien-kam. 
30. KO-TSIANG, T. m. 
640 — 
8 
id. 
31, MOU-TSIANG, T. m. 
770 - 
16 
id. 
32. Mou-an, 
790 — 
13 
id. 
33. Hai-nam, m. m. 
890 — 
12 
id. 
34. Tai-tsieng (grande île du 
sud) 
5 
T. m. 
2076 ~ 
5 
id. 
33. TsiENG-Ei (grande île du 
sud) 
T. m. 
2066 — 
4 
id. 
En tout : 1 kam-sa, 4 mok- 
-sa, 
7 pou-sa, H 
koun-siou 
, 5 hien-lien. 
28 hien-kam, 2 pan-koan. 
Nombre de malsons : 290,550 
SERVICE 
DES POSTES. 
Il y a 6 tsalpang, résidant à : 
Sam-liei, district de 
Tsien-tsiou, 
12 
iek. 
TSIENG-AM, — 
Tsiangseng, 
11 
— 
PlEK-SA, — 
Tsiang-lieng, 
9 
— 
TSIEI-OUEN, — 
Keum-san, 
4 
— 
0-SlOU, — 
Nam-ouen, 
11 
— 
KlENG-IANG, — 
Koang-tsiou, 
6 
— 
Nombre de chevaux entretenus : 506. 
ORGANISATION MILITAIRE. 
2 pieng-sa; l'un est le gouverneur, l'autre réside à Kang-tsin. 
3 siou-sa; l'un est le gouverneur; un autre à Soun-rien, province de 
gauche ; le troisième à Hai-nam, province de droite. 
3 ieng-tsiang, dont trois dans les villes de Soun-rien, Tsien-tsiou, Na- 
tsiou, plus les deux mandarins de Oun-pong et Rie-san. 
1 tsioung-koun, près du gouverneur. 
5 kam-mok-koan. 
6 piel-lsiang. 
Nombre de soldats : 206,140. 
IV. KIENG-SANG-TO. 
« Celte province est bornée au nord par celle de Kang-ouen, 
au nord-est par celle de Kang-ouen et la mer du Japon ; à l'est 
au sud-est et au sud par la mer ; au sud-ouest par la mer et 
la province de Tsien-la; à Touest par la province de Tsien-la; 
au nord-ouest par la province de Tsiong-tsieng. 
« Elle comprend 71 districts dont 40 dans la province de 
gauche et 31 dans la province de droite. Sa capitale, résidence 
du gouverneur, est Taï-kou. » 
Province de gauche (tsoa-to). 
Chefs-lieux de districts. Distance Nombre Grade 
de la caiiitale. de cantons. du mandarin. 
1. KiENG-TSiou, T. m. 770 lys. 18 pou-ioun. 
2. An-tong, V. m. 330 — 24 lai-pou-sa. 
3. NiENG-HAi, V. m. 745 lys. 1 pou-sa. 
T. I. — l'église de CORÉE. d 
INTRODUCTION. 
Chefs-lieux de dlsti'icti. 
4. MlR-IANG, T. m. 
O. TSIENG-SONG, 
6. Tai-kou, t. m. capitale de la pro- 
vince et résidence du kam-sa. 
7. OUL-SAN, 
8. TONG-NAI, T. m. 
9. In-tong, 
10. Soun-heng, 
11. TSIL-KOK, 
12. tsieng-to, 
13. Ieng-tsien. 
a. NiEl-TSIEN, 
15. Ieng-tsien, 
16. Heng-hai, t. m. 
17. Poung-key, 
18. Kieng-san, 
19. Ey-seng, 
20. Ieng-tek, 
21. NiANG-SAN, 
22. Ham-iang, 
23. NiONG-KONG, 
24. PONG-HOA, 
25. TSIENG-HA, V. m. 
26. En-iang, t. m. 
27. TsiN-PO, 
28. Hien-poung, 
29. KOUN-OUI, 
30. Pi-an, 
31. Ey-heng, 
32. SlN-LlENG, 
33. NlEI-AN, 
34. TsiANG-Ki, T. m. 
35. Ien-il, t. m. 
36. TSIANG-LIENG, 
37. NiENG-SAN, 
38. Kei-tsiang, 
39. TsA-iN, 
40. Iëng-iang, 
Distance 
Nombre 
Grade 
de la capitale. 
lie cantons. 
du mandarin. 
800 
lys. 
16 
pou-sa. 
630 
— 
9 
id. 
680 
— 
33 
pan-koan. 
850 
— 
11 
pou-sa. 
930 
— 
8 
id. 
600 
— 
9 
id. 
470 
— 
13 
id. 
670 
— 
10 
id. 
740 
— 
13 
koun-siou. 
690 
— 
20 
id. 
490 
— 
23 
id. 
470 
— 
13 
id. 
800 
— 
8 
id. 
440 
— 
8 
id. 
710 
— 
5 
kien-lieng, 
600 
— 
19 
id. 
800 
— 
5 
id. 
890 
— 
6 
hien-kam. 
700 
— 
6 
id. 
460 
— 
10 
id. 
520 
— 
10 
id. 
830 
— 
S 
id. 
830 
— 
6 
id. 
630 
— 
6 
id. 
680 
- 
17 
id. 
580 
— 
10 
id. 
550 
— 
9 
id. 
620 
— 
11 
id. 
650 
— 
7 
id. 
530 
— 
7 
id. 
820 
— 
10 
id. 
780 
— 
8 
id. 
720 
— 
8 
id. 
750 
— 
7 
id. 
941) 
— 
7 
id. 
730 
— 
7 
id. 
6-)0 
— 
8 
id. 
Province de droite (ou-to). 
chefs-lieux de district-;. 
1. TSIANG-OUEN, T. m. 
2. Sang-tsiou, ▼. m. 
3. Sengtsiou, t. m. 
4. TsiN'-TSiou, T. m. 
5. K1.M-HAI, T. m. 
6. SlEX-SAN, T. m. 
7. Ke-tsiei (île du même nom), 
T. m. 
8. Ha-tong, 
9. Ke-tsiang, 
10. Ham-iang, t. m. 
11. TSO-KIEI, 
12. Ham-an, t. m. 
13. KlM-SAN, 
Distance 
No il. bre 
Grade 
de la capitale. 
dt cantons. 
(lu mindarin 
810 
lys. 
16 
taï-pou-sa 
490 
— 
14 
inok-sa. 
610 
— 
40 
id. 
856 
— 
70 
id. 
880 
— 
18 
pou-sa. 
560 
— 
18 
id. 
1020 
6 
id. 
836 
— 
12 
id. 
720 
— 
22 
id. 
7-16 
— 
18 
koun-siou. 
710 
— 
11 
id. 
810 
— 
18 
id. 
570 
— 
16 
Id. 
INTRODUCTION 
[ 
rhfifs-lleux dp districts. 
Distance 
Nombre 
Grade 
(le la capitale. 
(le cantons. 
du mandarin. 
14. KON-IANG, T. m. 
906 
lys. 
10 
koun-siou. 
15. Hap-tsikn, 
910 
— 
20 
id. 
16. Nam-hai (île du même 
nom), 
T. m. 
936 
— 
7 
hien-lieng, 
17. Ko-SENG, T. m. 
910 
— 
14 
id. 
18. Sam-ka, t. m. 
760 
— 
12 
hien-kam, 
19. Ey-rieng, ▼. m. 
795 
— 
19 
id. 
20. TsiL-ouEN, T. m. 
780 
— 
4 
id. 
21. TSIN-HAI, T. m. 
850 
— 
3 
id. 
22. MOUN-KIENG, 
390 
— 
12 
id. 
23. Ham-tsiang, 
450 
— 
6 
id. 
24. Tsi-i^iEi. 
620 
— 
4 
id. 
2o. KO-RIENG, 
660 
— 
14 
id. 
20. Tan SENG, 
846 
— 
8 
id. 
27. Kai-rieng, 
560 
— 
8 
id. 
28. Sa-tsien, t. m. 
886 
— 
8 
id. 
29. Oung-tsien, y. m. 
870 
— 
5 
id. 
30. An-ey, 
760 
— 
12 
id. 
31. San-tsienc, 
860 
— 
44 
id. 
LI 
En tout : 1 kam-sa, 1 poii-ioun, 2 laï-pou-sa, 3 mok-sa, 13 pou-sa, 12 koun- 
siou, 3 hien-lieng, 34 hien-kam, 1 pan-koan. 
Le nombre des maisons est de 421,300. 
service des postes. 
Il y a H isal-pang, résidant à 
lOU-KOK, 
district de 
Moun-kieng, 
18 
An-key, 
— 
An-tong, 
10 
TSIANG-SOU, 
— 
Sin-Iieng, 
14 
SONG-NA, 
— 
Tsieng-ha, 
7 
TSANG-NAK, 
— 
Soun-heng, 
9 
Sa-keun, 
— 
Ham-iang, 
15 
SO-TSON, 
— 
Tsin-tsiou, 
15 
Hoang-san, 
— 
Nieng-san, 
16 
Keum-tsien, 
— 
Kim-san, 
19 
Seng-hien, 
— 
Tsieng-to, 
13 
TSA-IE, 
— 
Tsiang-ouen. 
14 
Nombre de chevi 
ÎUX 
entretenus : 
1,700. 
iek. 
ORGANISATION MILITAIRE. 
3 pieng-sa ; l'un est le gouverneur; un autre réside près de la ville de Oul- 
san, dans la province de gauche, et le troisième à Tsin-tsiou, province de 
droite. 
3 siou-sa; l'un est dans le district de Ko-seng, province de droite, et 
s'appelle tong-tsieisa. Il a autorité sur la marine des trois provinces méri- 
dionales. Ce titre a été créé pendant la guerre du .lapon, en 1392, pour 
récompenser un général qui battit les Japonais en plusieurs rencontres; il 
est très-élevé et très-grassement rétribué. Un autre siou-sa est à Pou-san, à 
20 lys ouest dans le district de Tong-naï ; le gouverneur remplit la fonction 
du troisième. 
6 ieng-tsiang, dans les villes de : An-tong, Sang-tsiou, Taï-kou, Tsin-tsiou, 
Kieng-tsiou, plus le mandarin de Kim-haï. 
1 tsioung-koun, près du gouverneur. 
3 kam-mok-koan. 
10 piel-tsiang, la plupart dans les îles ou sur les bords de la mer. 
Nombre de soldats : 310,440. 
LU 
INTRODUCTION. 
V. KÂNG-OUEN-TO. 
« Cette province est bornée au nord et à Test par la mer du 
Japon ; au sud-est par la province de Kieng-sang ; au sud par les 
provinces de Kieng-sang et de Tsiong-tsieng ; au sud-ouest par la 
province de Tsiong-tsieng ; à l'ouest par la province deKieng- 
keï ; au nord-ouest par les provinces de Kieng-keï et de Hoang- 
liaï ; au nord par la province de Ham-kieng. 
« Elle comprend 26 districts, dont 9 dans la province est 
(tong-to), et 17 dans la province ouest (se-to). La capitale est 
Ouen-tsiou, résidence du gouverneur. 
Province Est (tong-to). 
Chefs-lieux de districts. 
Distance 
Nombre 
Grade 
de la capitale. 
de cantons. 
du mandarin. 
1. 
Kang-neng, t. m. 
530 
lys. 
8 
taï-pou-sa. 
2. 
Iang-iang, 
530 
12 
pou-sa. 
.3. 
Sam-tiek, t. m. 
670 
— 
12 
id. 
4. 
PlENG-HAI, T. m. 
880 
— 
7 
koun-siou. 
o. 
TONG-ISIEN, 
440 
— 
8 
id. 
6. 
KO-SENG, 
510 
— 
7 
id. 
7. 
Kan-seng, 
555 
— 
8 
id. 
8. 
OUL-TSIN, 
820 
— 
8 
tiien-lieng. 
9. 
HlEI>-KOK, 
470 
— 
3 
id. 
Province Ouest (se-to). 
CbefS-lieux de dis 
itricts. 
Dislai 
ICI' 
Nombre 
Grade 
de la cai 
pitale. 
de cantons. 
du mandarin. 
1. 
OUEN-TSIOU, T. m 
la province et 
i. capitale 
résidence 
de 
du 
Kam-sa. 
240 
lys. 
20 
pan-koan. 
2. 
HOI-IANG, 
380 
— 
6 
pou-sa. 
3. 
TSOUS-TSIEN, 
205 
— 
11 
id. 
i. 
TiEL-OUEN, 
180 
— 
9 
id. 
o. 
NiENG-OUEL, 
410 
— 
7 
id. 
6. 
I-TSIEN, 
280 
— 
10 
id. 
7. 
TSIENG-SIKN, 
430 
— 
4 
koun-siou. 
8. 
PlENG-TSANG, 
370 
— 
5 
id. 
9. 
KlM-SENG. 
270 
— 
8 
hien-lieng, 
10. 
PlE.NG-KANG, 
240 
— 
7 
hien-kam. 
11. 
KiM-HOA, 
220 
— 
/ 
id. 
1-2. 
iNang-tsien, 
235 
— 
6 
id. 
13. 
HONG-TSIEN, 
230 
— 
6 
id. 
U. 
Iang-kou, 
310 
— 
8 
id. 
15. 
NiN-TlEI, 
375 
— 
4 
id. 
16. 
HOI.NG-SENG, 
230 
— 
8 
id. 
17. 
An-biep, 
2i0 
— 
3 
i(i. 
En tout : 1 kam-sa, 1 laï-pou-sa, 1 mok-sa, qui est le pan-koan de Ouen- 
tsiou, 7 pou-sa, 6 koun-siou, 3 hien-lieng, 8 hien-kam. 
Le nombre des maisons est de 93,000. 
INTRODUCTION. LUI 
SERVICE DES POSTES.' 
iek. 
Il y a 4 tsalpang, 
résidant à : 
EUN-KIEI, 
district de 
Hoi-iang, 
19 
PlENG-NENG, 
— 
Sam-tiek, 
13 
Sang-oun, 
— 
lang-iang, 
15 
PO-AN, 
— 
Ouen-tsiou, 
29 
Nombre de chevaux entretenus : 447. 
ORGANISATION MILITAIRE. 
1 pieng-sa, c'est le gouverneur. 
1 siou-sa, c'est le gouverneur. 
3 ieng-tsiang, dont un à Sam-iiek, plus les mandarins de Tiel-ouen et de 
Hoing-seng. 
1 tsioung-koun, près du gouverneur. 
Nombre de soldats : 44,000. 
VI. HOANG-HAI-TO. 
« Cette province est bornée au nord- est par celle de Ham- 
kieng ; à l'est par celle de Kang-ouen ; au sud-est par celles de 
Kang-ouen et de Kieng-keï ; au sud par celle de Kieng-keï ; 
au sud-ouest et à Touest par la mer (Jaune) ; au nord-ouest par 
la mer (Jaune) et la province de Pieng-an ; au nord par la pro- 
vince de Pieng-an. 
« Elle comprend 23 districts, dont 14 dans la province de 
gauche, et 9 dans la province de droite. Sa capitale est Haï-tsiou, 
résidence du gouverneur. 
Province de gauche (tsoa-to). 
Chefs-lieux de districts. 
1. HOANGTSIOU, T. m. 
2. PlENG-SAN, 
3. Se-heng, 
4. KOK-SAN, 
5. PONG-SAN, 
6. An-ak, 
7. Tsai-rieng, ^ 
8. SlOU-AN, 
9. Sin-tsien, 
10. Keum-tsien, 
11. SiN-KIEl, 
12. MOUN-HOA, 
13. Tsiang-nien, 
14. TO-SAN, 
Province de 
Chefs-lieux de districts. 
1. Hai-t.siou, V. m. capitale de la 
provinceet résidence du kam-sa. 
2. NlEN-AN, T. m. 
3. POUNG-TSIEN, 
Distance 
Noiuhre 
Grade 
de la capitale. 
de cantons. 
du mandarin. 
46S 
lys. 
18 
mok-sa. 
265 
17 
pou-sa. 
345 
— 
13 
id. 
433 
— 
12 
id. 
413 
— 
15 
koun-siou. 
335 
— 
18 
id. 
463 
— 
13 
id. 
335 
— 
13 
id. 
493 
— 
10 
id. 
203 
— 
16 
id. 
343 
— 
13 
hien-lieng. 
323 
— 
9 
id. 
575 
— 
3 
hien-kam. 
230 
— 
9 
id. 
droile ( 
ou-to) 
Distance 
Nombre 
Grade 
de la cai 
[lilale. 
de cantons. 
du mandarin. 
375 
lys. 
35 
pan-koan 
255 
22 
pou-sa. 
335 
— 
8 
id. 
LIV 
Chtfs-lieux de disUicls, 
INTRODUCTION. 
Distance 
Nombre 
Grade 
de la capitale. 
de cantons. 
du mandarin. 
48o lys. 
3 
pou-sa. 
523 — 
11 
id. 
220 — 
16 
koun-siou. 
493 — 
8 
kien-kan. 
433 — 
3 
id. 
383 — 
4 
id. 
4. ong-tsin, t. m. 
3. tsiang-ien, 
6. Paik-tsien, 
7. SONG-HOA, 
8. Kang-lieng, 
9. eun-lioul, 
En tout: 1 kam-sa, 2 mok-sa,doiit un est le pan-koande Hai-tsiou, 7 pou-sa, 
7 koun-siou, 2 hien-lieng, 3 hien-kara. 
Nombre de maisons : 138,000. 
SERVICE DES POSTES. 
Il y a 3 tsalpang, résidant à : 
Keum-kio, district de Keum-tsien, 
TsiENG-TAN, — Hai-tsiou, 
Key-rin, — Pieng-san, 
Nombre de chevaux entretenus : 396. 
8 iek. 
9 — 
U — 
ORGANISATION MILITAIRE. 
2 pieng-sa; l'un est le gouverneur, Tautrc réside à Hoang-tsiou. 
2 siou-sa; l'un est le gouverneur, l'autre le mandarin de ong-tsin. 
5 ieng-tsiang ; ce sont les mandarins de Pong-san, Poung-tsien, An-ak, 
Kok-san et Pieng-san. 
1 tsioung-koun, près du gouverneur. 
3 kam-mok-koan. 
3 piel-lsiang. 
Nombre de soldats : 133,800. 
VII. HAM-KIENG-TO. 
« Cette province est bornée an nord-est et à l'est par le 
fleuve Tou-man-kang ; au sud-est et au sud par la mer du 
Japon ; au sud-ouest par la province de Kang-ouen ; à l'ouest et 
au nord-ouest par celle de Pieng-an ; au nord par les sauvages. 
« Elle comprend 24 districts, dont 12 dans la province sud, 
(nam-to); et 12 dans la province nord (pouk-to). Sa capitale est 
Ham-heng, résidence du gouverneur. 
Province sud (nam-to). 
Chefs-lieux de districts. 
1. Ham-heng, t. m. capitale de la 
province et résidence du kam-sa. 
2. Ieng-heng, 
3. An-pien, 
4. pouk-tsieng, 
3. Tek-ouen, 
6. Tieng-pieng, 
7. Kap-san, 
8. Sam-siou, t. m. 
9. Tan-tsien, t. m. 
10. TSIANG-TSIN ou HOU-TSIOU, 
11. Ko-ouen, 
12. moun-tsie.n, 
Distance 
Nombre 
Grade 
de la cap 
litale. 
de cantons. 
du mandarin. 
820 
lys. 
24 
pan-koan. 
683 
— 
12 
laï-pou-sa. 
5i0 
— 
23 
pou-sa. 
1010 
— 
19 
id. 
360 
— 
20 
id. 
770 
— 
9 
id. 
1273 
— 
3 
id. 
1363 
— 
3 
id. 
1203 
— 
9 
id. 
1030 
— 
3 
id. 
643 
— 
6 
koun-siou. 
593 
— 
6 
id. 
LNTRODUCTIOÏN- 
• 
Province Nord (pouk-to). 
Chefs-lieux rie districts. Distance 
Nombre 
Grade 
de la capitale. 
de cantons. 
du mandarin. 
1. 
KiL-TSiou, y. m. 1385 
lys. 
7 
mok-sa. 
2. 
KiENG-ouEN, T. m. 2i209 
— 
12 
pou-sa. 
3. 
HOl-RIKNG, T. m. 1935 
— 
9 
id. 
4. 
TsONG-SENG, V. m. 2032 
— 
5 
id. 
5. 

on-seng, t. m. 2102 
— 
12 
id. 
6. 
KiENG-HEUG, V. m. 2342 
— 
7 
id. 
7. 
POU-RIENG, T. m. 1695 
— 
9 
id. 
8. 
MiENG-TSIEN, T. m. 1455 
— 
7 
id. 
9. 
Mou-SAN, T. m. 1840 
— 
9 
id. 
10. 
KlENG-SENG, V. m. 1595 
— 
6 
pan-koan. 
11. 
HoNG-ouEN, T. m. 920 
— 
6 
hien-kam. 
LV 
12. Ni-SENG OU Ni-OUEN, T. m. 1115 — 3 id. 
En tout : 1 kam-sa, ayant titre de pou-ioun, 1 taï-pou-sa, 1 niok-sa, 
16 pou-sa, 2 lioun-siou, 2 liien-kam, 2 pan-koan, dont l'un (celui de 
Kieng-seng) a titre de pou-sa. 
Nombre de maisons : 103,200. 
SERVICES DES POSTES. 
Il y a 3 tsalpang, résidant à : 
Ko-SAN, district de An-pien, 12 iek. 
Ke-san, — PoLik-tsieng, 24 — 
Sou-SENG, — Tsong-seng, 
Nombre de chevaux entretenus : 792. 
•a^ 
ORGANISATION MILITAIRE. 
3 pieng-sa; l'un est le gouverneur ; un autre réside à Pouk-tsicng, pro- 
vince sud, et le troisième à Kieng-seng, province nord. 
3 siou-sa ; ce sont les trois pieng-sa qui en l'ont les fonctions. 
6 ieng-tsiang ; ce sont les mandarins de Hong-ouen, Kap-san, leng-heng, 
Tan-tsien, Sam-siou et Tek-ouen. 
1 tsioung-koun, près du gouverneur. 
3 kam-mok-koan. 
2 piel-lsiang. 
Nombre de soldats : 87,170. 
VIII. PIENG-AN-TO. 
« Cette province est bornée au nord-est et h Test par celle de 
Ham-kieng ; au sud-est par celles de Ham kieng et de Hoang- 
haï ; au sud par celle de Hoang-haï ; au sud-ouest et à l'ouest par 
la mer (Jaune) ; au nord-ouest par le fleuve Hap-nok-kang ou 
Yalu-kiang ; au nord par le pays des sauvages. 
« Elle comprend 42 districts, dont 23 dans la province sud 
(nam-lo), et 19 dans la province nord (pouk-to). Sa capitale est 
Pieng-iang, résidence du gouverneur. 
LVI 
INTRODUCTION. 
Province Sud (nam-to). 
Chefs-lieux de districts. 
Dislance 
Nombre 
Grade 
de la capitale. 
de cantons. 
du mandarin. 
1. PiENG-iANG , T. m. capitale de 
la province et résidence du 
kam-sa. 
566 
lys. 
36 
se-ioun. 
2. An-tsiou, t. m. 
736 
12 
mok-sa. 
3. Seng-tsien, 
706 
— 
23 
pou-sa. 
4. SOUK-TSIEN, 
676 
— 
14 
id. 
s. TSIOUNG-HOA, 
316 
— 
12 
id. 
6. TSA-SAN, 
656 
— 
10 
id. 
7. Sam-hoa, 
676 
— 
10 
id. 
8. Ham-tsong, 
636 
— 
12 
id. 
9. Ka-san, 
796 
— 
5 
koun-siou. 
10. Saxg-ouen, 
676 
— 
7 
id. 
11. Tek-tsien, 
940 
- 
9 
id. 
12. Kai-tsien, 
791 
— 
8 
id. 
13. SOUN-TSIEN, 
721 
— 
15 
id. 
14. >'I0NG-KANG, 
656 
— 
12 
hien-lieng. 
lo. Ieng-iou, 
636 
— 
14 
id. 
16. TSENG-SAN, 
636 
— 
5 
id. 
17. Sam-tong, 
656 
— 
3 
id. 
18. SOUN-AN, 
606 
— 
10 
id. 
19. Kang-se, 
616 
— 
11 
id. 
20. Iang-tek, 
896 
— 
9 
hiem-kam. 
21. Maing-san, 
846 
_ 
6 
id. 
22. Kang-tong, 
636 
— 
7 
id. 
23. EUN-SAN, 
686 
— 
12 
id. 
Province nord (pouk-to) 
Chefs-lieux de districts. 
Distance 
Nombre 
Grade 
de la capitale. 
de cantons. 
du mandarin. 
1. Ei-TSiou, ▼. m. 
1096 
lys. 
21 
pou-ioun. 
2. NiENG-PIEN, T. m. 
796 
12 
paï-pou-sa, 
3. TiENG-TSIOU, ▼. m. 
856 
— 
19 
mok-sa. 
4. Kang-kiei, t. m. 
1346 
— 
11 
pou-sa. 
3. TSANG-SENG, T. m. 
1106 
— 
7 
id. 
6. Sak-tsiou, t. m. 
1036 
— 
8 
id. 
7. KOUI-SENG, T. m. 
896 
— 
12 
id. 
8. SiEN-TSIEN, T. m. 
926 
— 
9 
id. 
9. TiEL-SAN, T. m. 
976 
— 
6 
id. 
10. NlONG-TSlEN, T. m. 
1006 
— 
9 
id. 
11. Tsio-SAN, V. m. 
1196 
— 
6 
id. 
12. KOAK-SAN, 
886 
— 
7 
koun-siou. 
13. Hey-tsien, 
1001 
— 
8 
id. 
14. PlEK-TONG, T. m. 
1121 
— 
10 
id. 
15. OUN-SAN, 
856 
— 
6 
id. 
16. Pak-tsien, 
776 
— 
3 
id. 
17. OUI-OUEN, T. m. 
1236 
— 
6 
id. 
18. NiENG-OUEN, 
891 
— 
8 
id. 
19. Tai-tsien, 
836 
— 
6 
hien-kam. 
En tout : 2 pou-ioun, dont un est le kam-sa, 1 tai-pou-sa, 2 mok-sa, 
14 pou-sa, dont un (celui de Sien-tsien) a le titre de pang-e-sa, 12 koun- 
siou, 6 hien-lieng, 3 hien-kam, 1 se-ioun. 
Nombre de maisons : 293,400. 
INTRODUCTION. LVII 
SERVICE DES POSTES. 
Il y a 2 Isalpang, résidant à : 
Tai-tong, district de Pieng-iang, 9 iek. 
E-TsiEN, — Nieng-pien, 21 
Nombre de chevaux entretenus : 311. 
ORGANISATION MILITAIRE. 
2 picng-sa; l'un est le gouverneur, l'autre réside à Au-tsiou. 
1 siou-sa; c'est le gouverneur. 
9 ieng-tsiang; ce sont les mandarins de : Souk-tsien, Tek-tsien, Tsioung- 
hoa, Scun-tsien, Ham-tsong, Niong-tsien, Koui-seng, Ka-san et INieng-pien. 
1 tsioug-koun, près du gouverneur. 
1 kam-mok-koan. 
4 piel-lsiang. 
Nombre de soldats : 174,538. 
Tribunaux. — Prétoriens et satellites. — Prisons. — Supplices. 
Les mandarins des districts sont les juges ordinaires pour 
toutes les causes qui ressortissent aux tribunaux civils. Quand 
une affaire n'a pu être réglée à l'amiable par les anciens du vil- 
lage, et que les parties s'obstinent à faire un procès, on compa- 
raît devant le mandarin qui, dans les cas ordinaires, juge sans 
appel. Si l'affaire est très-importante, on peut recourir au gouver- 
neur de la province, puis au ministre compétent, et enfin au roi. 
Les causes criminelles sont jugées par les mandarins mili- 
taires. Quelquefois les mandarins civils commencent l'instruc- 
tion, afin de bien s'assurer du caractère des faits, mais toujours 
ils renvoient l'affaire aux juges militaires. Les procès com- 
mencent près du ieng-tsang, dont le tribunal est appelé vulgai- 
rement tribunal des voleurs, et de là, suivant la gravité des cas, 
sont renvoyés au pieng-sa ou au gouverneur de la province, puis 
à la capitale, au tribunal des crimes. Ce tribunal se compose de 
deux cours distinctes. La première, nommée po-tseng, est une 
cour d'enquête pour entendre les témoins, examiner la cause, et 
arracher, de gré ou de force, des aveux à l'accusé. La seconde 
cour, nommée ieng-tso, est formée des juges qui portent la sen- 
tence sur les conclusions du po-tseng. Au-dessous du tribunal des 
crimes, à la capitale seulement, se trouve une cour inférieure, 
qui correspond à nos tribunaux de police correctionnelle; on 
l'appelle sa-kouang-tseng. Le tribunal des crimes a juridiction 
sur les gens du peuple et sur les nobles qui ne sont pas digni- 
taires publics, pour les crimes de toute espèce, excepté ceux de 
rébellion et de lèse-majesté. Un tribunal spécial, appelé Keum- 
pou, et dont les membres sont nommés directement par le roi, 
a seul le droit déjuger les fonctionnaires publics, et peut seul 
connaître des actes de rébellion et de lèse-majesté, quels que 
soient les coupables. Dans ce dernier cas, la famille du condamné 
est enveloppée tout entière dans sa punition, et ses parents sont 
tous destitués ou exilés ou même mis à mort. Lors du martyre 
d'Augustin Niou, en 1801, vingt-six mandarins de ses parents, 
llNTnODUCTIOIN. LIX 
tous païens, furent destitués, et son frère aîné fut envoyé en exil. 
Lorsqu'un meurtre a été commis dans un district, le mandarin 
local ne peut, à lui seul, examiner et décider la cause; le gou- 
verneur en désigne deux autres qui se réunissent à lui pour faire 
le procès. 
Aucun mandarin ordinaire ne peut, de sa propre autorité, 
faire exécuter une sentence d'exil ou de mort. Les gouverneurs 
de province eux-mêmes n'ont ce droit qu'avec certaines restric- 
tions, et presque toujours, quand il s'agit de la peine capitale, 
ils font d'abord approuver la sentence par le ministre des 
crimes. Mais, en échange, les juges ne répondent pas d'un cou- 
pable qui meurt sous les coups dans les interrogatoires, ce qui 
est assez fréquent, et souvent ils prennent ce moyen d'en finir le 
plus vite possible, afin de s'éviter les embarras d'un procès en 
règle. Ils ont d'autres moyens encore de simplifier les formalités 
d'une longue procédure. Ainsi, un jour, un jeune domestique 
s'étant pris de querelle avec le fils d'un noble, le tua d'un coup de 
cognée dans le bas-ventre. L'assassin fut saisi aussitôt et traîné 
devant le mandarin. Parmi les témoins, se trouvait le père de la 
victime. Après quelques questions, le mandarin fit apporter une 
cognée et, la plaçant dans les mains du père, lui dit en lui dési- 
gnant le meurtrier garrotté et étendu à terre : « Montre-moi com- 
ment cet homme a frappé ton fils. » Son but était de faire tuer le 
coupable sur place, par le père, et de se débarrasser d'une affaire 
ennuyeuse. La vengeance étant, en pareil cas, permise par les 
coutumes du pays, tout eût été terminé de suite. Le père trop 
timide n'osa point frapper ; les assistants le méprisèrent comme 
un lâche, et louèrent comme très-juste et très-naturelle la con- 
duite du magistrat. 
Les mandarins civils étant à la fois préfets, juges de paix, 
juges d'instruction, percepteurs, inspecteurs des douanes, des 
eaux et forêts, de l'enregistrement, de la police, etc., il semble 
qu'il leur est impossible de suffire à une pareille tcâche. Et 
cependant il n'y a guère de vie plus fainéante et plus inoccupée 
que celle d'un mandarin. Il passe sa vie à boire, à manger, à 
fumer, h faire des parties de plaisir. Son tribunal n'est ouvert 
que trois ou quatre fois par semaine, pendant quelques heures; 
et les affaires s'expédient à l'aide de quelques phrases ou de 
quelques coups de bâton, souvent sans entendre ni les parties 
intéressées, ni les témoins. Les mandarins militaires agissent 
d'une manière analogue, et, dans les tribunaux de toute nature, 
presque tout se fait par les employés subalternes. 
LX 1>TR0DUCTI0>. 
Donnons ici quelques détails sur ces agents des tribunaux, qui, 
en Corée, exercent une si grande part d'autorité. Il y en a de 
deux espèces, ceux qui servent les mandarins civils et ceux qui sont 
attachés aux mandarins militaires ou juges criminels. Le nom 
des premiers est, dans cette histoire, traduit ordinairement par 
le mot : prétorien, parce qu'ils forment la cour ou le prétoire du 
mandarin, et sont chargés de l'assister dans l'administration. 
Les seconds, qui exercent l'emploi de nos gendarmes ou agents 
de police, et relèvent du ministère des crimes, sont appelés pro- 
prement satellites. on les confond quelquefois, parce que leurs 
attributions, quoique distinctes, les obligent souvent à agir de 
concert, et aussi parce que, dans les districts où il n'y a pas de 
juge criminel, le mandarin civil a sous la main un certain nombre 
de satellites pour faire la police. 
Dans chaque district, les prétoriens sont en assez grand 
nombre. Les six ou huit principaux portent des titres analogues 
à ceux des ministres du roi, et remplissent en petit des fonctions 
de même nature, car chaque mandarinat est organisé sur le 
modèle du gouvernement central. Ils ont ainsi beaucoup d'auto- 
rité, et souvent plus que le mandarin qui, d'habitude, tout en 
les traitant comme des valets, se laisse mener par eux. Les 
autres prétoriens sont des commis, huissiers ou domestiques 
soumis aux premiers. Tous ces prétoriens forment dans la société 
comme une classe à part. Ils se marient presque toujours entre 
eux ; leurs enfants suivent la même carrière, et de génération en 
génération ils remplissent, dans le tribunal, des charges plus ou 
moins élevées, selon leur adresse à les obtenir et à s'y maintenir. 
on prétend, et ce semble avec raison, vu les circonstances, que 
sans eux il n'y a pas d'administration possible. Rompus à toute 
espèce de ruses, d'intrigues, de stratagèmes, ils s'entendent 
admirablement à pressurer le peuple et à se protéger eux-mêmes 
contre les mandarins. on les casse, on les chasse, on les injurie, 
on les roue de coups de rotin, ils savent tout supporter et restent 
aux aguets pour saisir l'occasion de rentrer en place, et quelque- 
fois même de se débarrasser des mandarins trop sévères. 
Bien qu'ils soient divisés en divers partis, cherchant mutuelle- 
ment à se supplanter, à peu près comme les grands partis poli- 
tiques des No-ron, Nam-in, etc., dont il a été question plus 
haut, ils savent oublier momentanément leurs querelles et se 
soutenir tous quand les intérêts du corps sont menacés. Un de 
leurs axiomes fondamentaux est qu'il faut toujours tromper le 
mandarin, et le mettre le moins possible au courant des affaires 
liSTRODUCTION. LXI 
locales. C'est pour eux une question de vie ou de mort, car 
la plupart n'ont pas de paye régulière, et ceux qui en ont 
une, ne la peuvent toucher que très-rarement. Forcés d'une 
part de satisfaire, aux dépens du peuple, l'avidité insatiable des 
mandarins, et d'autre part, obligés de dépenser beaucoup pour 
leur entretien et celui de leurs familles, ils ne vivent que des 
fraudes et des exactions qu'ils commettent pour leur propre 
compte. S'ils laissaient connaître au mandarin les ressources 
secrètes qu'ils savent ainsi exploiter, celui-ci s'en emparerait 
immédiatement, et il ne leur resterait qu'à mourir de faim. « Si 
l'on avait le malheur, disait un jour un prétorien à l'un des 
catéchistes de Mgr Daveluy, si l'on avait le malheur de donner 
une fois au mandarin quelque chose de très-bon, il en voudrait 
toujours, et comme nous serions dans l'impossibilité de le satis- 
faire, il nous ferait assommer. » 
L'aventure suivante, arrivée il y a quelques années dans la 
province de Kieng-keï, montre bien ce que sont les prétoriens, et 
ce qu'ils peuvent. Dans une ville assez importante fut envoyé un 
mandarin honnête et capable, qui, non content de maintenir 
énergiquement ses subordonnés dans le devoir, manifesta l'in- 
tention d'examiner et de punir toutes les malversations dont ils 
s'étaient auparavant rendus coupables. La plupart étaient gra- 
vement compromis, quelques-uns même risquaient d'être con- 
damnés à mort. Leurs ruses ordinaires, leurs intrigues, leurs 
faux témoignages, ne pouvaient parer le coup, et l'effroi était 
grand parmi eux, quand ils apprirent que des inspecteurs royaux, 
déguisés, parcouraient alors la province. En découvrir un, le 
suivre, le surveiller fut chose facile, et ils organisèrent de suite 
leur complot. Comme il n'est pas rare que des bandits intelligents 
et audacieux se fassent passer pour e-sa ou inspecteurs royaux et 
rançonnent des districts entiers, il fallait persuader au mandarin 
que l'inspecteur dont on avait découvert la trace était de ce 
nombre, et obtenir la permission de l'arrêter. Ceux qui garrot- 
teraient l'envoyé royal seraient très-probablement mis à mort ; 
mais, en revanche, le mandarin serait certainement dégradé, en 
vertu de ce principe que , s'il gouvernait bien , des désordres 
aussi monstrueux que l'arrestation officielle d'un grand dignitaire 
seraient impossibles. Le mandarin une fois écarté, les autres 
prétoriens n'auraient plus rien à craindre. on tira au sort les 
noms de ceux qui devaient se sacrifier pour le salut commun, et le 
soir même la pétition fut présentée au mandarin. Il refusa d'abord 
de la recevoir ; mais les prétoriens ne cessant de lui répéter 
LXII INTROnUCTION. 
qu'il encourait une terrible responsabilité en laissant impuni un 
pareil imposteur, qu'eux-mêmes se garderaient bien de lui faire 
une telle requête s'ils avaient le moindre doute, puisqu'en cas 
d'erreur il y allait de leur vie, il céda après quelques jours 
d'hésitation, et signa le mandat d'arrêt. iMunis de cette pièce, 
les prétoriens désignés par le sort se rendent le soir même dans 
l'endroit où l'inspecteur était descendu, tombent sur lui et le 
lient comme un criminel. Celui-ci décline son nom et sa dignité, 
exhibe sa patente munie du sceau royal, et fait un signal qui 
réunit de suite auprès de lui ses assesseurs et une troupe de 
ses valets. Les prétoriens simulent la surprise et la consterna- 
tion; les uns s'enfuient, les autres tombent aux pieds du magis- 
trat et demandent la mort en expiation du crime horrible qu'ils 
viennent de commettre à leur insu. L'inspecteur furieux les 
laisse entre les mains de ses gens pour être assommés de coups, 
et, en grand cortège, se rend droit à la préfecture, dégrade et 
chasse le mandarin. Aucun prétorien, dit-on, ne mourut ; plu- 
sieurs demeurèrent estropiés, d'autres furent exilés, mais leur 
but était atteint, et le nouveau mandarin, effrayé par l'exemple 
de son prédécesseur, se garda bien d'imiter son zèle pour la 
justice. 
Les satellites ne sont pas comme les prétoriens une classe à 
part, exerçant les mêmes fonctions comme par droit d'héritage, 
de génération en génération. Ce sont des valets que Ton recrute 
oii l'on peut, en plus ou moins grand nombre, suivant les occa- 
sions et les besoins, et qui souvent ne remplissent cet office que 
pendant quelques années ou même quelques mois. Il n'est pas 
rare de rencontrer parmi eux des voleurs ou autres individus 
gravement compromis avec la justice, qui se font satellites pour 
s'assurer l'impunité. Dans chaque district il y a des satellites 
désignés sous différents noms, mais les plus adroits, les plus 
insolents et les plus redoutés sont ceux des tribunaux criminels 
de la préfecture de chaque province. N'ayant pas de rétribution 
fixe, ils ne vivent que de rapines, et se font donner de force, par 
les gens du peuple, tout ce qui leur plaît. Les uns font le métier 
de gendarmes, d'autres servent le mandarin à la maison, d'autres 
forment son cortège quand il sort. Ils ont une adresse et une 
sagacité incroyables pour reconnaître les voleurs et autres cou- 
pables, et il est rare qu'un accusé, sérieusement recherché, 
puisse échapper longtemps k leurs perquisitions. Mais ils ne 
s'occupent guère des petits voleurs. Les prendre et les punir ne 
servirait, d'après eux, qu'à en faire de plus mauvais sujets. 
INTRODUCTION. LXIII 
Quant aux bandits ou voleurs proprement dits, ils sont très- 
souvent les affidés des satellites, et ceux-ci ne les livrent au 
mandarin que quand ils y sont absolument forcés. 
Dans les grandes villes, il y a toujours sous la main des satel- 
lites quelques filous responsables, payés par la police pour être 
déférés aux tribunaux quand le peuple perd patience, et que les 
mandarins menacent plus que d'habitude. Avant de les empoi- 
gner on convient d'avance des quelques méfaits, relativement 
minimes, qui seront déclarés par les satellites et avoués par les 
accusés ; sur tous les faits graves, on garde un silence profond, 
et il est rare que les vrais coupables subissent le juste châtiment 
de leurs crimes. D'ailleurs le gouvernement tolère beaucoup de 
voleurs notoires, afin d'avoir sous la main, en cas de besoin, des 
auxiliaires aussi peu scrupuleux que déterminés. A la capitale, il 
y a une bande de filous, à peu près reconnue par l'autorité, et dont 
les déprédations restent impunies. Si le propriétaire lésé peut 
faire parvenir sa plainte au mandarin, dans les trois jours qui sui- 
vent le vol, les objets enlevés lui sont généralement rendus. Mais 
les trois jours écoulés, les voleurs deviennent maîtres de tout 
ce qui n'est pas réclamé, et le vendent à bas prix h des receleurs. 
Dans beaucoup de villages, il y a des voleurs bien connus des 
habitants et protégés par eux contre les recherches des agents du 
mandarin. Peut-être en agit-on quelquefois ainsi par une com- 
misération mal entendue, mais, le plus souvent, c'est par crainte 
de la vengeance que ces bandits ou leurs associés pourraient 
tirer de ceux qui les livreraient. 

on peut aisément conclure de tout ce qui précède, combien 
il est difficile, en Corée, d'obtenir justice quand on n'a pour soi 
que son bon droit, sans argent ni protections. En théorie, cha- 
cun peut librement s'adresser au mandarin, et lui présenter ses 
plaintes ; en fait, les accès du tribunal sont si bien gardés par 
les prétoriens ou satellites, qu'il faut, bon gré, mal gré, passer 
par leurs mains, et réussît-on h remettre directement la pétition 
dans les mains du mandarin, qu'on n'y gagnerait rien, puisque 
parce procédé on mettrait contre soi l'influence toute-puissante 
de SCS subalternes. Aussi, d'ordinaire, on s'adresse d'abord aux 
gens du tribunal, et, si l'affaire est importante, ceux-ci tiennent 
conseil, examinent ce qu'il faut déclarer, ce qu'il faut cacher, 
ce qui peut être avoué sans inconvénient, ce qui doit être nié, 
et enfin de quelle manière et sous quel point de vue il faut pré- 
senter la chose au juge. Puis, moyennant une somme plus ou 
moins ronde, ils se chargent de la réussite du procès. Bien peu 
LXIV INTRODUCTION. 
de mandarins onl le courage de résister à l'influence des pré- 
toriens, ou l'adresse de déjouer leurs intrigues. 
Une autre cause d'injustice dans les tribunaux coréens, c'est 
l'intervention des grands personnages. Les familles des ministres, 
des femmes du roi, des grands dignitaires, etc.. ont une foule 
de valets ou suivants, qui s'attachent à leur service gratis, et 
quelquefois même en donnant de l'argent, afin d'obtenir leur 
protection. Ces individus, moyennant salaire, .se font entre- 
metteurs dans mille affaires, et obtiennent de leurs maîtres des 
lettres de recommandation qu'ils présentent au mandarin. 
Celui-ci n'ose jamais résister, et la cause ainsi appuyée, quelque 
injuste qu'elle puisse être, est gagnée de droit. Il est reçu 
aujourd'hui que le créancier qui ne peut rien tirer de son débi- 
teur, n'a qu'à promettre moitié de la somme à quelque puissant 
personnage. Il en reçoit une lettre pour le mandarin, qui, sans 
examiner si la réclamation est fondée ou non, condamne le débi- 
teur et le force à payer. Le mandarin qui hésiterait en pareil 
cas, se ferait en haut lieu un ennemi acharné, et perdrait certai- 
nement sa place. 
En Corée, comme jadis dans le monde entier et comme 
aujourd'hui encore dans tous les pays qui ne sont pas chrétiens, 
le principal moyen employé pour l'instruction d'un procès cri- 
minel est la torture. Il y en a plusieurs espèces, et de plusieurs 
degrés, mais la plus terrible de toutes est précisément celle qui ne 
figure pas au nombre des supplices autorisés par la loi, c'est-à-dire 
le séjour plus ou moins long dans les prisons. Ces prisons con- 
sistent généralement en une enceinte fermée de hautes murailles, 
auxquelles s'appuient à l'intérieur des baraques en planches. 
Le milieu laissé libre forme une espèce de cour. Chaque baraque 
n'a d'autre ouverture qu'une porte très-petite, par où la lumière 
pénètre à peine. Le froid en hiver, et la chaleur en été, y sont 
intolérables. Le sol est couvert de nattes tissées avec une paille 
grossière. « Nos chrétiens, écrit Mgr Daveluy en parlant de la 
grande persécution de 1839, étaient entassés dans ces prisons, 
au point de ne pouvoir étendre leurs jambes pour se coucher. 
Ils m'ont déclaré, unanimement, que les tourments des interro- 
gatoires sont peu de chose, en comparaison des souffrances de 
cet affreux séjour. Le sang et le pus qui sortaient de leurs plaies 
eurent bientôt pourri leurs nattes. L'infection devint insuppor- 
table, et une maladie pestilentielle enleva en quelques jours 
plusieurs d'entre eux. Mais la faim, la soif surtout, étaient pour eux 
le plus terrible des supplices, et beaucoup de ceux qui avaient 
iNTROniJCTlON. I.XXIX 
notre plan de donner ici une grammaire détaillée de cette langue, 
mais comme elle est absolument inconnue en Europe, quelques 
explications pourront intéresser tous les lecteurs par la nou- 
veauté du sujet, et n'être pas inutiles aux savants de profession. 
on verra, dans le cours de notre histoire, que les missionnaires 
se sont livrés avec ardeur à Tétude du coréen. Mgr Daveluy 
avait travaillé longtemps à un dictionnaire cliinois-coréen-fran- 
çais ; M. Pourtliié en avait composé un autre coréen-chinois- 
latin ; M. Petitnicolas avait fait le dictionnaire latin-coréen qui 
comprenait plus de trente mille mots latins et près de cent mille 
mots coréens. Ces divers dictionnaires, ainsi qu'une grammaire 
composée en commun, étaient achevés, et on travaillait au collège 
à les copier, afin de conserver dans la mission un exemplaire de 
chacun, pendant qu'un autre serait envoyé en France pour y 
être imprimé, lorsque éclata la persécution de 186G. Tout fut 
saisi et livré aux flammes. Depuis lors, Mgr Ridel, vicaire apos- 
tolique de Corée, et ses nouveaux confrères ont refait, en partie, 
le travail des martyrs leurs prédécesseurs, et préparé, à l'aide de 
quelques chrétiens indigènes très-instruits, une grammaire et un 
dictionnaire de la langue coréenne. Ces ouvrages seront publiés 
prochainement, si les circonstances le permettent. 
§. d. — Lettres, ÉCRrruRE, prononciation. 
Lettres. — on voit dans le tableau ci-joint (planche II) que 
Talphabet coréen se compose de vingt-cinq lettres : onze voyelles 
et quatorze consonnes. 
Des onze voyelles, sept sont simples : a, o, o, ou, eu, t, à ; les 
quatre autres sont mouillées, c'est-à-dire précédées du son i, lequel 
se prononce avec la voyelle suivante d'une seule émission de voix: 
ia, iô, io, iou. Cette modification de son s'indique dans l'écriture 
en redoublant le signe caractéristique de la voyelle. 
Il y a neuf consonnes simples : /.-, n, t, l, m, p, .s, ng, ts, et 
cinq aspirées : tch, kfi, tJi, ph, h. — Les quatre consonnes k, t, 
s, p, sont quelquefois doublées pour indi(|uer un son plus sec, 
plus incisif que celui de la consonne simple. 
La composition et la valeur des diphthongues est indiquée 
uaiis le tableau. Nous remarquerons seulement qu'en coréen le 
son <•' é (fermé) ou è (ouvert) ne peut s'écrire que par une 
diph'ui . ::''e. 
Toui' i s voyelles ou diphthongues peuvent commencer ou 
finir une ..^. ;labe. Toutes les consonnes, excepté ng, peuvent 
I.XXX INTRODUCTION. 
également corniiiencer une syllabe, mais les huit premières seu- 
lement peuvent la terminer, c'est-à-dire que jamais une syllabe 
ou un mot ne peut finir par ts ou par l'une des lettres aspirées. 
Les sons qui manquent en coréen sont : pour les voyelles. Vu 
français, quoique le son d'une des dipbthongues s'en rapproche 
un peu ; pour les consonnes : b, g dur, /", v, j, ch, cZ, z. Quel- 
quefois k prend le son de g dur, -w et p prennent le son de 6, 
mais les Coréens ne peuvent pas prononcer les autres lettres. De 
même, quoiqu'ils prononcent très-bien r entre deux voyelles , 
ils ne peuvent prononcer cette lettre, ni au commencement d'un 
mot, ni quand elle est jointe immédiatement à une autre con- 
sonne : pour pra, tra, etc., ils seront obligés de dire pira, tira. 
Écriture. — Les lettres coréennes, comme celles de toutes les 
langues, ont deux formes : la forme ordinaire que nous avons 
donnée dans le tableau (pi. II), et qui sert pour les livres impri- 
més (pi. 111), et la forme cursive ou celle de l'écriture cou- 
rante (pi. IV). Les livres imprimés étant d'abord écrits à la 
main, avant d'être décalqués sur une planche, il n'est pas rare 
d'y rencontrer certaines lettres qui s'éloignent de la première 
forme et se rapprochent de la seconde. 
Chaque ligne s'écrit de haut en bas, syllabe sur syllabe, en 
colonne perpendiculaire. on commence â droite de la page. La 
pagination se compte également de droite à gauche, de sorte 
que la fin d'un livre coréen se trouve là où est pour nous le 
commencement. Quand une syllabe commence par une voyelle, 
cette voyelle initiale est toujours précédée du signe o. Les 
voyelles de forme verticale se placent sur la même ligne, k 
droite des consonnes qui les précèdent ; les voyelles de forme 
horizontale se placent dessous (pi. II). Ainsi on écrira ka, kiu, 
'o [ko], ,*„(/tWu). Si la syllabe se termine par une consonne, cette 
consonne s'écrit toujours au dessous de la voyelle précédente : 
;[ap)\"[kak),r{pat)... 
— Le coréen pourrait aussi s'écrire sur une ligne horizontale, de droite 
à gauche, syllabe par syllabe, comme ou le voit, planche 1, pour les mots 
coréens de deux syllabes. Mais ce système n'est Jamais employé dans un 
livre purement coréen. Les missionnaires et les chrétiens, pour correspondre 
entre eux avec sécurité, s'écrivent en lignes horizontales. Lors même que 
leurs lettres seraient interceptées, les païens, habitués à lire de haut en 
bas, n'y verraient qu'une succession de syllabes incohérentes. 
Il n'y a pas, en coréen, de signes de ponctuation : virgule, 
point, deux-points, etc.. nous verrons plus loin comment on y 
supplée. 
Le signe abréviatif (pi. II) indique qu'il faut répéter la 
INTRODUCTION, LXVII 
6" Le sam-mo-tsang ou incisions faites avec une hache ou 
cognée en bois qui enlève des tranches de chair. 
Etc.. etc.. 
L'application plus ou moins longue et plus ou moins cruelle 
de ces diverses tortures, est entièrement laissée au caprice des 
juges, qui souvent, surtout quand il s'agit de chrétiens empri- 
sonnés pour cause de religion, se livrent à des excès de rage, et 
inventent des raftinements de barbarie, à faire frémir la nature. 
Il est rare qu'après un interrogatoire suivi de pareilles tortures, 
le patient puisse se traîner ; les bourreaux le ramassent sur deux 
bâtons, et le portent, bras et jambes pendants, à la prison. Quand 
un accusé est reconnu coupable, et que malgré les supplices il 
refuse de confesser sa faute, le juge compétent porte la sentence 
de mort, et à dater de ce moment, il est défendu de le torturer 
davantage. La loi exige que le condamné, avant de subir sa sen- 
tence, la signe de sa propre main pour reconnaître la justice du 
châtiment qui lui est infligé. Les martyrs ont souvent refusé de 
signer, parce que la formule officielle de condamnation portait 
ces mots ou d'autres analogues : coupable d'avoir suivi une reli- 
gion fausse, une superstition nouvelle et odieuse, etc.. « Notre 
religion est la seule vraie, disaient-ils, nous ne pouvons attester 
qu'elle est fausse. » En pareil cas, on leur prenait la main, et on 
les faisait signer de force. 
Quand le condamné à mort est un grand dignitaire, sa sentence 
s'exécute en secret, par le poison. Généralement, on fait entrer 
la victime dans une chambre extraordinairement chauffée, on lui 
donne une forte dose d'arsenic, et il meurt en peu de temps. 
Tous les autres coupables sont mis à mort publiquement. 
Il y a trois sortes d'exécutions solennelles : 
La première est l'exécution militaire, nommée koun-moun- 
hio-siou. Elle se fait dans un lieu spécial, h Sai-nam-to, h dix lys 
de la capitale. Cet endroit est quelquefois aussi appelé No-toul, 
du nom d'un village qui se trouve non loin delà, sur les bords 
du fleuve. Le condamné y est porté sur une litière en paille. 
L'exécution doit être présidée par le général commandant l'un 
des grands établissements militaires de la capitale. Les troupes 
commencent par faire autour du patient une série de manœuvres 
et d'évolutions ; puis on lui barbouille le visage de chaux, on lui 
lie les bras derrière le dos, et, lui passant un bâton sous les 
épaules, on le promène à diverses reprises autour du lieu du sup- 
plice. Ensuite, on hisse un drapeau au sommet d'un mât, et on 
lit à haute voix la sentence avec tous ses considérants. Enfin on 
LXVIIl INTRODUCTION. 
passe une flèche, la pointe en haut, dans chaque oreille repliée ; 
on dépouille le condamné de ses vêtements jusqu'à la ceinture, 
et les soldats, courant et gesticulant autour de lui, le sabre à la 
main, font voler sa tête. 
La deuxième espèce d'exécution publique, est celle des coupa- 
bles ordinaires. Elle a lieu en dehors de la petite porte de l'Ouest. 
Au moment voulu, on amène devant la prison une charrette au 
milieu de laquelle est dressée une croix de six pieds ou six pieds 
et demi de haut. Le bourreau entre dans le cachot, charge le 
condamné sur ses épaules, et vient l'attacher à la croix par les 
bras et les cheveux, les pieds reposant sur un escabeau. Quand 
le convoi arrive à la porte de l'Ouest, où commence une pente 
très-rapide, le bourreau enlève l'escabeau par un mouvement 
subit, et le conducteur pique les bœufs qui se précipitent sur la 
descente. Comme le chemin est raboteux et rempli de pierres, la 
charrette fait des cahots terribles, et le patient, n'étant plus sou- 
tenu que par les cheveux et les bras, reçoit à droite et à gauche 
des mouvements saccadés qui le font horriblement souffrir. Arrivé 
au lieu de l'exécution, on le dépouille de ses habits, le bourreau 
le fait agenouiller, lui place un billot sous le menton, et lui 
tranche la tête. D'après la loi, un général devrait accompagner 
le cortège, mais il est rare qu'il se rende jusqu'au lieu de l'exé- 
cution. Quelquefois, quand il s'agit d'un coupable dangereux et 
que les ordres de la cour pressent, on ne remplit pas les forma- 
lités habituelles, et l'exécution à lieu à l'intérieur de la ville près 
de la porte de l'Ouest. 
Pour les rebelles et les criminels de lèse-majesté, il y a une 
troisième espèce d'exécution publique. Tout sepasse comme nous 
venons de le dire; mais après que la tète est séparée du tronc, on 
coupe les quatre membres, qui, avec la tête et le tronc, forment 
six nioi'ceaux. Autrefois on ne se servait pas de la hache ou du 
sabre pour enlever les membres ; on les attachait à quatre bœufs 
qui, aiguillonnés en sens contraire, écartelaient le corps du 
décapité. 
L'exécution militaire n'a lieu qu'à la capitale, les deux autres 
se font aussi dans les provinces, avec cette différence que les 
patients sont conduits au lieu du supplice sans croix ni char- 
rette. 
Habituellement les corps des suppliciés sont rendus à leurs 
familles, et quand plusieurs sont exécutés à la fois, on attache au 
corps de chacun des plaques de métal ou d'autres signes parti- 
culiers pour les faire reconnaître. Quelquefois on les enterre en 
nTHODUCTlON. LXIX 
secret, sans marque aucune, dans des lieux écartés, afin qu'il 
soit impossible de les retrouver. Qunt reçu leur diplôme dans une 
de ces langues, ils ne peuvent plus concourir pour une autre. 
Il y a toujours un certain nombre d'interprètes avec l'ambassade 
de Chine. Pour celle du Japon, qui depuis longtemps a perdu 
de son importance, c'est un interprète qui fait lui-même l'office 
d'ambassadeur. De plus, un autre interprète, qui a le titre de 
houn-to, réside continuellement à Tong-naï, dans le voisinage 
du poste japonais de Fousan-kaï, pour les rapports habituels 
entre les deux peuples. 
2" Le Koan-sang-kam, ou École des sciences, subdivisé en 
LXXVI INTRODUCTION. 
trois branches, où Ton étudie séparément l'astronomie, la géo- 
scopie, et l'art de choisir les jours favorables. Cette école n'est 
que pour le service du roi. 
S- L'Ei-sa ou École de médecine. Il y a deux subdivisions 
suivant que les étudiants se destinent au service du palais ou au 
service du public. En fait cependant, les médecins sortis de 
l'une ou de l'autre sont également admis au palais, et promus 
aux emplois officiels. 
i" Le Sa-tsa-koan ou École des chartes, dont les élèves sont 
employés à la conservation des archives, et à la rédaction des 
rapports officiels que le gouverment envoie à Péking. 
5" Le To-hoa-se ou École de dessin, pour les cartes et plans, 
et surtout pour les portraits des rois. 
6° Le Nioul-hak ou École de droit. Cet établissement est 
annexé au tribunal descrinies. on y étudie surtout le code pénal, 
et ses employés servent dans certains tribunaux pour indiquer 
aux juges la nature exacte des peines portées par la loi, dans tel 
ou tel cas, d'après les conclusions de la procédure. 
7° Le Kiei-sa ou École de calcul, d'où sortent les commis du 
ministère des finances. Outre les comptes habituels de recettes et 
de dépenses, ils sont chargés d'évaluer les frais présumés des 
divers travaux publics, et quelquefois même de présider à leur 
exécution. 
8° Le Hem-nou-koan ou École de l'horloge. C'est là qu'on 
prend les directeurs et surveillants de l'horloge du gouvernement, 
la seule qu'il y ail en Corée. C'est une machine hydraulique qui 
mesure le temps, en laissant tomber des gouttes d'eau à intervalles 
égaux. 

on compte aussi souvent comme faisant partie de la classe 
moyenne les musiciens du palais, mais c'est à tort. Ces musi- 
ciens forment un corps à pan, et d'une condition un peu infé- 
rieure. 
p. Lxxvn. 
PLANCHE 1 
Ce hiiliciu est la. piemiérti pcide du livi-e^ 
chmois Tch.ouen-\y ,lel au'il s'ejnvlûie dana les 
écoL&s vi-miéuras de Lovée voar cnsew'ner le chi- 
nois AUX enlcinh ûoiis cJidaue cdrdctâe se trou.- 
venl : â droite, sa. prononciation en htln'S coréennes. 
HISTOIIfE DE LEGLISE DE COI^ËE /ntn>,/yii-/um y// 
P. LXXV/i 
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PLANCHE 1. 
Ce b3j>le<îu est hî. pi dmtè'ti pèu)e du Uvrt^ 
chniois Tchovtn-iy .lel au'd J'em/jloïc dcim les 
écoUi printcures de Corée puur t'nseioner le en:- 
nuis AUX enLnls Soiis chcUjiu- carictâe se îrtiiL- 
venl d droite, sa vrononcialwn en leUres coréennes, 
d ôciuche , h mol coréen qui en Irddad le sens 
VII. 
La langue coréenne. 
Tous les examens dont nous venons de parler se font en chi- 
nois, et n'ont pour objet que les caractères et les livres chinois. 
Dans les huit grandes écoles du gouvernement, on n'étudie que la 
littérature et les sciences chinoises, tandis que la langue nalio- 
nale est négligée et méprisée. Ce fait étrange s'explique par 
l'histoire du pays. Depuis plus de deux siècles, la Corée est telle- 
ment inféodée à la Chine, que le chinois est devenu la langue 
officielle du gouvernement et de la haute société coréenne. Tous 
les employés du pouvoir doivent écrire leurs rapports en chinois. 
Les annales du roi et du royaume, les proclamations, les édils 
des mandarins, les jugements des tribunaux, les livres de science, 
les inscriptions sur les monuments, les correspondances, les 
registres et livres de compte des négociants, les enseignes des 
boutiques, etc., tout est en caractères chinois. 
Aussi, non-seulement les lettrés et les personnes instruites, 
mais un grand nombre de gens du peuple savent lire et écrire 
ces caractères. on les enseigne dans les familles, dans les écoles, 
et pour les enfants des nobles surtout, on peut dire que c'est 
leur seule élude. Il n'y a pas de dictionnaires coréens, de sorte 
que pour comprendre un mot coréen dont on ignore le sens, il 
faut connaître le caractère chinois correspondant, ou s'adresser 
à quelqu'un qui le connaisse. En Chine, les livres où les enfants 
commencent à apprendre les caractères sont imprimés en types 
très-gros, comme nos abécédaires. Le plus souvent, on étudie 
d'abord le Tchoùen-ly ou livre des mille caractères, qui date des 
empereurs Tsin et Hàn. En Corée on se sert des mêmes livres, 
seulement, sous chaque caractère chinois se trouvent : à droite, 
sa prononciation à la manière coréenne ; à gauche, le mot coréen 
correspondant. La planche I, ci-jointe, est la reproduction de la 
première page du Tchouèn-ly, tel qu'il est employé dans les 
écoles primaires coréennes. 
La façon dont les Coréens prononcent le chinois en fait, pour 
ainsi dire, une langue à part. Du reste, on sait que, même en 
LXXVm INTRODUCTION. 
Chine, les liabitants des diverses provinces ont une manière très- 
différente de parler leur langue. Les caractères sont les mêmes 
et ont le même sens pour tous, mais leur prononciation varie 
tellement que les habitants du Fokien, par exemple, ou de 
Canton, ne sont compris dans aucune autre province. Il n'y a 
donc pas lieu de s'étonner que le chinois des Coréens soit 
incompréhensible aux habitants du Céleste-Empire, et que les 
deux peuples ne puissent ordinairement converser que par écrit, 
en dessinant les caractères sur le papier avec un pinceau, ou 
dans la paume de la main avec le doigt. 
Avant que la conquête chinoise eût amené l'état actuel des 
choses, les Coréens ont-ils eu une littérature nationale? et qu'é- 
tait celte littérature? La question est très-difficile à résoudre, 
car les anciens livres coréens, tombés dans un oubli complet, 
ont presque tous disparu. Pendant les longues années de son 
apostolat, Mgr Daveluy était parvenu à en recueillir quelques-uns 
excessivement curieux, ils ont péri dans un incendie. Aujour- 
d'hui, on n'écrit presque plus de nouveaux livres. Quelques 
romans, quelques recueils de poésie, des histoires pourles enfants 
et les femmes, c'est à peu près tout. 
Les enfants apprennent h lire le coréen, sans s'en douter pour 
ainsi dire, parla traduction qui est donnée dans les livres élé- 
mentaires où ils étudient le chinois; mais ils ne reconnaissent 
les syllabes que par habitude, car ils ne savent pas épeler, ou 
décomposer ces syllabes en lettres distinctes. Les femmes, les 
gens de basse condition qui n'ont pas le moyen ou le temps 
d'apprendre les caractères chinois, sont forcés d'étudier les lettres 
coréennes; ils s'en servent pour leur correspondance, leurs livres 
de compte, etc.. Tous les livres de religion imprimés par les 
missionnaires .sont en caractères coréens. Aussi presque tous les 
chrétiens savent lire et écrire leur langue, eu lettres aphabéti- 
ques, que les enfants apprennent très-rapidement. 
Cette rareté des livres coréens, le peu de cas que les lettrés font 
de leur langue nationale, et surtout la législation barbare qui 
interdit l'accès du pays atout étranger, sous peine de mort, sont 
cause que la langue coréenne est complètement ignorée des 
orientalistes. Depuis bientôt quarante ans, il y a des mission- 
naires français en Corée ; seuls, de tous les peuples, ils ont vécu 
dans le pays, parlant et écrivant cette langue pendant de longues 
années. Et néanmoins, chose étrange ! jamais aucun savant n'a 
songé à s'adresser à eux pour avoir, à ce sujet, les notions 
exactes que seuls ils pouvaient communiquer. Il n'entre pas dans 
f 
asa.UU -U à n 
HISTOIIÎE DE L' 
ÉGLISE DE COI^ÉE Infro(ùic/iau V// 
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PLANCHE H 
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ALPHABET 
COI^ÉEN 
Voyelles 
_ Diplilhcnôues 
Consonnes. 
Siôiies pdrlicaliors 
l._ o ciiii s'écrit aussi A Le swne ,mu 
j 
forme. 
^ 
Valeai- , 
.... ,_. -^ 
Forme Composilion , Valeur 
Tbrme Valeur 
t- 
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ne se prononce p.=is . sert seulement  
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ousidner Ul ruyelle oui commence une 
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Id. consonne finrile pctr Ici pU-ce au' iL 
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occupe Oj ivd, se pLice lûiijours Sous 
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M voyelle au'd Accompeiçne ^ Exemple: 
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on. 
_»J ou . û oueu , ûiw 
/ S.t ijeimaU Z) 
\ '^"É > -^ "'i. ^^oun^.ctc. 
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Jl ou , . i oue , ouei 
C nô i^ï""'""'""'*;^/'" 
O 
Jje sidne rnilieil o ^ du conlrcure , se 
1 
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■ 1 mi , i oiu. 
% tch 
met a, (/,-iiiche des voyelles verlictiles. 
et ciu- dessus des royeiles JiorizontMes 
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i 
__J lOlL , i lui 
^ ea , i eue 
^ kh 
Ix : ■' „ 
j -L. , .> ; ^ , ou , Ji , eu 
'•^Vcins 
ces différentes voyelles , l\ est 
^\ 3. , i è 
iL p^ {p e,p,„ .„i,n pas f ) 
5! _ V ^ siifne d'cihrévuihon jndiouc aiie 
â. peine 
primonc 
sensMe , et les deux lettres se 
■^ h 
M, syllabe précédente doit se repéter 
'Ti î pctr une seule émission de reùx . 
W Comme cUns roi .loi . 
Obsei'vahons 
Les oiidlre arnsomies ^ , t, , y^ ^ U , se redoublent 
C devant ou ciprês ^ se pvononct 
l 
jnelquefoLS poui- produire un son plus sec j plus incisif on 
g entre deux voyelles se prononce r .- 
Au cannnencenientdes 
induiue ce redoublement j soit en les écrivevnt deux- fais : 
mots , se prononce n 
^y , T-X. , A A ^ o U ; ■'oit en les feiisunt précéder de Lt 
/^ devant c se prononce Ti . devdnt 
t , se prononce X ^ 
Lttre. / , /.y,^r^,^y 
A U lin des sylUhes ou des mots , Ioujout 
.. f . 
L'euphonie exige divers chciiiOewents de prononciation: 
Z, devant Us royellts:ta„iô, w ^ loiv , se proi 

once \s ou Ij . 
'y devant C- se prononce nO . 
O, suivi d'une voyelle non aspirée . se pro 
^onœ gn. 
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p. LXXX 
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Ca/uc/ères- ordémjures'j 
HISTOII^E DE L'ÉGLISE DE COf^É E /nfrm^M/ion /// 
PLANCHE III 
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L'AVE MAl^IA 
en Coi'éen 
(Carac/ère^ curj-i^/sj 
INTRODUCTION. LXV 
courageusement confessé la foi dans les autres tortures, se 
laissèrent vaincre par celle-ci. Deux fois par jour on leur don- 
nait une petite écuelle de millet, de la grosseur du poing. Ils 
furent réduits à dévorer la paille pourrie sur laquelle ils étaient 
couchés, et enfin, chose horrible à dire, ils mangèrent laver- 
mine dont la prison était tellement remplie qu'ils la prenaient 
h poignées. » Il est juste de remarquer que Mgr Daveluy parle 
ici des prisons telles qu'elles sont pour les chrétiens en temps 
de persécution, et ce serait une exagération d'appliquer ses 
paroles à toutes les prisons coréennes, et à toutes les époques. 
Néanmoins, un fait hors de doute, c'est que tous les accusés, 
païens aussi bien que chrétiens, redoutent plus la prison que les 
tortures. 
Ces tortures cependant sont quelque chose d'affreux. Le roi 
leng-tsong, qui mourut en 1776, en abolit un grand nombre, 
entre autres l'écrasement des genoux, l'application du fer rouge 
sur diverses parties du corps, l'écartement des os sur le haut du 
mollet, etc.. Il défendit aussi de marquer les voleurs sur le 
front. Pendant les persécutions, et surtout en 1839, les satellites 
livrés à eux-mêmes ont employé contre les chrétiens plusieurs 
de ces supplices prohibés. D'ailleurs, il en reste bien assez 
d'autres autorisés par la loi et par l'usage journalier des tribu- 
naux. Voici les principaux : 
1° La planche (tsi-to-kon). on fait coucher le patient par 
terre sur le ventre, et un homme robuste saisit une planche de 
chêne très-dur, et le frappe avec force sur les jambes au-dessous 
du jarret. Cette planche est longue de quatre ou cinq pieds, 
large de six à sept pouces, épaisse d'un pouce et demi, et l'une 
de ses extrémités est taillée pour servir de manche. Après quel- 
ques coups, le sang jaillit, les chairs se détachent et volent en 
Nmbeaux, et au dixième ou douzième coup, la planche résonne 
les os nus. Plusieurs chrétiens ont reçu jusqu'à soixante 
de planche dans un seul interrogatoire. 
règle, les verges et les bâtons (ieng-lsang). La règle est 
chette longue de trois pieds, large de deux pouces, ayant 
lignes seulement d'épaisseur, avec laquelle on frappe 
t sur le devant de la jambe. Le chiffre ordinaire des 
fixé à trente par interrogatoire, et comme l'exécuteur 
lue coup casser la règle, il y en a toujours trente de 
'ir chaque accusé. — Les verges sont entrelacées 
ensemble, et forment des cordes avec lesquelles 
''^nt, mis à nu, sur tous les membres. — Les 
>E COKÉE. C 
XVI INTRODUCTION. 
bâtons sont de la taille d'un homme et plus gros que le bras. 
Quatre valets entourant l'accusé, le frappent tous à la fois de la 
pointe, dans les hanches et sur les cuisses. 
3^ La dislocation et la courbure des os (tsouroi-tsil). on en 
distingue trois espèces. Le kasai-tsouroi qui consiste à lier forte- 
ment ensemble les deux genoux et les gros doigts des deux 
pieds, et à passer dans l'intervalle deux bâtons que l'on tire 
en sens contraire jusqu'à ce que les os se courbent en arc, après 
quoi on les laisse revenir lentement à leur position naturelle. Le 
tsoul-tsouroi diffère du précédent en ce qu'on lie d'abord ensem- 
ble les doigts des deux pieds, puis on place entre les jambes 
une grosse pièce de bois, et deux hommes tirant en sens contraire 
des cordes attachées à chaque genou, les rapprochent peu à peu 
jusqu'à les faire toucher. Le pal-tsouroi est la dislocation des bras. 
on les attache derrière le dos l'un contre l'autre jusqu'au-dessus 
du coude, puis avec deux gros bâtons qu'on emploie comme 
leviers, on force les épaules à se rapprocher. Après quoi l'exécu- 
teur délie les bras, et, appuyant un pied sur la poitrine, les 
ramène à lui pour remettre les os à leur place. Quand les bour- 
reaux sont habiles, ils savent comprimer les os de façon à les 
faire seulement ployer, mais s'ils sont novices et inexpérimentés, 
les os se rompent au premier coup, et la moelle s'en échappe 
avec le sang. 
4° La suspension (hap-tsoum). on dépouille le patient de tous 
ses vêtements, on lui attache les mains derrière le dos, et on le 
suspend en l'air par les bras ; puis quatre hommes se relèvent 
pour le frapper tour à tour à coups de rotin. Au bout de quelques 
minutes, la langue couverte d'écume pend hors de la bouche, le 
visage prend une couleur violet sombre, et la mort suivrait 
immédiatement si l'on ne descendait la victime, pour la laisser 
reposer quelques instants, après quoi on recommence. Le isou- 
tsang-tsil est une autre espèce de suspension dans laquelle le 
patient est attaché en haut par les cheveux, et agenouillé sur 
des fragments de pots cassés, tandis que les satellites placés 
de chaque côté, lui frappent les jambes à coups de bâton. 
5'' Le top-tsil où sciage des jambes. Avec une corde de crin 
on serre la cuisse, et deux hommes tenant chacun un bout de cette 
corde, la tirent et la laissent aller alternativement jusqu'à 
qu'elle soit parvenue à l'os en rongeant les chairs. Aprè= ,'j-'i 
on recommence un peu plus haut ou un peu plus bas. D'autres 
fois le sciage se fait avec un bâton triangulaire sur le '' r' vf^ 
jambes. 
INTRODUCTION. LXXXI 
syllabe superposée. S'il est écrit deux ou trois t'ois, c'est qu'il 
faut répéter les deux ou les trois syllabes précédentes. 
Certaines lois euphoniques font modifier le son de telle ou telle 
finale devant telle ou telle initiale. Le plus souvent on n'écrit pas 
ces changements. Quelquefois cependant ils passent dans l'écri- 
ture. Par exemple: l finale se trouvant presque toujours élidée, 
dans la prononciation, devant une consonne initiale, il n'est pas 
rare qu'on se permette de la supprimer en écrivant. 
Prononciation. — Nulle règle écrite ne peut enseigner la pro- 
nonciation exacte d'une langue étrangère. Cet axiome est vrai 
surtout pour la langue coréenne, à cause des voyelles indétermi- 
nées 0, eu, a, qui représentent toutes les nuances de son, depuis 
notre emuet, en passant par eu fermé (comme dans peu), par ew 
ouvert (comme dans peur), jusqu'à Va ouvert (comme dans o?-). 
Ces voyelles se prennent aisément, en certains cas, l'une pour 
l'autre, et les Coréens eux-mêmes s'y trompent. 
Il y a des voyelles et des diphthongues brèves et longues. 
L'usage seul peut les faire reconnaître, car aucun signe particu- 
lier ne les distingue dans l'écriture. 
La consonne Ij ou ts a été quelquefois traduite par dj ou tch. 
En fait, elle a une valeur mitoyenne entre ces diverses pronon- 
ciations, et ne peut être représentée exactement par aucune. 
Les consonnes désignées dans le tableau sous le nom d'aspt- 
reW devraient plutôt s'appeler ea:;pf>ees. Le terme adéquat serait : 
consonnes crachées, car le son que produit un gosier coréen en 
les prononçant ressemble à celui de l'expectoration. 
Pour plus de détails, voir la planche H. 
§ 2. — Grammaire (parties du discours). 
Noms, déclinaisons. — Il y a en coréen un très-grand nombre 
de substantifs monosyllabiques. Exemple : kho, nez ; ip, bouche ; 
noun, œil ; ni, dent ; moun, porte ; kat, chapeau ; piôk, mur, etc. 
La plupart sont de deux syllabes. Exemples : saràm, homme ; 
nima, front ; sàtjd, lion ; kitong, colonne, etc. — Ceux de trois 
syllabes et plus sont presque toujours des noms composés. 
Les mots chinois abondent dans la langue coréenne. Le peuple 
des campagnes s'en sert assez peu, mais les savants, les habi- 
tants des villes et surtout ceux de la capitale, les emploient avec 
profusion. Ces mots suivent les règles ordinaires de la gram- 
maire coréenne. 
Les substantifs n'ont pas de genre. on indique la différence 
T. 1. — l'Église de corée. f 
LXXXII INTRODUCTION. 
des sexes par des noms différents ; ou bien on met les mots : 
siou, mâle ; am, femelle, devant le nom de l'espèce. Les petits 
des animaux se désignent, suivant Tespèce, parles mois sakki, 
atji, etc., ajoutés au nom ordinaire, i 
Les noms de métiers, professions, etc. , se forment avec la par- 
ticule A-oun qui correspond à la terminaison latine ato7\ Ex. : il, 
ouwage Jl-koun, ouvrier; namou, bois ; namou-koun, bûcheron ; 
tjim, faix, tjim-koun, portefaix ; norom, jeu, norom-koun, joueur. 
Le coréen étant une des langues qu'on nomme agglutinatives 
pour les distinguer des langues à flexions, n'a qu'une seule 
déclinaison. Elle est formée de neuf cas, ou, si l'on veut, de dix. 
En effet, par une particularité assez bizarre, le nominatif a une 
terminaison spéciale qui le distingue du nom pur et simple. 
Voici les terminaisons des différents cas : 
le, la, quidam. 
par, çwo, quâ. 
de, du, de la. 
à, au, à la. 
le, la. 
ô. 
en, sur, m, ubi. 
de, ex, ab, unde. 
quant à. 
Ces divers cas s'ajoutent au radical du nom de la manière 
suivante : 
Lorsque le nom se termine par une voyelle, on insère avant la 
terminaison de l'accusatif, la lettre euphonique r ; avant celle 
du vocatif, la lettre i\ avant celle du déterminatif, la lettre n, et 
ce dernier cas s'écrit alors nân au lieu de neun., les deux sons 
étant presque identiques. Ex.: 
sio, bœuf. 
Nominatif : sio-i, le bœuf. 
Instrumental : sio-ro, par le bœuf. 
Génitif: sio-eué, du bœuf. 
Datif : sio-éké, au bœuf. 
Accusatif: sio-(?')-eM/, le bœuf. 
Vocatif : sio-{i)-a^ ô bœuf. 
Locatif : sio-é, dans, sur le bœuf. 
Ablatif: sio-ésiô, du bœuf. 
Déterminatif : .sio-{n)-ân, quant au bœuf. 
Aû/a. — 1° Si la voyelle finale est / ou l'une des dlphthongues formées 
Nominatif : 
h 
Instrumental : 
ro,^ 
Génitif: 
eue. 
Datif: 
éké. 
Accusatif : 
eul. 
Vocatif : 
0, 
Locatif : 
e. 
Ablatif: 
ésiô. 
Déterminatif: 
eun. 
INTRODUCTION. 
I.XXXIII 
par /, on n'ajoute pas la terminaison du nominatif, qui, en ce cas, n'est que 
le nom pur et simple. 
2' Souvent les mots terminés en a insèrent entre cette finale et les termi- 
naisons casuelles la consonne /( euphonique. Ils se déclinent alors comme 
les mots terminés par une consonne, excepté pour le vocatif dans lequel Vh 
disparait, et le vocatif devient {i)-a, selon la règle ordinaire. 
3° Les noms terminés par une voyelle, font quelquefois leur nominatif en 
ajoutant ka au lieu de i, les autres cas restant les mêmes. 
Lorsque le nom se termine par une consonne autre que /, on 
insère avant la terminaison de l'instrumental la lettre eupho- 
nique eu. Ex. : 
saràm, 
Nominatif : saràm-i. 
Instrumental : saràm-{eu)-ro, 
Génitif : saràm-eué, 
Datif : saràm-éké, 
Accusatif : saràm-eul, 
Vocatif : saràm-a, 
Locatif : saràm-é, 
Ablatif: saràm-esiô, 
Déterminatif : saràm-eun, 
homme. 
l'homme. 
par l'homme. 
(le l'homme. 
à l'homme. 
l'homme. 
ô homme. 
dans, sur l'homme. 
de l'homme. 
quant à l'homme. 
Nota. — 1» Les mots terminés en ng, insèrent quelquefois un h euphoni- 
que avant les terminaisons casuelles, excepté au vocatif. Avec Yh eupho- 
nique le datil est indifféremment héké ou. heuéké, l'ablatif hésiô ou heuésiô. 
2° Le plus grand nombre des mots terminés en s et quelques-uns terminés 
en p, insèrent un s ou Is euphonique avant les terminaisons des cas autres 
que le vocatif, ce qui entraîne certains changements euphoniques : inst. (i-â)- 
ro, dat. {s)-èké, accus. {s)-àl, etc.. 
Lorsque le mot se termine par la consonne /, la terminaison 
7*0 de l'instrumental devient par affinité lo. Ex. : 
pal, pied. 
Nominatif : pal-i, le pied (pron. : par-i, v. pi. II, Obs.) 
Instrumental : pal-lo, par, avec le pied. 
Génitif : pal-euê, du pied (prononcez : par-euè). 
etc., etc. 
Le pluriel de tous les mots se forme en ajoutant la terminaison 
teul, et se décline suivant la règle précédente. Ex. : 
Saràm, homme, saràm-teul, les hommes, sarâm-teul-i , 
saràm-teul-lo , saràm- teul- eue, saràm-teul-éké, etc. (Prononcez : 
saràm-teur-i, saràm-teur-euè, saràm-teur-èkè^ etc.} 
Deux remarques compléteront cet exposé des règles de la 
déclinaison coréenne. 1° Dans un certain nombre de mots ter- 
minés soit par une consonne, soit par une voyelle, l'usage a rem- 
placé la terminaison èkè du datif, par la contraction kké. 2° En 
LXXXIV INTRODUCTION. 
coréen, comme dans la plupart des langues agglutinalives, on 
indique certaines nuances de signification, en surajoutant les 
unes aux autres les terminaisons de divers cas. Ainsi on ren- 
contre les terminaisons composées : ké-ro (dat. instr.), kè-ro-siô 
(dat. instr. abl.), etc. 
Adjectifs. — En coréen, il n'y a pas d'adjectifs proprement 
dits. on les remplace par des substantifs ou par des verbes. 
Quand un adjectif indique la matière d'un objet, sa nature, 
son essence distincte, et qu'il peut, en français, se remplacer par 
un nom au génitif, comme dans les expressions : âme humaine 
(d'homme), brise frintanière (de printemps), cet adjectif se 
rend en coréen par un substantif que l'on place avant le nom 
qualifié. 
Exemples : langue coréenne, tsio-siôn-mal (Corée-langage) ; 
l'oreille humaine, saràm-koui (homme-oreille). Le premier 
substantif reste toujours invariable, et le second seul se décline. 
Les adjectifs qualificatifs, comme: hon^^grand, puissant, sont 
remplacés par des verbes, de la manière suivante. Si l'adjectif 
est seul avec le substantif, on se sert du participe relatif passé, 
qui se place avant le substantif et demeure invariable. Si, au 
contraire, l'adjectif est l'attribut de la proposition, le verbe se 
met après, au temps voulu. 
Exemple : le verbe neutre kheu-ta signifie : être grand ; son 
participe relatif passé est kheun, qui a été grand, qui est grand. 
Les expressions : une grande maison, de grandes maisons, à une 
grande maison, etc., se diront : kheun tsip, kheun tsip-leul, 
kheun tsip-ékê, etc. Si, au contraire, on veut traduire : la maison 
est grande, la maison sera grande, la maison était grande, on 
dira : tsip-i kheu ta, tsip-i kheu-ket-ta, tsip-i kheu-tôni, etc., 
en conjuguant le verbe kheu-ta dont tsip est le sujet. 

on se sert presque toujours comme adjectif du participe rela- 
tif passé, parce que la qualité existe dans l'objet antérieurement 
à l'affirmation qu'on en fait. Avec les expressions : digne de, 
propre à, probablement, etc., on emploierait le participe relatif 
futur, parce que ces expressions impliquent une nuance de 
fu tu ri té. 
Tous les mots coréens peuvent devenir adjectifs, à l'aide des 
participes du verbe être ou du verbe faire. (Voir divers exemples 
dans le Pa/er et VAve, pi. III, IV.) 
Les participes relatifs employés comme adjectifs, deviennent 
quelquefois de véritables substantifs et se déclinent comme tels. 
INTRODUCTION. LXXXV 
De même que nous disons en français : un égal, les petits, etc., 
on dira en coréen : kàtheun-éké, à un égal ; isiôkeun-eu-ro, par 
un petit, etc. 
Le comparatif s'exprime par les mots : fo, plus, ou toi, moins, 
placés devant Tadjectif (participe ou verbe). Ex. : tô nap-ta, 
être plus haut ; toi peulkeun kôt, la chose moins rouge {litt., 
moins rouge-étant chose). on peut employer aussi le verbe po-ta, 
voir. Ex. : i saràm-i na po-ta kheu-ta, cet homme est plus 
grand que moi {litt. cet homme moi voir être-grand). — Enfin 
po-fa peut s'employer avant les mots to et toi. Ex. : hè tàl 
po-ta tô nop-ta, le soleil est plus haut que la lune (litt. soleil 
lune voir plus être-haut); hè piôl po-ta toi nop-ta, le soleil est 
moins haut que les étoiles. 
Le superlatif relatif se rend par le mot tsioimg-é, entre, 
parmi, qui précède l'adjectif. — Ex. : moteun saràm tsioung-é 
kheu-ta, être le plus grand des hommes {litt. tous hommes entre 
être-grand). 
Le superlatif absolu se forme avec les adverbes tsikeuk-hi, 
très, extrêmement; ontsion-i, entièrement, etc., placés devant 
l'adjectif. Ex. : tsikeuk-hi nop-ta, très-haut {litt. extrêmement 
être-haut). 
Noms de nombre. — La langue coréenne n'a de noms que 
pour les unités et les dizaines. 
I, hàna; 2, toul; 3, sèt; 4, net; 5, tasàt\ 6, iôsat; l,ilkop; 
8, iôtalp ; 9, ahop\ dO, iôl. 
II, îor-/iana (dix-un); 12, iôl-toiil (dix- deux), etc.. 
20, seumoul; 30, siorheun; 40, maheun; -50, souin; 60, 
iésioun; 70, irheun; 80, iôteun; 90, aheun. 
Les noms : cent, mille, dix mille, etc., sont tirés du chinois, 
et quand on les emploie au pluriel, leur nombre doit être 
indiqué par les noms chinois des unités. Ex. : trois cent 
soixante-cinq ans, le mot pèk, cent, étant chinois, on ne peut 
pas employer le mot coréen sèt, trois, et dire sèl-pèk; il faut 
prendre le mot chinois sam, trois, et dire sam-pèk. Ensuite, si le 
nom de la chose comptée est coréen, soixante-cinq se dira en 
coréen ; si ce nom est chinois, soixante-cinq devra être également 
en chinois ; par conséquent, selon qu'on emploiera pour le mot : 
année, l'expression coréenne hè, ou l'expression chinoise niôn, on 
dira : sam-pèk ièsioun-tasàt hè, ou bien sam-pèk-mouk-sip-o 
îiiôn., trois cent soixante-cinq ans. 
Les noms de nombres cardinaux se placent avant le mot dont 
LXXXVI INTRODUCTION. 
ils désignent la quantité. Exemple : seumoul-saràm, vingt 
hommes. 
Ces noms employés seuls peuvent se décliner comme tous les 
autres noms; mais, placés devant un substantif pour le qualifier, 
ils deviennent adjectifs, et par conséquent restent invariables. 
Les nombres ordinaux se forment en ajoutant aux nombres 
cardinaux coréens la terminaison tsè. Ex. : toul-tsè, deuxième ; 
ilkop-tsè^ septième. De même qu'en français on ne dit pas le 
unième, en coréen on ne dit pas hàna-tsè, mais tchiôt-tsè, le 
premier. Les nombres ordinaux chinois s'obtiennent en préfixant 
aux nombres cardinaux le mot tiei. Ex. : tiel-sam, troisième ; 
tiel-sip, dixième ; tiei-pék, centième. Ils s'emploient avec les 
mots chinois, selon la règle expliquée plus haut. 
Les noms de nombres ordinaux précèdent le substantif et sont 
invariables. Employés seuls, ils peuvent se décliner. 
Pronoms. — Le coréen n'a que deux pronoms personnels : na^ 
je, moi; et nô, tu, toi. Comme dans les autres langues de la 
même famille, c'est un des pronoms démonstratifs qui sert pour 
la troisième personne : il, lui. Le plus ordinairement employées! 
tiô, celui-là, celle-là, cela. 
Na et no se déclinent suivant la règle générale. Deux cas seu- 
lement font exception. Le nominatif, qui se forme avec la ter- 
minaison ka, est pour la première personne : nè—ka au lieu de 
na-ka ; pour la seconde : né-ka au lieu de nô-ka. L'instrumental 
de la première personne est nal-lo, celui de la seconde est nôl-lo. 
Enfin, on trouve au datif, outre la forme régulière, les formes con- 
tractées : nè-kké, né-kké. 
Le pluriel de la première personne est : ouri, nous ; celui de 
la seconde : nôheué, vous. on emploie également d'autres plu- 
riels dérivés des précédents : ouri-teul, nous ; nôheuè-teul ^vous. 
Tous ces pluriels se déclinent suivant la règle générale. 
Chez toutes les nations, mais surtout dans les pays asiatiques, l'usage des 
pronoms personnels est restreint par les règles de la politesse. En Corée, un 
homme du peuple, s"adressant à un mandarin, ne s'avisera jamais de dire : 
je ou moi, il dira, en parlant de lui-même: sio-in, petit homme. A plus 
forte raison ne dira-t-il pas à son interlocuteur: tu ou toi; il emploiera le 
titre voulu, comme nous disons nous-mêmes : Votre Excellence, Votre Gran- 
deur, etc.. Mais ce sont là des règles de civilité, et non de grammaire. 
Il n'y a pas de pronoms, ou, si l'on veut, d'adjectifs possessifs ; 
ce sont les pronoms personnels qui en tiennent lieu. iVè, ne, 
uuri, nôheuè, placés devant un substantif, deviennent adjectifs 
par position, et signifient: mon, mien, ton, tien, notre, votre. 
INTRODUCTION. LXXXVII 
II va sans dire qu'ils demeurent alors invariables. Le substantif 
seul se décline et prend, le cas échéant, la marque du pluriel. 

on pourrait également employer le pronom personnel au géni- 
tif, et dire, par exemple : na-eué tsoé, de moi le péché, au lieu de 
nè-tsoè, mon péché. 
Les pronoms et adjectifs démonstratifs sont : i, tiu, heu, tsa, 
pa, qui tous signifient : ce, cet, celui, celle, ceux, celles, ces. 
i désigne les personnes ou les choses rapprochées, et corres- 
pond à : celui-ci, ceci, etc. — tiô s'emploie pour les personnes 
où les choses éloignées, et signifie : celui-là, cela, etc. — keu 
indique la personne ou la chose dont on vient de parler. — tsia 
et pa s'emploient avec les participes relatifs des verbes. Ex. : 
kousiok hàn tsia (salut ayant fait celui), celui qui a sauvé; 
pou-mo sârang hânàn pa (père-mère amour faisant celui), celui 
qui aime ses parents. — tsia se dit des personnes, pa se dit des 
personnes et des choses. 
Tous ces pronoms, quand ils ne sont pas joints à un substantif, 
se déclinent suivant la règle générale. Quand ils précèdent un 
substantif, ils deviennent adjectifs et restent invariables. 
Les pronoms et adjectifs interrogatifs sont : nout, noukou, ({ui ? 
pour les personnes ; mouôt, quoi? pour les choses ; ônà, Ôtlôn, 
quel? pour les personnes et les choses, ônà signifie proprement : 
lequel? d'entre plusieurs {quis) ; ôttôn, quel ? de quelle espèce? 
{qualis). Ex. : ônà saràm inia, quel homme est-ce? ioan-i 
olsieta (Jean être), c'est Jean, ôttôn saràm inia, quel homme 
est-ce? koéak hàn saràm-i olsieta (mal ayant fait, mal faisant 
homme être), c'est un mauvais homme. Ces pronoms se déclinent 
quand ils sont employés comme pronoms, c'est-à-dire isolément. 
Comme adjectifs, ils restent invariables. 
Le pronom réfléchi est tsakeué, soi-même, qui se décline régu- 
lièrement. on emploie aussi tsô, tsè qui se décline comme le 
pronom de la seconde personne nô, ne, etc.. 
Il n'y a pas en coréen de pronoms relatifs, on y supplée par 
les participes relatifs joints aux substantifs ou aux pronoms 
démonstratifs, comme nous venons de le voir. 
Verbes^ conjugaison. — Il y a, en coréen, des verbes actifs et 
des verbes neutres, mais ces dénominations n'ont pas exactement 
le même sens que dans nos langues. Un verbe actif, en coréen, 
est celui qui exprime une action, qu'elle soit faite ou reçue par le 
sujet, qu'elle se passe en lui ou hors de lui ; ce qui inclut les 
verbes transitifs, intransitifs et passifs de nos grammaires. Faire, 
LXXXVIII INTRODUCTION. 
pâtir, dormir, sont des verbes actifs. Les verbes neutres, qui 
seraient peut-être mieux nommés verbes qualificatifs ou verbes 
adjectifs, sont ceux qui expriment une qualité ou une manière 
d'être : être grand, être beau, etc. . . 
Il suit de là que les verbes coréens n'ont pas de voix passive. 
on y supplée par les divers modes du verbe actif, surtout par 
les participes relatifs, ou bien par une inversion dans la cons- 
truction de la phrase. 
En revanche, les verbes coréens comptent au moins sept voix 
différentes. Outre la voix active ou verbe affirmatif, il y a le 
verbe éventuel, le verbe interrogatif, le verbe négatif, le verbe 
honorifique, le verbe causatif, le verbe motivant, etc.. 
Comme plusieurs autres langues de la même famille, le coréen 
a deux verbes substantifs : it-ta, qui signifie l'existence pure et 
simple, et il-ta, qui signifie l'essence, la nature du sujet, it-ta 
veut dire : exister; il-ta veut dire : être telle chose. 
Les verbes composés sont excessivement nombreux. Ils se 
forment par l'union d'un substantif et d'un verbe, ou de deux 
verbes ensemble. — Tous les noms peuvent devenir des verbes 
par l'addition du verbe il-ta, être : homme-être, père-être, etc. ; 
ou du verbe hà-ta, faire : travail-faire (travailler), joie-faire 
(se réjouir), etc. — Quand deux verbes se joignent, le premier est 
au participe passé verbal, ou gérondif passé, et le second seul 
se conjugue. C'est de cette manière que la langue coréenne 
supplée à ces prépositions qui jouent un si grand rôle dans les 
verbes de nos langues. Ex. : apporter se traduira par les verbes 
prendre et venir : ayant pris, viens (apporte) ; emporter se 
construira de la même manière : ayant pris, va (emporte). 
La conjugaison coréenne est d'une simplicité toute primitive. 
Il n'y a ni nombres, ni personnes. La même expression signifie : 
je fais, lu fais, il fait, nous faisons, vous faites, ils font. Si le 
sens de la phrase ne suffit pas pour indiquer le sujet, on fait pré- 
céder le verbe d'un pronom personnel. — Les modes sont : l'in- 
dicatif, l'impératif, l'infinitif et les participes. Il n'y a pas de 
subjonctif ou optatif. 
Dans chaque forme du verbe, il faut distinguer trois choses : 
la racine, le signe du temps, la terminaison. — La racine, ou 
le radical du verbe, indique purement et simplement l'état ou 
l'action que signifie le verbe. Elle est par conséquent immuable. 
— Le signe du temps indique si cet état ou cette action a eu 
lieu auparavant, a lieu maintenant, ou aura lieu plus tard. — 
La terminaison marque la différence entre les temps principaux 
INTRODUCTION. LXXXIX 
et les temps secondaires. Elle change ordinairement avec les 
diverses voix des verbes. 
Les radicaux coréens sont de deux espèces : ceux qui rendent 
aspirée la consonne qui les suit immédiatement, et ceux, beau- 
coup plus nombreux, qui n'exigent pas cette aspiration. La ter- 
minaison de l'infinitif, qui est ta dans ces derniers, devient, dans 
les premiers, tha. Ex. : hà-ta, faire ; no-tha, lâcher. 
Les signes de temps n'étant autres que les participes verbaux, 
il importe, avant tout, de bien déterminer ce que sont ces parti- 
cipes, et de les distinguer des participes relatifs. Dans nos lan- 
gues, le même mot joue les deux rôles; nous disons : dominant 
sa colère, il garda le silence, et : l'homme dominant ses passions 
triomphera. Dans le premier exemple, dominant n'est pas un 
véritable participe puisqu'il ne participe pas de la nature de 
l'adjectif, ce serait plutôt une espèce de gérondif. Dans le second 
cas, dominant joue le rôle d'adjectif, et remplace le verbe avec 
qui relatif. Or il y a, en coréen, deux formes différentes de 
participes, pour exprimer ces deux sens différents. Les premiers 
sont les participes verbaux, et les seconds les véritables parti- 
cipes, ou participes relatifs. 
Maintenant, comment se forment les participes verbaux? — Le 
participe futur se forme en ajoutant au radical la particule ké 
([ui dans les verbes en tha devient khé. Ex. : hà-ta, faire, hà-ké, 
devant faire ; no-tha, lâcher, no-klié, devant lâcher. — Le par- 
ticipe passé se forme en ajoutant au radical l'une des voyelles 
a ou 0. Dans les verbes en tha, cette particule devient ha ou hô 
Ex. : no-tha, lâcher, no-ha, ayant lâché ; nô-tha, placer, nô-hô, 
ayant placé. Dans les verbes en ta, la voyelle a ou o se joint au 
radical soit directement, soit à l'aide d'une lettre euphonique. 
Ex. : hâ-ta, faire, hà-iô, ayant fait ; tsô-ta, boiter, tsô-rô, ayant 
boité; sin-ta, chausser, sin-6, ayant chaussé. Les verbes dont le 
radical est en a, n'ajoutent rien. Ex. : tsa-ta, dormir, tsa, ayant 
dormi. 
Nola. — Les règles euplioniques à observer dans la formation du parlicipe 
passé verbal, étant assez compliquées, le dictionnaire, tout en donnant les 
verbes à l'infinitif, indique toujours ce participe. 
Il n'y a pas en coréen de participe verbal du présent. C'est le 
radical pur et simple qui en tient lieu. En effet, dès lors que la 
manière d'être ou l'action affirmée par le verbe n'est rapportée 
ni au passé, ni au futur, elle est, par cela même, au présent 
habituel. Ce présent suffit pour les verbes neutres, puisqu'ils 
expriment seulement un état, une manière d'être ; il suffit, par 
XC INTRODUCTION. 
la même raison, pour les deux verbes substantifs ; aussi tous ces 
verbes n'ont-ils pas d'autre présent de l'indicatif que l'infinitif 
lui-même. — Mais ce présent habituel, trop vague, est insuffi- 
sant pour les verbes actifs, où il est nécessaire de spécifier plus 
clairement que l'action a lieu au moment même où l'on parle. 
Le signe du présent se forme alors de la manière suivante. Dans 
les verbes en ta : si le radical se termine par une consonne autre 
que /, on ajoute nân ; s'il se termine par une voyelle, on ajoute 
seulement n ; s'il se termine par la consonne l, on supprime cette 
lettre et l'on ajoute n à la voyelle qui reste. Ex. : kkak-ta, tailler, 
radical avec le signe du présent : kkak-nàn ; hà-ta, faire, radical 
et signe du présent : hàn ; phoul-ta, vendre : phoun. Dans les 
verbes en tha : si le radical est terminé par une voyelle, on ajoute 
nàn, et comme il n'y a pas de n aspirée dans l'alphabet coréen, 
on y supplée en intercalant entre le radical et cette particule la 
lettre t ; si le radical se termine en /, on ajoute nàn, ce qui, 
suivant les règles de prononciation coréenne, donne l-làn. Ex. : 
nô-tha, j)lacer, radical et signe du présent : nô-t-nàn; il-tha, 
perdre: î7-7ian (pron. il-làn). 
Le troisième élément d'une forme verbale est la terminaison 
qui, avons-nous dit, sert à distinguer les temps principaux des 
imparfaits. Les Coréens comptent quatre temps principaux, le 
présent, le parfait, le futur et le futur passé. Ce dernier se forme 
en surajoutant le signe du futur au signe du passé. Les temps 
secondaires, que l'on peut regarder comme les imparfaits des 
précédents, sont : l'imparfait, le plus-qiie-parfait, le condi- 
tionnel, et le conditionnel passé. Dans le verbe ordinaire (voix 
affirmative), la terminaison des temps principaux est ta, celle 
des temps secondaires est tôni. Entre les participes verbaux et 
ces terminaisons on insère un t euphonique. 
Le tableau suivant résume toutes les règles que nous venons 
de donner et en montre l'application. 
INFINITIF. 
ha-ia, faire. it-ta, être. 
TARTICIPE VERBAL PASSÉ. 
hâ-iô, aijanl fait. il-siô, ayant été. 
PARTICIPE VERBAL FUTUR. 
hâ-ké, devant faire. il-ké, devant être. 
PRÉSENT. 
liâ-n-la, ;e fais, lu fuis, etc. it-la, je suis, tu es, etc. 
IMPARFAIT. 
hà-lon'i, je faisais, lu... il... ïl-lôn\, j'étais, tu...it... 
IINTROUUCTION. XCI 
PARFAIT. 
hàiô-l-la, j5^5, /M... il... ils\ô-l-lajc fus, tu... il... 
PLUS-QUE-PARFAIT. 
haïô-l-iôni, j'avais fait... lu... itsi5-t-tôni, f avais élé. 
FUTUR. 
haké-t-la, je ferai, tu... il... itké-t-ta, je serai. 
CONDITIONNEL. 
Iiàkc-t-lôni, je ferais itké-t-tôni, je serais. 
FUTUR PASSÉ. 
hàiôt-ké-t-ta, J'aurai fait. itsiôt-ké-t-ta, j'aurai été. 
CONDITIONNEL PASSÉ. 
liâiôt-ké-t-tôni, j'aurais fait. itsiôt-ké-t-tôni, j'aurais été. 
L'impératif se forme du participe passé en ajoutant la terminai- 
son ra : hàiô-ra, fais. — (Il n'y a que deux exceptions. on dit : 
onô-ra, viens, au lieu de oa-ra, et : kakôra. va, au lieu de 
ka-rà). 
Nota. — Il y a une autre forme d'impératif qui n'appartient pas à la 
conjugaison régulière, et qui ne sert que pour l'impératif pluriel de la pre- 
mière personne. Elle s'obtient en ajoutant tsa au radical des verbes en la, 
et tcha au radical des verbes en th. Ex. : hà-tsa. faisons; nô-tcha, plaçons. 
Le participe relatif présent se forme en ajoutant nàn au radical. 
Dans les verbes en tha, on intercale t, pour la raison ci-dessus 
énoncée. Ex. : hà-nân, faisant, qui fait, qui est fait ; no-t-nàn, 
lâchant, qui lâche, qui est lâché. — Le participe relatif passé 
se forme comme il suit. Dans les verbes en ta : si le radical se 
termine par une consonne autre que l, on ajoute eun ; s'il se 
termine par une voyelle, on ajoute simplement n ; s'il se ter- 
mine par l, on supprime cette consonne, et l'on ajoute n à la 
voyelle qui reste. Dans les verbes en tha on ajoute heun au 
radical. Ex. : soum-eun, caché, ayant caché, qui a caché, qui a 
été caché ; hân, fait, ayant fait, qui a fait, qui a été fait ; phou-n, 
vendu, ayant vendu, qui a vendu, qui a été vendu ; nô-heun, 
placé, ayant placé, etc.; il-heun, perdu, ayant perdu, etc.. 
— Le participe relatif futur se forme du participe relatif passé 
en chageant n en /, soum-eul, hàl, phoul, nô-heul, etc., (devant 
faire, qui fera, qui sera fait, etc..) 
Le verbe est très-souvent employé comme substantif. Il prend 
alors une forme particulière qui s'obtient en changeant Vn final 
du participe passé relatif, en 7n, et qui se décline à tous les cas : 
hâm, faire, hàm-i, le faire, hâm-eu-ro, parle faire, etc.. Outre 
cette forme qui se trouve surtout dans les livres, il y en a une 
autre beaucoup plus employée dans la conversation. Elle s'ob- 
tient en ajoutant ki au radical , et à chacun des participes 
XCII INTRODUCTION. 
verbaux, hà-ki, le faire ; hàiôt-ki, le avoir fait ; hàkèt-t-ki, le 
devoir faire. Ces trois nouveaux substantifs se déclinent. 
Quelques mots sur les autres voix des verbes compléteront la 
théorie de la conjugaison coréenne. 
Le verbe éventuel est celui qui se conjugue avec la condition 
si, si je fais, si j'ai fait, si je dois faire , etc.. il n'a que le mode 
indicatif. Le présent se forme en ajoutant au radical : s'il est 
terminé par une consonne autre que /, la terminaison eumiôn; 
s'il est terminé par une voyelle, ou par l (qu'on retranche), la 
terminaison miôn. Dans les verbes en tlia, la terminaison devient 
heumiôn. Ex. : soum-eumiôn, si je vends ; hà-miôn, si je fais ; 
nô-heumiôn, si je place. Les autres temps se forment comme 
ceux de l'indicatif ordinaire, en changeant ta en simiôn, ettôni 
en tômiôn. Ex. : hà-tômiôn, si je faisais; /!ato<-f-/omion, si j'avais 
fait ; hàkè-t-simion, si je dois faire {litt. si je ferai), etc 
Le verbe interrogatif se forme d'une manière analogue. Les 
terminaisons ta du verbe affirmatif se changent en nània, les 
terminaisons tôni en tonia. Au présent, la terminaison se joint 
directement au radical, en laissant de côté le signe du présent. 
Ex. : hà-nània, fais-je? fais-tu? etc... hà-tônia, faisais-je? hàkét- 
nània, ferai-je? hàiôtkét-tônia, aurais-je fait? etc... 
Il n'y a que deux verbes négatifs proprement dits, lesquels 
correspondent aux deux verbes substantifs, dont nous avons parlé 
plus haut, dp-ta , négatif de it-ta, signifie : ne pas être, ne pas 
exister ; ani-ta ou anilta, négatif de il-ta, signifie : ne pas être 
telle chose. Tous les verbes peuvent devenir négatifs, en ajou- 
tant au radical la termison tsan-ta qui se conjugue suivant la règle 
générale. Naturellement, dans les verbes en tha, cette termi- 
naison aspire sa première consonne et devient tchan-ta. — tsan-ta 
est une contraction de isi-anita, tsi particule qui implique doute 
et qui appelle une négation, et le verbe négatif ani-ta dont nous 
venons déparier. — Une autre forme du négalif s'obtient en ajou- 
tant au radical la terminaison tsi-mot-hâta, composée de la par- 
ticule tsi, de mot qui signifie : impuissance, et du verbe hà-ta, 
faire. Cette dernière forme du négatif signifie littéralement, je 
suis dans l'impuissance de..., je ne puis pas.... 
Le verbe honorifique se forme en ajoutant si-ta aux radicaux 
terminés par une voyelle, et eusi-ta à ceux qui sont terminés par 
une consonne. Pour les verbes en tha, ou ajoute au radical 
heusi-ta. Ex. : hà-ta, faire, hà-si-ta, si l'on parle d'une personne 
élevée en dignité; tsip-ta, prendre, tsip-eusi-ta ; kip-ta, être 
profond, kip-heusi-ta, elc... L'honorifique des verbes substantifs 
INTRODUCTION. XClll 
est : T^ouv it-t a : kiesi-tn ; et pour il-ta: sil-ta, isil-tn, ou isi-ta. 
Le verbe à riionorifiquc se conjugue suivant la règle générale, 
à l'affirmatif, à l'éventuel, à l'interrogatif, au caiisatif, etc.. 
Le verbe causalif se forme en ajoutant Aa-^a, faire, au participe 
verbal futur. Ex. : hàkè-hàta, taire faire [litt. faire que fera) ; 
/sa-fa, dormir, tsaké-hàta, faire dormir {litt. faire que dormira). 
Le verbe motivant indique le motif, le pourquoi de ce qui va 
suivre. Il répond à notre verbe actif conjugué avec la prépo- 
sition parce que. 11 se forme en ajoutant au radical la terminaison 
nitka, et aux participes verbaux, la terminaison si-nitka. Ex. : 
hà-nitka, parce que je fais, hâiôt-si-nitka, parce que j'ai fait, 
hàkét-si-nitka , parce que je ferai. on peut employer aussi 
l'expression suivante : hà-nànkoro, hàiôt-nànkoro , hàkét-nan- 
koro, qui a le même sens. — Arrêtons-nous une minuteh analyser 
cette dernière forme, qui nous donne une idée claire de la manière 
dont procèdent les langues agglutinatives. Nous avons d'abord 
le verbe aux trois temps primitifs : le présent, représenté parle 
radical; le passé et le futur, représentés par les participes ver- 
baux. En ajoutant nàn, on obtient des participes présents qui 
signifient : être actuellement ayant fait, être actuellement faisant, 
être actuellement devant faire. La particule ko implique le sens 
d'affirmation : oui, vraiment. Enfin on surajoute au tout la 
terminaison ro du cas instrumental, lequel signifie : par, au 
moyen de : hàkét-nànkoro, parce que je ferai , parce que tu 
feras, etc., signifie donc littéralement : par le vraiment être 
devant faire. 
Il y a encore quelques autres formes de conjugaison indiquant 
différentes nuances de signification. Celles qui précèdent sont 
les plus usitées, et donnent une idée suffisante du génie propre 
de la langue coréenne. 
Les terminaisons verbales que nous avons énumérées jusqu'ici, 
sont souvent modifiées ou remplacées par d'autres terminaisons 
que l'on peut rapporter à trois classes différentes. — 1" Les 
terminaisons bonorifiques. Le Coréen qui adresse la parole à un 
autre changera ou modifiera la terminaison du verbe, suivant 
que l'individu à qui il parle est son supérieur, son égal, ou son 
inférieur. De plus, il aura des nuances différentes pour le supé- 
rieur plus ou moins élevé en dignité, pour l'égal qu'il ne connaît 
pas ou qu'il connaît avec plus ou moins d'intimité, pour l'infé- 
rieur qu'il traite avec amitié, avec indifférence ou avec mépris. 
Enfin, s'il parle d'une tierce personne, son langage devra indiquer 
si elle est supérieure, ou égale, ou inférieure à son interlocuteur. 
XCIV INTRODUCTION. 

on voit que les règles de la civilité compliquent terriblement les 
règles de la grammaire. — 2° Beaucoup de terminaisons sont 
usitées, pour indiquer certaines nuances de sens : Taffirmation, 
la possibilité, le doute, la probabilité, l'espérance, le repro- 
che, etc.. etc.. — 3" Enfin, il y a des terminaisons spéciales 
pour indiquer que le sens de la phrase est suspendu ou terminé, 
en un mot, pour remplacer la ponctuation. 
Ces diverses particules terminatives s'ajoutent : les unes au 
radical, les autres aux participes verbaux, d'autres à la termi- 
naison régulière, d'autres enfin à l'une ou à l'autre forme indiffé- 
remment. Déplus, elles se surajoutent et s'agglutinent très-sou- 
vent les unes aux autres, pour former un sens complexe, lequel 
est la résultante des sens de chaque fragment séparé. on conçoit 
qu'avec un pareil système, applicable aux divers temps et aux 
diverses voix de chaque verbe, la somme de toutes les termi- 
naisons simples ou composées que peut avoir un radical s'élève 
à un chiffre énorme. Les Coréens en comptent plusieurs milliers, 
mais dans les listes qu'ils en donnent, il faut retrancher beau- 
coup de composés qui sont, non des terminaisons, mais de véri- 
tables phrases. Ainsi, par exemple, ils comptent parmi les ter- 
minaisons des verbes le mot ttè, temps (ou son locatif ttè-é), qui 
se joint aux partici|)es relatifs pour signifier : lorsque : hàn-ttè-é, 
lorsqu'il a fait ; hàl-Uè-é, lorsqu'il fera. 
Un mot seulement des terminaisons qui constituent la ponc- 
tuation et remplacent la virgule, le point, le point et virgule, 
les deux points, signes inconnus dans l'écriture coréenne. — La 
virgule s'indique le jdus ordinairement par la terminaison Ico, 
quelquefois par mlô, ou par io (du verbe il-ta), ou isio (du verbe 
honorifique isi-ta). La conjonction : et, en coréen oa, koa, hoa, 
les formes du vocatif a, m, w, peuvent également indiquer une 
virgule. — Le point et virgule se rend par les terminaisons 
miô, hàni, ini. — Les deux points sont indiqués par les termi- 
naisons a, ia, iô d'un participe passé, lorsqu'une énumération 
doit suivre, et par la particule /è, lorsqu'on va citer les paroles 
de quelqu'un. — Le point est exprimé par toutes les combi- 
naisons de particules qui se terminent en ta on ra: nira, inira, 
nanita, nantota, tota, tosoita, et par d'autres encore comme sio- 
sio, etc. (Voyez le Pater el VAve Maria en coréen, pi. III et IV). 
Adverbes. — Les adverbes simples sont en assez petit nombre. 
Ex. : ta, plus; toi, moins; tto, encore; miut, combien; man, 
seulement, etc. Ces mots ont été ou sont encore de véritables 
INTRODUCTION. XCV 
substantifs, signifiant : le plus, le moins, etc.. Parmi les 
adverbes composés, les uns sont des substantifs, adjectifs, ou 
pronoms mis au cas voulu, le plus souvent à l'ablatif, au locatif 
et h rinstrumental. La plupart sont plutôt des locutions adver- 
biales. Ex. : ônà-ttè (quel temps) quand ? ; tiô-ttè (ce temps-là), 
dernièrement ; tsion-é (dans le devant) , avant ; hou-é (dans 
l'arrière), après ; iô-keué, ici; id-keuc-siu, (ï'id; tid-keué,\h', 
tiô-keuê siô, de là ; tto-han, aussi ; han-katsi-ro, ensemble ; uttd- 
khé, comment ; etc. Les autres adverbes composés se forment 
des verbes neutres en ajoutant au radical i. M, kei, khei, Ex. : 
polk-i, évidemment; kateuk-hi, pleinement ; kheu-kei, grande- 
ment ; etc. 
Postpositions. — Elles tiennent lieu de nos prépositions. Les 
principales sont celles qui servent pour la déclinaison, il y en a 
une ou deux autres. Ex. : kiri, avec. Les Coréens en comptent un 
certain nombre, qui sont en réalité des locutions postpositives. 
Ex. ; po-to, en comparaison de {litt. voir) ; tsoung-é, dans, 
parmi; in-hàia, par ; oui-hàia, pour. Ces deux dernières sont des 
participes verbaux qui gouvernent l'accusatif. 
Conjonctions. — La conjonction et se traduit par oa quand le 
mot précédent finit par une consonne , par hoa lorsqu'il finit 
par une voyelle. Souvent aussi on emploie ko, seul ou avec le 
radical M du verbe faire : hà-ko. Ces particules étant plutôt des 
participes continuatifs que de véritables conjonctions, se placent 
après le mot, et doivent être répétées après chacun des mots ou 
(les propositions que l'on veut relier ensemble. Ex. : keul-sseu-ko 
t'sèk-po-ko, écrire-et lire-et. Les autres conjonctions sont : hok, 
ou; manân, mais; pirok, quoique, etc.. on rencontre aussi 
des locutions conjonctives. Ex. : iônkoro., donc {litt. par le être 
ainsi). 
Interjections. — Les principales sont : èko, hélas ! ; e, è, fi ! ; 
ana, iôpo, eh ! ; ia , holà ! etc.... on peut aussi rattacher aux 
interjections les deux formes ordinaires de l'affirmation : orna, oui 
(du supérieur à l'inférieur), te, oui (de l'inférieur au supérieur). 
§ 3. — Grammaire (syntaxe). 
Le principe fondamental de la syntaxe coréenne est celui-ci : 
le mot qui gouverne est invariablement placé après le mot qui 
est gouverné. D'où il suit que : — dans la déclinaison, la pré- 
position indiquant le cas change de place, et devient postposition 
XCVI INTROnUCTION, 
parce qu'elle gouverne le nom ; — le nom au génitif précède 
celui qui le gouverne ; — radjectif ou participe relatif précède 
le nom auquel il se rattache ; — l'adverbe précède le verbe ; 
— le substantif précède le verbe par lequel il est gouverné, etc.. 
La forme invariable d'une phrase coréenne est donc : 1° le sujet 
précédé de tous ses attributs, s'il en a ; 2° le régime indirect au 
cas voulu, précédé également de ses attributs ; 3° le régime direct 
précédé de tout ce qui s'y rattache ; A" enfin le verbe, précédé des 
adverbes, etc., lequel termine nécessairement la phrase. 
Cette règle générale sera suffisamment complétée par les obser- 
vations suivantes. 
Souvent on omet le signe du pluriel, surtout dans le langage 
ordinaire de la conservation. Ex. : seumou saràm, vingt hommes, 
pour seumou saràm-teul. 

on omet aussi volontiers le signe du génitif. Ex. : natnou-nôp, 
feuille d'arbre Jilt. arbre-feuille), au lieu de namou-eué nôp. 
Dans les mots tirés du chinois, cette exception devient la règle 
absolue. Ex : thiôn-tsiou-kiông, prière du maître du ciel {litt. 
ciel-maitre-prière) 
Quand divers noms sont reliés par des conjonctions, le dernier 
seul prend le signe du cas, les autres restant invariables. Ex : 
nakoui-oa màl-koa kè-éké tsouuttàpnaita, j'ai donné à Fane, au 
cheval et au chien. 
Les mots chinois sont très-employés, à l'exclusion des mots 
coréens, par les gens de la haute classe et par les habitants des 
villes; les paysans eux-mêmes s'en servent quelquefois. En pareil 
cas, les adjectifs, noms de nombre, adverbes, etc., qui accom- 
pagnent un substantif ou un verbe chinois, doivent aussi être 
chinois. Jamais on ne met un adjectif coréen à un nom chinois, 
et réciproquement. 
Quand plusieurs adjectifs se rapportent à un seul sujet, le 
dernier adjectif seul prend la forme ordinaire (participe relatif) ; 
les autres sont au radical avec la conjonction ko. Ex : kôm-ko 
heuè-ko peulk-ko pheur-àn pit. Les couleurs : noire, blanche, 
rouge et bleue. 
Dans une énumération, contrairement à nos idées de politesse, 
le pronom je ou moi se met le premier. Ex. : na-hàko apôtsi- 
hako ômôni-hàko (ong-sâiny-hako nounim-hàko aki-hàko tsal- 
teuritta. Ce qui signifie littéralement moi-et, père-et, mère-et, 
frère-et, sœur-et, petit enfant-et, bien (portants) être. 
Quand les termes d'une énumération sont des verbes à l'infi- 
nitif, le dernier seul se conjugue, les auties sont au radical suivi 
IISÏROUUCTIO.N. XCVll 
(le la conjonction Ico. Ex : pallo-to ssao-ko, soneuro-to ssao-ko 
niro-to ssaoat-ta. Ils ont combattu des pieds, des mains et des 
dents. {Litt. par pied aussi combattre-et, par main aussi com- 
baltre-et, par dent aussi ils ont combattu). 
Généralement les choses inanimées ne peuvent pas être le sujet 
d'un verbe. En pareil cas, on tourne la phrase d'une autre manière. 
Quoique les verbes actifs gouvernent l'accusatif, le signe de ce 
cas est très-souvent omis après les régimes directs, surtout en 
conversation. 
§ 4. — A QUELLE FAMILLE APPARTIENT LA LANGUE CORÉENNE ? 
Dans la classification des langues, l'élément fondamental est 
la ressemblance ou la diversité de structure grammaticale. La 
ressemblance ou la diversité des mots n'a qu'une importance 
très-secondaire. Or toutes les règles dont nous venons de donner 
un résumé, démontrent d'une manière évidente que le coréen 
appartient à celte famille de langues que l'on nomme généra- 
lement : mongoles, oural-altaïques, touraniennes, etc., et qui 
serait mieux caractérisée par le terme : scythiques ou tartares, 
puisque les mots : Scythes, chez les anciens, et Tartares, chez 
les modernes, ont toujours servi à désigner l'ensemble des 
peuples de la haute Asie. 
Quels sont en effet les principaux caractères des langues tar- 
tares, par contradistinction avec les langues indo-européennes? 
Les langues indo-européennes ont des mots de genre diffé- 
rent non-seulement pour les êtres vivants, dans lesquels existe la 
distinction de sexe, mais aussi pour les êtres inanimés et pour 
les idées abstraites ; dans les langues tartares, au contraire, les 
noms sont tous neutres ou plutôt n'ont point de genre. 
Les langues indo-européennes ont diverses déclinaisons pour 
les noms singuliers ; le pluriel y est toujours distinct et se décline 
d'une manière différente ; les terminaisons des cas, quelle qu'ait 
été leur origine primitive, sont devenues des changements ou 
flexions du mot lui-même, d'où leur nom de langues à flexions. 
Dans les langues tartares il n'y a qu'une seule déclinaison ; les 
cas se forment par l'addition de postpositions qui restent dis- 
tinctes et séparables du nom ; le pluriel est indiqué par une par- 
ticule spéciale jointe au radical, à laquelle s'ajoutent pour la 
déclinaison les mêmes postpositions qu'au singulier; enfin, par 
une ressemblance curieuse, la postposiiion du datif est carac- 
térisée dans un certain nombre de ces langues par la gutturale k, 
qui se trouve dans les langues du sud de l'Inde comme en coréen. 
't. I. — . l'église de CORÉE. (/ 
XCVIII INTRODLCTIOiN. 
Les langues indo-européennes ont des adjectifs qui se décli- 
nent comme les substantifs, et s'accordent avec eux en genre, en 
nombre et en cas. Dans les langues tartares, les adjectifs pro- 
prement dits sont très-rares, et toujours invariables ; les noms 
ou verbes de qualité et de relation qui tiennent leur place, et 
deviennent adjectifs par leur position avant le substantif, sont, 
comme tels, invariables. 
Les langues indo-européennes ont des pronoms pour les trois 
personnes. Les langues tartares , surtout les plus primitives , 
manquent du pronom de la troisième personne qu'elles rempla- 
cent par un pronom démonstratif. 
Les langues indo-européennes sont toutes abondamment pour- 
vues de pronoms relatifs. Dans la plupart des langues tartares, 
on ne trouve pas de trace de l'existence de ces pronoms, et 
on les remplace par des participes relatifs, qui incluent en un 
seul mot l'idée exprimée par le verbe et l'idée de relation. 
Dans les conjugaisons variées des langues indo-européennes, 
les divers modes, temps ou personnes sont indiqués par des 
changements ou flexions du verbe lui-même. Dans les langues 
tartares. Tunique conjugaison se forme par voie agglutinative, 
en ajoutant ou surajoutant des particules qui restent toujours 
distinctes. 
Les prépositions séparées, ou préfixées aux noms et aux verbes 
pour en modifier le sens, jouent un grand rôle dans les langues 
indo-européennes. Les langues tartares remplacent les prépo- 
sitions isolées qui indiquent un rapport quelconque par des post- 
positions, et ne forment des verbes composés qu'à l'aide de noms 
ou d'autres verbes. 
Les langues indo-européennes ont toutes la voix passive régu- 
lièrement conjuguée, avec des terminaisons différentes de l'actif; 
elles manquent de verbes négatifs, qu'elles remplacent par une 
négation distincte employée adverbialement. Dans les langues 
tartares qui ont le passif, il se forme par l'addition au radical 
d'une particule spéciale à laquelle se joignent les terminaisons 
de la conjugaison ordinaire. Dans les autres, la voix passive 
manque absolument. En revanche, l'existence de verbes négatifs 
distincts, et d'une voix négative commune à tous les verbes, 
sont des particularités spéciales aux langues tartares. 
Enfin, pour ne pas prolonger inutilement cette comparaison, 
dans les langues indo-européennes, le mot qui gouverne précède 
généralement le mot qui est gouverné, au lieu que dans toutes 
les langues tartares, il est invariablement placé après. 
INTRODUCTION. XCIX 
Or ces signes caractéristiques des langues tartaros, que nous 
venons d'énumérer, nous les retrouvons tous sans exception dans 
la grammaire coréenne ; donc le coréen appartient à la famille 
des langues tartares. Le fait est hors de doute. Maintenant, à 
quel groupe de cette famille se rattache-t-il plus particulière- 
ment? c'est une question qui devra être éclaircie plus tard, lors 
de la publication de la grammaire et du dictionnaire. Un fait 
curieux, qu'il n'est pas inutile de noter en passant, c'est la 
ressemblance entre la grammaire coréenne et la grammaire des 
langues dravidiennes, ou langues du sud de l'Inde. Dans beau- 
coup de cas, les règles sont, non-seulement analogues, mais 
identiques. La ressemblance entre certains mots coréens et dra- 
vidiens n'est pas moins frappante. L'étude approfondie de ces 
analogies jetterait un grand jour sur quelques points importants 
de l'histoire primitive des peuples indous, et sur diverses ques- 
tions ethnographiques encore peu connues. 
VIII 
Élal social. — Différentes classes. — Noblesse. — Peuple. — Esclaves. 
11 y a cinq siècles, dans les premiers temps de la dynastie 
actuelle, la société coréenne était divisée en deux classes seule- 
ment ; les nobles, et les serfs ou esclaves. Les nobles étaient 
les partisans du fondateur de la dynastie, ceux qui Tavaient 
aidé à s'asseoir sur le trône, et qui, en récompense, avaient 
obtenu les richesses, les honneurs, elle droit exclusif de posséder 
les dignités et de remplir les fonctions publiques. La masse de 
la population, placée sous leur autorité, se composait de serfs 
attachés à la glèbe, et d'esclaves. Les descendants de ces premiers 
nobles, et ceux de quelques autres personnes qui à diverses 
époques rendirent aux rois des services signalés, forment encore 
actuellement l'aristocratie coréenne. Mais par la force naturelle 
des choses, il est arrivé pour les .serfs, ce qui s'est vu en Europe 
pendant le moyen âge; le plus grand nombre ont, peu à peu, 
conquis leur liberté, et ont formé, avec le temps, le peuple de 
laboureurs, soldats, marchands, artisans, etc., tel qu'il existe 
de nos jours. De sorte qu'il y a maintenant en Corée trois classes 
distinctes, subdivisées en diverses catégories : les nobles, les gens 
du peuple, et les esclaves proprement dits. Ces derniers sont en 
assez petit nombre. 
La noblesse est héréditaire, et comme les emplois et dignités 
sont le patrimoine à peu j)rès exclusif des nobles, chaque famille 
conserve avec une précaution jalouse ses tables généalogiques, 
ainsi que des listes complètes, détaillées, et fréquemment révi- 
sées de chacun de ses membres vivants. Ceux-ci ont grand 
.soin d'entretenir des relations suivies entre eux, et avec le 
représentant de la branche principale de leur race, afin de trouver 
appui et protection en cas de besoin. 
Autrefois et pendant plusieurs siècles, la loi ne reconnaissait 
comme nobles que les descendants légitimes des familles aristo- 
cratiques. Il n'y avait d'exception que pour les bâtards des rois 
qui toujours ont été traités comme nobles de droit. Mais depuis 
plus d'un siècle, les enfants naturels des nobles, qui jadis 
INTRODUCTION. C 
formaient une classe à part et très-inférieure, sont devenus 
tellement nombreux et puissants, qu'ils ont peu à peu usurpé tous 
les privilèges des véritables nobles. En 4857, un décret royal a 
renversé les dernières barrières qui les séparaient des enfants 
légitimes, en leur reconnaissant, comme à ceux-ci, le droit de 
parvenir à presque toutes les dignités du royaume. Quelques-unes 
sont encore exceptées, par un reste de respect pour les anciennes 
coutumes, mais 1 exception ne peut tarder à disparaître complè- 
tement. Néanmoins, les vrais nobles conservent toujours au fond 
du cœur un grand mépris pour ces parvenus, mépris qui se 
manifeste assez fréquemment, bien que, dans les relations ordi- 
naires de la vie, ils soient obligés de les traiter avec toutes les 
formes habituelles du respect et de l'étiquette. 
Le dévergondage des mœurs n'a pas été la seule cause de 
cette révolution importante dans les coutumes de l'aristocratie 
coréenne. Les luttes violentes entre les partis politiques, et par 
suite l'avantage énorme pour les grandes familles d'avoir le plus 
possible de partisans, y ont puissamment contribué. Les bâtards 
nobles, quoiqu'ils se marient généralement sans distinction de 
partis civils, sont toujours comptés comme appartenant à la 
famille de leurs pères respectifs. C'est cette famille qui les pousse 
dans les emplois, les protège contre les mandarins criminels 
quand ils ont commis quelque délit, et en retour, ces hommes 
naturellement frondeurs, audacieux et turbulents, lui prêtent 
un puissant concours en temps de troubles et de commotions 
politiques. 
Tous les nobles ont certains privilèges communs, tels que 
celui de ne pas être inscrits sur les rôles de l'armée, celui de 
l'inviolabilité pour leurs personnes et leurs demeures, celui de 
porter chez eux le bonnet de crin qui est le signe distinctif de 
leur rang, etc. Cependant, il y a dans la noblesse divers degrés 
plus ou moins élevés. Les familles de ceux qui ont rendu à l'état 
quelque service signalé, ou accompli quelque grand acte de 
dévouement à la personne du roi, ou acquis une réputation 
exceptionnelle de science, de piété filiale, etc., sont beaucoup 
plus influentes que les autres, et accaparent les principales charges 
de la cour. Les princes du sang et leurs descendants ont, en tant 
qu'ils appartiennent à la famille royale, des titres honoritiques 
très-fastueux, mais jamais d'emplois importants. Les rois de 
Corée, comme tous les rois absolus, sont trop jaloux de leur 
autorité, et trop soupçonneux de complots vrais ou faux, jiour 
leur laisser la moindre participation à l'exercice du pouvoir. 
cil INTRODUCTION. 
Il en est de même pour les parents des reines. La première femme 
du roi est toujours choisie dans quelque grande famille, et par 
le fait de son mariage avec le souverain, son père et ses frères 
obtiennent de hautes dignités, quelquefois même des emplois 
lucratifs, mais presque jamais de fonctions qui leur donnent une 
autorité réelle. Cen'estquepardes voies indirectes, par l'influence 
des reines, par toutes sortes d'intrigues, ou bien en temps de 
minorité deThéritier du trône, qu'ils exercent une influence plus 
ou moins puissante. 
La noblesse se perd de diverses manières, par jugement, par 
mésalliance, par prescription. Quand un noble quelconque est 
exécuté comme coupable de rébellion ou de lèse-majesté, ses 
parents, ses enfants, et les membres de sa famille à un degré 
assez éloigné, sont tous dégradés, privés de leurs emplois et de 
leurs titres de noblesse, et relégués au rang des gens du peuple. 
Quand un noble épouse en légitime mariage une veuve ou une 
esclave, ses descendants perdent à peu près tous les privilèges de 
leur caste, et l'accès des emplois leur est fermé. De même, quand 
une famille noble a été exclue de toute espèce d'emplois publics 
pendant un temps considérable, ses litres sont par le fait même 
annulés, et les tribunaux lui refusent les privilèges de son rang. 
L'aristocratie coréenne est relativement la plus puissante et 
la plus orgueilleuse de l'univers. Dans d'autres pays, le souve- 
rain, la magistrature, les corporations diverses, sont des forces 
qui maintiennent la noblesse dans ses limites, et contrebalancent 
son pouvoir. En Corée, les nobles sont si nombreux, et malgré 
leurs querelles intestines, savent si bien s'unir pour conserver et 
augmenter les privilèges de leur caste, que ni le peuple, ni les 
mandarins, ni le roi lui-même ne peuvent lutter contre leur 
autorité. Un noble de haut rang, soutenu par un certain nombre 
de familles puissantes, peut faire casser les ministres, et braver 
le roi dans son palais. Le gouverneur ou mandarin qui s'aviserait 
de punir un noble haut placé et bien protégé, serait infaillible- 
ment destitué. 
Le noble coréen agit partout en maître et en tyran. Qu'un 
grand seigneur n'ait pas d'argent, il envoie ses valets saisir un 
marchand ou un laboureur. Si celui-ci s'exécute de bonne grâce, 
on le relâche; sinon il est conduit dans la maison du noble, 
emprisonné, privé d'aliments, et battu jusqu'à ce qu'il ait payé 
la somme qu'on lui demande. Les plus honnêtes de ces nobles 
déguisent leurs vols sous forme d'emprunts plus ou moins volon- 
taires, mais personne ne s'y trompe, car ils ne rendent jamais 
INTRODUCTION. ClII 
ce qu'ils ont emprunté. Quand ils achètent ii un homme di; 
peuple un champ ou une maison, ils se dispensent le plus souvent 
de payer, et il n'y a pas un mandarin capable d'arrêter ce brigan- 
dage. 
D'après la loi et les coutumes, on doit à un noble quel qu'il 
soit, riche ou pauvre, savant ou ignorant, toutes les marques 
possibles de respect. Nul n'ose approcher de sa personne, et le 
satellite qui oserait mettre la main sur lui, même par erreur, 
serait sévèrement puni. Sa demeure est un lieu sacré; entrer 
même dans la cour serait un crime, excepté pour les femmes, 
qui, de quelque rang ou quelque condition qu'elles soient, 
peuvent pénétrer partout. Un homme du peuple qui voyage à 
cheval doit mettre pied à terre en longeant la maison d'un noble. 
Dans les auberges, on n'ose ni l'interroger, ni même le regarder ; 
on ne peut fumer devant lui, et on est tenu de lui laisser la meil- 
leure place, et de se gêner pour qu'il soit à son aise. En roule, 
un noble à cheval fait descendre tous les cavaliers plébéiens ; 
ordinairement ils le font d'eux-mêmes, mais au besoin on les 
presse à coups de bâton, et s'ils résistent, on les culbute de force 
dans la poussière ou dans la boue. Un noble ne peut aller seul 
à cheval ; il lui faut un valet pour conduire l'animal parla bride, 
et, selon ses moyens, un ou plusieurs suivants. Aussi va-t-il tou- 
jours au pas, sans trotter ou galoper jamais. 
Les nobles sont très-pointilleux sur toutes leurs prérogatives, 
et quelquefois se vengent cruellement du moindre manque de 
respect. on cite le fait suivant d'un d'entre eux qui, réduit à la 
misère et pauvrement vêtu, passait dans le voisinage d'une pré- 
fecture. Quatre satellites, lancés à la recherche d'un voleur, le 
rencontrèrent, conçurent quelques soupçons à sa mine, et lui 
demandèrent assez cavalièrement s'il ne serait point leur homme. 
« Oui, répondit-il, et si vous voulez m'accompagner à ma 
maison, je vous indiquerai mes complices, et vous montrerai le 
lieu oii sont cachés les objets volés. » Les satellites le suivirent, 
mais à peine arrivé chez lui, le noble appelant ses esclaves et 
quelques amis, les fît saisir, et après les avoir roués de coups, fit 
crever les deux yeux a trois d'entre eux, et un œil au quatrième, 
et les renvoya en leur criant : « Voilà pour vous apprendre à y 
voir plus clair une autre fois, je vous laisse un œil afin que vous 
puissiez retourner chez le mandarin. » Il va sans dire que cet 
acte de barbarie sauvage est demeuré impuni. De semblables 
exemples ne sont pas rares, aussi le peuple, surtout dans les 
campagnes, redoute les nobles comme le feu. on effraye les 
CIV INTRODUCTION. 
enfants en leur disant que le noble vient ; on les menace de cet être 
malfaisant, comme en France on les menace de Croquemitaine. 
Le plus souvent, leurs injustices et leurs insolences sont subies 
avec une résignation stupide; mais chez beaucoup d'hommes du 
peuple, elles font naître et entretiennent une haine sourde et 
vivace qui, à la première occasion favorable, amènera de san- 
glantes représailles. 
Depuis la fondation de la dynastie actuelle, et par conséquent 
depuis l'origine de l'aristocratie coréenne telle qu'elle existe 
aujourd'hui, on compte seize ou dix-sept générations. Aussi, le 
nombre des nobles, qui tout d'abord était considérable, s'est-il 
multiplié dans des proportions énormes. C'est là aujourd'hui la 
grande plaie de ce pays; c'est delà surtout que viennent les abus 
dont nous avons parlé. Car, en même temps que la caste aristo- 
cratique est devenue plus puissante, un plus grand nombre de ses 
membres, tombés dans un dénûment absolu, sont réduits à vivre 
de pillage et d'exactions. En effet, il est absolument impossible 
de donner à tous des dignités et des emplois ; tous cependant 
les recherchent, tous dès l'enfance se préparent aux examens qui 
doivent leur en faciliter l'accès, et presque tous n'ont aucun 
autre moyen de vivre. Trop fiers pour gagner honnêtement leur 
subsistance, par le commerce, l'agriculture, ou quelque travail 
manuel, ils végètent dans la misère et l'intrigue, criblés de 
dettes, attendant toujours que quelque petit emploi leur arrive, 
se pliant à toutes les bassesses pour l'obtenir, et s'ils ne peuvent 
réussir, finissant par mourir de faim. Les missionnaires en 
ont connu qui ne mangeaient de riz qu'une fois tous les trois 
ou quatre jours, passaient les hivers les plus rudes sans feu, 
et presque sans habits, et cependant refusaient obstinément de 
se livrer à quelque travail qui , tout en leur procurant une 
certaine aisance, les eût fait déroger à leur noblesse, et les eût 
rendus inhabiles aux fonctions de mandarin. Les nobles chré- 
tiens qui, depuis les dernières persécutions surtout, obtiennent 
très-difficilement des charges publiques, sont les plus malheu- 
reux de tous. Quelques-uns ont essayé de se faire laboureurs, 
mais ne connaissant pas le métier, et n'ayant pas la force que 
donne la longue habitude des travaux du corps, ils peuvent à 
peine suffire à leurs plus pressants besoins. 
Quand un noble parvient à quelque emploi, il est obligé de 
pourvoir àl'entretien de tousses parents, mêmeles plus éloignés. 
Par cela seul qu'il est mandarin, les mœurs et l'usage constant 
du pays lui font un devoir de soutenir tous les membres de sa 
LNIRODliCTlON. CV 
nimille, et s'il ne montre pas assez d'empressemenl, les plus 
avides mettent en usage divers moyens de se procurer de TargenL 
à ses dépens. Le plus souvent, ils se présentent chez un des rece- 
veurs subalternes du mandarin, pendant Tabsence de celui-ci, 
et demandent une somme quelconque. Naturellement, le receveur 
proteste ([u'il n'a pas en caisse une seule sapèque ; on le menace, 
on lui lie les bras et les jambes, on le suspend au plafond par les 
poignets, on lui inflige une rude bastonnade, et on parvient à lui 
extorquer l'argent demandé. Plus tard, le mandarin apprend 
l'affaire, mais il est obligé de fermer les yeux sur un acte de 
pillage, qu'il a peut-être commis lui-même avant d'être fonc- 
tionnaire, ou qu'il est prêt à commettre demain, s'il perd sa 
place. 
Les emplois publics étant, pour la noblesse coréenne, la seule 
carrière honorable et souvent le seul moyen de vivre, on com- 
prend aisément quelle nuée de flatteurs, de parasites, de pétition- 
naires, de candidats malheureux, d'acheteurs de places, doivent 
encombrer jour et nuit les salons des ministres et autres grands 
dignitaires de qui dépendent les nominations. Cette foule de 
mendiants avides spécule sur leurs passions, flatte leur orgueil, 
et met constamment enjeu, avec plus ou moins de succès, mais 
toujours sans le moindre scrupule, toutes les intrigues, toutes les 
flatteries, toutes les caresses, toutes les ruses dont la bassesse 
humaine est capable. 
M. Pourthié, l'un des missionnaires martyrisés en 1866, s'est 
amusé à décrire en détail, dans une de ses lettres, l'espèce la 
plus commune de ces solliciteurs, ceux qu'on appelle moun-kaik. 
Son récit, quoiqu'un peu long, met si bien en relief divers aspects 
intéressants du caractère coréen, que nous le donnons tout entier. 
« Le moun-kaik, comme l'indique son nom, est un hôte qui 
a ses entrées dans les salons extérieurs ; mais on applique plus 
spécialement cette dénomination aux individus pauvres et dé- 
sœuvrés, qui vont passer leurs journées dans les malsons des 
grands, et qui, à force de ramper et de prodiguer leurs services, 
parviennent à recevoir, en récompense, quelque dignité. Il y a 
différentes catégories de moun-kaik, selon le degré de noblesse 
on les prétentions. Autres sont ceux qui hantent le palais du roi, 
autres ceux qui entourent un petit mandarin ; mais tous se 
ressemblent. 
<( Dès que le moun-kaik a trouvé un prétexte plausible pour 
^'introduire chez le ministre, le mandarin, ou le noble dont il 
«convoite la faveur, un soin unique le préoccupe : c'est celui de 
CVI l.MRODUCTION. 
connaître à fond le caractère, les penchants et les caprices de 
son protecteur, et de gagner ses bonnes grâces à force d'esprit, 
de souplesse et de protestations de dévouement. Il étudie avec 
soin les goûts dominants du cercle qu'il fréquente, et faisant 
bonne contenance contre mauvaise fortune, il s'y plie avec une 
adresse incomparable. Il est tour à tour causeur, lorsqu'il aurait 
plus d'envie de se taire, content et radieux lorsque le mauvais 
état de sa famille et de ses finances l'accable de tristesse, emporté 
et furieux, triste et en pleurs lorsque son cœur est dominé par 
les sentiments du bonheur et de la joie. Sa femme et ses enfants 
succomberaient-ils aux tourments de la faim, lui-même passe- 
rait-il de longues journées à jeun, il faut néanmoins qu'arrivé 
dans les salons, il rie avec ceux qui rient, joue avec ceux qui 
jouent ; il faut qu'il compose et chante des vers sur le vin, les 
festins et les plaisirs. C'est pour lui un devoir de n'avoir ni 
manières, ni couleurs, ni tempérament à lui propres. L'air 
joyeux ou affligé, passionné ou calme, vivant ou abattu, qui se 
voit sur les traits de son maître, doit être réfléchi sur les siens 
comme dans un miroir. Il ne doit être qu'une copie, et plus la 
copie est fidèle, plus ses chances augmentent. 
« A une complaisance sans bornes, le moun-kaik doit joindre 
un assortiment complet de tout ce que l'on nomme talents de 
société. C'est toujours lui qui se met en avant pour ranimer la 
gaieté de la compagnie, soutenir et intéresser la conversation. 
Répertoire vivant de toutes les histoires et de toutes les fables, il 
s'ingénie à raconter souvent et avec intérêt ; il connaît le premier 
toutes les nouvelles de la province et de la capitale, toutes les 
anecdotes de la cour, tous les scandales, tous les accidents. II 
est, auprès des dignitaires, la renommée aux cent bouches, un 
véritable journal ambulant. Il pénètre tous les desseins, les plans 
secrets, les intrigues des différents partis; il compte sur ses 
doigts le nombre, le nom, la position et les chances de tous les 
mandarins qui montent et descendent dans l'échelle des faveurs 
du gouvernement ; il récite avec aisance le catalogue universel 
et l'état financier de tous les nobles du royaume. 
« Nouveau Janus au double visage, sans conscience, et vrai 
caméléon de la politique, le moun-kaik a soin d'exposer sa belle 
face au soleil levant de la faveur. Toutes ses gentillesses sont 
exclusivement pour le côté d'où peuvent venir les dignités ; mais 
à tout ce qui lui est inutile, ou hostile, ou inférieur, il laisse 
voir une âme basse et cupide, uniquement gouvernée par les 
instincts du plus froid égoïsme. Il tourne avec la fortune, flattant 
INTRODUCTION. CVII 
ceux qu'elle flatte, laissant de côté ceux qu'elle abandonne, cal- 
culant toujours s'il est de son intérêt de se montrer raide ou 
souple, avare ou généreux, traître ou fidèle. Mettre la division 
là où elle le sert, séparer les parents et les amis, susciter des 
haines et des inimitiés mortelles entre les familles au pouvoir, 
taire tour à tour agir les ressorts de la vérité et du mensonge, 
de la louange et de la calomnie, du dévouement et de l'ingra- 
titude, tels sont ses moyens d'action les plus habituels. 
« Sachant qu'en Corée le cœur des grands ne s'épanouit que 
lorsqu'on repaît leurs yeux de la vue des sapèques, il est à la 
((uête de tous les gens en procès, de tous les criminels, de tous 
les ambitieux de bas étage , leur offre son entremise et leur 
promet son crédit, moyennant une bonne somme pour lui-même, 
et une plus grosse encore pour le maître dont il doit faire inter- 
venir la puissance. L'argent une fois payé, les rustres, par son 
aide, deviennent grands docteurs, les roturiers nobles, les 
criminels innocents, les voleurs magistrats ; bref, il n'y a pas 
(le difficultés que le moun-kaik et l'argent ne puissent aplanir, 
pas de souillure qu'ils ne parviennent à laver, pas de crime qu'ils 
ne sachent justifier, pas d'infamie qu'ils ne viennent à bout de 
dissimuler et d'ennoblir. 
« Cependant, le moun-kaik ne perd pas de vue que sa pro- 
fession actuelle n'est qu'un chemin pour parvenir au but de son 
ambition. Toujours vigilant, toujours aux aguets, il n'examine 
que le moment favorable où il pourra sui'prendre ou arracher à 
son protecteur le don de quelque fonction, de quelque dignité. 
Malheureusement pour lui, son influence n'est pas seule enjeu. 
L'argent, la parenté, l'intérêt, les sollicitations diverses, font 
porter ailleurs le choix du ministre, et souvent l'infortuné passe 
de longues années dans une pénible attente. Dans ce cas, le 
moun-kaik déploie une constance admirable. Au reste la vertu 
dominante du Coréen candidat est la patience. Il n'est pas rare 
de voir des vieillards à cheveux blancs se traîner avec peine pour 
la vingtième, la quarantième ou même la cinquantième fois aux 
examens du baccalauréat. Notre moun-kaik est, lui aussi, armé 
d'une patience héroïque ; plutôt que de désespérer et d'abandonner 
la partie, il continuera indéfiniment à vivre de misères et de 
déceptions. Enfin, s'il ne peut emporter l'affaire par la douceur 
et les caresses, il s'armera quelquefois d'impudence, et fera 
comme violence à son protecteur. 
« Un bachelier de la province Hoang-haï était depuis trois ou 
quatre ans très-assidu dans les salons d'un ministre, et comme il 
CVIII INTRODUCTION. 
avait de l'esprit, aucun des moyens d'attirer un sourire de la 
fortune n'avait été négligé. Néanmoins, nulle lueur d'espoir ne 
brillait encore. Un jour qu'il se trouvait seul avec le ministre, 
celui-ci, occupé à chercher un mandarin pour un district, se prit 
à dire : « Tel district est-il un bon mandarinat ? » Le bachelier 
se lève brusquement, se prosterne aux pieds du ministre, et 
répond d'un ton pénétré : « Votre Excellence est vraiment trop 
« bonne, et je la remercie bien humblement de penser à donner 
« à son petit serviteur un district quel qu'il soit. » Le ministre, qui 
n'avait d'autre intention que de lui demander des renseigne- 
ments, resta interdit devant cette réponse, et n'osant pascontrister 
trop le pauvre moun-kaik, lui donna cette préfecture. 
« D'autres fois ce sera un trait d'esprit, une bouffonnerie 
qui mettra le moun-kaik sur le piédestal. L'exemple que je vais 
citer, est demeuré célèbre dans le pays. Un bachelier militaire 
faisait très-fidèlement sa cour au ministre de la guerre. Quinze 
années s'étaient écoulées depuis qu'il avait commencé ce rude 
métier, et cependant rien ne semblait indiquer qu'il fût plus 
avancé que le premier jour. A chaque moment, des nominations 
se faisaient sous ses yeux, et néanmoins il n'avait encore pu sur- 
prendre ni un signe, ni une parole, qui dénotât qu'on pensait à 
lui. Son talent à raconter des histoires, l'avait rendu le boule-en- 
train de la société habituelle du ministre, et ses absences, lors- 
qu'elles avaient lieu, produisaient un vide notable dans l'assem- 
blée. Un temps vint où il cessa tout à coup de se montrer dans 
les salons, et quoique les grands, en ce pays-ci, fassent en général 
j»eu d'attention à ces sortes de choses, notre ministre remarqua 
que son assidu moun-kaik avait disparu, mais s'imaginant qu'il 
était tombé malade, ou bien qu'il s'était mis en voyage pour 
des affaires paiticulières, il ne s'en inquiéta pas davantage. Cette 
absence du moun-kaik se prolongeait depuis près de trois 
semaines, lorsqu'enfin, un beau jour, il reparaît tout pétillant 
de joie et s'en vient avec empressement saluer le ministre. 
Celui-ci , content aussi de le revoir, n'a rien de plus pressé, après 
avoir reçu son salut, que de lui demander comment, après une 
si longue disparition, il est enfin tombé du ciel. — « Ah ! » 
répond le moun-kaik. « Votre Excellence dit en ce moment plus 
'< vrai qu'elle ne pense ! — Quoi donc, » reprend le ministre, 
« expliquez-vous, avez-vous été malade? — Un bachelier qui est 
« sur le pavé depuis quinze ans, ne peut manquer d'avoir une 
« maladie que Voti'e Excellence connaît fort bien, mais néanmoins 
« ce n'est j»as cela. Oh ! en ce monde il arrive des histoires bien 
I.NTI'.OIU CTIO.N. CiX 
« étranges ! — Mais expliquez-vous donc, poui({uoi nous tenir 
« en suspens? — Moi, vous tenir en suspens, jamais. Je viens de 
« faire une expérience telle que je ne désire certes plus, ni h moi 
« ni aux autres, d'être suspendu en Fair. » Le ministre, de plus 
en plus intrigué et impatient de connaître une histoire qui 
semblait devoir être curieuse, dit d'un air piqué : « Si votre 
« histoire est étrange, il faut avouer que vous Fêtes encore davan- 
« tage vous-même; encore une fois, expliquez-vous sans détour. 
« — Puisque Votre Excellence le commande je vais tout révéler ; 
« mais c'est si extraordinaire qu'il n'a fallu rien moins qu'un 
« ordre de Votre Excellence pour me décider à faire connaître 
« une histoire à laquelle nul ne voudra ajouter foi. 
« Il y a une vingtaine de jours, voulant me délivrer de l'ennui 
« qui me poursuivait, je songeai à me distraire en faisant une 
« partie de pêche. Je pris donc ma ligne, et fus me poster sur le 
« bord d'un grand étang aux environs de la capitale. A peine ma 
« ligne avait-elle touché l'eau, que des milliers de cigognes 
u vinrent s'abattre tout près de moi. Pensant de suite que quel- 
ce qu'un de ces oiseaux pourrait bien avoir envie de mordre à 
« l'hameçon, et prévoyant que mon poignet ne serait i)as assez 
« robuste pour comprimer ses ébats, je me hâtai de saisir Fextré- 
« mité de la longue corde de ma ligne, et je la fixai solidement 
« autour de mes reins. Cette précaution était à peine prise, 
« qu'une grosse cigogne plus vorace que les autres se jeta sur 
« l'appât, et le dévora en un clin d'œil. Envie me prit de laisser 
(( la captive avaler paisiblement l'hameçon ; je ne bougeai pas, 
« et ma cigogne de son côté resta calme et immobile comme quel- 
ce qu'un qui médite un mauvais coup. Mais ces volatiles ont l'es- 
« tomac tellement chaud, et la digestion tellement rapide, que 
« mon hameçon, une minute et demie après, reparut à l'autre 
a bout. Pendant que je restais stupéfait de cette merveille, une 
« autre cigogne se jette sur l'appât, l'avale et le digère à son tour. 
« Une troisième la suit ; bref: cinq, vingt, cinquante cigognes 
« viennent successivement s'enfiler dans ma ligne. Toutes y 
« auraient passé jusqu'à la dernière, mais ne pouvant plus tenir 
« à un si étrange spectacle, je partis d'un éclat de rire, et je 
« remuai. Soudain, l'escadron effrayé prend son vol, et comme 
« j'étais lié par les reins, je suis emporté avec lui dans les airs. 
« Plus nous allions et plus les cigognes s'effarouchaient. Il ne 
« m'agréait que tout juste de voler ainsi, suspendu à des distances 
« énormes au-dessus de la terre, traîné h droite, à gauche, plus 
« haut; plus bas, h travers des zigzags interminables; mais je 
r.X IMI'.ODUCTIO.N. 
« n'avais pas à choisir, et je me cramponnais le mieux possible à 
« ma corde, lorsqu'enfin, lasses de me voiturer ainsi, les cigo- 
« gnes allèrent s'abattre dans une vaste plaine déserte. 
« Je n'eus rien de plus pressé que de les délivrer en me 
« délivrant moi-même. Je revivais ; mais étais-je en Corée? ou 
« m'avaient-elles transporté aux derniers confins du monde ? 
« C'est ce qu'il m'était impossible de savoir. De plus, parti ino- 
« pinément pour un voyage si long, je n'avais pu faire aucune pro- 
« vision, et, à peine redescendu en ce bas monde, je me sentis 
« dévoré d'une faim canine ; mais la solitude m'environnait de 
« toutes parts. Pestant contre moi-même et contre les cigognes, 
« je me dirigeai machinalement vers un énorme roc qui dominait 
« toute la plaine et dont la cime semblait toucher les cieux. J'ar- 
« rivai tout auprès, et à mon grand étonnement, ce que j'avais 
« pris pour un roc ne fut plus qu'une statue colossale dont la tête 
« s'élevait à perte de vue. Chose plus admirable encore, un grand 
« poirier chargé de fruits magnifiques avait pris racine et s'éle- 
« vait majestueusement sur la tête du colosse. La vue seule de 
« ces fruits faisait découler dans mon estomac je ne sais quelle 
« douce liqueur qui paraissait me faire grand bien, et excitait d'au- 
« tant plus mon appétit : mais comment les cueillir? comment 
« atteindre à celte hauteur démesurée ? La nécessité fut, dit-on, 
« la mère de l'industrie. La plaine était couverte de roseaux. La 
« pensée me vint d'en couper une grande quantité, puis, les enfi- 
« lant les uns au bout des autres, je fabriquai une perche aussi lon- 
« gue que la hauteur de la statue. Alors, enfonçant l'extrémité dans 
« les narines du colosse, je poussai tant et si bien, que la gigan- 
« tesque tête de la statue, prise d'un éternuement formidable, 
« s'agita dans des convulsions terribles, et secoua si fortement le 
« poirier que toutes les poires tombèrent à mes pieds. La bonté 
« en égalait la beauté ; je me rassasiai de ces fruits succulents, 
« puis j'allai à la découverte du pays. J'appris bientôt que le lieu 
« où je me trouvais étaitle district d'Eun-tsin (province de Tsiong- 
« Tsieng, à quatre cent lys de la capitale), et sans tarder, je 
« repris le chemin de Séoul, où me voici enfin revenu. Cepen- 
« dani je dois avouer que, quoique étourdi par la rapide suc- 
« cession de tant d'événements extraordinaires, je n'oubliai pas 
« un instant Votre Excellence, et, en preuve, voici une de ces 
(( poires que j'ai soigneusement conservée pour vous en faire 
a connaître la suavité, plutôt que pour appuyer la vérité de 
« mon étrange histoire. » En même temps le moun-kaik plaça 
dans les mains du ministre une énorme poire. Le ministre 
IMHOnUCTlON. CXI 
voulut la goûter siir-le-cliamp, et la trouva ilélicieuse. Le len- 
demain le moun-kaik était nommé mandarin. » 
Outre les nobles de naissance dont nous avons parlé jusqu'à 
présent, il y a des nobles d'adoption. Ce sont des individus riches 
qui achètent à prix d'argent des titres de noblesse, non pas au 
roi ni aux ministres, mais à quelque puissante famille. Ils obtien- 
nent ainsi d'être inscrits sur les registres généalogiques comme 
descendants de tel ou tel, et dès lors tous les membres de cette 
famille les reconnaissent comme parents devant le gouverne- 
ment et le public, les soutiennent et les protègent comme tels en 
toute circonstance. Cette pratique est contraire au texte de la loi; 
mais elle a de nos jours passé dans les mœurs, et les ministres 
et le roi lui-même sont obligés de la tolérer. 
Mentionnons enfin la classe inférieure de la noblesse, c'est-à- 
dire les familles que l'on appelle : demi-nobles ou nobles de 
province. Ce sont les descendants de personnes qui ont rempli 
quelque charge publique peu importante comme celle de tsoa-siou 
ou de piel-kam (1). Ces familles ont quelques privilèges, 
entreautres celui de porter le bonnet de crin, et quand leurs 
membres ont souvent été honorés de ces emplois secondaires, 
elles jouissent, dans la province même, d'une certaine considé- 
ration. on doit se servir en leur parlant des mêmes formules de 
courtoisie qu'envers les vrais nobles. Mais au fond leur autorité 
est beaucoup moins grande, et en dehors de leur propre district, 
elle devient presque nulle. 
Inutile d'ajouter qu'en Corée comme ailleurs les usurpations 
de titres de noblesse ne sont pas rares. Beaucoup d'aventuriers, 
quand ils se trouvent dans une province éloignée de la leur, se 
font passer pour nobles, prennent le bonnet de crin, et usent 
et abusent de tous les autres privilèges de caste, avec une inso- 
lence tout à fait aristocratique. Quand la fraude est découverte, 
on les traîne à la préfecture la plus voisine, et ils reçoivent une 
forte bastonnade ; mais s'ils ont des talents, de l'adresse, de l'ar- 
gent surtout, les mandarins ferment les yeux, et le peuple est 
obligé de les supporter. Souvent, pendant les persécutions, des 
chrétiens ont employé ce moyen pour se mettre à l'abri des 
molestations, et, s'en trouvant bien, persistent à se faire passer 
pour nobles. « De temps en temps, écrivait Mgr Daveluy, je me 
permets de plaisanter un peu ces nobles d'emprunt. Mais les 
(.1) Voir plus liant, p. xxxvii. 
exil lNTi;0DLCTin>. 
quelques chrétiens qui sont véritablement de race noble prennent 
la chose plus au sérieux. Ils font entendre des plaintes amères 
sur un abus qui est à leurs yeux un crime énorme. Ils m'accusent 
d'une tolérance coupable envers ces roturiers qui osent les traiter 
d'égal à égal, et j'ai quehiuefois peine à les calmer. » 
Entre la noblesse et le peuple proprement dit, se trouve la 
classe moyenne, qui n'existe réellement qu'à la capitale. Elle se 
compose des familles qui depuis plusieurs générations remplissent 
auprès du gouvernement certaines fonctions spéciales, telles que 
celles d'interprètes, d'astronomes, de médecins, etc.. Nous en 
avons parlé plus haut. 
Au-dessous de la classe moyenne vient le peuple, qui n'a abso- 
lument aucune influence politique. Légalement, un homme du 
peuple peut concourir aux examens publics pour les emplois 
civils et militaires; mais en fait, quelque titre qu'il obtienne, 
même de licencié ou de docteur, il ne recevra jamais du gouver- 
nement que des fonctions insignifiantes. Pour se défendre contre 
les exactions, les cruautés et l'arbitraire des nobles, les gens des 
diverses classes de métiers se sont unis entre eux, et ont formé 
des associations qui, à la longue, sont devenues assez puissantes, 
à la capitale surtout, et dans les grandes villes. Quelques-unes 
de ces corporations, telles que : les faiseurs de cercueils, les cou- 
vreurs, les maçons, les porte-faix, etc.. possèdent, soil par droit 
écrit, soit par prescription, le monopole de leur industrie. Elles 
payent régulièrement au trésor royal une contribution déterminée, 
afin dempècher tout autre que leurs membres d'exercer tel ou 
tel métier. D'autres sociétés nont pas de monopole; le but 
unique de leurs membres est de se protéger réciproquement, et 
de se faciliter les moyens de travail. Ces dernières reçoivent dans 
leur sein quiconque se présente, ouvrier ou non, pourvu qu'il 
paye sa cotisation, et se soumette aux règles communes. 
Cet esprit d'association, si naturel et si nécessaire dans un pays 
où il n'y a guère d'autre loi que celle du plus riche ou du plus 
fort, est très-répandu parmi les Coréens, depuis les familles prin- 
cières jusqu'aux derniers esclaves. Nous l'avons signalé dans les 
divers partis politiques qui divisent l'aristocratie, dans la classe 
moyenne, parmi les prétoriens et satellites des tribunaux. Nous 
le retrouvons dans toutes les classes du peuple. Chaque village 
forme une petite république, et possède une caisse commune à 
laquelle toutes les familles sans exception doivent contribuer. 
Cet argent est placé en fonds de terre ou à intérêt, et les revenus 
servent à payer les suppléments d'impôts, les objets d'utilité 
INTRODUCTION. CXllI 
piil)liqLie pour les mariages, enterrements, etc..., et autres 
dépenses imprévues. Les individus attachés aux temples de 
Confucius ou d'autres grands hommes ; les gardiens, les portiers, 
les commissionnaires, les différentes espèces de domestiques des 
palais royaux ; les employés des ministères, des administrations 
civile, militaire ou judiciaire ; tous ceux, en un mot, qui ont 
un genre de travail ou des intérêts communs, forment entre eux 
des corporations ou sociétés, analogues à celles des ouvriers 
proprement dits, et ceux qui n'appartiennent par leur état ou 
leur situation à aucune de ces sociétés, s'y font affilier, moyen- 
nant une somme plus ou moins considérable, afin de trouver aide 
et protection en cas de besoin. 
Une des corporations les plus puissantes et les mieux orga- 
nisées est celle des porte-faix. Le commerce intérieur se faisant 
presque toujours à dos d'hommes ou de bêtes de charge, est 
entièrement entre leurs mains. La plupart d'entre eux sont des 
gens veufs ou qui par pauvreté n'ont pu se marier ; les autres 
traînent à leur suite, le long des routes, leurs femmes et leurs 
enfants. Répandus dans le pays au nombre de huit ou dix mille, 
ils sont subdivisés par provinces et par districts, sous les ordres 
de chefs, sous-chefs, censeurs, inspecteurs, etc.. Ils parlent un 
langage de convention pour se reconnaître entre eux, se saluent 
partout où ils se rencontrent, et se prodiguent les marques exté- 
rieures du respect le plus cérémonieux. Ils sont soumis à des 
règles sévères, et leurs chefs punissent eux-mêmes, quelquefois 
de mort, les crimes et délits commis par les confrères. Ils pré- 
tendent que le gouvernement, n'a pas le droit de se mêler de 
leurs affaires, et jamais on n'en a vu aucun demander justice à un 
mandarin. Ils passent généralement pour probes et honnêtes, et 
les paquets ou ballots qu'on leur confie pour les provinces les 
plus éloignées, sont fidèlement remis à leur adresse. on prétend 
que leurs mœurs sont très-corrompues, et que presque tous 
s'adonnent à des vices contre nature. Néanmoins, leurs femmes 
sont respectées, et celui d'entre eux qui toucherait à la femme 
d'un de ses confrères, serait immédiatement mis à mort. Ils sont 
insolents vis-à-vis du peuple, et se font redouter même des man- 
darins. Quand ils croient avoir à se plaindre d'un affront, d'une 
injustice quelconque, ils se retirent en masse du district ou de la 
ville, et leur retraite arrêtant le commerce, et empêchant la 
circulation des marchandises, on est obligé de parlementer avec 
eux, et de subir leurs conditions, après quoi ils reviennent plus 
fiers que jamais. 
T. I. — l'église de CORÉE. h 
CXIV INTRODUCTION, 
La corporation la plus méprisée est celle des valets de bouchers 
ou abatteurs de bœufs. Le bœuf étant un animal absolument 
nécessaire pour la culture et le transport des fardeaux, une loi 
très-ancienne défend de le tuer sans permission du gouverne- 
ment, et Topinion publique, d'accord avec la loi, regarde Tacte 
de tuer un bœuf comme le plus avilissant de tous. Les abatteurs 
de bœufs forment donc une classe à part, plus dégradée aux yeux 
de tous que les esclaves eux-mêmes. Ils ne peuvent demeurer 
dans l'intérieur des villages ; ils vivent en dehors de la popu- 
lation qui les repousse avec horreur, et ne se marient qu'entre eux. 
C'est parmi eux que sont pris les exécuteurs des hautes œuvres. 
Seuls ils ont le droit d'abattre les bœufs, et tout autre Coréen 
qui le ferait serait chassé de son village et de sa famille, et forcé 
de se réfugier chez eux. Il est bon de noter en passant que le 
mépris public n'atteint que ceux qui tuent l'animal, et nulle- 
ment les bouchers qui en vendent la viande. Ceux-ci sont de gros 
personnages nommés par les mandarins, auxquels ils payent un 
impôt très-lourd afin de conserver leur monopole. Tout autre 
individu qui ferait abattre un bœuf, aurait à payer une amende 
de o4 à 56 francs, prix ordinaire d'un petit bœuf. 
Le nombre des esclaves est aujourd'hui bien moins considé- 
rable qu'autrefois, et va toujours en diminuant. on n'en ren- 
contre plus guère, au moins dans les provinces centrales, que 
chez les grandes familles nobles. Sont esclaves : ceux qui naissent 
d'une mère esclave; ceux qui se vendent ou sont vendus par leurs 
parents comme tels ; enfin les enfants abandonnés qui sont 
recueillis et élevés ; mais dans ce dernier cas l'esclavage est j)er- 
sonnel, et les enfants de celui qui a ainsi perdu sa liberté, nais- 
sent libres. L'esclavage est très-doux dans ce pays; généralement 
on ne garde et on n'emploie comme esclaves que les jeunes gens, 
surtout les jeunes filles pour le service intérieur de la famille. 
Quand ils sont en âge de se marier, les garçons sont le plus 
souvent laissés libres de se retirer où ils voudront, à seule charge 
de payer au maître une espèce décapitation annuelle ; d'autres 
fois, le maître les garde auprès de lui et les marie à quelqu'une 
de ses esclaves. Les filles demeurent dans la famille du maître, 
et après leur mariage habitent une petite maison à part. Elles 
sont astreintes à quelques travaux, et tous leurs enfants appar- 
tiennent au maître. 
Le maître a droit de vie et de mort sur ses esclaves ; néan- 
moins, s'il usait de ce droit dans les circonstances ordinaires, 
ou même s'il les frappait trop violemment, il serait justiciable des 
1 
IISTRODUCTION. CXV 
tribunaux. Les missionnaires assurent qu'il y a peu d'excès de ce 
genre. En somme, le sort des esclaves est souvent préférable à 
celui des pauvres villageois, et il n'est pas rare de voir des gens 
du peuple se réfugier auprès des grands, demander à épouser 
leurs esclaves, et à devenir esclaves eux-mêmes, pour se mettre à 
l'abri des exactions et des violences des nobles ou des mandarins. 
Outre les esclaves qui sont la propriété des particuliers, il y en 
d'autres qui appartiennent au gouvernement. Ils sont attachés aux 
diverses administrations, ministères, préfectures, où ils remplis- 
sent les plus bas offices de domesticité. Quelques-uns de ces 
esclaves le sont de naissance ; la plupart le sont devenus par suite 
d'une condamnation en cause criminelle, et ces derniers sont 
des forçats plutôt que des esclaves. Cet esclavage est, surtout 
pour les femmes, beaucoup plus pénible que l'esclavage ordi- 
naire. Les femmes esclaves des préfectures sont traitées à peu 
près comme des animaux. Elles sont à la merci, non-seulement 
des mandarins, mais des prétoriens, des satellites, des valets, du 
premier venu. Rien n'égale le mépris qu'on a pour elles, et la 
condamnation à une telle servitude est, pour une honnête femme, 
mille fois pire que la mort. 
IX 
Condition des femmes. — Mariage. 
En Corée, comme dans les autres pays asiatiques, les mœurs 
sont effroyablement corrompues, et par une suite toute natu- 
relle, la condition ordinaire de la femme est un état d'abjection 
et d'infériorité choquantes. Elle n'est point la compagne de 
l'homme, elle n'est qu'une esclave, un instrument de plaisir ou 
de travail, à qui la loi et les mœurs ne reconnaissent aucun droit 
et, pour ainsi dire, aucune existence morale. C'est un principe 
généralement admis, consacré par les tribunaux, et que per- 
sonne ne songe à contester, que : toute femme qui n'est pas sous 
puissance de mari ou de parents, est, comme un animal sans 
maître, la propriété du premier occupant. 
Les femmes n'ont pas de nom. La plupart des jeunes filles 
reçoivent, il est vrai, un surnom quelconque, par lequel les 
parents plus âgés, ou les amis de la famille les désignent pendant 
leur enfance. Mais aussitôt qu'elles ont atteint l'âge de puberté, 
le père et la mère seuls peuvent employer ce nom ; les autres 
membres de la famille, ainsi que les étrangers, se servent de 
périphrases telles que : la fille d'un tel, la sœur d'un tel. Après 
le mariage une femme n'a plus de nom. Ses propres parents la 
désignent le plus souvent par le nom du district où elle a été 
mariée ; les parents de son mari, par le nom du district oii elle 
vivait avant son mariage. Quelquefois on l'appelle tout court ; 
la maison d'un tel (nom du mari). Quand elle a des fils, les bien- 
séances demandent qu'on se serve de la désignation : mère 
d'un tel. Quand une femme est forcée de comparaître devant les 
tribunaux, le mandarin, pour faciliter les débats, lui impose 
d'office un nom pour le temps que doit durer le procès. 
Dans les hautes classes de la société, l'étiquette exige que les 
enfants des deux sexes soient séparés dès l'âge de huit ou dix 
ans. A cet âge, les garçons sont placés dans l'appartement exté- 
rieur où vivent les hommes. C'est là qu'ils doivent passer leur 
temps, étudier, et même manger et dormir. on ne cesse de leur 
répéter qu'il est honteux à un homme de demeurer dans l'appar- 
tement des femmes, et bientôt ils refusent d'y mettre les pieds. 
INTRODUCTION. CXVII 
Les jeunes filles au contraire sont enfermées dans les salles inté- 
rieures, où doit se faire leur éducation, où elles doivent apprendre 
à lire et à écrire. on leur enseigne qu'elles ne doivent plus jouer 
avec leurs frères et qu'il est inconvenant pour elles de se laisser 
apercevoir des hommes, de sorte que, peu à peu, elles cherchent 
d'elles-mêmes h se cacher. 
Ces usages se conservent pendant toute la vie, et leur exagé- 
ration a complètement détruit la vie de famille. Presque jamais 
un Coréen de bon ton n'aura de conversation suivie même avec 
sa propre femme, qu'il regarde comme infiniment au-dessous de 
lui. Jamais surtout il ne la consultera sur rien de sérieux, et 
quoique vivant sous le môme toit, on peut dire que les époux 
sont toujours séparés, les hommes conversant et se délassant 
ensemble dans les salles extérieures, et les femmes recevant 
leurs parentes ou amies dans les appartements qui leur sont 
réservés. La même coutume, basée sur le même préjugé, em- 
pêche les gens du peuple de rester dans leurs maisons quand ils 
veulent prendre un instant de récréation ou de repos. Les 
hommes cherchent leurs voisins, et, de leur côté, les femmes se 
réunissent à part. 
Parmi les nobles, quand une jeune fille est arrivée à l'âge 
nubile, ses propres parents, excepté ceux du degré le plus rap- 
proché, ne sont plus admis ni à la voir ni à lui parler, et ceux 
qui sont exceptés de cette loi ne lui adressent la parole qu'avec 
la plus cérémonieuse retenue. Après leur mariage, les femmes 
nobles sont inabordables. Presque toujours consignées dans leurs 
appartements, elles ne peuvent ni sortir, ni même jeter un regard 
dans la rue, sans la permission de leur mari ; et de là, pour 
beaucoup de dames chrétiennes, surtout en temps de persé- 
cution , l'impossibilité absolue de participer aux sacrements. 
Cette séquestration jalouse est portée si loin, que l'on a vu des 
pères tuer leurs filles, des maris tuer leurs femmes, et des femmes 
se tuer elles-mêmes, parce que des étrangers les avaient touchées 
du doigt. Mais très-souvent aussi, cette réserve ou cette pudeur 
exagérée produit les inconvénients qu'elle est destinée à éviter. 
Si quelque libertin effronté parvient à pénétrer secrètement dans 
l'appartement d'une femme noble, elle n'osera ni pousser un cri, 
ni opposer la moindre résistance qui pourrait attirer l'atten- 
tion ; car alors, coupable ou non, elle serait déshonorée à tout 
jamais, par le seul fait qu'un homme est entré dans sa chambre, 
tandis que, la chose restant secrète, sa réputation est sauve. 
D'ailleurs, si elle résistait, personne ne lui en saurait gré, pas 
CXVIII INTRODUCTION. 
même son mari, à cause de l'éclat fâcheux qui serait ainsi 
occasionné. 
Quoique les femmes en Corée ne comptent absolument pour 
rien, ni dans la société, ni dans leur propre famille, elles sont 
entourées cependant d'un certain respect extérieur. on se sert en 
leur parlant des formules honorifiques, et nul n'oserait s'en dis- 
penser, si ce n'est envers ses propres esclaves. on cède le pas 
dans la rue à toute femme honnête, même du pauvre peuple. 
L'appartement des femmes est inviolable; les agents de l'autorité 
eux-mêmes ne peuvent y mettre le pied, et un noble qui se retire 
dans cette partie de la maison n'y sera jamais saisi de force. 
Le cas de rébellion est seul excepté, parce qu'alors les femmes 
sont supposées complices du coupable. Dans les autres circons- 
tances, les satellites sont forcés d'user de ruse pour attirer leur 
proie au dehors, en un lieu où ils puissent légalement l'arrêter. 
Quand un acheteur vient visiter une maison en vente, il avertit 
de son arrivée, afin qu'on ferme les portes des chambres réservées 
aux femmes, et il n'examine que les salons extérieurs ouverts à 
tous. Quand un homme veut monter sur son toit, il prévient les 
voisins afin que l'on ferme les portes et les fenêtres. 
Les femmes des mandarins ont le droit d'avoir des voitures à 
deux chevaux, et ne sont point obligées de faire cesser, dans 
l'enceinte de la capitale, les cris des valets de leur suite, ce que 
doivent faire les plus hauts fonctionnaires, même les gouverneurs 
et les ministres. Les femmes ne font la génuflexion à personne, 
si ce n'est à leurs parents, dans le degré voulu, et selon les règles 
fixées. Celles qui se font porter en chaise ou palanquin, sont 
dispensées de mettre pied à terre en passant devant la porte du 
palais. Ces usages semblent dictés par le sentiment des conve- 
nances , mais il en est d'autres qui viennent évidemment du 
mépris qu'on a pour le sexe le plus faible ou de la licence des 
mœurs. Ainsi, les femmes, à quelque classe de la société qu'elles 
appartiennent, ne sont presque jamais traduites devant les tribu- 
naux, quelque délit qu'elles puissent commettre, parce qu'on ne 
les suppose pas responsables de leur actes. Ainsi encore, elles ont 
droit de pénétrer partout dans les maisons, de circuler en tout 
temps dans les rues de la capitale, même la nuit; tandis que, 
depuis neuf heures du soir, moment où la cloche donne le signal 
de la retraite, jusqu'à deux heures du matin, aucun homme ne 
peut sortir, sauf le cas d'absolue nécessité, sans s'exposer à une 
forte amende. 
Lorsque les enfants ont atteint l'âge de puberté, ce sont les 
I^TR0DUCT10!N. CXIX 
parents qui les fiancent et les marient, sans les consulter, sans 
s'inquiéter de leurs goiits, et souvent même contre leur gré. De 
part et d'autre on ne s'occupe que d'une chose, la convenance de 
rang et de position entre les deux familles. Peu importent les 
aptitudes des futurs époux, leur caractère, leurs qualités ou leurs 
défauts physiques, leur répugnance mutuelle. Le père du garçon 
se met en relation avec le père de la fille, de vive voix s'ils 
demeurent dans le voisinage l'un de l'autre, par lettre s'ils sont 
trop éloignés. on discute les diverses conditions du contrat, on 
convient de tout, on marque l'époque qui semble la plus favorable 
d'après les calculs des devins ou astrologues, et cet arrangement 
est définitif. 
La veille ou l'avant-veille du jour fixé pour le mariage, la 
demoiselle invite une de ses amies pour lui relever les cheveux ; 
le jeune homme de son côté appelle l'un de ses parents ou con- 
naissances pour lui rendre le même service. Ceux qui doivent 
faire cette cérémonie sont choisis avec soin ; on les appelle pok- 
siou, c'est-à-dire : main de bonheur. Voici sur quoi est fondé 
cet usage. En Corée, les enfants des deux sexes portent leurs 
cheveux en une seule tresse qui pend sur le dos. Ils vont toujours 
nu-tête. Tant que l'on n'est pas marié, on reste au rang des enfants 
(ahai), et l'on doit conserver ce genre de coiffure. on peut alors 
faire toutes sortes d'enfantillages et de folies, sans que cela tire 
à conséquence ; on n'est pas supposé capable de penser ou d'agir 
sérieusement, et les jeunes gens, eussent-ils vingt-cinq ou trente 
ans, ne peuvent prendre place dans aucune réunion oii l'on traite 
d'affaires importantes. Mais le mariage amène l'émancipation 
civile, à quelque âge qu'il soit contracté, fût-ce à douze ou treize 
ans. Dès lors on devient homme fait (euroun), les jeux d'enfants 
doivent être abandonnés, la nouvelle épouse prend son rang 
parmi les matrones, le jeune marié a le droit de parler dans les 
réunions d'hommes et de porter désormais un chapeau. Après 
que les cheveux ont été relevés pour le mariage, les hommes les 
portent noués sur le sommet de la tête, un peu en avant. D'après 
les vieilles traditions, ils ne devraient jamais se couper un seul 
cheveu ; mais, à la capitale surtout, les jeunes gens qui veulent 
faire valoir leurs avantages personnels, et n'avoir pas sur le 
crâne un trop gros paquet de cheveux, se font raser le sommet 
de la tête, de façon h ce que le nœud ne soit pas plus gros qu'un 
œuf. Les femmes mariées, au contraire, non-seulement conser- 
vent tous leurs cheveux, mais s'en procurent de faux, afin de 
grossir autant que possible les deux tresses qui pour elles sont 
CXX INTRODUCTION. 
de règle stricte. Les femmes de tout rang à la capitale, et les 
femmes nobles dans les provinces forment avec ces deux, tresses 
un gros chignon qui, maintenu par une longue aiguille d'argent 
ou de cuivre placée en travers, retombe sur le cou. Les femmes 
du peuple, dans les provinces, roulent les deux tresses autour de 
leur tête, comme un turban, et les nouent sur le front. Les 
jeunes personnes qui refusent de se marier, et les hommes qui, 
arrivés à un certain âge, n'ont pu trouver femme, relèvent eux- 
mêmes leurs cheveux secrètement et en fraude, afin de ne pas 
être éternellement iraités comme des enfants ; c'est une violation 
grave des usages, mais on la tolère. 
Au jour fixé, on prépare dans la maison de la jeune fille une 
estrade plus ou moins élevée, ornée avec tout le luxe possible ; 
les parents et amis sont invités, et s'y rendent en foule. Les 
futurs époux qui ne se sont jamais vus, ni jamais adressé la 
parole, sont amenés solennellement sur Testrade, et placés l'un 
en face de l'autre. Ils y restent quelques minutes, se saluent sans 
mot dire, puis se retirent chacun de son côté. La jeune mariée 
rentre dans l'appartement des femmes , et le marié demeure 
avec les hommes dans les salons extérieurs, où il se réjouit avec 
tous ses amis, et les fête de son mieux. Quelque considérables 
que puissent être les dépenses, il doit s'exécuter de bonne grâce; 
sinon, on emploiera tous les moyens imaginables, jusqu'à le 
lier et le suspendre au plafond, pour le forcer à se montrer 
généreux. 
C'est cette salutation réciproque, par devant témoins, qui 
signifie le consentement, et constitue le mariage légitime. Dès 
lors le mari, à moins qu'il n'ait répudié sa femme dans les formes 
voulues, peut toujours et partout la réclamer ; et, l'eiit-il répu- 
diée, il lui est interdit de prendre lui-même une autre femme 
légitime, du vivant de la première, mais il reste libre d'avoir 
autant de concubines qu'il en peut nourrir. Quant aux concubines, 
il suffit qu'un homme puisse prouver qu'il a eu des relations inti- 
mes avec une fille ou une veuve, pour que celle-ci devienne sa 
propriété légale. Personne ne peut la lui enlever, et les parents 
eux-mêmes n'ont pas droit de la réclamer. Si elle s'enfuit, il peut 
la faire ramener de force à son domicile. 
Le fait suivant, arrivé il y a quelques années dans un village 
où se trouvait un missionnaire, nous fera mieux comprendre ces 
diverses lois et coutumes au sujet du mariage. Un noble avait à 
marier sa propre fille et celle de son frère défunt, toutes deux 
du même âge. 11 voulait pour chacune d'elles, mais pour sa fille 
IMRODICTION. TAXI 
surtout, le plus excellent mari qui se pûl rencontrer, et dans son 
désir de faire le meilleur choix possible, il avait refusé déjà plu- 
sieurs partis très-convenables. Un jour enfin, on lui fait une 
demande de la part d'une riche et grande famille. Après avoir 
hésité quel({ue temps s'il donnerait sa fille ou sa nièce, il se 
détermine pour sa fille, et sans avoir jamais vu son futur gen- 
dre, engage sa parole et convient de l'époque des noces. Mais 
trois jours avant la cérémonie, il apprend par des sorciers que 
le jeune homme est un niais, très-laid et très-ignorant. Que 
faire? Il n'y avait plus moyen de reculer. Il avait donné son con- 
sentement, et en pareil cas la loi est inflexible. Dans son déses- 
poir, il imagina un moyen d'amortir le coup qu'il ne pouvait parer 
entièrement. Le jour du mariage, dès le matin, il se rendit à 
l'appartement des femmes et donna ses ordres de la manière la 
l)lus absolue, pour que sa nièce, et non sa fille, fût coiffée, 
habillée, et conduite sur l'estrade saluer le futur mari. Sa fille, 
stupéfaite, n'avait qu'à obéir. Les deux cousines, étant à peu près 
de la même taille, la substitution fut facile, et la cérémonie eut 
lieu dans les formes voulues. Le nouveau marié, 'selon l'usage, 
passa l'après-midi dans l'appartement des hommes, et quelle ne 
fut pas la stupéfaction du vieux noble lorsqu'il vit que, loin d'être 
le badaud que lui avaient dépeint les sorciers, il était beau, bien 
fait, très-spirituel, très-instruit et très-aimable ! Désolé d'avoir 
perdu un pareil gendre, il songea à réparer le mal, et ordonna 
secrètement que, le soir, on introduisit dans la chambre nuptiale 
non point sa nièce, mais sa propre fille. Il savait bien que le 
jeune homme ne se douterait de rien, parce que pendant les salu- 
tations officielles sur l'estrade, les nouvelles mariées sont telle- 
ment affublées et surchargées d'ornements qu'il est impossible 
de distinguer leur visage. Tout se fit comme il le désirait. Pen- 
dant les deux ou trois jours que l'on passa en famille, le vieux 
noble, heureux du succès de ses stratagèmes, se félicitait d'avoir 
un gendre aussi parfait. Le nouveau marié de son côté, se montrait 
de plus en plus charmant, et gagna tellement le cœur de son 
beau-père, qu'à la fin, dans un épanchement d'affection, celui-ci 
lui raconta tout ce qui était arrivé, les bruits qui avaient couru 
sur son compte, et les substitutions successives de la nièce à la 
fille, et de la fille à la nièce. Le jeune homme fut tout d'abord 
interdit, puis reprenant son sang-froid : « C'est très-bien, dit-il, 
et très-adroit de votre part. Mais il est clair que les deux jeunes 
personnes m'appartiennent, et je les réclame toutes les deux, 
votre nièce qui seule est ma légitime épouse, puisqu'elle m'a 
CXXn INTRODUCTION. 
I 
fait les salutations légales ; votre fille parce que, introduite par <. 
vous-même dans la chambre nuptiale, elle est devenue de droit et 
de fait ma concubine. » Il n'y avait rien à répondre ; les deux * 
jeunes femmes furent conduites à la maison du nouveau marié, et 
le vieillard demeuré seul fut bafoué de tous pour sa maladresse 
et sa mauvaise foi. 
Le jour du mariage, la jeune fille doit montrer la plus grande 
réserve dans ses paroles. Sur l'estrade, elle ne dit pas un mot, et 
le soir, dans la chambre nuptiale, l'étiquette, surtout entre gens 
delà haute noblesse, lui commande le silence le plus absolu. 
Le jeune marié l'accable de questions, de compliments; elle doit 
rester muette et impassible comme une statue. Elle s'assied dans 
un coin, revêtue d'autant de robes qu'elle en peut porter. Son 
mari la déshabillera s'il le veut, mais elle ne s'en mêlera pas. Si 
elle prononçait une parole ou faisait un geste, elle deviendrait 
un objet de risée et de plaisanterie pour ses compagnes, car les 
femmes esclaves de la maison se tiennent auprès des portes pour 
écouter, regardent par toutes les fentes, et se hâtent de publier 
ce qu'elles peuvent voir et entendre. Un jeune marié fit un jour 
avec ses amis la gageure d'arracher quelques mots à sa femme 
dès la première entrevue. Celle-ci en fut avertie. Le jeune homme 
après avoir vainement tenté divers moyens, s'avisa de lui dire que 
les astrologues, en tirant l'horoscope de sa future, lui avaient 
aftirmé qu'elle était muette de naissance, qu'il voyait bien que 
tel était le cas, et qu'il était résolu à ne pas prendre une femme 
muette. La jeune femme aurait pu se taire impunément, car 
les cérémonies légales une /ois accomplies, que l'un des deux 
conjoints soit muet ou aveugle, ou impotent, peu importe, le 
mariage existe. Mais piquée de ces paroles, elle répondit d'un 
ton aigre- doux : « Hélas! l'horoscope tiré sur ma nouvelle famille 
est bien plus vrai encore. Le devin m'a annoncé que j'épouserais 
le fils d'un rat, et il ne s'est pas trompé. » C'est là pour un 
Coréen la plus grossière injure, et elle atteignait non-seulement 
l'époux mais son père. Les éclats de rire des femmes esclaves en 
faction auprès de la porte augmentèrent la déconvenue du jeune 
homme. Il avait gagné son pari, mais les moqueries de ses amis 
lui firent payer bien cher et bien longtemps sa malencontreuse 
bravade. 
Cet état de réserve et de contrainte entre les nouveaux mariés 
doit, selon les lois de l'étiquette, se prolonger très-longtemps. 
Pendant des mois entiers, la jeune femme ouvre à peine la 
bouche pour les choses les plus nécessaires. Point de conversa- 
liNTROnUCTION. CXXIII 
lions suivies avec son mari, poinl de confidences, jamais l'ombre 
de cordialité. Vis-à-vis de son beau-père, Tusage est encore plus 
sévère; souvent elle i)asse des années entières sans oser lever les 
yeux sur lui ou lui adresser la parole, sinon pour lui donner de 
loin en loin quelque brève réponse. Avec sa belle-mère elle est 
un peu plus à Taise, et se permet quelquefois de petites conver- 
sations ; mais, si elle est bien élevée, ces conversations seront 
rares et de peu de durée. Inutile d'ajouter que les chrétiens de 
Corée ont laissé de côté la plupart de ces observances ridicules. 
D'après tout ce que nous venons de dire," on comprend combien 
rares doivent être en Corée les mariages heureux, les unions 
bien assorties. La femme n'a que des devoirs envers son mari, 
tandis que celui-ci n'en a aucun envers elle. La fidélité conjugale 
n'est obligatoire que pour la femme. Si insultée, si dédaignée 
qu'elle soit, elle n'a pas le droit de se montrer jalouse; l'idée 
même ne lui en vient pas. D'ailleurs, l'amour mutuel entre les 
époux est un phénomène que les mœurs rendent presque impos- 
sible. Les bienséances tolèrent qu'un mari respecte sa femme et 
la traite convenablement ; mais on se moquerait cruellement de 
celui qui lui donnerait une marque d'affection véritable, et qui 
l'aimerait comme la compagne de sa vie. Elle n'est et ne doit être, 
pour un homme qui se respecte, qu'une esclave d'un rang un 
peu plus élevé, destinée à lui donner des enfants, à surveiller 
l'intérieur de la maison , et à satisfaire quand il lui plaît ses 
passions et ses appétits naturels. Parmi les nobles, le jeune marié 
après avoir passé trois ou quatre jours avec sa nouvelle épouse, 
doit la quitter pour un temps assez long, afin de prouver qu'il ne 
fait pas d'elle trop grand cas. Il la laisse dans un état de veuvage 
anticipé, et se dédommage avec des concubines. En agir autrement 
serait de mauvais goût. on cite des nobles, qui pour avoir laissé 
échapper quelques larmes à la mort de leur femme, ont été obli- 
gés de s'absenter pendant plusieurs semaines des salons de leurs 
amis où l'on ne cessait de les poursuivre de quolibets. 
Parmi les femmes, un certain nombre acceptent cet état de 
choses avec une résignation exemplaire. Elles se montrent 
dévouées, obéissantes, soigneuses de la réputation et du bien-être 
de leurs maris. Elles ne se révoltent pas trop contre les exigences 
souvent tyranniques et déraisonnables de leurs belles-mères. 
Habituées dès l'enfance à porter le joug, à se regarder elle-mêmes 
comme une race inférieure, elles n'ont pas même l'idée de pro- 
tester contre les usages établis, ou de briser les préjugés dont 
elles sont victimes. Mais beaucoup d'autres femmes se laissent 
CXXIV INTRODUCTION. 
aller à tous leurs défauts de caractère, sont violentes, insubor- 
données, mettent dans leurs maisons la division et la ruine, se 
battent avec leurs belles-mères, se vengent de leurs maris en leur 
rendant la vie insupportable, et provoquent sans cesse des scènes 
de colère et de scandale. Chez les gens du peuple, en pareil cas, le 
mari se fait justice à coups de poing ou de bâton ; mais dans les 
hautes classes, Tusage ne permettant point à un noble de frapper 
sa femme, il n'a d"autre ressource que le divorce, et s'il ne lui est 
pas facile d'y recourir et de faire les frais d'un autre mariage, il 
faut qu'il se résigne. Si sa femme, non contente de le tourmenter, 
lui est infidèle ou s'enfuit de la maison conjugale, il peut la con- 
duire au mandarin, qui, après avoir fait administrer la baston- 
nade à la dame, la donne pour concubine à quelqu'un de ses 
satellites ou de ses valets. 
Quelquefois cependant, même en Corée, les femmes de tact et 
d'énergie savent se faire respecter, et conquérir leur position 
légitime, comme le prouve l'exemple suivant, extrait d'un traité 
coréen de morale en action, à l'usage des jeunes gens des deux 
sexes. Vers la fin du siècle dernier, un noble de la capitale, assez 
haut placé, perdit sa femme dont il avait plusieurs enfants. Son 
âge déjà avancé rendait un second mariage difficile; néanmoins, 
après de longues recherches, les entremetteurs employés en 
pareil cas firent décider son union avec la fille d'un pauvre noble 
de la province de Kieng-sang. Au jour fixé, il se rendit à la mai- 
son de son futur beau-père, et les deux époux furent amenés sur 
l'estrade pour se faire les salutations d'usage. Notre dignitaire en 
voyant sa nouvelle femme, resta un moment interdit. Elle était 
très-peiile, laide, bossue, et semblait aussi peu favorisée des dons 
de l'esprit que de ceux du corps. Mais il n'y avait pas à reculer, 
et il en prit son parti, bien résolu à ne jamais l'amener dans sa 
maison et à n'avoir aucun rapport avec elle. Les deux ou trois 
jours que l'on passe dans la maison du beau-père étant écoulés, il 
repartit pour la capitale, et ne donna plus de ses nouvelles. La 
femme délaissée, qui était une personne de beaucoup d'intelli- 
gence, se résigna à son isolement, et demeura dans la maison 
paternelle, sinformant de temps en temps de ce qui arrivait à son 
mari. Elle apprit, après deux ou trois ans, qu'il était devenu 
ministre de second ordre, qu'il venait de marier très-honorable- 
ment ses deux fils, puis, quelques années plus tard, qu'il se 
disposait à célébrer, avec toute la pompe voulue, les fêtes de sa 
soixantième année. 
Aussitôt, sans hésiter, malgré l'opposition elles remontrances 
INTRODUCTION. CXXV 
(le ses parents, elle prend le chemin de la capitale, se fait porter à 
la maison dn ministre, et annoncer comme sa femme. Elle descend 
de son palanquin sous le vestibule, se présente d'un air assuré, 
promène un regard tranquille sur les dames de la famille réunies 
l)Our la fête, s'assied h la place d'honneur, se fait apporter du 
ieu, et avec le plus grand calme, allume sa pipe devant toutes 
les assistantes stupéfaites. La nouvelle est portée de suite à l'ap- 
partement des hommes, mais par bienséance personne n'a l'air de 
s'en émouvoir. Bientôt la dame fait appeler les esclaves de ser- 
vice, et d'un ton sévère : « Quelle maison est-ce que celle-ci? 
leur dit-elle ; je suis votre maîtresse et personne ne vient me 
recevoir. Où avez-vous été élevées? je devrais vous infliger une 
grave punition, mais je vous fais grâce pour cette fois. Où est 
l'appartement de la maîtresse ? » on se hâte de l'y conduire, et là, 
au milieu de toutes les dames : « Où sont mes belles-filles? 
demande-t-elle, comment se fait-il qu'elles ne viennent pas me 
saluer? Elles oublient sans doute que par mon mariage je suis 
devenue la mère do leurs maris, et que j'ai droit de leur part à 
tous les égards dus à leur propre mère. » Aussitôt, les deux 
belles-filles se présentent, l'air honteux, et s'excusent de leur 
mieux sur le trouble où les a jetées une visite aussi inattendue. 
Elle les réprimande doucement, les exhorte à se montrer plus 
exactes dans Taccomplissement de leurs devoirs, et donne diffé- 
rents ordres en sa qualité de maîtresse de la maison. 
Quelques heures après, voyant qu'aucun des maîtres ne parais- 
sait, elle appelle une esclave et lui dit : « Mes deux fils ne sont 
certainement pas sortis en un jour comme celui-ci ; voyez s'ils 
sont à l'appartement des hommes, et faites-les venir. » Ils arrivent 
très-embarrassés, et balbutient quelques excuses. « Comment, 
leur dit-elle, vous avez appris mon arrivée depuis plusieurs 
heures, et vous n'êtes pas encore venus me saluer! Avec une 
aussi mauvaise éducation, une pareille ignorance des principes, 
que ferez-vous dans le monde ? J'ai pardonné aux esclaves et à 
mes belles-filles leur manque de politesse, mais, pour vous autres 
hommes, je ne puis laisser votre faute impunie. » En même 
temps, elle appelle un esclave, et leur fait donner sur les jambes 
quelques coups de verges. Puis elle ajoute : « Pour votre père le 
ministre, je suis sa servante, et n'ai pas d'ordres à lui donner; 
mais vous, désormais, faites en sorte de ne plus oublier les 
convenances. » 
A la fin, le ministre lui-même, bien étonné de tout ce qui se 
passait, fut obligé de s'exécuter et vint saluer sa femme. Trois 
CXXVI INTRODUCTION. 
jours après, les fêtes étant terminées, il retourna au palais. Le 
roi lui demanda familièrement si tout s'était passé aussi heureuse- 
ment que possible ; le ministre raconta en détail l'histoire de son 
mariage, l'arrivée inopinée de sa femme et la manière dont elle 
avait su se conduire. Le roi, qui était un homme de sens, lui 
répondit : « Vous avez fort mal agi envers votre épouse. Elle me 
paraît une femme de beaucoup d'esprit et d'un tact extraordi- 
naire; sa conduite est admirable, et je ne saurais assez la louer. 
J'espère que vous réparerez les torts que avez eus envers elle. » 
Le ministre le promit, et quelques jours plus tard, le prince 
conféra solennellement à la dame une des plus hautes dignités 
de la cour. 
La femme épousée légitimement, à moins qu'elle ne soit une 
veuve ou une esclave, entre en tout et pour tout en participation 
de l'étal social de son mari. Quand même elle ne serait pas noble 
de naissance, elle le devient si elle épouse un noble, et ses enfants 
le sont aussi. Si deux frères par exemple, épousent la tante et la 
nièce, et que la nièce tombe en partage à l'ainé, elle devient par 
le fait la sœur aînée, et la tante sera traitée comme la sœur 
cadette, ce qui dans ce pays fait une énorme différence. 
Dans toutes les classes de la société, la principale occupation 
des femmes est d'élever, ou plutôt de nourrir leurs enfants. La 
mère se dispense rarement de ce devoir, plus sacré encore en ce 
pays, où l'on n'a aucune idée de l'allaitement artificiel, et où 
par conséquent les enfants qui perdent leur mère dans les pre- 
mières années meurent presque tous. Les Coréens ne savent pas 
traire les animaux, et n'usent jamais de lait de vache ou de 
chèvre. La seule exception est en faveur du roi qui en prend 
quelquefois. Dans ce cas, on s'en procure à l'aide d'une opération 
très-compliquée. on couche la vache sur le flanc, en présence de 
toute la cour, puis avec des planchettes ou bâtons on presse les 
mamelles, et le lait, que les opérateurs en font découler à la 
sueur de leurs fronts, est précieusement recueilli pour l'usage 
de Sa Majesté. 
Quand il n'y a pas d'autres enfants plus jeunes, la mère 
allaite son nourrisson jusqu'à l'âge de sept ou huit ans, quelque- 
fois même jusqu'à dix ou douze ans. Cette coutume dégoûtante 
semble si naturelle en ce pays que la chose se fait publiquement, 
et l'on voit des enfants presque aussi grands que leurs mères 
prendre le sein, sans que personne songe à se scandaliser. L'édu- 
cation du reste exige peu de soins. Elle consiste habituellement 
à faire toutes les volontés de l'enfant, surtout si c'est un fils, à se 
INTRODUCTION. t.XXVII 
plier à tousses caprices, et à rire de tous ses défauts, de tous ses 
vices, saus jamais le corriger. En dehors du soin de leur progé- 
niture, les femmes nobles n'ont rien à faire qu'à diriger leurs 
servantes, et maintenir l'ordre dans les appartements intérieurs. 
Leur vie s'écoule presque tout entière dans l'inaction la plus 
complète. Mais les femmes du peuple ont une rude besogne. Elles 
doivent préparer les aliments, confectionner les toiles, en faire 
des habits, les laver et blanchir, entretenir tout dans la maison, 
et de plus, pendant l'été, aider leurs maris dans tous les travaux 
de la campagne. Les hommes travaillent au temps des semailles 
et de la moisson, mais en hiver ils se reposent. Leur seule occu- 
pation alors est de couper sur les montagnes le bois nécessaire 
pour le feu ; le reste de leur temps se passe à jouer, fumer, dor- 
mir, ou visiter leur parents et amis. Les femmes, comme de 
véritables esclaves, ne se reposent jamais. 
L'injuste inégalité entre les sexes continue, même après que le 
mariage est finalement dissous par la mort d'un des conjoints. 
Le mari porte le demi-deuil, après la mort de sa femme, pen- 
dant quelques mois seulement, et peut se remarier aussitôt. La 
femme au contraire, surtout dans les hautes classes, doit pleurer 
son mari et porter le deuil toute sa vie. Ce serait une infamie pour 
une veuve de bon ton, si jeune qu'elle soit, de se remarier. Le 
roi Sieng-tsong, qui régna de 1469 à 1494, interdit les examens 
publics aux enfants des femmes nobles mariées en secondes noces, 
et défendit de les admettre à aucun emploi. Aujourd'hui encore, 
ils sont considérés par la loi comme des enfants illégitimes. 
De cette prohibition inique des secondes noces résultent néces- 
sairement de graves désordres, chez un peuple aussi brutalement 
passionné que les Coréens. Les jeunes veuves nobles ne se rema- 
rient point, mais presque toutes sont, publiquement ou secrète- 
ment, les concubines de ceux qui veulent les nourrir. D'ailleurs, 
celles qui s'obstinent à vivre honnêtement dans la solitude sont 
très-exposées. Tantôt on les enivre à leur insu, en jetant des 
narcotiques dans leur boisson, et elles se réveillent déshonorées, 
h côté d'un scélérat qui a abusé d'elles pendant leur sommeil; 
tantôt on les enlève de force pendant la nuit , à l'aide de 
quelques bandits soudoyés ; et quand, d'une manière ou d'une 
autre, elles ont été une fois victimes de la violence de celui qui 
les convoite, il n'y a plus de remède possible : elles lui appar- 
tiennent de par la loi et la coutume. on voit quelquefois de 
jeunes veuves se donner la mort aussitôt après les funérailles de 
leur mari, afin de mieux prouver leur fidélité, et de mettre leur 
CXXVIII INTRODUCTION. 
réputation et leur honneur hors de toute atteinte. Les nobles 
n'ont pas assez de voix pour célébrer ces femmes modèles, et ils 
obtiennent, presque toujours, que le roi leur décerne un monu- 
ment public, colonne ou temple, destiné à conserver la mémoire 
de leur héroïsme. Il y a vingt ans, de vagues rumeurs d'une guerre 
civile prochaine s'étant répandues dans le pays, des veuves chré- 
tiennes demandèrent au missionnaire la permission de se suici- 
der si les bandes armées approchaient de leur maison, ei le prêtre 
eut beaucoup de difficulté à leur faire comprendre que, même en 
pareil cas, le suicide est un crime abominable devant Dieu. 
Aux gens du peuple, les secondes noces ne sont défendues ni 
parla loi, ni par la coutume. Dans les familles riches, on tient 
assez souvent, par amour-propre, à imiter la noblesse en ce point 
comme en d'autres. Mais, chez les pauvres, la nécessité pour les 
hommes d'avoir quelqu'un qui prépare leur nourriture, la néces- 
sité pour les femmes de ne pas mourir de faim, rendent ces sortes 
de mariages assez fréquents. 
Famille. — Adoption. — Liens de parenlé. — Deuil légal. 
Le Coréen est fou de ses enfants, surtout des garçons qui, à 
ses yeux, ont au moins dix fois la valeur des filles ; et celles-ci 
même lui sont chères. Aussi ne voit-on presque jamais d'exemple 
d'enfants exposés ou abandonnés. Quelquefois, aux époques de 
grande famine, des gens qui meurent de faim sont poussés à cette 
extrémité : mais, alors même, ils cherchent plutôt à les donner 
ou à les vendre, elles premières ressources qu'ils peuvent réunir 
ensuite sont destinées à les racheter si possible. Jamais ils ne 
trouvent leur famille trop nombreuse, et, soit dit en passant, la 
conduite de ces pauvres païens sera, au jour du jugement, l'oppro- 
bre et la condamnation de ces parents infâmes qui, dans nos pays 
chrétiens, ne craignent pas de violer les lois de Dieu et d'outrager 
la nature, pour s'épargner les ennuis et les fatigues de l'éduca- 
tion des enfants. Un Coréen, si pauvre qu'il soit, est toujours 
heureux d'être père, et il sait trouver dans son dénûment de 
quoi nourrir et élever toute la famille que Dieu lui envoie. 
La première chose que l'on inculque h l'enfant dès son plus 
bas âge, c'est le respect pour son père. Toute insubordination 
envers lui est immédiatement et sévèrement réprimée. Il n'en 
est pas de même vis-à-vis de la mère. Celle-ci, d'après les mœurs 
du pays, n'est rien et ne compte pour rien, et l'enfant l'apprend 
trop tôt. Il ne l'écoute guère, et lui désobéit à peu près impuné- 
ment. En parlant du père, on ajoute fréquemment les épithètes : 
em-trira, em-pou-hien, qui signifient : sévère, redoutable, et 
impliquent un profond respect. Au contraire, on joint au nom 
de la mère les mots : tsa-tsin, tsa-tang, c'est-à-dire : bonne, 
indulgente, qui n'est pas à craindre, etc.... Cette différence a 
certainement sa racine dans la nature, mais, exagérée comme elle 
Test en ce pays, elle devient un abus déplorable. 
Le fils ne doit jamais jouer avec son père, ni fumer devant lui, 
ni prendre en sa présence une posture trop libre ; aussi dans les 
familles aisées, y a-t-il un appartement spécial où il peut se 
mettre à l'aise et jouer avec ses amis. Le fils est le serviteur du 
T. I. — ÉGLISE DE CORÉE. i 
CXXX INTRODUCTION. 
père ; souvent il lui apporte son repas, le sert à table et pré- 
pare sa couche. Il doit le saluer respectueusement en sortant de 
la maison, et en y rentrant. Si le père est vieux ou malade, le fils 
ne le quitte presque pas un instant, et couche non loin de lui 
afin de subvenir à tous ses besoins. Si le père est en prison, le 
fils va s'établir dans le voisinage afin de correspondre facilement 
avec lui, et de lui faire parvenir quelques soulagements ; et quand 
cette prison est celle du Keum-pou (1) le fils doit rester age- 
nouillé devant la porte, à un endroit désigné, et attendre ainsi 
jour et nuit que le sort de son père soit décidé. Quand un cou- 
pable est envoyé en exil, son fils est tenu de l'accompagner au 
moins pendant tout le trajet, et si l'état de la famille le permet, 
il s'établit lui-même dans le lieu oii son père subit la condamna- 
tion. Un fils qui rencontre son père sur la route, doit lui faire 
de suite la grande génuflexion et se prosterner dans la poussière 
ou dans la boue. En lui écrivant, il doit se servir des formules les 
plus honorifiques que connaisse la langue coréenne. Les manda- 
rins obtiennent fréquemment des congés plus ou moins longs afin 
d'aller saluer leurs parents, et si, pendant qu'ils sont en charge, 
ils viennent à perdre leur père ou leur mère, ils doivent donner 
de suite leur démission pour s'occuper uniquement de rendre au 
défunt les derniers devoirs, et ne peuvent exercer aucune fonc- 
tion tant que dure le deuil légal. Nulle vertu, en Corée, n'est 
estimée et honorée autant que la piété filiale, nulle n'est enseignée 
avec plus de soin, nulle n'est plus magnifiquement récompensée, 
par des exemptions d'impôts, par l'érection de colonnes monu- 
mentales, ou même de temples, par des dignités et des emplois 
publics; aussi les exemples extraordinaires de cette vertu sont-ils 
assez fréquents, surtout de la part d'un fils ou d'une fille envers 
son père. Ils se rencontrent plus rarement de la part des enfants 
envers leur mère, et cela à cause des préjugés d'éducation dont 
nous avons parlé. 
L'adoption des enfants est Irès-commune en Corée. Celui qui 
n'a pas de fils nés de lui, doit en choisir dans sa parenté, et la 
grande raison de cet usage se trouve dans les croyances reli- 
gieuses du pays. En effet, ce sont les descendants qui doivent ren- 
dre aux ancêtres le culte habituel, garder leurs tablettes, observer 
les nombreuses cérémonies des funérailles et du deuil, offrir les 
sacrifices, etc.. La conservation de la famille n'est qu'une fin 
(1) Voir plus haut, p. lviii. 
INTRODUCTIOIN. CXXXI 
secondaire de l'adoption ; aussi n'adopte-t-on jamais de filles, 
parce qu'elles ne peuvent accomplir les rites prescrits. D'un 
autre côté, le consentement de l'adopté ou de ses parents n'est 
nullement nécessaire, parce qu'il s'agit d'une nécessité religieuse 
et sociale, dont le gouvernement, en cas de besoin, impose de 
force l'acceptation. 
Légalement, l'adoption pour être valide devrait être enre- 
gistrée au Niei-tso ou tribunal des rites, mais cette formalité est 
tombée en désuétude. Il suffit qu'elle ait été faite publiquement, 
en conseil de famille, et reconnue de tous les parents. L'enfant 
adoptif doit être pris dans la parenté du côté paternel, c'est-à- 
dire parmi ceux qui portent le même nom, et, dans le cas où la 
famille est trop nombreuse, parmi ceux qui appartiennent h une 
même branche. Il faut de plus que l'adopté soit parent de l'adop- 
tant en ligne collatérale inégale, mais inégale d'un degré seule- 
ment. C'est-à-dire qu'un homme peut adopter le fils de son 
frère, ou le fils de son cousin germain, ou le fils de son cousin 
issu de germain, et ainsi de suite : mais il ne pourrait adopter 
ni son frère ni un cousin quelconque, ni leurs petits-fils. Celui 
qui aurait eu un fils marié, mort sans enfant, ne peut plus 
adopter en son propre nom, mais au nom de son fils mort, et par 
conséquent, en vertu de la règle précédente, il doit choisir le 
petit-fils d'un de ses frères ou cousins, c'est-à-dire quelqu'un 
qui puisse être le fils de son fils. 
Le plus souvent l'adopté est un enfant encore à la mamelle, 
mais il n'y a pas de condition d'âge. L'enfant adoptif est tenu 
envers ses nouveaux parents à tous les devoirs de fils ; et il en 
possède tous les droits et privilèges sans exception. Ces adop- 
tions, la plupart forcées, amènent bien des divisions dans les 
familles et sont la cause d'une foule de misères. II est bien diffi- 
cile à l'adoptant d'aimer comme son propre fils l'enfant d'un 
autre, et de son côté l'adopté, peu satisfait de sa position, regrette 
souvent ses propres parents. Dans les hautes classes, on conserve 
par décorum, devant les étrangers, tous les dehors delà plus vive 
affection ; mais chez les gens du peuple, les discordes, les querel- 
les éclatent tous les jours. L'adoption légale ne peut être cassée 
que par une permission spéciale du tribunal des rites, et il est 
assez difficile de l'obtenir. Quand une adoption a été annulée, on 
est libre d'en faire une autre. Les adoptions, même revêtues de 
toutes les formes officielles, n'ont jamais été, en Corée, reconnues 
par l'Église, parce que le plus souvent elles sont imposées par 
force et aux parents et aux enfants. 
CXXXII INTRODUCTION. 
Il y a une autre espèce d'adoption qui n'est pas reconnue par 
la loi, et qui ne confère aucun droit ou privilège à Tenfant 
adoptif. Elle a lieu surtout parmi les classes inférieures, quand 
des personnes, qui n'ont pas d'enfants ou qui n'ont que des filles, 
élèvent l'enfant d'un autre afin d'avoir en lui un soutien dans 
leur vieillesse et leurs infirmités. Cette adoption se fait sans for- 
malités extérieures, et sans aucune restriction de nom, de parenté 
ou de famille. Ceux-là seulement y ont recours qui, à cause de 
leur pauvreté, ne peuvent trouver à adopter un fils dans les 
formes voulues parla loi ; et quand ils meurent, la propriété de 
leur maison, de leurs meubles et autres objets d'une valeur insi- 
gnifiante, passe sans contestation à leur enfant adoptif. 
En Corée, comme dans la plupart des pays d'Orient, les liens 
de famille sont beaucoup plus resserrés et s'étendent beaucouj) 
plus loin, que chez les peuples européens de notre époque. Tous 
les parents jusqu'au quinzième ou vingtième degré, quelle que 
soit d'ailleurs leur position sociale, qu'il soient riches ou pauvres, 
savants ou ignorants, fonctionnaires publics ou mendiants, for- 
ment un clan, une tribu et, pour parler plus juste, une seule 
famille, dont tous les membres ont des intérêts communs et doi- 
vent se soutenir réciproquement. A la mort du père, le fils aîné 
prend sa place ; il conserve la propriété. Les cadets reçoivent de 
leurs parents des donations plus ou moins importantes à l'époque 
de leur mariage, et dans certaines autres circonstances, selon 
l'usage, le rang, et la fortune des familles ; mais tous les biens 
restent à l'aîné, qui est tenu de prendre soin de ses frères comme 
de ses propres enfants. Ses frères, de leur côté, le regardent 
comme leur père, et quand il est condamné à la prison ou à l'exil, 
lui rendent les mêmes services qu'à leur propre père. En général, 
les rapports entre parents sont d'une grande cordialité. La maison 
de l'un est la maison de tous, les ressources de l'un sont à peu 
près celles de tous, et tous appuient celui d'entre eux qui a 
quelque chance d'obtenir un emploi ou de gagner de l'argent, 
parce que tous en profiteront. C'est là l'usage universel, et la loi 
le reconnaît, car on fait payer aux plus proches parents non-seu- 
lement les impôts et contributions qu'un des leurs ne paye pas, 
mais même les dettes particulières qu'il ne peut pas ou ne veut 
pas acquitter. Les tribunaux prononcent toujours dans ce sens, 
et il ne vient à l'esprit de personne de s'en plaindre ou de 
protester. 
« Dernièrement, écrivait en 1855 Mgr Daveluy, un jeune 
homme de plus de vingt ans fut traduit devant un mandarin pour 
I^iTRODUCTIO^. CXXXIU 
quelques francs de cote personnelle, dus au fisc, et qu'il se trouvait 
dans l'impossibilité de payer. Le magistrat, prévenu d'avance, 
arrangea l'affaire d'une manière qui fut fort applaudie. - « Pour- 
« quoi n'acquittes tu pas tes contributions ? » demanda-t-il au 
jeune homme. — « Je vis difficilement de mes journées de travail, 
« et je n'ai aucune ressource. — Où demeures tu ? — Dans la 
(( rue. — Et tes parents? — Je les ai perdus dès mon enfance. 
« — Ne reste-t-il personne de ta famille? — J'ai un oncle qui 
« demeure dans telle rue, et vit d'un petit fonds de terre qu'il 
« possède. — Ne vient-il pas à ton aide? — Quelquefois, mais il 
« a lui-même ses charges, et ne peut faire que bien peu pour 
« moi. » Le mandarin sachant que le jeune homme parlait ainsi 
par respect pour son oncle, et qu'en réalité celui-ci était un vieil 
avare, fort à son aise, qui abandonnait le pauvre orphelin, con- 
tinua de le questionner. — « Pourquoi, à ton âge, n'es-tu pas 
« encore marié? — Est-ce donc si facile? Qui voudrait donner 
« sa fille à un jeune homme sans parents et dans la misère ? — 
« Désires-tu te marier? — Ce n'est pas l'envie qui me manque, 
« mais je n'ai pas le moyen. — Eh bien ! je m'en occuperai; tu 
« me parais un honnête garçon, et j'espère en venir à bout. 
« Avise au moyen de payer la petite somme que tu dois au gou- 
« vernement, et dans quelque temps je te ferai rappeler. » 
« Le jeune homme se retira, sans trop savoir ce que tout cela 
signifiait. Le bruit de ce qui s'était passé en plein tribunal arriva 
bientôt aux oreilles de l'oncle, qui, honteux de sa conduite, et 
craignant quelque affront public de la part du mandarin, n'eut 
rien de plus pressé que de faire des démarches pour marier son 
neveu. L'affaire fut rapidement conclue, et on fixa le jour de la 
cérémonie. La veille même, lorsqu'on venait de relever les che- 
veux du futur époux, le mandarin qui se faisait secrètement 
tenir au courant de tout, le rappelle au tribunal et lui réclame 
l'argent de l'impôt. Le jeune homme paye immédiatement. — 
« Eh quoi ! » dit le mandarin, « tu as les cheveux relevés. Es-tu 
« déjà marié? Comment as-tu fait pour réussir si vite? — on a 
« trouvé pour moi un parti convenable, et mon oncle ayant pu 
« me donner quehjues secours, les choses sont conclues, je me 
« marie demain. — Très-bien ! mais comment vivras-tu? As-tu 
« une maison? — Je ne cherche pas à prévoir les choses de si 
« loin, je me marie d'abord ; ensuite j'aviserai. — Mais en 
« attendant, où logeras-tu ta femme ? — Je trouverai bien chez 
« mon oncle ou ailleurs un petit coin pour la caser, en attendant 
« que j'aie une maison à moi. — Et si j'avais le moyen de t'en 
CXXXIV INTRODUCTION. 
« faire avoir une? — Vous êtes trop bon de penser k moi, cela 
« s'arrangera peu à peu. — Mais enfin, combien te faudrait-il 
« pour te loger et t'établir passablement ? — Ce n'est pas petite 
« affaire. Il me faudrait une maison, quelques meubles, et un 
« petit coin de terre à cultiver. — Deux cents nhiangs (environ 
« quatre cents francs) te suffiraient-ils? — Je crois qu'avec deux 
« cents nhiangs je pourrais m'en tirer très-passablement. — Eh 
« bien ! j'y songerai. Marie-toi, fais bon ménage, et sois plus 
« exact désormais à payer tes impôts. » Chaque mot de cette 
conversation fut répété à l'oncle ; il vit qu'il fallait s'exécuter sous 
peine de devenir la fable de toute la ville, et quelques jours après 
ses noces, le neveu eut à sa disposition une maison, des meubles, 
et les deux cents nhiangs dont avait parlé le mandarin. » 
Si ce système de communauté d'intérêts et d'obligations réci- 
proques entre les membres d'une même famille a ses avantages, 
il ne manque pas non plus d'inconvénients graves. Nous en avons 
déjà signalé quelques-uns en parlant des fonctionnaires publics. 
Il est rare que, dans une famille un peu nombreuse, il ne se trouve 
pas quelques fainéants, quelques individus dévoyés, qui, incapa- 
bles d'occuper un emploi ou de gagner honnêtement leur vie, 
vivent aux dépens de leurs proches, volant à celui-ci un bœuf, à 
celui-là un chien, à un autre de la toile, de l'argent, des provi- 
sions, empruntant pour ne jamais rendre, et arrachant par vio- 
lence ce qu'on ne veut pas leur donner de bonne grâce. Quelque- 
fois ils vont jusqu'à enlever des titres de propriété qu'ils vendent 
à leur profit, ou même jusqu'à fabriquer des titres faux qu'ils don- 
nent en gage à des étrangers. Ils sont presque assurés de l'impu- 
nité, car non-seulement les mœurs du pays ne permettent pas de 
livrer un parent à la justice, mais elles obligent tous les siens à le 
soutenir et à le défendre s'il tombe entre les mains du mandarin. 
Les voisins, quand ils ne sont pas lésés personnellement, ne peu- 
vent pas intervenir ; on les prierait de se mêler de leurs propres 
affaires. liCs mandarins ne peuvent guère s'occuper d'eux, puis- 
({u'il n'y a pas d'accusation formelle, et qu'il serait impossible de 
trouver des témoins dans la famille des coupables. D'ailleurs, en 
règle générale, un mandarin est un homme qui se résigne à grand' 
peine à examiner et traiter les affaires qu'il ne peut éviter ; où en 
trouver un qui par amour platonique de la justice, irait, de gaieté 
de cœur, se créer des embarras ou des ennuis? La seule ressource 
des familles en pareil cas, est de prendre la loi entre leurs mains. 
Il faut qu'un des chefs donne les ordres nécessaires ; les autres 
saisissent le coupable, l'enferment ou lui infligent une vigoureuse 
INTRODUCTION. CXXXV 
bastonnade. Celui-ci n'a pas le droit de se défendre, et si on 
montre un peu d'énergie, il est obligé ou de changer de conduite 
ou de s'enfuir et de quitter la province. Malheureusement, il est 
rare que les familles aient la persévérance requise, et ces punitions, 
ordinairement insuffisantes, ne font que pallier le mal. 
Tout ce que nous venons de dire de la parenté, de ses liens et 
de ses obligations, ne doit s'entendre que de la parenté par le 
j)ère, c'est-k-dire entre ceux qui portent le même nom. Elle 
s'étend jusqu'au delà du vingtième degré, et n'a pas, pour ainsi 
dire, de limite légale, tandis que la parenté par la mère est h peu 
près nulle. Dès la seconde génération, on ne se connaît plus, on 
ne s'entr'aide plus, et l'on ne porte plus le deuil. 
Les noms de famille sont en très-petit nombre, cent quarante- 
cinq ou cent cinquante au plus, et encore beaucoup de ces noms 
sont peu répandus. Tous sont formés d'un seul caractère chinois, 
sauf six ou sept qui se composent de deux caractères. Pour dis- 
tinguer les différentes familles qui portent le même nom, on joint 
à ce nom ce qu'on appelle le pou, c'est-à-dire : l'indication du 
pays d'où ces tamilles sont venues originairement. Si ce pou est 
différent, on n'est pas censé parent, mais s'il est le même, 
on est parent aux yeux de la loi, et le mariage est interdit. 11 y a 
des noms comme Kim et Ni qui ont plus de vingt pou, c'est-à-dire 
qui sont communs à plus de vingt familles d'origine différente. 
Nous les avons indiqués dans cette histoire sous le nom de : 
branche de tel ou tel endroit. Le nom de famille ne s'emploie 
jamais seul ; il est suivi ou d'un nom propre, ou du mot so-pang 
pour les hommes encore jeunes, ou du titre saing-ouen pour les 
nobles âgés, les chefs de famille, etc.. Ces expressions répondent 
à peu près à nos mots : monsieur, seigneur. 
Outre ces noms de fomille, il y a les noms propres de chaque 
individu. on en compte habituellement trois, savoir : le nom 
d'enfant, le nom propre vulgaire, et le nom propre légal, aux- 
quels il faut ajouter le surnom ou sobriquet, et, pour les chré- 
tiens, le nom de baptême. Le nom d'enfant se donne quelque 
temps après la naissance, et tout le monde, sauf les esclaves et 
domestiques, s'en sert comme appellaiif de la personne jusqu'à 
l'époque de son mariage ; ce nom est un des mots de la langue 
ordinaire. Il s'emploie seul ou à la suite du nom de famille. Après 
le mariage il n'est plus jamais employé pour les hommes, sauf 
([uelquefois par le père, la mère, le précepteur et autres per- 
sonnes semblables. Le nom propre vulgaire se donne au moment 
du mariage. Il sert d'appellatif de la part des supérieurs et des 
cxxxvi iNTRonucnoN. 
égaux. Les amis et connaissances n'en emploient pas d'autre, et 
c'est le plus généralement connu. Les femmes ne changent pas 
de nom propre à leur mariage. Elles conservent leur nom d'en- 
fant, ou plutôt n'ont plus de nom particulier. on les désigne 
généralement par le nom de leur mari suivi du mot : taik, 
madame, ou koa-taik, madame veuve. Le nom propre légal est 
imposé quelquefois dès l'enfance, le plus souvent à l'époque du 
mariage. Il se compose de deux caractères chinois, et parmi 
les nobles, tous ceux qui descendent d'une branche ou souche 
commune doivent y faire entrer un caractère de convention qui 
change à chaque génération : de sorte qu'à la seule vue de ce 
caractère, on connaîtra de suite le nombre de générations qui 
séparent en ligne directe de la souche originaire, et le degré de 
parenté en ligne collatérale. Ce nom n'est pas employé dans les 
relations habituelles de la vie, sinon envers les dignitaires et les 
hommes haut placés, mais il est le seul qui paraisse dans les 
actes publics , dans les contrats civils , dans les examens, les 
procès, etc.. 11 sert de signature lorsqu'on écrit une lettre impor- 
tante. Souvent ce nom, quoique inscrit dans les listes généalogi- 
ques, ou dans les registres officiels de l'État, est inconnu des 
personnes qui ne sont pas de la famille, ou n'ont pas de rapports 
fréquents avec l'individu. Ordinairement, les gens du peuple 
n'ont pas de nom civil. Les sobriquets sont très-communs en 
Corée, et tout le monde peut les employer. 
Remarquons ici que l'étiquette coréenne défend non-seulement 
d'appeler par leur nom le père ou la mère, ou les oncles, ou 
tout autre supérieur, mais qu'elle interdit même de prononcer 
ce nom. En pareil cas, les gens bien élevés ont recours à 
diverses périphrases. Le nom du roi, composé d'un ou deux 
caractères chinois, est imi)0sé par la cour de Péking quand 
elle donne l'investiture ; il ne doit jamais se prononcer, et le 
peuple ne connaît même pas ce nom. Après la mort du prince, 
son successeur lui donne un nom sous lequel l'histoire devra le 
désigner. 
Quelques mots, en terminant, sur le deuil légal tel qu'il est 
observé en Corée, surtout dans les hautes classes. Quand un noble 
a perdu son père, sa mère, ou un de ses proches parents, il n'est 
pas libre de le pleurer à sa manière ; il doit, et pour le temps, et 
pour le lieu, et pour la méthode, et pour la durée du deuil, se 
conformer aux rubriques, telles qu'elles sont expliquées au long 
dans un traité officiel, publié par le gouvernement. Y manquer 
en un point grave serait perdre la face, en d'autres termes, être 
I>'TRODUCTIO>. rXXXVlI 
déshonoré au point de ne plus oser se montrer à qui que ce soit. 
on commence par placer le corps du mort dans un cercueil de bois 
très-épais, que Ton conserve plusieurs mois dans un appartement 
spécial, préparé et orné à cet effet. Les gens du peuple qui n'ont 
pas le moyen d'avoir une chambre pour le cadavre, gardent le 
cercueil m dehors de leur maison, et le recouvrent de nattes en 
paille pour le protéger contre la i)luie. C'est dans l'appartement 
du mort que l'on doit aller pleurer au moins quatre fois le jour, 
et pour y pénétrer, on fait une toilette spéciale. Elle consiste en 
une grande redingote de toile grise, déchirée, rapiécetée, et aussi 
sale que possible. on se ceint les reins d'une corde de la grosseur 
du poignet, partie en paille et partie en fil. Une autre corde sem- 
blable, grosse comme le pouce, fait le tour de la tête qui est 
couverte d'un bonnet de toile grise. Les deux bouts de cette corde 
retombent par devant sur chaque joue. Des bas et des souliers 
spéciaux, et, à la main, un gros bâton noueux complètent le 
costume. 
Dans cet accoutrement on se rend à la chambre mortuaire, le 
matin en se levant, puis avant chaque repas. on apporte une 
petite table chargée de divers mets que l'on place sur un autel, 
à côté du cercueil ; puis la personne qui préside la cérémonie, 
courbée et appuyée sur son bâton, entonne les gémissements 
funèbres. Pour un père ou une mère ces gémissements se com- 
posent des syllables : ai-kô, que l'on répète sans interruption, 
d'un ton lugubre, pendant un quart d'heure ou une demi-heure. 
Pour les autres parents, on chante : ôï, ôï. Plus la voix qui se 
lamente est forte, plus la séance est longue, et plus l'individu en 
deuil monte dans l'estime publique. Les gémissements terminés, 
on se retire, on emj)orte les mets, on quitte les habits de deuil, 
et on prend son repas. A la nouvelle et à la pleine lune, tous les 
parents, amis et connaissances sont invités à prendre part à la 
cérémonie. Ces pratiques se continuent même après l'enterrement, 
pendant deux ou trois ans, et, dans cet intervalle, un noble qui 
se respecte doit aller souvent pleurer et gémir sur le tombeau de 
ses parents. Quelquefois il y passe toute la journée et même la 
nuit. on en cite qui ont fait bâtir une petite maison près de ces 
tombeaux, pour y demeurer pendant plusieurs années, et qui par 
là ont acquis une haute renommée de sainteté, et la vénération 
universelle. 
XI 
Religion. — Culte des ancêtres. — Bonzes. — Superstitions populaires. 
D'après les traditions locales, le bouddhisme ou doctrine de 
Fô pénétra en Corée au quatrième siècle de Tère chrétienne, et se 
répandit, avec plus ou moins de succès, dans les trois royaumes qui 
alors se partageaient la péninsule. Lorsque la dynastie Korie eut 
réuni ces divers États en une seule monarchie, elle protégea les 
sectateurs de cette doctrine qui devint la religion officielle. A la 
fin du quatorzième siècle, la dynastie Korie ayant été renversée, 
les princes de la dynastie Tsi-tsien, qui lui succéda, cédant à 
l'influence et peut-être aux ordres formels des empereurs de 
Péking, adoptèrent non-seulement la chronologie et le calendrier 
chinois, mais aussi la religion de Confucius. Us ne proscri- 
virent point la religion ancienne, mais ils l'abandonnèrent à 
elle-même, et, par la marche naturelle des choses, le nombre 
des bouddhistes a toujours été en diminuant, et leur doctrine 
aussi bien que leurs bonzes sont aujourd'hui tombés dans le 
mépris. La doctrine de Confucius, au contraire, établie par la loi, 
est devenue la religion dominante; son culte est le culte officiel, et 
toute contravention à ses règlements en matière grave peut être 
punie du dernier supplice, comme le prouvent les pièces du pro- 
cès de Paul loun et de Jacques Kouen, et d'autres documents 
que nous donnons tout au long dans cette histoire. 
Nous ne parlerons pas ici de cette doctrine de Confucius en 
elle-même. Les travaux des missionnaires et des sinologues, 
depuis deux siècles, ont épuisé la question, et à travers les exagé- 
rations opposées de louange ou de blâme, on est aujourd'hui par- 
venu à en avoir une idée h peu près exacte. Voyons seulement ce 
qu'elle est en Corée. Pour la masse du peuple, elle consiste dans 
le culte des ancêtres, et dans l'observation des cinq grands 
devoirs : envers le roi, envers les parents, entre époux, envers 
les vieillards, et entre amis. A cela se joint une connaissance 
plus ou moins vague du Siang-tiei que la plupart confondent 
avec le ciel. Pour les lettrés, il faut ajouter : le culte de Confucius 
et des grands hommes, la vénération des livres sacrés de la Chine, 
INTRODUCTION. CXXXIX 
et enfin un culte officiel au Sia-tsik ou génie protecteur du 
royaume. Quelquefois aussi, dans les actes publics du gouverne- 
ment, il est fait mention des bons génies et du destin. 
Les missionnaires ont souvent interrogé des Coréens très- 
instruits sur le sens qu'ils attachent au mot Siang-tiei, sans 
jamais obtenir de réponse claire et précise. Les uns croient que 
Ton désigne par là l'Être suprême, créateur et conservateur du 
monde ; d'autres prétendent que c'est purement et simplement le 
ciel, auquel ils reconnaissent un pouvoir providentiel, })Our pro- 
duire, conserver et faire mûrir les moissons, pour éloigner les 
maladies, etc.. ; le plus grand nombre avouent qu'ils l'ignorent 
et qu'ils ne s'en inquiètent guère. Quand on offre des sacrifices 
publics pour obtenir la pluie ou la sérénité, ou pour conjurer 
divers fléaux, la prière s'adresse soit à l'Être suprême, soit au 
ciel, selon le texte que rédige le mandarin chargé de la 
cérémonie. 
Voici quelques détails sur ces sacrifices, assez peu fréquents 
d'ailleurs. Quand des districts ou des provinces souffrent de la 
sécheresse, le gouvernement envoie un ordre aux mandarins, et 
chacun d'eux, au jour marqué, se rend dès le matin avec sa suite, 
ses prétoriens et ses satellites au lieu qui lui est désigné. Là, il 
attend patiemment sans prendre aucune nourriture, sans même 
fumer de tabac, que l'heure propice arrive. C'est ordinairement 
vers minuit, et en tout cas, le mandarin ne doit rentrer chez lui 
qu'après minuit passé. Au moment précis, il immole des porcs, 
des moutons, des chèvres, dont le sang et les chairs crues sont 
offertes à la divinité. Le lendemain il se repose, pour recom- 
mencer le surlendemain, et ainsi de suite, de deux en deux jours, 
jusqu'à l'obtention de la pluie. A la capitale, les mandarins se 
relèvent, afin que les sacrifices aient lieu tous les jours. Si après 
deux ou trois sacrifices on n'obtient rien, on change de place, et 
l'on s'installe dans un autre endroit plus propice. Les diverses 
stations que l'on doit ainsi occuper sont déterminées par d'an- 
ciens usages. Si les prières sont inutiles, les ministres viennent 
officier à la place des mandarins ; et enfin, quand ni les manda- 
rins ni les ministres n'ont pu rien obtenir, le roi lui-même vient 
en grand appareil pour sacrifier et obtenir le salut de son peuple. 
Lorsque la pluie arrive, ni le sacrificateur ni les gens de sa suite 
n'ont le droit de se mettre à l'abri ; ils doivent attendre jusqu'a- 
près minuit avant de rentrer dans leurs maisons. Tout le peuple 
les imite, car on croirait faire injure au ciel en cherchant à 
éviter une pluie si ardemment désirée, et si quelque individu a la 
CXL INTRODUCTION. 
malencontreuse idée de prendre son chapeau ou d'ouvrir son 
parapluie, on lui arrache ces objets que Ton met en pièces, et 
on l'accable lui-même de coups et d'injures. 
Le mandarin après le sacrifice duquel la pluie arrive , est 
regardé comme ayant bien mérité de la patrie, et le roi le récom- 
pense en lui donnant de l'avancement, ou en lui faisant quelque 
cadeau précieux. Il y a quelques années, un mandarin de la capi- 
tale, pour avoir fait la cérémonie avant l'heure fixée, fut immé- 
diatement destitué. Mais cette nuit-là même, la pluie commença 
à tomber; il fut rétabli dans sa charge, et partagea la récompense 
avec le mandarin du jour suivant, pendant le sacrifice duquel la 
pluie tomba en grande abondance. Chacun d'eux reçut du roi une 
peau de cerf, qui fut portée à leur domicile avec tout l'appareil 
et toute la pompe possibles. 
Les sacrifices pour obtenir le beau temps se font, à la capitale, 
sur la grande porte du Midi. L'heure est la même, le sacrificateur 
garde la même abstinence, et pendant tout le temps que durent 
ces sacrifices la porte reste fermée jour et nuit, et la circulation 
est arrêtée. Quelquefois aussi on interdit, pendant ce temps, de 
transporter les morts. Ceux qui alors font la levée du corps et se 
mettent en route, malgré la défense, soit parce qu'ils l'ignorent, 
soit parce qu'ils espèrent passer en contrebande , soit enfin 
parce que le jour du convoi a été fixé par les devins et ne peut 
être changé, sont impitoyablement arrêtés aux portes de la ville. 
Comme ils ne peuvent retourner chez eux avant l'enterrement, ils 
doivent demeurer à la pluie, eux et les cercueils qu'ils portent, 
souvent pendant plusieurs jours, jusqu'à ce que le retour de la 
sérénité fasse lever la prohibition. 
Quelquefois, dans les grandes calamités, comme au temps du 
choléra, les particuliers se cotisent ou font des quêtes pour four- 
nir aux frais de sacrifices plus nombreux, et le roi, de son côté, 
cherche à apaiser le courroux du ciel en accordant des amnis- 
ties partielles ou générales. 
Outre ce culte officiel du Siang-tiei ou du ciel, le gouverne- 
ment entretient à la capitale un temple et fait offrir régulièrement 
des sacrifices au Sia-tsik. « J'ai souvent demandé, écrit Mgr 
Daveluy, ce qu'est ce Sia-tsik. Les réponses sont fort obscures. 
La plupart prétendent que Sia est le génie delà terre, et Tsik 
l'inventeur de l'agriculture en Chine, placé aujourd'hui parmi les 
génies tutélaires. Quoi qu'il en soit, le peuple ne s'occupe guère 
du Sia-tsik, et dans les provinces, on ignore et son nom et son 
culte. Mais, à la capitale, son temple est ce qu'il y a de plus sacré ; 
INTRODUCTION. CXLI 
le leniplo OÙ Ton conserve les tablettes des ancêtres delà dynastie 
régnante ne vient qu'en second lieu. » 
La partie principale de la religion des lettrés, la seule que con- 
naisse et pratique fidèlement Timmense majorité de la population, 
est le culte des ancêtres. De là Timportance des lois sur le deuil, 
sur le lieu où doivent être placés les tombeaux, et sur la conser- 
vation dans chaque famille des tablettes des parents défunts. A 
propos des funérailles royales et des devoirs de parenté, nous 
avons déjà donné des détails sur le deuil et sur les tombeaux des 
rois; voici maintenant, pour compléter, quelques notions sur les 
sépultures ordinaires et sur les tablettes. 
Le choix d'un lieu d'enterrement est pour tout Coréen une 
affaire majeure ; pour les gens haut placés, on peut dire que c'est 
leur principale préoccupation. Ils sont convaincus que de ce choix 
dépendent le sort de leur famille et la prospérité de leur race, et 
ils n'épargnent rien pour découvrir un endroit propice. Aussi, les 
géoscopes et les devins, qui se font une spécialité de cette étude, 
abondent dans le pays. Quand le lieu de la sépulture est fixé et 
qu'on y a déposé le corps, il est défendu désormais à qui que ce 
soit d'y enterrer, de peur que la fortune ne passe de son côté, et 
la prohibition s'étend à une distance plus ou moins considérable, 
suivant le degré d'autorité de celui (jui l'établit. Pour les tom- 
beaux des rois, le terrain réservé s'étend à plusieurs lieues tout 
autour, et comprend les montagnes environnantes d'où Ton peut 
voir le tombeau. De leur côté, les grands et les nobles prennent le 
plus d'espace possible; ils y plantent des arbres qu'il est défendu 
de couper jamais, et qui avec le temps deviennent de véritables 
forêts. Si quelqu'un parvient à enterrer furtivement sur une 
montagne déjà occupée par d'autres, cette montagne devient, aux 
yeux de la loi, la propriété du dernier inhumant, et dans ce cas, 
lorsque les premiers tombeaux appartiennent à des nobles ou à 
des gens riches, on fait déterrer les corps, sinon on se contente 
de raser les tombes et d'en faire disparaître la trace, en nivelant 
le terrain. De là des querelles, des rixes, des haines violentes qui, 
comme toutes les haines du Coréen, se transmettent de génération 
en génération. 
La loi défend de déterrer le corps d'un individu appartenant à 
une autre famille, les parents du mort ont seuls le droit d'y tou- 
cher. Il y a quelques années, derrière la montagne où habitait un 
missionnaire, un riche marchand, qui venait de perdre son père, 
trouva un lieu de sépulture à sa convenance. Près de là étaient 
quelques tombeaux de nobles. La distance étant légalement 
r.XLIl INTRODUCTION. 
suffisante, le marchand avait le droit d'enterrer ; mais la raison du 
plus fort est, en Corée, presque toujours la meilleure, et les 
nobles firent opposition. Le marchand persista, loua secrètement 
une centaine d'individus déterminés, pour vaincre toute résis- 
tance de la part des gardiens, fit l'inhumation selon les règles, 
et se retira avec sa troupe. Il était environ six heures du soir. 
Les nobles, premiers possesseurs du terrain, demeuraient à trois 
lieues de là, et, bien qu'on les eût avertis dès le matin, ils ne 
purent arriver, avec deux ou trois cents hommes, qu'une demi- 
heure trop tard. La montagne leur était ravie. N'osant toucher 
au cadavre fraîchement inhumé, ils se lancèrent avec leurs gens 
à la poursuite du marchand, battirent ses affidés,le saisirent lui- 
même, lui lièrent les pieds et les mains, et l'apportèrent, au milieu 
des plus effroyables vociférations, jusque sur la tombe de son 
père. Le pauvre malheureux, h moitié mort de frayeur et de 
fatigue, donna le premier coup de bêche. Les autres purent alors 
déterrer le corps, ce qui fut fait en quelques minutes, et le mar- 
chand dut chercher ailleurs un lieu de sépulture. 
Les gens du peuple ont recours à tous les moyens pour pro- 
téger leurs tombeaux. Un jour, des prétoriens voulurent enterrer 
un des leurs dans l'endroit que possédait une famille pauvre. Le 
chef de cette famille voyant que toutes les réclamations étaient 
inutiles, assista tranquillement à l'enterrement fait parles préto- 
riens et, après la cérémonie, offrit du vin aux fossoyeurs, qui 
l'acceptèrent. Puis avec le plus grand sang-froid, il se coupa lui- 
même les chairs des cuisses, et leur en offrit les morceaux sai- 
gnants pour compléter leur repas. Le mandarin apprenant le 
fait, et entendant les exécrations dont le peuple chargeait ses 
prétoriens, les fit punir sévèrement, et les força à déterrer leur 
mort et à rendre la place au premier propriétaire. Une autre fois, 
un abatteur de bœufs fut dépossédé de la sépulture de son père, 
par un noble très-puissant qui enterra sa mère dans le même 
lieu, à deux pas de' distance. Le pauvre homme, loin de résister, 
se prêta de la meilleure grâce à aider ceux qui faisaient la céré- 
monie, et obtint, en récompense de sa bonne volonté, d'être 
nommé gardien du nouveau tombeau. Après quelques jours, il 
planta une haie entre les deux cadavres. Le noble étant venu 
faire sa visite habituelle à la tombe de sa mère, demanda des 
explications. « J'ai été forcé d'agir ainsi, répondit le gardien, 
mais il m'est impossible, dussé-je mourir, de vous en dire la 
raison. » Le noble, très-intrigué, le flatte, le caresse, lui prodigue 
les assurances d'impunité. « Comment parler de choses sembla- 
INTRODrr.TION. CXUII 
blés? (lit l'autre. Il y a quelques nuits, j'ai vu le corps de mon 
père se lever, marcher droit au tombeau de madame votre mère... 
je n'ose achever ; mais dès le matin, j'ai planté cette haie pour 
empêcher une aussi scandaleuse profanation. » Le noble, à moitié 
mort de honte, ne répondit pas un mot. Le soir même, il fit 
enlever le cercueil de sa mère, et le transporta ailleurs. 
Aussitôt après la mort, on fabrique la tablette dans laquelle 
doit venir résider l'âme du défunt. Ces tablettes sont générale- 
ment en bois de châtaignier, et l'arbre doit être tiré des forêts les 
plus éloignées de toute habitation humaine, ce que les Coréens 
expriment par ces mots : « Pour les tablettes il faut un bois qui, 
deson vivant(avant d'être coupé), n'ait jamais entendu ni l'aboie- 
ment du chien, ni le chant du coq. » Cette tablette est une petite 
planche plate que l'on peint avec du blanc de céruse, et sur 
laquelle on inscrit en caractères chinois le nom du défunt. Sur le 
côté, on pratique des trous par lesquels doit entrer l'âme. La 
tablette, placée dans une boîte carrée, se conserve : chez les riches, 
dans une chambre ou salle spéciale : chez les gens du peuple 
dans une espèce de niche, au coin de la maison. Les pauvres font 
leurs tablettes en papier. Pendant les vingt-sept mois du deuil, les 
sacrifices se font tous les jours devant ces tablettes. on se pros- 
terne le front dans la poussière ; on offre divers mets préparés avec 
soin, du tabac à fumer, et de l'encens. Après le deuil, on continue 
à offrir ces sacrifices plusieurs fois par mois, à des jours fixés par 
la loi et l'usage, soit devant les tablettes, soit sur le tombeau. A 
la quatrième génération., on enterre les tablettes, et le culte 
cesse définitivement, si ce n'est pour les hommes extraordinaires 
dont les tablettes se conservent à perpétuité. 
Outre ce culte des ancêtres, commun à tous les Coréens, les 
lettrés et les nobles ont celui de Confucius et des grands 
hommes, auxquels ils offrent des sacrifices dans des temples 
spéciaux, non pas qu'ils les regardent comme des dieux, mais 
parce que, dans leur opinion, ils sont devenus des esprits ou 
génies tutélaires. Mais qu'entendent-ils par là? il est difficile de le 
savoir. « Dans ce pays, écrit Mgr Daveluy, on n'a pas de notions 
exactes sur la distinction de l'âme et du corps, ni sur la spiri- 
tualité de l'âme. Les mots : hon, sin, lieng, etc., consacrés 
dans nos livres chrétiens pour désigner l'âme et sa nature, ne sont 
appliqués par les païens qu'aux esprits ou génies et aux âmes 
des défunts. Un païen, assez instruit d'ailleurs, à qui je disais 
que chaque homme a une âme, ne voulut pas l'admettre. Pour 
nous autres, disait-il, ce qui nous meut et nous anime se dissipe 
CXLIV INTRODUCTION. 
avec le dernier souffle de la vie ; mais pour les grands hommes, ils 
subsistent encore après leur mort. Parlait-il de leur âme, ou pré- 
tendail-il qu'ils étaient transformés en esprits ou génies ? Je 
l'ignore, et lui-même ne le savait pas. «Dans chaque district, se 
trouve un temple de Confucius. Ce sont de petits bâtiments assez 
beaux pour le pays, avec de vastes dépendances. on les appelle 
hiang-kio. on ne peut passer à cheval devant ces temples, et 
des bornes, placées aux extrémités du terrain consacré, marquent 
l'endroit où il faut mettre pied à terre. C'est dans ces temples que 
les lettrés tiennent leurs réunions, et l'on y offre des sacrifices, à 
la nouvelle et à la pleine lune. Quand les revenus attachés aux 
temples ne suffisent pas pour couvrir les frais, la caisse du district 
doit y suppléer. Les lettrés élisent entre eux ceux qui doivent, 
pour un temps donné, exercer les fonctions de sacrificateur. 
Les se-ouen sont des temples élevés aux grands hommes avec 
l'autorisation du roi. Leurs portraits y sont conservés, et l'on 
témoigne à ces portraits une vénération presque égale à celle que 
Ton a pour les tablettes des défunts. Si ces grands hommes ont 
laissé des descendants, ceux-ci sont, de droit, fonctionnaires de 
leurs temples ; sinon, les lettrés du voisinage remplissent à tour 
de rôle, l'office de sacrificateur. Quelques-uns de ces se-ouen sont 
très-célèbres dans le pays, et le gouverneur ou ministre qui refu- 
serait d'accorder sur les deniers publics les sommes, quelquefois 
énormes, exigées par les fonctionnaires de ces temples pour les 
frais des sacrifices, compromettrait gravement sa jiosition. 
Les livres sacrés de la Chine sont aussi les livres sacrés des 
Coréens. Il en existe une traduction officielle en langue vulgaire, 
à laquelle il est défendu de changer un seul mot sans l'ordre du 
gouvernement. Le lettré ou docteur qui se permettrait de donner 
une interprétation différente sur un point grave, pourrait bien 
payei- de sa tète une telle audace. Il y a quelques années, un noble, 
poursuivi pour avoir publié quelques attaques contre un sage, 
disciple de Confucius, faillit périr dans une émeute de lettrés, 
et le roi eut beaucoup de peine à lui sauver la vie. Outre ces 
livres, il y a en Corée un recueil de prophéties ou livre sibyllin, 
prohibé par Iq gouvernement, et qui circule en cachette. on 
attribue à ce livre une très-grande antiquité. Il annonce claire- 
ment, dit-on, pour l'année sainte, l'établissement d'une religion 
qui ne sera ni celle de Fô, ni celle de Confucius. Mais qu'est-ce 
que cette année sainte? nul ne le sait. 
A côté de la religion officielle se trouve, comme nous l'avons 
dil, le bouddhisme ou doctrine de Fô, qui est maintenant en 
INTRODUCTION. CXLV 
pleine décadence. Avant la dynastie actuelle, le bouddha coréen, 
(|uelquefois appelé Sekacl (issu de la famille de Se), était en 
très-grand honneur , ainsi que ses bonzes. C'est alors que 
furent bàlies toutes les grandes pagodes dont quelques-unes 
existent encore aujourd'hui. on en trouvait dans chaque district, 
et les largesses du peuple et des rois les entretenaient dans la 
prospérité. Quand les dons volontaires étaient insuftisants, le 
trésor public y pourvoyait. Plusieurs rois de la dynastie Korie 
voulurent, par dévotion, être inhumés dans ces pagodes, à la 
manière bouddhique, qui consiste à brûler les corps et à recueillir 
les cendres dans un vase, que l'on conserve en un lieu spécial, 
ou que l'on jette à l'eau. Un de ces rois fit même un décret pour 
obliger chaque famille qui aurait trois enfants, à en donner un 
pour devenir bonze. A la fin du quatorzième siècle, la nouvelle 
dynastie qui s'installa sur le trône de Corée, sans prohiber en 
aucune manière le bouddhisme, le laissa complètement de côté, 
et depuis cette époque, pagodes, bonzes et bonzesses, n'ont cessé 
de déchoir dans la vénération publique. Quelquefois encore, même 
aujourd'hui, le gouvernement invoquera officiellement le nom de 
Fô, et les reines ou princesses feront, dans des circonstances 
particulières, un petit présent à telle ou telle pagode, mais rien 
de plus, et tout le monde, les bouddhistes eux-mêmes, avouent 
que, dans quelques générations, il ne restera de leur culte qu'un 
souvenir. 
Les pagodes bouddhiques, bâties dans le genre chinois, n'ont 
généralement rien de remarquable. Le sanctuaire où se trouve 
la statue de Fô est assez étroit, mais il est toujours entouré de 
nombreux appartements qui servent aux bonzes de demeure, de 
salles d'étude et de lieux de réunion. Du plus grand nombre, il ne 
reste que des ruines. Ces pagodes sont d'ordinaire situées dans 
les montagnes, dans les déserts, et souvent le site en est admi- 
rablement choisi. Pendant l'été surtout, les lettrés s'y réunissent 
souvent pour se livrer à l'étude et aux discussions littéraires. Ils 
y trouvent la tranquillité, la solitude, le bon air ; et les bonzes, 
moyennant une légère rétribution , leur servent de domes- 
tiques . 
Ces bonzes sont maintenant presque sans ressources. Excepté 
dans la province de Kieng-sang, où ils ont conservé quelque 
influence, ils sont obligés, pour vivre, de mendier ou de se livrer 
à divers travaux manuels, tels que la fabrication du papier ou des 
souliers. Quelques-uns cultivent de petits coins de terre appar- 
tenant aux bonzeries. Par suite du discrédit où est tombée leur 
T. 1. — I/KGLISK I)K COUKi;, ■/ 
CXLVI INTRODUCTION. 
religion, ils ne peuvent que difficilement se recruter, et ont dû 
abandonner toute espèce d'études. Ceux qui se font bonzes aujour- 
d'hui sont, pour la plupart, des gens sans aveu qui cherchent un 
refuge dans les pagodes, des individus qui n'ont pas pu se marier, 
des veufs sans enfants qui ne veulent pas ou ne peuvent pas 
vivre seuls, etc.. Le peuple les méprise, les regarde comme des 
querelleurs, des charlatans, et des hypocrites; néanmoins, par 
habitude, peut-être aussi par une certaine crainte superstitieuse, 
on leur fait assez facilement l'aumône. 

on trouve aussi, comme dans tous les autres pays bouddhistes, 
des bonzesses vivant ensemble dans des monastères, non loin des 
pagodes où il leur est interdit de résider. De même que les 
bonzes, elles sont tenues à garder la continence pendant leur 
séjour dans les bonzeries, et il y a peine de mort contre celles 
qui auraient des enfants; aussi, à ce qu'on assure, sont-elles 
très-versées dans l'art infâme des avortements. Leurs mœurs 
passent pour être abominables. Du reste, bonzes ou bonzesses sont 
parfaitement libres de quitter leurs couvents quand il leur plaît 
pour rentrer dans la vie commune, et c'est ce qui arrive tous les 
jours. on entre dans ces maisons parce qu'on ne sait que faire, 
et après un séjour plus ou moins long, si l'on s'ennuie, on les 
quitte i»our aller chercher fortune ailleurs. 
Tel est, en Corée, l'état actuel de la religion de Confucius et 
de celle de Fô. Ces deux doctrines, comme on Fa remarqué bien 
souvent, et selon nous avec beaucoup de justesse, ne sont, au 
fond, que deux formes différentes d'athéisme. De leur coexistence 
légale, de leur mélange nécessaire dans l'esprit d'un peuple qui ne 
raisonne guère sa foi religieuse, est sortie cette incroyance pra- 
tique, cette insouciance de la vie future qui caractérise presque 
tous les Coréens. Tous font les prostrations et offrent les sacrifices 
devant les tablettes, mais peu croient sérieusement à leur effica- 
cité. Ils ont une notion confuse d'un pouvoir supérieur et de l'exis- 
tence de l'âme, mais ils ne s'en inquiètent pas, et quand on leur 
parle de ce qui suivra la mort, ils répondent aussi stupidement 
que nos libres penseurs de haut et de bas étage : « Qui le sait ? 
personne n'en est revenu ; l'important est de jouir delà vie pen- 
dant qu'elle dure. » Mais, si presque tous les Coréens sont prati- 
(|uement athées, en revanche, et par une conséquence inévitable, 
ils sont les plus superstitieux des hommes. 
Ils voient le diable partout; ils croient aux jours fastes et 
néfastes, aux lieux propices ou défavorables ; tout leur est un 
signe de bonheur ou de malheur. Sans cesse ils consultent le sort 
nTnODUCTIO>i. CXLVII 
et les devins ; ils multiplient les conjurations, les sacrifices, les 
sortilèges, avant, pendant, et après toutes leurs actions ou entre- 
prises importantes. Dans chaque maison, il y a une ou deux 
cruches en terre pour renfermer les dieux pénates : Seng-tsou, 
le protecteur de la naissance et de la vie ; Tse-tsou, le protec- 
teur des habitations, etc., et de temps en temps on fait devant 
ces cruches la grande prostration. Si quelque accident arrive en 
passant sur une montagne, on est tenu de faire quelque offrande 
au génie de la montagne. Les chasseurs ont des observances spé- 
ciales pour les jours de succès ou d'insuccès; les matelots plus 
encore, car ils font des sacrifices et offrandes à tous les vents du 
ciel, aux astres, à la terre, à l'eau. Sur les routes, et surtout au 
sommet des collines, il y a de petits temples ou seulement des tas 
de pierres ; chaque passant accrochera au temple un papier, 
ruban, ou autre signe, ou jettera une pierre dans le tas. Le ser- 
pent est ici, comme partout et toujours chez les païens, l'objet 
d'une crainte superstitieuse ; très-peu de Coréens oseraient en 
tuer un. Quelquefois même, ils fournissent de la nourriture en 
abondance, et régulièrement, aux serpents qui se logent dans les 
toits ou les murailles de leurs masures. Un homme en deuil ne 
peut donner la mort à aucun animal ; il n'ose même pas se débar- 
rasser de la vermine qui le dévore. Les femmes, qui en ce pays 
font tous les métiers possibles, ne voudraient jamais tuer un 
poulet, ni même le vider après qu'il aurait été tué par une autre 
personne. 
La plupart des familles conservent précieusement le feu dans 
la maison, et font en sorte de ne jamais le laisser éteindre. Si un 
pareil malheur arrivait, ce serait pour la famille le pronostic et 
la cause des plus grandes infortunes. Pour l'éviter, tous les jours, 
après avoir préparé le repas du matin ou du soir, on dépose ce qui 
reste de charbons embrasés avec les cendres dans un vase de 
terre, en forme de chaufferette, et on prend les précautions néces- 
saires afin de conserver l'étincelle qui servira à rallumer le feu 
à la prochaine occasion. Un jour, un noble qui avait grande com- 
pagnie dans ses salons, vit un esclave sortir, un bouchon de paille 
à la main, au moment où l'on devait préparer le repas. « Où 
vas-tu? lui cria-t-il. —Je vais chez le voisin chercher du feu, 
répondit l'esclave; il n'y en a plus, nulle part, dans la maison. — 
Impossible, » dit le maître en pâlissant, et aussitôt, laissant ses 
hôtes, il court aux vases où dans les divers appartements on 
conservait le feu, et, à genoux, les larmes aux yeux, il retourne 
les cendres avec une attention fiévreuse. A la fin il aperçoit une 
CXLVIII INTRODUCTION. 
faible lueur ; il souffle et parvient à enflammer une allumette. 
«Victoire! s'écrie-t-il en rentrant dans le salon, les destins de ma 
race ne sont pas encore terminés ; j'ai recouvré ce feu que mes 
ancêtres se sont fidèlement transmis depuis dix générations, et 
je pourrai à mon tour le léguer à mes descendants. » 
Nous avons dit plus haut combien la petite vérole est terrible 
en Corée. Quand on s'attend à la voir arriver dans un village, 
hommes et femmes se baignent la tète à grande eau avec des 
vases neufs, et répètent très-souvent ces ablutions, afin de se pré- 
parer à recevoir convenablement la visite de cette illustre dami;. 
Si l'on peut avoir de l'eau de mer en pareil cas, elle est beaucoup 
plus efficace que l'eau douce. En même temps, on dispose sous le 
vestibule ou auprès de la porte de chaque maison, une table char- 
gée de fruits. Lorsque la maladie s'est déclarée dans une maison, 
on y place un petit drapeau, ou bien on bariole la porte avec de 
la terre jaune, pour empêcher les étrangers de venir par leur 
(irésence troubler ou contrarier la terrible hôtesse. on s'efforce 
de la bien traiter pour obtenir ses bonnes grâces, on se prosterne, 
on prie, on chante, on multiplie les sacrifices en son honneur, on 
fait des gâteaux de riz pour régaler en son nom tous les voisins, 
et si le riz a été mendié de porte en porte, l'œuvre est bien plus 
méritoire. on fait venir les mou-tang ou sorciers avec tous leurs 
appareils superstitieux, et l'on finit, chacun selon sa fortune, par 
une grande cérémonie pour éconduire la dame avec toute la 
pompe voulue. Tous sont convaincus que, pendant la maladie, 
les enfants attaqués sont en communication avec les génies, qu'ils 
ont le don de seconde vue, et qu'ils aperçoivent à travers les 
murailles ce qui se passe même à de grandes distances. Il y a 
quelques années, pendant qu'un enfant de douze à treize ans 
était couché malade dans une maison, un noble du village entra 
sans y faire attention dans la cour attenante, le bonnet de crin 
sur la tête. L'enfant, qui lui gardait rancune pour quelques coups 
de bâton qu'il en avait reçus, le vit venir et s'écria ; « Ce noble 
<|ui vient ici avec son bonnet, irrite la dame, redouble mes souf- 
frances et va être cause de ma mort. Il faut le battre sur le der- 
rière pour apaiser la fureur de la dame. » Le noble, effrayé, 
reconnut son tort, et pour détourner les malheurs dont le mena- 
çait cette colère redoutable, consentit à recevoir, séance tenante, 
la bastonnade expiatrice. 
Ces superstitions et une foule d'autres, qu'il serait trop long 
d'énumérer en détail, sont très-répandues dans le pays. Quelques 
hommes de la classe instruite les méprisent et n'y ont aucune 
IMUODUCTIOIN. CXLIX 
foi, mais les femmes de toiiles les conditions y tiennent comme à 
leur vie, et les maris, pour ne pas compromettre la paix de leur 
ménage, les tolèrent même en refusant d'y prendre part, de sorte 
que depuis le palais jusqu'à la dernière cabane, elles sont uni- 
versellement pratiquées. on peut juger parla combien nombreux 
doivent être les charlatans, astrologues, devins, jongleurs, diseurs 
de bonne aventure, de l'un et de l'autre sexe, qui vivent en Corée 
de la crédulité publique. on en rencontre partout qui, moyen- 
nant finance, viennent examiner les terrains propres pour bâtir 
ou pour enterrer, déterminer par le sort les jours favorables pour 
les entreprises, tirer l'horoscope des futurs époux, prédire l'ave- 
nir, conjurer les malheurs ou les accidents, chasser le mauvais 
air, réciter des formules contre telle ou telle maladie, exorciser 
les démons, etc., et toujours avec grandes cérémonies, force 
tapage, et quantité de nourriture, car la gloutonnerie des devins 
est proverbiale en Corée. 
Ceux qui ont le plus de succès et de réputation dans ce métier, 
sont les aveugles qui, presque tous, l'exercent depuis leur bas âge, 
et transmettent leurs secrets aux enfants affligés de la même infir- 
mité. C'est pour ainsi dire leur office naturel, et le plus souvent 
leur seul moyen de subsistance. Dans les districts éloignés, chacun 
d'eux exerce séparément, h ses risques et périls ; mais dans les 
villes et surtout à la capitale, ils forment une corporation puis- 
samment organisée, qui est reconnue par la loi, et qui paye des 
impôts au gouvernement. Seuls, ils ont droit de circuler dans les 
rues pendant la nuit. Le jour on les rencontre, deux ou trois 
ensemble, poussant un cri spécial pour attirer l'attention de ceux 
qui peuvent avoir besoin de leurs services. Pour être reçu définiti- 
vement membre de la société, il faut passer par un noviciat d'au 
moins trois ans. Ce temps est consacré à étudier les secrets de 
l'art, et surtout les rues et ruelles de la capitale. C'est quelque 
chose de prodigieux, et qui semble naturellement inexplicable, 
que leur adresse à se retrouver dans le dédale de rues tortueuses, 
de culs-de-sac, d'impasses, qui forment la ville de Séoul. Quand 
on leur a indique une maison quelconque, ils s'y rendent, en 
tâtonnant un peu avec leur bâton, presque aussi vite, et aussi 
sûrement que tout autre individu. 

on les fait venir pour indiquer l'avenir, découvrir les choses 
secrètes, tirer les horoscopes, mais surtout pour chasser les 
diables. Dans ce dernier cas, il convient qu'ils soient plusieurs 
ensemble; leurs cérémonies ont alors une action plus rapide et 
plus efficace. Ils commencent par psalmodier diverses formules 
CL INTRODUCTION. 
d'une voix grave et lente, puis peu à peu haussent le ton, en s'ac- 
compagnanl du roulement monotone et de plus en plus rapide de 
leurs bâtons, sur le plancher et sur des vases de terre ou de cuivre. 
Ils entrent bientôt dans une espèce de frénésie étrange ; le rhythme 
de leurs chants devient de plus en plus saccadé, et à la fin, c'est 
un vacarme affreux de hurlements et de vociférations diaboli- 
ques. « Quels poumons! s'écrie Mgr Daveluy, à qui nous em- 
pruntons ces détails ; je vous assure qu'il y a réellement de quoi 
mettre en fuite tous les diables de l'enfer. Chaque exorcisme 
dure trois ou quatre heures, et quelquefois on recommence, tou- 
jours plus fort, trois fois dans une même nuit et plusieurs 
nuits de suite. Malheur aux voisins des maisons où se passent 
de pareilles scènes ! il leur est absolument impossible de fermer 
l'œil, comme j'en ai fait plusieurs fois l'expérience. » A la fin 
cependant, les opérateurs parviennent à vaincre le diable; ils 
l'acculent dans un coin, le serrent de tous côtés, et finissent par 
le forcer à se réfugier dans un pot ou dans une bouteille que l'un 
d'eux tient à la main. on bouche et on ficelle immédiatement 
cette bouteille avec le plus grand soin, et, la maison étant débar- 
rassée de son hôte incommode, on commence le chant de vic- 
loire. Pendant toute la cérémonie on n'a cessé d'offrir au diable 
toutes sortes de mets pour le gagner ; ces mets deviennent la 
propriété des aveugles, à qui on donne en outre une somme 
d'argent plus ou moins ronde. 
Quant à l'action réelle du démon dans ces cas et d'autres analo- 
gues, il est difficile de la déterminer. Qu'il y ait souvent beaucoup 
de jonglerie et de charlatanisme^ nul n'en doute. Mais que, de 
temps en temps, le démon manifeste réellement sa présence et son 
action dans les hommes ou les choses par des phénomènes con- 
traires aux lois de la nature ; qu'il y ait de véritables sorciers, des 
sorcières surtout, qui par des rites magiques se mettent en rapport 
direct avec les puissances infernales, le fait est absolument cer- 
tain. Les missionnaires attestent que les possessions proprement 
dites se rencontrent quelquefois ; de même, les obsessions, sans 
être fréquentes, ne sont pas rares, même parmi les chrétiens. 
Au reste, les faits de cette espèce, qui arrivent en Corée, sont 
ceux qui se sont passés et se passent encore chez tous les peuples 
païens. Toutes les pages de la Bible, dans le Nouveau comme dans 
l'Ancien Testament, sont pleines de semblables exemples ; et 
aujourd'hui que l'histoire du monde est mieux connue, aucun 
savant sérieux n'oserait en nier la possibilité. 
XII 
Caractère des Coréens : leurs qualités morales, leurs défauts, leurs 
habitudes. 
La grande vertu du Coréen est le respect inné et la pratique 
journalière des lois de la fraternité humaine. Nous avons vu plus 
haut comment les diverses corporations, les familles surtout, for- 
ment des corps intimement unis pour se défendre, se soutenir, 
s'appuyer et s'entr'aider réciproquement, Mais ce sentiment de 
confraternité s'étend bien au delà des limites de la parenté ou de 
l'association; et l'assistance mutuelle, l'hospitalité généreuse 
envers tous, sont des traits distinctifs du caractère national, des 
qualités qui, il faut l'avouer, mettent les Coréens bien au dessus 
des peuples envahis par l'égoïsme de notre civilisation con- 
temporaine. 
Dans les occasions importantes de la vie, telles qu'un mariage 
ou un enterrement, chacun se fait un devoir d'aider la famille 
directement intéressée. Chacun apporte son offrande et rend 
tous les services en son pouvoir. Les uns se chargent de faire les 
achats, les autres d'organiser la cérémonie; les pauvres, qui ne 
peuvent rien donner, vont prévenir les parents dans les villages 
voisins ou éloignés, passent jour et nuit sur pied, et font gratui- 
tement les corvées et démarches nécessaires. Il semblerait qu'il 
s'agit non pas d'un affaire personnelle, mais d'un intérêt public 
(le premier ordre. Quand une maison est détruite par un incen- 
die, une inondation ou quelque autre accident, les voisins s'em- 
pressent d'apporter pour la rebâtir, qui des pierres, qui du bois, 
(|ui de la paille ; et chacun, outre ces quelques matériaux, donne 
deux ou trois journées de son travail. Si un étranger vient s'éta- 
blir dans un village, chacun l'aide à se bâtir une petite demeure. 
Si quelqu'un est obligé d'aller au loin sur les montagnes couper 
du bois ou faire du charbon, il est sûr de trouver dans le village 
voisin un pied-à-terre ; il n'a qu'à apporter son riz, on se char- 
gera de le cuire, et on y mettra les quelques assaisonnements 
nécessaires. Lorsqu'un habitant du village tombe malade, ceux 
(jui auraient à la maison un remède n'attendent pas pour le 
CL1I INTRODUCTION. 
donner qu'on le leur demande; le plus souvent, ils se hâtent de 
le porter eux-mêmes, et ne veulent point en recevoir le prix. Les 
instruments de jardinage ou de labour sont toujours à la dispo- 
sition de qui vient les demander, et souvent même, excepté 
pendant la saison des travaux , les bœufs se prêtent assez 
facilement. 
L'hospitalité est considérée par tous comme le plus sacré des 
devoirs. D'après les moeurs, ce serait non-seulement une honte, 
mais une faute grave, de refuser sa part de riz à quiconque, 
connu ou inconnu, se présente au moment du repas. Les pauvres 
ouvriers qui prennent leur nourriture sur le bord des chemins, 
sont souvent les premiers à offrir aux passants de la partager 
avec eux. Quand, dans une maison quelconque, il y a une petite 
fête ou un repas solennel, tous les voisins sont toujours invités 
de droit. Le pauvre qui doit aller pour ses affaires dans un lieu 
éloigné ou visiter à de grandes distances des parents ou amis, n'a 
pas besoin de longs préparatifs de voyage. Son bâton, sa pipe, 
quelques bardes dans un petit paquet pendu à l'épaule, quelques 
sapèques dans sa bourse, si toutefois il a une bourse et des 
sapèques à mettre dedans, voilà tout. La nuit venue, au lieu de se 
rendre à l'auberge, il entre dans quelque maison dont les appar- 
tements extérieurs sont ouverts à tout venant, et il est sûr d'y 
trouver de la nourriture et un gîte pour la nuit. Quand l'heure du 
repas arrive, on lui donne sa part ; il a pour dormir un coin de 
la natte qui recouvre le plancher, et un bout du morceau de bois 
qui, appuyé contre la muraille, sert d'oreiller commun. S'il est 
fatigué, ou que le temps soit trop mauvais, il passera ainsi quel- 
quefois un ou deux jours, sans que l'on songe à lui reprocher son 
indiscrétion. 
En ce bas monde, les meilleures choses ont toujours un mau- 
vais côté, et les habitudes toutes patriarcales que nous venons 
de décrire, produisent bien quelques inconvénients. Le plus 
grave est l'encouragement qu'elles donnent h la fainéantise d'une 
foule de mauvais sujets, qui spéculent sur Thospitalité publique, 
et vivent en flânant de côté et d'autre dans une complète oisi- 
veté. Quelques-uns des plus effrontés viennent s'établir, pendant 
des semaines entières, chez les gens riches ou aisés, et se font 
même donner des vêtements que l'on n'ose pas refuser de peur 
d'être ensuite injurié et calomnié par eux. on dit que, dans la 
province de Pieng-an surtout, ces cas sont assez fréquents. Dans 
les montagnes du Kang-ouen, on voit des bandes entières s'éta- 
blir dans un village, y vivre deux ou trois jours aux frais des 
i>iTnoi)ur,TioN, Cl, m 
habitants, puis passer dans un autre, et ainsi de suite, pendant 
des mois entiers, sans que le gouvernement ose intervenir pour 
protéger le peuple. Les petits marcliands ambulants, les comé- 
diens, les astrologues j)rennent les mêmes libertés; c'est l'usage, 
et nul ne réclame ni ne songe à se débarrasser par force de ces 
hôtes incommodes. 11 y a de plus les mendiants proprement dits. 
Ce sont des infirmes, des estropiés, des vieillards sans ressources, 
auxquels chacun donne un peu de riz ou quelques sapèques. A 
Séoul, se trouve une corporation de mendiantes qui se partagent 
les différents quartiers de la capitale et ({uètent cha([ue jour de 
porte en porte. Elles sont généralement détestées à cause de leur 
méchanceté et de leur insolence ; mais la crainte de s'attirer de 
mauvaises affaires de la part de toute la bande, force la main aux 
habitants paisibles, et elles recueillent d'abondantes aumônes. 
Parmi les mendiants attitrés il faut aussi compter tous les bonzes. 
Les uns mendient par nécessité, les autres par vertu; on donne 
à ces derniers le nom de San-lim. Quoique la religion de Fô soit 
maintenant tombée dans un discrédit universel, presque toujours, 
par pitié ou par un reste de superstition, on leur donne quelques 
poignées de riz. 
Les visites, soirées, invitations, et autres relations ordinaires 
de société sont très-multipliées, et la plus grande liberté y règne. 
Les femmes ne se montrent jamais dans ces réunions; elles 
passent leur vie dans les appartements intérieurs, et ne se visitent 
qu'entre elles. Mais les hommes à leur aise, les nobles surtout, 
naturellement causeurs et paresseux, vont continuellement de 
salon en salon tuer le temps, raconter ou inventer des nouvelles. 
Ces salons ou appartements extérieurs sont placés sur le devant 
de la maison, et toujours ouverts à tout venant. Le maître du 
logis y fait sa résidence habituelle, et met son orgueil à recevoir 
et à bien traiter le plus d'amis possible. Naturellement les con- 
versations ne roulent guère sur la politique ; personne ne s'en 
occupe, et d'ailleurs un tel sujet serait dangereux. Mais on se 
raconte les dernières histoires de la cour et de la ville, on 
colporte les médisances du jour, on répète les bons mots qui ont 
été dits par tel ou tel grand personnage, on récite des fables ou 
des apologues, on parle science ou littérature. L'été surtout, ces 
réunions entre lettrés deviennent de petites académies, où l'on 
s'assemble trois ou quatre fois la semaine pour discuter des 
questions de critique littéraire, approfondir le sens des ouvrages 
célèbres, comparer diverses compositions poétiques. Les gens du 
peuple, de leur côté, se rencontrent dans les rues, le long des 
CLIV 1NTR0DUCTI0>\ 
routes, dans les auberges. Quand ils sont deux ou trois ensemble, 
la conversation s'engage immédiatement et ne languit jamais. 
Ils se font les questions les plus indiscrètes, sur leur nom, leur 
âge, leur demeure, leurs occupations, leur commerce, les 
dernières nouvelles qu'ils ont pu apprendre, etc. Un Coréen ne 
peut rien garder de ce qu'il sait ; c'est chez lui une démangeaison 
incroyable d'apprendre toutes les nouvelles, même les plus insi- 
gnifiantes, et de les communiquer immédiatement à d'autres, 
ornées de toutes les exagérations et de tous les mensonges 
possibles. 
En Corée on parle toujours sur un ton très-élevé, et les 
réunions sont extraordinairement bruyantes. Crier le plus haut 
possible, c'est faire preuve de bonnes manières, et celui qui, 
dans une société, parlerait sur un ton ordinaire, serait mal vu des 
autres, et passerait pour un original qui cherche à se singula- 
riser. Le goût du tapage est inné en eux, et rien à leur sens ne 
peut être fait convenablement sans beaucoup de vacarme. L'étude 
des lettres consiste à répéter à gorge déployée, chaque jour, 
pendant des heures entières, une ou deux pages d'un livre. Les 
ouvriers, les laboureurs, se délassent de leurs fatigues en luttant 
à qui criera le plus fort. Chaque village possède une caisse, des 
cornes, des flûtes, quelques couvercles de chaudrons en guise de 
cymbales, et souvent pendant les rudes travaux de l'été, on 
s'interrompt quelques instants, et l'on se délasse par un concert à 
tour de bras. Dans les préfectures et les tribunaux, les ordres 
des mandarins sont répétés d'abord par un crieur, puis par 
beaucoup d'autres échelonnés à tous les coins, de manière à 
retentir dans les quartiers environnants. Si un fonctionnaire 
public sort de sa maison, les cris perçants d'une multitude de 
valets annoncent sa marche. Dans les rares circonstances où le 
roi se montre en public, une foule de gens sont postés de dis- 
tance en distance pour pousser les plus formidables clameurs, et 
ils se partagent la besogne alternativement, de manière à ne pas 
laisser une seconde de silence. La moindre interruption, en pareil 
cas, serait un manque de respect envers la majesté royale. 
Les Coréens des deux sexes sont naturellement très-passionnés ; 
mais l'amour véritable ne se trouve guère en ce pays, car la 
jiassion chez eux est purement physique, le cœur n'y est pour 
rien. Us ne connaissent que l'appétit animal, l'instinct de la 
brute qui, pour se satisfaire, se rue à l'aveugle sur le premier 
objet à sa portée; aussi la corruption des mœurs dépasse tout ce 
({u'on peut imaginer. Elle est telle, que l'on peut affirmer hardi- 
INTKOnUCTlON. CLV 
ment que plus de. la moitié des individus ne connaissent pas leurs 
véritables parents. Plusieurs fois des chrétiennes, sur le point 
d'être violées par des païens, les onl arrêtes par ces paroles : 
f( Ne m'approche i)oinl, je suis ta propre fille. » Et le païen 
reculait, sachant que le fait était, sinon probable, au moins très- 
possible. Au reste, comment pourrait-il en être autrement dans 
un pays où aucun frein religieux ne vient dominer les passions, 
et où les coutumes, les nécessites même de la vie matérielle 
forcent souvent les |)auvres, c'est-à-dire la moitié de la popula- 
tion, h oublier les lois de la pudeur? En effet, les maisons des 
pauvres ne sont que de misérables huttes de terre. Us n'ont pas 
le moyen d'avoir deux chambres, ou, s'ils en ont deux, ils ne 
peuvent les chauffer toutes deux pendant l'hiver. Aussi, père, 
mère, frères et sœurs, tous dorment ensemble, sous la même 
couverture s'ils en ont une, et, s'ils n'en ont point, serrés les uns 
contre les autres pour se réchauffer un peu. 
Presque tous les enfants jusqu'à l'âge de neuf ou dix ans, 
quelquefois même davantage, vivent pendant Tété absolument 
nus, ou revêtus seulement d'une petite jaquette qui descend 
jusqu'à la ceinture. Les enfants chrétiens sont généralement 
vêtus d'une manière plus décente, mais les missionnaires ont eu 
beaucoup de peine à obtenir cette concession. Tout homme, 
marié ou non, est libre d'avoir chez lui autant de concubines 
([u'il peut en entretenir. Quand une femme arrive dans un 
village, elle trouve toujours où se placer; si nul n'est assez riche 
pour la garder chez lui, chacun la prend dans sa maison à tour 
de rôle, et la nourrit pendant quelques jours. Une femme qui, 
voyageant seule, passerait la nuit dans une auberge, serait 
infailliblement la proie du premier venu; quelquefois même la 
compagnie d'un homme, à moins qu'il ne soit bien armé, ne 
suffit pas à la protéger. Inutile d'ajouter que la [)rostitution 
s'étale partout au grand jour, et que la sodomie et autres crimes 
contre nature sont assez fréquents. Le long des routes, à l'entrée 
des villages surtout, les filles publiques de bas étage s'installent 
avec une bouteille d'eau-de-vie de riz, dont elles offrent aux 
voyageurs. La plupart s'arrêtent d'eux-mêmes pour les faire 
chanter, ou badiner avec elles; et si quelqu'un i)asse sans les 
regarder, elles ne se gênent nullement pour l'arrêter par ses 
habits et même lui barrer le chemin. 
Mais détournons les yeux de ce triste spectacle, et hâtons-nous 
de passer à un autre sujet. 
Les Coréens ont généralement le caractère entier, difficile, 
CLV! IMRODLCTION. 
colère et vindicatif. C'est le fruit de la demi-barbarie dans 
laquelle ils sont encore plongés. Parmi les païens, l'éducation 
morale est nulle ; chez les chrétiens eux-mêmes, elle no pourra 
porter ses fruits qu'à la longue. Les enfants ne sont presque 
jamais corrigés, on se contente de rire de leurs colères conti- 
nuelles ; ils grandissent ainsi, et plus tard, hommes et femmes se 
livrent sans cesse à des accès d'une fureur aussi violente 
qu'aveugle. En ce pays, pour exprimer une résolution arrêtée, 
on se pique le doigt, et on écrit son serment avec son propre 
sang. Dans un accès de fureur, les gens se pendent ou se noient 
avec une facilité inexplicable. Un petit déplaisir, un mot de 
mépris, un rien, les entraîne au suicide. Ils sont aussi vindicatifs 
qu'irascibles. Sur cinquante conspirations, quarante-neuf sont 
trahies d'avance par quelque conjuré, et presque toujours pour 
satisfaire une rancune particulière, pour se venger d'un mot un 
peu vif. Peu leur importe d'être punis eux-mêmes, s'ils peuvent 
attirer un châtiment sur la tète de leurs ennemis. 

on ne peut les accuser ni de mollesse ni de làchelé. A l'occasion 
ils supportent les verges, le bâton, et les autres supplices avec 
un grand sang-froid, et sans laisser ])araître la moindre émotion. 
Ils sont patients dans leurs maladies. Ils ont beaucoup de goût 
pour les exercices du corps, le tir de l'arc, la chasse, et ne 
reculent point devant la fatigue. Et cependant, chose extraordi- 
naire, avec tout cela ils font en général de très-pauvres soldats, 
qui, au premier danger sérieux, ne songent qu'à jeter leurs armes, 
et à s'enfuir dans toutes les directions. Peut-être est-ce simple- 
ment le manque d'habitude, et le défaut d'organisation. Les 
missionnaires assurent qu'avec des officiers capables, les Coréens 
pourraient devenir d'excellents soldats. En 1871, les Américains 
rencontrèrent une résistance désespérée, et les divers récils de 
leur expédition rendent justice au courage des troupes d'élite 
que l'on avait envoyées contre eux. 
La chasse est considérée comme une œuvre servile; aussi les 
nobles, si l'on excepte quelques familles pauvres des provinces, 
ne s'y livrent presque jamais. Elle est tout à fait libre ; point de 
port d'armes, point de i)arcs réservés, point d'époques interdites. 
Le seul animal qu'il soit défendu de tuer est le faucon, dont la 
vie est protégée par des lois sévères. Malheur à celui qui blesse- 
rait un de ces oiseaux ! il serait traîné à la capitale devant la 
cour des crimes. La chasse n'a lieu que dans les montagnes, car 
les vallées et les plaines, presque toutes en rizières, n'offrent 
aucun gibier qui puisse tenter les chasseurs. Leur fusil est le 
IMHODL'CTION. CLVll 
fusil japonais à pierre, Irès-lourd et tbrl peu élégaul. Avec celle 
arme iiisuflisanle, un Coréen même seul, lirerale liiJi're, ([uoique 
cet animal, quand il n'est pas tué sur le coup, s'élance toujours 
droit sur l'ennemi ({ui devient alors facilement sa proie. Quand 
le tigre fait de grands ravages dans un district, le mandarin 
réunit les chasseurs et organise une battue dans les montagnes 
voisines, mais presque toujours sans résultat, car, en })areil cas, 
la peau de l'animal est pour le gouvernement, et le mandarin 
garde pour lui la i)rime due aux chasseurs. Ceux-ci préfèrent 
risquer leur vie en chassant seuls, parce qu'ils ont alors le 
bénéfice de la peau qu'ils vendent secrètement. Ils mangent la 
chair qu'ils prétendent être très-succulente. Les os piles et 
bouillis servent à faire diverses médecines. on les vend surtout 
aux Japonais qui les achètent à très-haut prix pour en fabriquer 
des remèdes secrets. 
Les tigres sont excessivement nombreux en Corée, et le chiffre 
annuel des accidents est très-considérable. Quand le tigre pénètre 
dans un village dont les maisons sont bien fermées, il ne cesse 
de tourner pendant des nuits entières autour de quelque masure, 
et si la faim le presse, il finit par s'y introduire en bondissant 
sur le toit de chaume, au travers duquel il fait un trou. Le plus 
souvent, il n'a pas besoin de recourir à cet expédient, car les 
villageois sont d'une insouciance telle, que, malgré sa présence 
dans les environs, ils dorment habituellement, pendant l'été, la 
porte de leurs maisons grande ouverte, et quelquefois même 
sous des hangars ou en plein champ sans songer à allumer du 
feu. Peut-être, avec des battues bien suivies, dans la saison 
propice, réussirait-on à détruire beaucoup de ces animaux, et à 
refouler le reste dans les grandes chaînes de montagnes qui sont 
presque inhabitées ; mais chacun ne songe qu'à se débarrasser 
du péril présent, sans s'inquiéter de l'avenir ni du bien général. 
on prend quelquefois des tigres au piège, dans des fosses pro- 
fondes recouvertes de feuillage et de terre, au milieu desquelles 
est planté un pieu aigu ; mais ce moyen si simple, et sans danger 
aucun pour le chasseur, n'est que rarement employé. Pendant 
l'hiver, quand la neige est à demi gelée, assez forte pour résister 
au pied de l'homme, elle cède encore aux pattes du tigre, qui s'y 
enfonce jusqu'au ventre et ne peut en sortir. Souvent alors on en 
tue à coups de sabre ou de lance. 
Les chasseurs coréens ne tirent jamais au vol. Ils s'affublent 
de peaux, déplumes, de paille, etc., et se tapissent dans quelque 
trou pour tromper les animaux qui viennent à leur portée. Ils 
CI.VIII INTRODUCTION. 
savent contrefaire parfaitement les cris des divers oiseaux, parti- 
culièrement celui de faisan qui appelle sa femelle, et par là 
réussissent à prendre beaucoup de ces dernières. Mais leur chasse 
principale est celle du cerf. Elle n'a lieu qu'au moment où ses 
bois se développent, c'est-à-dire pendant la cinquième et la 
sixième lune (juin et juillet), parce qu'alors seulement ces bois 
se vendent à un prix irès-élevé. Les chasseurs au nombre de 
trois ou quatre au plus, battent les montagnes plusieurs jours de 
suite, et quand la nuit les force à s'arrêter pendant quelques 
heures, ils ont un instinct admirable pour retrouver la piste de 
l'animal, à moins que la terre ne soit trop desséchée. D'ordinaire, 
ils l'atteignent avant la fin du troisième jour, et le tuent à coups 
de fusil. Cette chasse, quand elle réussit bien, leur donne de 
quoi vivre pendant une partie de l'année, et l'on cite des indi- 
vidus qui par ce moyen ont acquis une petite fortune. 
Les Coréens sont âpres au gain ; pour se procurer de l'argent, 
tous les moyens leur sont bons. Ils connaissent très-peu et 
respectent encore moins la loi morale qui protège la propriété et 
défend le vol. Néanmoins, les avares sont peu nombreux, et ne 
se trouvent guère que parmi les riches de la classe moyenne ou 
les marchands. En ce pays, on appelle riche celui qui a deux ou 
trois mille francs vaillant. En général, ils sont aussi prodigues 
qu'avides, et aussitôt qu'ils ont de l'argent, ils le jettent à pleines 
mains. Ils ne songent alors qu'à mener grand train, bien traiter 
leurs amis, satisfaire leurs propres caprices; et quand l'indi- 
gence revient, ils la subissent sans trop se plaindre, et attendent 
que la roue de la fortune en tournant leur ramène de beaux 
jours. Souvent, l'argent se gagne assez vite, mais il disparait 
plus vite encore. on a fait gagner un procès à (juclqu'un, on a 
trouvé une racine de gen-seng, un petit morceau d'or, une veine 
de cristal, n'importe quoi, on est à flot pour quelques jours, et 
vogue la galère ! l'avenir s'occupera de l'avenir. De là vient que 
tant de gens sont toujours sur les routes, cherchant une chance 
heureuse, espérant rencontrer là-bas ce qui leur manque ici, 
trouver quelque trésor, découvrir quelque source de richesse non 
encore exploitée , inventer quelque nouveau moyen de battre 
monnaie. Dans certaines provinces surtout, la moitié des habi- 
tants n'ont pour ainsi dire pas de demeure fixe; ils émigrent 
pour échapper à la misère, restent un an ou deux, et émigrent 
de nouveau, pour recommencer plus tard, cherchant toujours 
le mieux, et presque toujours rencontrant le pire. 
L'n autre grand défaut des Coréens, c'est la voracité. Sous ce 
I.NTKOltl CTION. CI. IX 
rapport, il n'y a pas la moindre différence entre les riches et les 
pauvres, les nobles et les gens du peuple. Beaucoup manger est 
I un honneur, et le grand mérile d'un repas consiste, non dans la 
qualité, mais dans la quantité des mets fournis aux convives. 
Aussi cause-t-on très-peu en mangeant, car chaque phrase ferait 
perdre une ou deux bouchées. Dès l'enfance, on s'applique à 
donner à l'estomac toute l'élasticité possible. Souvent les mères 
prenant sur leurs genoux leurs petits enfants, les bourrent de 
riz ou d'autre nourriture, frappent de temps en temps avec le 
manche de la cuiller sur le ventre pour voir s'il est suffisam- 
) ment tendu, et ne s'arrêtent que quand il devient physiquement 
impossible de les gonfler davantage. Un Coréen est toujours prêt 
à manger ; il tombe sur tout ce qu'il rencontre et ne dit jamais : 
c'est assez. Les gens d'une condition aisée ont leurs repas réglés, 
mais si dans l'intervalle se présente l'occasion d'avaler du vin, 
des fruits, des pâtisseries, etc., en quelque quantité que ce 
soit, ils en profitent largement, et l'heure ordinaire du repas 
venue, se mettent à table avec le même appétit que s'ils avaient 
jeûné depuis deux jours. La portion ordinaire d'un ouvrier est 
d'environ un litre de riz, lequel après la cuisson donne une forte 
écuelle. Mais cela ne suftit pas pour les rassasier, et beaucoup 
d'entre eux en prennent facilement trois ou (juatre portions 
quand ils le peuvent. Certains individus, dit-on, en absorbent 
jusqu'à neuf ou dix portions impunément. Qu.ind on tue un bœuf, 
et que la viande est servie à discrétion, une écuelle bien remplie 
n'effraye aucun des convives. Dans les maisons décentes, le bœuf 
ou le chien sont découpés par tranches énormes, et comme 
chacun a sa petite table à part, on peut se montrer généreux 
envers tel ou tel convive, tout en ne donnant aux autres que le 
strict nécessaire. Si l'on offre des fruits, des pêches par exemple 
ou de petits melons, les plus modérés en prennent jusqu'à vingt 
ou vingt-cinq, qu'ils font très-rapidement disparaître, sans les 
peler. 
Inutile d'ajouter que les habitants de ce pays sont loin 
d'absorber chaque jour les quantités de nourriture dont nous 
venons de parler. Tous sont prêts à le faire, et le font en effet 
quand ils en trouvent l'occasion, mais ils sont trop pauvres pour 
la trouver souvent. La viande de bœuf surtout est assez rare. 
Nous avons dit plus haut qu'un boucher est une espèce de 
fonctionnaire nommé par le gouvernement, et qui paye un impôt 
considérable pour avoir le droit exclusif de faire abattre les 
bœufs. Quelques nobles haut placés se permettent aussi d'avoir 
CLX INTRODUCTION. 
des bouchers à eux. C'est un abus que l'on tolère faute de pouvoir 
Tempêcher. Quelquefois aussi, dans les circonstances extraordi- 
naires, le roi permet d'abattre un bœuf dans chaque village, et 
alors c'est une fête universelle, et son nom est béni d'un bout à 
l'autre du royaume. 
Un excès en appelle un autre, et l'abus delà nourriture amène 
naturellement l'abus de la boisson. Aussi l'ivrognerie est-elle en 
grand honneur dans ce pays, et si un homme boit du vin de riz 
de manière à perdre la raison, personne ne lui en fait un crime. 
Un mandarin, un grand dignitaire, un ministre même, peut, 
sans que cela tire à conséquence, rouler sur le plancher à la fin 
de son i'epas. on le laisse cuver son vin tranquillement, et les 
assistants loin d'être scandalisés de ce dégoûtant spectacle, le 
félicitent intérieurement d'être assez riche pour pouvoir se 
procurer un aussi grand plaisir. 
Quant à la préparation de la nourriture, les Coréens ne sont 
nullement difficiles; tout leur est bon. Le poisson cru, la viande 
crue, surtout les intestins, passent pour des mets friands, et 
parmi le peuple, on n'en voit guère sur les tables, car un pareil 
morceau à peine aperçu est aussitôt dévoré. Les viandes crues se 
mangent habituellement avec du piment, du poivre ou de la 
moutarde, mais souvent on se passe de tout assaisonnement. 
Sur le bord des ruisseaux ou rivières, on rencontre quantité de 
pêcheurs à la ligne, dont le plus grand nombre sont des nobles 
sans le sou qui ne veulent pas ou ne peuvent pas travailler pour 
vivre. A côté d'eux est un petit vase contenant de la poudre de 
piment délayée, et aussitôt qu'un poisson est pris, ils le saisissent 
entre deux doigts, le trempent dans cette sauce et l'avalent sans 
autre cérémonie. Les arêtes ne les effrayent point ; ils les mangent 
avec le reste, comme ils mangent aussi les os de poulets ou 
d'autres volatiles afin de ne rien laisser perdre. 
Quelques mots, en finissant ce chapitre, sur les différences de 
caractère entre les habitants des diverses provinces. Ceux des 
deux provinces du Nord, du Pieng-an particulièrement, sont 
plus forts, plus sauvages, et plus violents que les autres Coréens. 
Il y a très-peu de nobles parmi eux, et par suite très-peu de 
dignitaires. on croit qu'ils sont les ennemis secrets de la dynastie; 
aussi le gouvernement, tout en les ménageant, les surveille de 
près, et redoute toujours de leur part une insurrection qu'il serait 
très-difficile de vaincre. Les gens du Hoang-haï passent pour 
avoir l'esprit étroit et borné. on les accuse de beaucoup d'avarice 
et de mauvaise foi. La population du Kieng-keï, ou province de 
INTRODUCTION. CI.XI 
la capitale, est légère, inconstante, adonnée au luxe et aux 
plaisirs. C'est elle qui donne le ton au pays tout entier; c'est à 
elle surtout que s'applique ce que nous avons dit plus haut de 
l'ambition, de la rapacité, de la prodigalité, et du faste des 
Coréens. Les dignitaires, nobles, et lettrés y sont excessivement 
nombreux. Les gens du Tsiong-tsieng ressemblent de tous points 
à ceux du Kieng-keï, dont ils ont, à un degré moindre, les vices 
et les bonnes qualités. Dans la province de Tsien-la on rencontre 
peu de nobles. Les habitants sont regardés par les autres Coréens 
comme des gens grossiers, hypocrites, fourbes, ne cherchant que 
leurs intérêts, et toujours prêts à commettre les plus odieuses 
trahisons s'ils y trouvent leur profit. La province de Kieng-sang 
a un caractère à part. Les habitudes y sont beaucoup plus 
simples, les mœurs moins corrompues, et les vieux usages plus 
fidèlement conservés. Peu de luxe, peu de folles dépenses; aussi 
les petits héritages se transmettent-ils de père en fils, pendant 
de longues années, dans les mêmes familles. L'étude des lettres 
y est plus florissante qu'ailleurs, et souvent l'on voit des jeunes 
gens qui après avoir travaillé aux champs tout le jour, donnent à 
la lecture le soir et une partie de la nuit. Les femmes de condi- 
tion ne sont pas enfermées aussi strictement que dans les autres 
provinces; elles sortent pendant le jour, accompagnées d'une 
esclave, et n'ont à craindre aucune insulte ni aucun manque 
d'égards. C'est dans le Kieng-sang que le bouddhisme ou religion 
de Fô conserve le plus de sectateurs. Ils sont très-attachés à leurs 
superstitions et difficiles à convertir ; mais une fois devenus 
chrétiens, ils demeurent fermes et constants dans la foi. Les 
nobles, très-nombreux dans cette province, appartiennent 
presque tous au parti Nam-in, et depuis les dernières révolutions 
dont nous donnons le détail dans cette histoire, n'ont plus de 
part aux dignités et emplois publics. 
T. 1. — L tGUSE l)t COKEK. 
XIII 
Jeux. — Comédies, — Fêtes du nouvel an. — Le Hoan-kap. 
Le jeu d'échecs est irès-répandu en Corée, et on prétend qu'il 
y a des joueurs capables de tenir tête aux Chinois les plus habiles. 
Ils ont aussi une espèce de jeu de dames, beaucoup plus com- 
pliqué que le nôtre, le trictrac, le jeu d'oie, et divers autres 
jeux d'adresse ou de hasard. Mais celui qui a le plus de vogue, 
est le jeu de cartes, lequel est interdit par la loi. on ne le permet 
qu'aux soldats qui font la veillée dans un poste quelconque, 
pour les empêcher de s'endormir, et on prétend qu'en temps de 
guerre, c'est la plus siîre sauvegarde des camps contre les 
surprises et les attaques nocturnes. Malgré la prohibition, ce jeu 
est en grand usage, surtout parmi les gens du peuple, car les 
nobles le regardent comme au-dessous de leur dignité. on y joue 
la nuit, en cachette, en dépit des amendes et des punitions que 
les tribunaux infligent journellement. Il y a des bandes de joueurs 
qui y passent leur vie, et n'ont pas d'autre métier. Ce sont 
presque toujours des filous fieffés, qui escroquent à leurs dupes 
des sommes considérables et mènent grand train sans s'inquiéter 
de la loi. Les prétoriens et autres agents de l'autorité ferment les 
yeux sur leurs contraventions, tantôt parce qu'ils sont secrète- 
ment payés pour se taire, souvent aussi parce qu'ils redoutent 
la vengeance de ces individus, qu'ils savent être peu scrupuleux, 
déterminés et capables de tout. 
A la capitale et dans quelques autres grandes villes, beaucoup 
de gens inoccupés passent leur temps à lancer des cerfs-volants, 
surtout pendant un ou deux mois d'hiver quand souffle le vent 
du Nord. La foule se presse à ce spectacle ; chacun examine les 
soubresauts de ces cerfs-volants, et en tire des pronostics pour 
le bon ou mauvais succès des affaires dans lesquelles il est alors 
engagé. Souvent on se porte des défis mutuels, à qui usera ou 
coupera le plus vite la corde de son voisin, en faisant rencontrer 
les cerfs-volants dans les airs, et là-dessus s'engagent des paris 
quelquefois considérables. 
Les Coréens, nobles et gens du i)euple, s'amusent volontiers à 
tirer de l'arc. Cet exercice est encouragé par le gouvernement 
INTRODUCTIOIN. CLXIII 
qui y voit un moyen de former de bons archers. A certaines 
époques de l'année, les villes ei les villages un peu considérables 
donnent des prix au concours pour les plus habiles tireurs, et 
quelquefois les mandarins en envoient d'autres aux frais du trésor 
public. Souvent aussi il y a des boxes ou luttes à coups de 
poing, entre des champions choisis, de village contre village, 
ou de certains quartiers d'une ville contre les autres. Chaque 
année, à Séoul, pendant la première lune, on a le spectacle 
d'une de ces luttes, qui ordinairement dégénère en un combat 
acharné. on commence à coups de poing, mais l'on continue à 
coups de bâton et de pierres, et cela dure plusieurs jours, 
pendant lesquels il est impossible de circuler sans danger dans 
les rues. D'habitude, il reste quatre ou cinq morts sur le terrain, 
les blessés et les estropiés ne se comptent pas; mais le gouver- 
nement n'intervient jamais, et laisse les choses suivre leur cours, 
sous prétexte qu'il s'agit d'un jeu. 

on trouve dans toutes les villes des chœurs de musiciens et 
de chanteuses. La capitale en est remplie. Ces chanteuses, 
élégamment vêtues, exécutent des chants et des danses pour 
l'amusement des spectateurs, dans les parties de plaisir que 
donnent les mandarins ou les gens haut placés. Ce sont ou des 
esclaves de préfectures, ou des femmes que la misère a jetées 
dans la débauche; et toutes joignent le métier de prostituées à 
celui de musiciennes. on dit cependant que leurs danses publiques 
n'ont rien de trop indécent. 
Il n'est pas rare non plus de rencontrer des saltimbanques ou 
comédiens ambulants qui vont par bandes, de côté et d'autre, 
donnant des représentations dans les maisons de ceux qui les 
payent, à l'occasion d'un mariage, d'un anniversaire heureux, ou 
d'une fête quelconque. Ils sont acrobates, musiciens, joueurs de 
marionnettes, escamoteurs, font mille tours de force et d'adresse, 
et passent pour être souvent d'une habileté merveilleuse. A 
défaut d'amateurs bénévoles, ils s'imposent aux villages, et 
comme ils ont la réputation d'être des bandits, capables de 
toutes sortes de crimes et d'actes de violence, on les subit par 
crainte, et on les paye sur les fonds communs pendant leur 
séjour. 
Le théâtre proprement dit n'existe pas en Corée. Ce qui se 
rapproche le plus de nos pièces dramatiques est la récitation 
mimée de certaines histoires, par un seul individu qui en repré- 
sente successivement tous les rôles. Si , par exemple , il est 
question dans son récit d'un mandarin, d'un homme qui reçoit la 
CLXIV INTRODUCTION. 
bastonnade, d'un mari qui se dispute avec sa femme, etc., il 
imitera alternativement le ton grave et solennel du magistrat, 
les plaintes, les cris de celui qui est battu, la voix du mari, le 
fausset de la femme, les rires de celui-ci, les gestes étranges de 
celui-là, la stupéfaction d'un autre, assaisonnant le tout de 
compliments, de bons mots, de lazzis et de pasquinades de toute 
espèce. Il y a beaucoup de livres ou recueils d'anecdotes que ces 
artistes étudient continuellement, mais ceux qui ont du talent ne 
s'astreignent point aux scènes ainsi préparées ; ils les cbangenl 
et les entremêlent avec adresse, y introduisent, séance tenante, 
des pointes, des allusions, des plaisanteries appropriées à l'audi- 
toire, et conquièrent ainsi une réputation qui peut les conduire à 
la fortune. on les invite aux réunions d'amis, aux fêtes de 
famille; ils ne manquent jamais d'accompagner dans leurs visites 
officielles les nouveaux dignitaires , ainsi que les candidats 
heureux des examens publics, et dans chaque maison on leur 
donne quelque argent. Les hommes seuls font ainsi le métier 
de comédien. 
Le jour de l'an est une des plus grandes fêtes pour toutes les 
classes de la société coréenne, et la manière de le célébrer offre 
une certaine analogie avec nos usages d'Europe. La plupart des 
travaux sont interrompus dès le troisième jour qui précède la tin 
de Tannée, afin de donner à tous le temps de regagner le toit 
paternel ou de rejoindre leur famille. Très-peu de personnes 
passent cette époque hors de leurs maisons, et si quelque pauvre 
portefaix ou commi.ssionnaire est forcé par des retards malen- 
contreux de séjourner dans une aubei'ge le jour de Tan, presque 
toujours l'aubergiste lui donne la nourriture gratis. A cette 
époque les mandarins évitent de faire des arrestations, et leurs 
tribunaux sont fermés. Il y a plus : beaucoup de prisonniers, 
détenus pour des affaires de peu d'importance, obtiennent un 
congé plus ou moins long, afin d'aller rendre leurs devoirs à leurs 
parents vivants et morts. Les fêtes passées, ils doivent d'eux- 
mêmes revenir, et reviennent en effet, se constituer prisonniers. 
Habituellement, d'après les règles de l'étiquette, on se fait 
deux salutations : la première, le soir du dernier jour de l'an, 
ce qu'ils appellent le salut de l'année qui finit; la seconde, le 
malin du premier jour, c'est le salut de l'année qui commence. 
Cette dernière salutation seule est absolument de rigueur, et 
personne ne s'en dispense. Elle se fait à tous les parents, supé- 
rieurs, amis et connaissances. Y manquer serait provoquer 
infailliblement une rupture, ou un refroidissement marqué dans 
IMRODLCTION. CLXV 
les relations. La principale cérémonie du jour de ian, est le 
sacrifice aux tablettes des ancêtres. Chacun y déploie toute la 
pompe que lui permet sa position, et c'est, dans l'opinion 
commune, le sacrifice le plus indispensable de toute Tannée. Si 
les tombeaux des parents se trouvent près de la maison, on s'y 
rend de suite pour faire les prostrations et cérémonies voulues; 
sinon, on est tenu de les visiter dans le courant de la première 
lune. Après le sacrifice vient la distribution des étrennes, qui 
généralement sont peu considérables. Elles consistent en quelques 
vêtements qu'on donne aux enfants ou aux inférieurs, en pâtisse- 
ries que Ton envoie aux supérieurs, amis, et connaissances. A 
la capitale, les parents font assez souvent cadeau à leurs enfants 
de quelques joujoux de peu de valeur. Les jours suivants se 
passent en échange de civilités, visites, réunions, soirées. Les 
travaux, les transactions commerciales, les séances des tribu- 
naux, etc., ne peuvent recommencer que le cinquième jour de la 
lune, ce qui fait, en tout, huit jours de repos légal. En fait, ce 
repos est beaucoup plus prolongé, et quinze ou vingt jours se 
dépensent en jeux et en parties de plaisir, sans que personne y 
trouve à redire. 
Les familles riches célèbrent aussi l'anniversaire de la nais- 
sance de chacun de leurs membres par une réunion et un festin ; 
chez les pauvres on ne tient compte que du jour de naissance du 
chef de la maison. Ce jour-là, on invite les voisins à un petit 
régal. Entre tous ces anniversaires, le plus célèbre est celui de la 
soixante et unième année. Les Coréens suivent le cycle chinois de 
soixante ans, et chacune des années porte un nom particulier, 
comme chez nous les noms des jours de la semaine ou des mois 
de l'année. Cette période de soixante ans une fois écoulée, les 
années de même nom recommencent dans le même ordre, et 
l'année de la naissance se présente après une révolution entière 
du cycle. Cet anniversaire appelé Hoan-kap, est en ce pays 
l'époque la plus solennelle de la vie. Riches et pauvres, nobles 
et gens du peuple, tous ont à cœur de fêter dignement ce jour oii 
l'âge mûr finit, où commence la vieillesse. Celui qui atteint cet 
âge est censé avoir rempli sa tâche, achevé sa carrière ; il a bn 
à longs traits la coupe de l'existence, il ne lui reste qu'à se sou- 
venir et à se reposer. 
Longtemps d'avance on fait les préparatifs de la fête. Quelle 
plus belle occasion de montrer de la piété filiale! de prouver 
publiquement combien on apprécie l'inestimable bonheur d'avoir 
conservé ses parents jusqu'à un âge aussi respectable! Les riches 
CLXVI INTRODUCTION. 
prodiguent leurs ressources pour faire venir, même des provinces 
éloignées, tout ce qui peut orner un festin; les pauvres s'ingé- 
nient à ramasser quelques épargnes. De leur côté, les lettrés 
composent des pièces de vers, pour chanter cet heureux jour. Le 
bruit s'en répand dans les environs, et c'est un événement, non- 
seulement pour le village, mais pour tout le canton. A l'intérieur 
de la maison, on est continuellement affairé. Tous les habits 
devront être blancs comme la neige, les jupes bleues comme 
l'azur; un nouvel habit de soie sera l'ornement du sexagénaire. 
Il faut ramasser du vin et de la viande en abondance pour 
rassasier et enivrer parents, amis, voisins, connaissances, 
étrangers, etc.. Les femmes de la maison sont surchargées de 
besogne, mais alors, comme du reste dans les autres grandes 
circonstances, leurs voisines, leurs amies s'empressent de venir 
à leur secours. S'il est nécessaire, les voisins contribuent 
généreusement aux frais par des présents en argent ou en nature. 
Ils sont tous invités de droit, et ce qu'ils font aujourd'hui pour 
un autre, on le fera demain pour eux. 
L'heureux jour arrivé, on conduit le héros de la fête, en 
grande cérémonie, à la place d'honneur. Il s'assied, et reçoit 
d'abord les saluts et félicitations de tous les membres de la 
famille, puis on place devant lui une table surchargée des meil- 
leurs mets qu'il a été possible de trouver. Viennent ensuite les 
amis, les voisins, les connaissances, les parasites, etc.. tous 
avec les plus beaux compliments dans la bouche, et un appétit 
féroce dans l'estomac. Personne n'est repoussé, personne ne 
s'en retourne à jeun ; les passants, les voyageurs profitent de 
la bonne aubaine, et si on oublie de les inviter, ils s'invitent 
eux-mêmes sans plus de formalités. Bien plus, quand les res- 
sources le permettent, on envoie chez tous les voisins des tables 
abondamment servies. La musique la plus étourdissante vient 
réjouir les convives ; on appelle des chœurs de musiciens et de 
danseuses, des comédiens, tout ce qui peut embellir la fête, et 
rehausser l'éclat de la solennité. C'est pour des enfants bien 
élevés la plus rigoureuse des obligations, et devraient-ils se sai- 
gner à blanc, se condamner à mourir de faim le reste de l'année, 
dépenser leur dernière sapèque, il leur faut faire les choses 
avec une profusion extravagante, sous peine d'être à jamais 
déshonorés. 
Si les particuliers doivent ainsi déployer toute la prodigalité pos- 
sible, on peut imaginer avec quelle pompe, quel appareil, quelles 
folles dépenses, les grands personnages célèbrent le Hoan-kap. 
INTRODUCTION. C1,XV1I 
Lorsque la reine mère, la reine, et surtout le roi atteignent la 
soixantaine, le royaume entier doit prendre part à la fête. Toutes 
les prisons s'ouvrent par la proclamation d'une amnistie générale, 
et il y a une session extraordinaire d'examens pour conférer les 
grades littéraires. Tous les dignitaires de la capitale vont en 
personne présenter au roi leurs hommages et leur vœux. Dans 
chaque district, le mandarin précédé de la musique, escorté de ses 
prétoriens et satellites, suivi de toute la population, se rend 
au chef-lieu, à l'endroit où est exposée en grand apparat la 
tablette qui représente le roi, et se prosterne humblement pour lui 
offrir ses congratulations personnelles, et celles de ses subordon- 
nés. Ce jour est, pour tous, une fête chômée de premier ordre. 
Tous les soldats de la capitale reçoivent quelque marque de la 
munificence royale. Des tables richement servies, des cadeaux 
de prix, sont envoyés aux ministres, aux fonctionnaires du 
palais, aux grandes familles nobles, à tous ceux qui ont quelque 
crédit à la cour. 
Malheureusement pour le peuple, ces grandes fêtes se donnent 
à ses dépens. Le plus souvent, c'est au moyen de rapines, de con- 
cussions, d'extorsions de toute espèce, que les parents du roi, les 
ministres et autres grands personnages se procurent les ressources 
nécessaires. Un de ces Hoan-kap a été^ sous ce rapport, scan- 
daleux entre tous : c'est celui de Kim Moun-keun-i, beau-père 
du roi Tchiel-tsong, célébré à la fin de 1861. Dès les premiers 
jours de l'automne, toutes les productions rares des provinces 
affluèrent à sa maison. on y expédia des centaines de bœufs, des 
milliers de faisans, des fruits en quantité énorme. Les mandarins, 
tant pour obéir à l'usage que pour s'attirer les bonnes grâces 
d'un homme aussi influent, luttaient h qui ferait les plus riches 
offrandes, en argent et en produits de leurs districts ou préfec- 
tures. Le gouverneur de la province de Tsiong-tsieng fut destitué, 
quelques jours après la fête, pour n'avoir envoyé que la misé- 
rable somme de mille nhiangs (environ deux mille francs), tandis 
que les autres, plus généreux, avaient expédié huit, dix, quelques- 
uns même vingt mille francs. M. Pourthié raconte qu'un vieux 
mandarin de sa connaissance, criblé de dettes et sans le sou, ne 
put absolument rien envoyer. Kim Moun-keun-i voulait le punir 
sévèrement. « Ne touchez pas à cet homme, lui dirent les minis- 
tres ; pour avoir osé vous insulter ainsi, il faut certainement 
qu'il soit bien déterminé, et qu'il ait des moyens secrets de 
braver votre colère ; il est plus prudent de le laisser tranquille. » 
Le pauvre mandarin conserva sa place. Les gens du peuple, même 
CLXVIII INTRODUCTION. 
les plus pauvres, furent forcés, par insinuations et par menaces, 
de payer sous forme d'offrandes volontaires un impôt considé- 
rable. on rapporte qu'un malheureux en haillons, aux traits 
hâves et décharnés, dut apporter lui-même quelques pelotons de 
fil de soie, sa dernière ressource. Le grand personnage eut la 
bassesse de les recevoir de sa propre main, et la cruauté de 
remercier en souriant. 
La soixante et unième année du mariage donne également 
occasion à des rejouissances extraordinaires, à peu près de même 
genre que celles du Hoan-kap ; mais ces fêtes sont, naturelle- 
ment, beaucoup plus rares. 
XIV 
Logements. — Habillements. — Coutumes diverses. 
L'extrait suivant d'une lettre de M. Pourthié, résume de la 
manière la plus intéressante diverses notions sur la vie dechaque 
jour en Corée, sur la manière de se loger, de s'habiller, de se 
nourrir, etc.. 
c( Voulez-vous, écrit le missionnaire, voulez-vous avec moi faire 
une course dans le pays ? je crois que vous n'en aurez guère le 
courage. D'abord vous ne serez chaussé que de sandales de 
paille, qui permettent l'entrée à la pluie, à la neige, à la boue, et 
à toutes les malpropretés; ensuite, comme personne, en Corée, 
ne se mêle d'entretenir les chemins, vous serez bientôt fatigué 
de sauter de pierre en pierre; vous vous lasserez de ces ascen- 
sions et descentes continuelles, souvent très-rudes ; enfin, si vous 
n'y faites grande attention, votre orteil qui dépasse le bout de 
la sandale, et s'avance seul et sans protection, comme une 
sentinelle perdue, ira heurter contre les pierres ou contre les 
tronçons de broussailles, ce qui vous arrachera des cris doulou- 
reux, et vous forcera de renoncer à votre entreprise. Arrêtons 
nous plutôt h examiner ces maisons que vous voyez à l'abri du 
vent dans toutes les vallées, et qui de loin ressemblent à de 
grandes taches noires sur la neige. 
« Vous avez vu quelquefois de misérables cabanes : hé bien 1 
rabattez encore de la- beauté et de la solidité des plus pauvres 
masures que vous connaissez, et vous aurez une idée à peu près 
exacte des chétives habitations coréennes. on peut dire en thèse 
générale que le Coréen habite sous le chaume, car les maisons 
couvertes de tuiles sont si rares, soit dans les villes, soit dans 
les campagnes, qu'on ne pourrait en compter une sur deux 
cents. on ne connaît pas l'art de construire, pour les maisons, 
des murs en pierre, ou plutôt, la plupart du temps, on n'a pas 
assez de sapèques pour une telle dépense. Quelques arbres à 
peine dégrossis, quelques pierres, de la terre et de la paille en 
sont les matériaux ordinaires. Quatre piliers fichés en terre 
soutiennent le toit. Quelques poutrelles transversales, auxquelles 
s'appuient d'autres pièces de bois croisées en diagonale, forment 
CLXX I>TR0DICT10N. 
un réseau et supportent un mur en terre pétrie de huit à 
douze centimètres d'épaisseur. De petites ouvertures, fermées 
par une boiserie en treillis, et recouvertes faute de verre d'une 
feuille de papier, servent à la fois de portes et de fenêtres. Le 
sol nu des chambres est couvert de nattes bien humbles, si vous 
les comparez aux nattes de la Chine ou de Tlnde ; la misère 
forcera même souvent à se contenter de cacher le sol sous une 
couche de paille plus ou moins épaisse. Les gens riches peuvent 
tapisser ces murs de boue d'une feuille de papier, et pour rem- 
placer les planchers et des dalles d'Europe, ils colleront au sol 
d'épaisses feuilles de papier huilé. Ne cherchez pas des maisons 
à étages, c'est inconnu en Corée. 
(( Mais pénétrons dans l'intérieur, et d'abord ôtez vos sandales ; 
l'usage et la propreté l'exigent. Les riches gardent leurs bas 
seulement, les paysans et les ouvriers sont ordinairement pieds 
nus dans leurs chambres. Une fois entré, tâchez de ne pas heurter 
la tête contre la terre pétrie et les branchages qui forment le 
plafond; accroupissez-vous plutôt sur la natte, et gardez-vous de 
chercher un siège, car le roi lui-même, lorsqu'il reçoit les pro- 
strations de sa cour, est accroupi sur un tapis, les jambes croisées 
à la façon de nos tailleurs. Peut-être désirez-vous prendre des 
notes sur les curieuses choses que vous voyez? Inutile de 
demander une table," les Coréens n'en ont que pour les sacrifices 
aux ancêtres et pour les repas. Mettez donc votre calepin sur le 
genou, et écrivez comme si c'était pour vous une habitude que 
vous trouvez toute naturelle et très- commode. 
« Nous sommes on novembre, et le vent du nord-ouest, tout 
en procurant un automne sec et serein, vous fera frissonner de 
froid sur votre natte. Vous voulez faire fermer la porte, mais les 
nombreux trous pratiqués aux vieux papiers des fenêtres rendront 
la précaution à peu près inutile. D'ailleurs, l'adresse du menui- 
sier coréen aura toujours su vous ménager assez de fentes pour 
qu'il n'y ait aucun danger d'asphyxie. Et en cela tout le tort n'est 
pas de son côté, car enfin une porte de douze ou vingt sous, 
achevée le plus souvent avec le seul secours de la hache et du 
ciseau, peut-elle être une œuvre parfaite? Le seul moyen est 
donc d'avoir recours au feu : mais pas de cheminée, et com- 
ment allumer du feu sur la natte? on y a pourvu. A l'extérieur 
de la maison, sur le côté, se trouve le foyer de la cuisine auquel 
viennent aboutir divers conduits qui passent sous le sol de la 
chambre. Ces conduits ou tuyaux sont couverts de grosses pierres 
dont on a rempli les interstices et comblé les inégalités avec de 
INTROnUCTIOIS. ri,XXT 
la terre pétrie ; c'est là-dessus qu'est étendue votre natte. La 
fumée et la chaleur passant par ces tuyaux pour sortir de l'autre 
côté de la maison font arriver jusqu'à vous une chaleur bienfai- 
sante qui, grâce à l'épaisseur des pierres, se maintiendra assez 
longtemps. Vous voyez que les Coréens ont connu, bien avant 
nous, l'usage des calorifères. II est vrai que la fumée passe en 
bouffées abondantes à travers les fentes du sol, mais il ne faut 
pas être trop délicat, et d'ailleurs, en ce monde, quelle est la 
bonne chose qui n'ait pas ses inconvénients ? 
« Vous vous empressez de jeter nu regard sur l'ameublement. 
Et d'abord, en fait de lits ne croyez pas découvrir quelqu'un 
de ces solennels amas de matelas avec baldaquin et draperies. 
Presque toute la Corée couche sur des nattes. Les pauvres, 
c'est-à-dire la grande majorité, s'étendent dessus sans autre cou- 
verture que les haillons dont ils sont revêtus jour et nuit. Ceux 
qui ont quelques sapèques se donnent le luxe d'avoir une cou- 
verture, et, dans la classe aisée, on y joint souvent un petit mate- 
las d'un à deux décimètres d'épaisseur. Tous, riches et pauvres, 
ont dans un coin de la chambre un petit tronçon de bois qua- 
drangulaire, épais de quelques pouces, qui leur sert de traversin. 
Quant aux autres meubles, les pauvres n'en ont aucun; les gêna 
du peuple ont un bâton transversal sur lequel est suspendu un 
habit de rechange; les individus à leur aise ont quelques cor- 
beilles hissées sur des barres de bois ou pendues au toit ; chez 
les riches on trouve des malles assez grossières ; les lettrés, les 
marchands sont assis près d'une petite caisse qui contient l'en- 
crier, les pinceaux, et un rouleau de papier. Les jeunes dames 
ont une petite malle noire garnie de deux jupes, l'une rouge et 
l'autre bleue, l'indispensable présent de noces. Enfin chez les 
grands fonctionnaires et dans les maisons de la haute noblesse, 
on rencontre quelques livres chinois et des armoires vernissées 
de modestes dimensions. 
f( Maintenant, comment serez-vous habillé? J'ai déjà parlé des 
sandales de paille, je n'essayerai pas de vous les décrire; il faut 
les voir pour s'en faire une idée. C'est la chaussure ordinaire du 
pays, surtout dans les voyages. La semelle tressée en paille de 
riz protège un peu la plante du pied contre les cailloux, mais 
c'est là sa seule utilité. Aussi n'est-ce pas une petite mortifica- 
lion, dans les rigoureux hivers de Corée, de marcher avec des 
savates, les pieds dans la neige ou dans une boue glaciale. 
Pendant l'été, le seul inconvénient est de prendre quelquefois 
des bains de pieds ; mais lorsque l'eau n'est pas à craindre, votre 
CLXXII INTRODUCTION. 
chaussure a Tavantage d'être moins chaude que nos souliers. 
Avec ces sandales, vous pouvez faire jusqu'à dix lieues de suite, 
quelquefois beaucoup moins. Il faut donc à chaque moment 
les renouveler; toutefois, on le peut sans beaucoup de frais, 
car leur prix varie de trois à huit sapèques (deux sapèques et 
demie valent un sou de France). D'autres sandales un peu plus 
belles et plus chères, de même forme, sont confectionnées avec 
du chanvre ou avec Técorce de l'arbrisseau morus papyrifera, 
mais ces dernières se perdent au moindre contact de l'eau. 11 
y a aussi des souliers en cuir assez bizarres, vilains, et incom- 
modes, mais, outre que les quatre-vingt-dix-neuf centièmes de 
la population ne peuvent pas se permettre un pareil luxe, cette 
chaussure est bonne tout au plus pour circuler dans la maison ; 
nul n'oserait se mettre en route les pieds chargés de pareilles 
entraves. 
<( Mais, au moins, vous aurez des bas, car tout Coréen, lors- 
qu'il n'est pas occupé aux travaux des champs, peut se donner 
cette satisfaction, à moins qu'il ne soit réduit à une extrême 
misère. N'allez pas croire cependant qu'il s'agit de bas élastiques 
de soie, de laine, de coton, ou de toute autre matière dont on se 
sert en Europe pour cet usage ; deux simples morceaux de toile 
grossière cousus de manière à se terminer en pointe et suivre 
les contours du pied, vous gêneront, si vous voulez, bien souvent, 
mais enfin ils vous couvriront les pieds, et ce seront vos bas 
coréens. Une culotte aussi ample que celle des zouaves, mais à 
formes bien moins gracieuses, remplace on ne peut plus modes- 
tement le pantalon ; des guêtres étroites et en toile viennent se 
nouer sous le genou et retiennent les jambes de la culotte plis- 
sées contre les mollets. Pour couvrir le haut du corps vous aurez 
une veste qui, pour la forme et la longueur, correspond à la car- 
magnole que portent les paysans français dans certaines provinces. 
Les propriétaires à l'aise et qui ne travaillent pas revêtent ordi- 
nairement par-dessus un habit, pourvu de larges manches, fendu 
sur les côtés, et qui retombe jusqu'aux genoux par devant et par 
derrière, h peu près de la même manière que le grand scapulaire 
des religieux carmes ; les paysans au contraire ne revêtent cet 
habit que lorsqu'ils sont en voyage ou en visite. La mode s'est 
introduite de le remplacer, en hiver, par une redingote qui, chez 
les dignitaires, doit toujours être fendue par derrière comme nos 
redingotes françaises, tandis que les personnes ordinaires ne 
peuvent pas la porter fendue. Enfin, un surtout de cérémonie et 
qui ne diffère de celui que nous venons de décrire que par ses 
INTRODUCTION. CI.XXllI 
manches encore plus larges, couronne le tout et sert dans les 
voyages ou dans les grandes circonstances. 
« Ni le rasoir, ni les ciseaux ne passent jamais sur la tète ou 
sur la barbe du Coréen. Dans ces derniers temps oii tout dégé- 
nère, en Corée comme ailleurs, les jeunes gens se permettent 
([uelquefois de raser une partie de la tête, afin (pie leurs che- 
veux relevés ne forment pas un chignon disgracieux par trop 
d'épaisseur, mais c'est une violation des règles. Ne croyez pas 
cependant pour cela que les épaisses chevelures ou les fortes 
barbes soient communes dans le pays. Les enfants des deux sexes 
tressent leurs longs cheveux et les ramènent par derrière en 
forme de queue. L'époux avant d'aller chercher sa fiancée, fait 
disparaître sa queue, retrousse ses cheveux, et les noue sur le 
sommet de la tête; la fiancée de son côté achète, suivant ses 
facultés, force faux cheveux, les ajoute à sa queue, et forme ainsi 
une longue et grosse corde qui se roule sur la tête en plusieurs 
tours. Cette masse de cheveux lourde et informe ne peut être 
que très-disgracieuse aux yeux des étrangers; pour le Coréen, au 
contraire, c'est du plus haut ton et du meilleur goût. Les 
femmes et les enfants vont toujours nu-lêle ; l'homme marié 
retient ses cheveux contournés en haut par le moyen d'un serre- 
lête en crin tressé en filet. 
« Enfin un chapeau ridicule complète rhabillement. Imaginez 
un tuyau fermé, rond comme dans les chapeaux européens, mais 
beaucoup plus étroit et légèrement conique, qui s'ajuste sur le 
sonmiet du crâne, et dans lequel le chignon de cheveux peut 
seul pénétrer. Ce tuyau a des ailes comme les chapeaux d'Eu- 
rope, mais des ailes si démesurées que souvent le tout forme un 
cercle de plus de soixante centimètres de diamètre. La charpente 
(le ce chapeau est constituée de morceaux de bambou découpés 
dans leur longueur en fils très déliés : sur cette charpente, on 
tend une toile de crin tressée à jour. Comme ce chapeau ne 
pourrait seul rester fixé sur le chignon, des cordons que les fonc- 
tionnaires publics ornent de globules d'ambre jaune ou d'autres 
globules précieux, suivant leur fortune et leur dignité, viennent 
le rattacher sous le menton. Ce chapeau ne préserve ni de la 
pluie, ni du froid, ni même du soleil ; mais, en revanche, il est 
très-incommode, surtout quand le vent le fait branler sur la tête. 
« Tous les habits sont communément en toile grossière de 
coton, et confectionnés Dieu sait comment. 11 y a quatre ou 
cinq cents ans, la Corée n'avait pas la culture du cotonnier 
{yossijpiuin herbaceum) , dont on fait ici maintenant un si 
CLXXIV IMIIODUCTION. 
grand usage. Le gouvernement chinois, pour conserver le mono- 
pole des toiles , défendait rigoureusement l'exportation des 
graines de cette plante; néanmoins un ambassadeur coréen, 
nommé Moun-iouk-i, réussit, pendant son voyage de Pékiug, 
à se procurer quelques-unes de ces graines, les cacha, dans le 
tuyau de sa pipe disent les uns, dans une plume suivant d'au- 
tres, échappa à la vigilance des gardes-frontières, et dota son 
pays de cet arbuste précieux. Si la toile coréenne est si gros- 
sière, cela vient de ce que par ici on compte peu d'artisans pro- 
prement dits, ou plutôt de ce que tout le monde est artisan. Dans 
chaque maison, les femmes lilent, tissent la toile et confection- 
nent les habits, d'où il résulte que, personne n'exerçant habi- 
tuellement ce métier, personne n'y devient habile. Il en est de 
même à peu près pour tous les arts, aussi les Coréens sont-ils 
en tout très-arriérés; on n'est pas plus avancé aujourd'hui qu'on 
ne l'était autrefois, pas plus qu'on ne le fut au lendemain du 
déluge, quand tous les arts et métiers recommencèrent. 
« Le lin n'est pas employé. Je l'ai souvent aperçu parmi les 
graminées des montagnes; mais le Coréen le confond avec les 
plantes sans valeur, propres seulement à être jetées au feu. Avec 
le chanvre, on ne fait qu'une toile à trame claire propre aux per- 
sonnes en deuil, et qui d'ailleurs ne sert que pour les habits 
d'été. L'espèce d'ortie appelée urtica nivea, est cultivée avec 
succès dans les provinces méridionales ; mais, faute de savoir 
filer et tisser, on n'en retire que des toiles à mailles inégales et 
très-espacées qui, non plus, ne sont employées qu'en été. 
« Sur toutes ses montagnes, la Corée pourrait élever des 
troupeaux immenses de moutons, mais le gouvernement défend 
aux particuliers d'en nourrir. Dans certaines préfectures, les 
mandarins en conservent quelques-uns, uniquement pour offrir 
leur chair dans les sacrifices à Confucius. Aussi les Coréens 
n'ont-ils jamais essayé de tisser la laine; à peine si quelques 
draps étrangers, la plupart de fabrique russe, parviennent à 
grands frais jusqu'à Séoul. La soie indigène est très-grossière et 
en petite quantité. Cependant, en voyant le mûrier croître 
spontanément dans les montagnes, et les vers à soie réussir 
malgré le peu de soin qu'on en prend, je suis convaincu que, 
sous l'impulsion d'un gouvernement intelligent, cette branche 
d'industrie pourrait acquérir de grandes proportions. 
« Les toiles européennes de coton, importées par les Chinois, 
commencent à se vendre en Corée, mais leur prix très-élevé et 
leur peu de solidité en restreignent forcément l'usage. » 
LNTHOKLCTIUN. ClAW 
De son côté, M. Féron écrivait en 1858 : 
« J'iiabite la plus belle maison du village : c'est celle du caté- 
chiste, un richard ; on estime qu'elle vaut bien vingt francs. Ne 
riez pas, il y en a de quinze sous. Ma chambre, de grandeur 
suffisante, vu Tameublement, a pour porte une feuille de papier, 
pour fenêtre une feuille de papier ; deux antres feuilles de 
papier forment une grande porte à deu.x battants, qui commu- 
nique avec la chambre voisine. Là demeure mon serviteur, et les 
deux chambres réunies forment l'église de la paroisse ; plus tard, 
peut-être y ajoutera-t-on un clocher. Pour le moment, il pleut 
chez moi comme dehors, et deux grands chaudrons ne suffisent 
pas à recevoir une eau rousse comme la saumure coréenne, qui 
filtre à travers le toit d'herbes de mon presbytère. 
« Le prophète Elisée, chez la Sunamite, avait pour meubles 
un lit, une table, une chaise et un chandelier, total : quatre. Ce 
n'était pas du luxe. Pour moi, en cherchant bien, je pourrais 
peut-être aussi trouver quatre meubles ; voyons : un chandelier 
en bois, une malle, une pipe, une paire de souliers, total : quatre. 
De lit, point ; de chaises, point ; « attendu, disent les Coréens, 
(pie la terre n'est pas percée, et qu'il doit être très-fatigant 
de s'asseoir sur un siège, puisque, évidemment, ce n'est pas 
la position naturelle. » De table, point : je vous écris sur mes 
genoux, dans la position susdite : excusez si ce n'est pas le 
mieux du monde. Je ne suis pas encore devenu assez Coréen 
pour trouver que ce soit plus commode qu'un bureau. Quand il 
s'agit de manger, on apporte la table toute servie : c'est un petit 
guéridon d'un pied de haut, sur lequel sont rangées, dans un 
ordre aussi parfaitement réglé que celui de vos plus fins desserts, 
deux écuelles, avec trois ou cinq soucoupes. N'allez pas croire 
([u'on mettra jamais à gauche l'écuelle ou la soucoupe qui doit 
être à droite. Celui qui agirait de la sorte serait, par cela même, 
convaincu de n'être qu'un grossier personnage, et jamais Coréen 
ne se permettra pareille inconvenance. 
« Mon ameublement étant tel, suis-je plus riche ou plus 
pauvre que le prophète? C'est une question. Sa chambre était 
plus confortable que la mienne, mais il faut dire aussi que rien 
de tout cela ne lui appartenait ; au lieu que pour moi, s'il est 
vrai que le chandelier soit celui de la chapelle, et la malle celle 
que Mgr Berneux m'a prêtée, je ne puis nier que la pipe et les 
souliers ne soient miens : ces derniers ne me servent que pour 
la messe. J'en possédais, il est vrai, une autre paire ; mais ayant 
eu le malheur de les mettre pour sortir, ils ne peuvent plus 
CLXXVI INTRODUCTION. 
paraître dans ma chambre : ainsi le veulent l'étiquette et la pro- 
preté de la natte qui me sert de siège, de lit et de plancher. 
Donc, je suis chaussé simplement avec des bas de coton. Quant 
à la pipe, elle sert de contenance en voyage, dans un pays où 
tout le monde fume ; cependant je n'ai pu encore arriver à en 
comprendre les charmes, bien que j'aie essayé, et même que je 
me sois rendu malade deux fois, ce qui m'a ôté toute envie de 
recommencer. Aussi mes gens s'étonnent-ils devoir que le père 
fume beaucoup moins que la bonne femme qui fait cuire son riz.» 
Complétons ces détails à l'aide de renseignements puisés dans 
diverses lettres des autres missionnaires. Les maisons coréennes 
sont en général très-petites et peu commodes. Elles sont un peu 
élevées au-dessus du niveau du terrain pour donner passage par 
dessous aux tuyaux qui conduisent la fumée de la cuisine. A la 
capitale cependant, cet usage n'est pas toujours suivi. C'est 
assez commode en hiver, mais en été la chaleur devient un 
supplice insupportable , et la plupart des habitants couchent 
dehors. Les riches ont le plus souvent des chambres d'été, sous 
lesquelles ne sont point pratiqués de conduits de ce genre. Dans 
les maisons ordinaires il y a deux chambres contiguës, rarement 
trois, .sans compter la cuisine située de côté, et qui est ouverte à 
tous les vents. Tout autour de la maison, la toiture en paille de 
riz dépasse le mur de trois ou quatre pieds, de façon à former 
de petites galeries couvertes. Les murailles des maisons riches 
sont recouvertes de papier blanc à l'intérieur, quelquefois aussi 
à l'extérieur. Du reste, ces maisons ont presque toujours un 
aspect sale, délabré, misérable, même à la capitale, et partout 
et toujours sont remplies de vermine de toute espèce. 
Les auberges le long des routes sont des taudis dégoûtants 
où Ton ne trouve à peu près rien ; le plus grand nombre des 
voyageurs portent avec eux leurs provisions, quand ils ont le 
moyen d'en avoir. Les granges et écuries sont inconnues; de 
grands hangars, ouverts des quatre côtés, les remplacent, et en 
hiver, quand le froid est trop violent , on habille de paille 
les bœufs ou les chevaux qui y sont réunis. 
Les tables à manger sont hautes de trente à cinquante centi- 
mètres, et larges d'autant, de forme à peu près ronde. Quel que 
soit le nombre des convives, chacun doit avoir la sienne. La 
vaisselle de porcelaine grossière ou de cuivre, ne consiste qu'en 
écuelles de différentes grandeurs, une paire de bâtonnets à la 
chinoise, et une cuiller en cuivre. Les mets ordinaires sont du 
riz, du piment, (jueiques légumes ; les gens à Taise y ajoutent 
INTRODUCTION. CI.XXVII 
un peu (le viande ou de poisson salé. Ces aliments sont apprêlés 
à riiuile de sésame, de ricin ou de menthe, avec force saumure ; 
car le lait cl le beurre sont inconnus, et Ton ne sait pas faire 
usage de la graisse des animaux. on ne trouve que difficilement 
de la viande de bœuf, si ce n'est à la capitale. 11 n'y a pas de 
viande de mouton, c'est le chien qui la remplace, et les mission- 
naires s'accordent à dire que le goût n'en est nullement désa- 
gréable. En fait de légumes, il n'y a guère que le navet, le 
chou chinois, et les feuilles de plantain et de fougère dont on 
fait grande consommation. Pour boisson ordinaire on a l'eau 
dans laquelle a été cuit le riz. Le vin se fait avec du blé ou du 
riz fermenté. En été les nobles boivent beaucoup d'eau-de-vie de 
riz, et d'eau de miel. Le thé n'est pas inconnu dans les maisons 
des riches, mais l'usage en est très-restreint. 
Le repas à peine terminé, on enlève les tables et chacun 
allume sa pipe, car les Coréens sont grands fumeurs. 11 est rare 
en ce pays qu'un homme sorte sans sa pipe. La forme est la 
même que celle de la pipe chinoise : un long tuyau de bambou 
avec un foyer en cuivre, et une embouchure de même métal. 
Chaque Coréen porte toujours avec lui un briquet dont il se sert 
exclusivement pour allumer sa pipe. A la maison, quand il a 
besoin de lumière, il emploie des allumettes soufrées. En route, 
une torche composée de trois ou quatre bâtons entrelacés, rem- 
place nos lanternes. Quelquefois, en été, au lieu d'une lampe 
dans l'intérieur de la maison, on allume du feu sur une pierre au 
milieu de la cour, et tous les membres de la famille travaillent à 
la lueur de ce feu, pendant qu'un amas d'herbes sèches, brûlant 
à quelque dislance, les enveloppe d'une fumée épaisse destinée à 
chasser les moustiques et autres insectes. 
Les habits coréens sont toujours d'une ampleur exagérée. Le 
corps passerait facilement dans chaque jambe du pantalon ou 
dans chaque manche de la veste. Pour sortir, le bon ton exige 
que l'on porte le plus d'habits possible, deux ou trois pantalons, 
deux ou trois chemises, quatre ou cinq redingotes en toile, sui- 
vant la solennité et aussi suivant les ressources de chacun. La 
redingote se fixe sous les bras par deux bandelettes, lesquelles 
remplacent les boutons inconnus dans le pays. Les habits sont 
supposés être blancs, mais il en coûte trop de les entretenir 
sutHsamment proj)res, et le plus souvent la couleur primitive a 
disparu sous une épaisse couche de crasse, car la malpropreté est 
un grand défaut des Coréens. Il n'est pas rare de voir les riches 
eu.x-mêmes porter des vêtements déchirés et remplis de vermine. 
T. I. — l'cclisc de coaÉE. l 
CLXXVIII INTRODUCTION. 
Pour laver le linge, on le trempe dans l'eau de lessive préparée 
avec des cendres, puis on le frappe avec des planchettes plus 
étroites que les battoirs des laveuses en Europe. Ensuite on Ten- 
duit d'une couche de colle destinée à empêcher les taches. La 
plupart des habits étant fabriqués de morceaux faufilés ensemble 
ou simplement collés, on sépare les morceaux, et on les blanchit 
à part. Les nobles seuls portent des habits cousus. 
Le chapeau ordinaire est de dimensions très-respectables ; mais, 
en temps de pluie, les Coréens se mettent sur la tète un autre 
chapeau, véritable parapluie de trois pieds de large, en paille, 
fort léger, et qui les abrite assez bien. S'ils doivent travaillerpar 
de fortes averses, ils revêtent de plus un manteau de paille, et 
ainsi accoutrés, ils peuvent affronter une pluie diluvienne. 
Outre les ditférenies espèces de chaussures dont il a été ques- 
tion, il faut mentionner les sabols en bois dont se servent les 
paysans; ces sabots ont la semelle et le talon excessivement 
épais, ce qui les fait ressembler à des patins. Le Coréen ne porte 
jamais ses souliers ou sandales dans les appartements ; il les 
dépose à la porte. De là dans les chrétientés, lors de la visite du 
missionnaire, des scènes assez curieuses. Le soir, les néophytes se 
pressent dans la maison pour la prière commune, et aussi, comme 
ils disent, pour voir le long nez du Père. La visite terminée, il 
faut, à la lueur des torches, que chacun retrouve sa chaussure, 
et en attendant on piétine avec ses bas dans la boue ou la 
poussière, avec force cris et discussions, sans batailles toutefois. 
L'usagi' des luneites, quoiqu'il ne daie guère que de 4833 
ou 1840, est très-répandu parmi les hautes classes. Vers 4848, 
c'était une véritable manie; aujourd'hui on y met un peu plus 
de modération. Les gens de l'ancien régime, avant de prendre 
leurs luneites, demandent encore la |)ermission à la compagnie, 
mais la jeunesse se dispense de cette formalité. 
Outre le pantalon, plus étroit que celui des hommes, les fem- 
mes portent une camisole de toile ou de soie, dont la couleur 
varie selon l'âge : elle est rose ou jaune pour les jeunes filles ou 
les nouvelles mariées, violette pour les femmes au-dessous de 
trente ans, et blanche pour celles d'un âge plus avancé. En 
guise de robe, elles s'entourent d'une large toile bleue, qu'elles 
attachent sous les bras au moyen d'une ceinture. Pour les 
femmes du peuple, qui sortent à volonté, cette jupe s'arrête 
au-.lessus du pied ; pour les femmes nobles, à qui l'éiiquelte ne 
permet pas de sortir de leurs appartements, elle est ample et 
traîne à terre. Les veuves, si jeunes qu'elles soient, doivent lou- 
INTRODUCTION. CLXXIX 
jours être revêtues de toile blanche ou grise. Los Coréennes ne 
donnent pas dans la folie stupide des Chinoises, et ne s'estro- 
pient point pour avoir de petits pieds; elles laissent agir la 
nature. Les femmes du peuple voyagent presque toujours nu- 
pieds. Leurs cheveux, roulés en tresse autour du crâne, servent 
de coussinet pour les vases d'eau et autres objets pesants qu'elles 
portent habituellement sur la tête. 
Ajoutons, pour terminer cette esquisse, que les hommes en 
deuil doivent contenir leurs cheveux dans un filet, non de crin, 
mais de toile grise, surmonté d'un bonnet de même étoffe, de la 
forme d'un sac grossier. En chemin, ils portent au lieu de 
chapeau une immense toiture de paille, en cône trontiué, qui 
descend jusqu'aux épaules. Les couleurs éclatantes sont tellement 
interdites à l'homme en deuil, que sa canne même et le tuyau 
de sa pipe doivent être blancs. S'il ne veut en acheter d'autres, 
il couvre de papier sa canne et sa pipe habituelles, ce qui est 
aussi facile que peu dispendieux. La forme des vêtements ne 
change point |)Our la femme en deuil, mais la couleur rigoureu- 
sement prescrite est le blanc ou le gris : louies les autres sont 
prohibées. Aux yeux des Coréens, un homme en deuil est un 
homme mort. Il doit être tout absorbé dans sa douleur, ne rien 
voir, ne rien entendre qui puisse l'en distraire. Il a toujours, 
quand il sort, un éventail ou ])etit voile en toile grise fi.xé sur 
deux bâtonnets, avec lequel il se couvre le visage. Il ne fréi|uente 
plus la société; à peine se permei-il de regarder le ciel. Si on 
l'interroge, il peut se dispenser de répondre.' Il ne peut pas tuer 
un animal, même un serpent venimeux ; ce serait un crime irré- 
missible. En route et dans les auberges, il se retire dans une 
chambre ou dans un coin isolé, et refuse de commnni(|uer avec 
qui que ce soit. Tous ces usages ne sont strictement observés que 
dans les hautes classes de la société. 
Les missionnaires ont souvent répété que ce costume et ces 
manières d'un noble en deuil semblent avoir été inventés par 
la Providence, pour leur procurer un déguisement facile et com- 
plet, sans lequel leur séjour en Corée, et surtout leurs voyages 
parmi les chrétiens, auraient été à peu près imj)0ssibles. Mal- 
heureusement , depuis la dernière persécution, on sait qu'ils 
usaient habituellement de ce moyen, et l'on a parlé de réformer 
le costume et les lois du deuil. Lieu y pourvoira. 
XV 
Sciences. — Industrie. — Commerce. — Relations internationales. 
Malgré la protection officielle dont jouissent, en Corée, certai- 
nes éludes scientifiques, malgré les écoles spéciales entretenues 
par le gouvernement pour en favoriser les progrès, ces éludes 
sont à peu près nulles. Les astronomes en titre ont à peine les 
notions suffisantes pour faire usage du calendrier chinois qui 
chaque année leur est apporté de Péking; en dehors de cela, ils 
ne connaissent que des formules astrologiques ridicules. La 
science des principaux calculateurs du ministère des finances, ne 
dépasse pas les opérations ordinaires d'arithmétique nécessaires 
pour la tenue des livres. Celle des élèves du Nioul-hak ou école 
de droit se borne à une connaissance, à peu près machinale, des 
textes officiels de la loi et des décrets royaux. La médecine seule 
semble faire exception. Tout en adoptant la médecine chinoise, 
les Coréens y ont introduit, semble-t-il, des améliorations 
sérieuses, à ce point qu'on n'a pas dédaigné de composer à 
Péking même les planches pour l'impression du plus célèbre 
livre coréen de médecine, le Ti^'/ny-oi-po-kan. Nul autre livre 
coréen n'a jamais eu cet honneur. 
Les médecins réellement instruits ne se trouvent guère qu'à 
la capitale. Ce sont quelques nobles qui ont étudié par curiosité, 
ou des individus de la classe moyenne qui ont travaillé à se 
faire une position comme médecins de la cour. Ailleurs, on peut 
rencontrer de loin en loin quelques praticiens capables, à qui 
une longue expérience a enseigné le véritable usage des remèdes 
locaux ; mais ces hommes sont de rares exce|)tions, et l'immense 
majorité des médecins de province ne sont que des charlatans 
sans études et sans conscience, qui pour toutes les maladies 
possibles emploient chacun une drogue spéciale et toujours la 
même, et ne prennent jamais la peine de voir les malades qu'ils 
traitent. 

on prétend que l'on a en Corée, comme en Chine, certains 
remèdes très-efficaces contre diverses maladies, entre autres une 
potion qui dissout les pierres et calculs de la vessie, et guérit 
celle terrible maladie sans aucune opération chirurgicale. 
HTRODUCTION, CLXXXI 
Mç^r Ferréol, troisième vicaire apostolique de Corée, après de 
longues soufl'rances qui l'avaient réduit à l'oxirémité, fut guéri 
de la pierre, eu quelques heures, par un médecin chinois. Mais 
la formule de ce remède est un secret soigneusement gardé par 
ceux qui le possèdent. La règle générale est de donner les 
remèdes en potion; les exceptions sont rares. on fait bouillir 
ensemble jusqu'à vingt ou trente espèces de plantes, et on môle 
à la décoction diverses matières plus ou moins sales et rebutantes, 
dont on ne cherche d'ailleurs aucunement à déguiser le nom sous 
un travestissement plus ou moins scientifique. Les confortants 
sont d'un usage continuel. Le plus ordinaire est le consommé de 
viande, que les Coréens excellent à préparer. Il y en a deux 
autres qui méritent une mention particulière : le gen-seng dont 
nous avons parlé plus haut, et la corne de cerf. 
La corne de cerf a, dit-on, des effets restauratifs plus durables 
que le gen-seng ; sa force varie selon la région où vil l'animal. 
Les Coréens estiment peu celle qui vient de Chine ou des pro- 
vinces septentrionales (Ham-kieng et Pieng-an). La meilleure 
est, disent-ils, celle qui provient du Kang-ouen; encore fait-on 
une distinction entre les différents districts de cette province. Le 
cerf doit être abattu au moment où les bois croissent, et avant 
qu'ils soient durcis , autrement les effets du remède seraient 
nuls. on coupe la tête de l'animal, et on la maintient renversée 
pendant dix ou douze heures, afin que toute la vertu du sang 
passe dans les cornes, puis on les fait sécher sur un feu doux 
avec toutes les précautions possibles. Pour s'en servir, on racle 
un peu cette corne, on la mélange avec le jus de quelques plantes, 
et on l'administre au malade. Mgr Daveluy atteste qu'il a usé 
fréquemment de ce remède pendant de longues années d'épui- 
sement, et qu'il en a ressenti d'excellents effets. Le sang de cerf, 
pris chaud, passe aussi pour donner à tous les membres une vie 
et une force extraordinaires. « Quand on en a bu, disaient des 
chasseurs chrétiens à un missionnaire, les montagnes les plus 
escarpées semblent une plaine, et l'on ferait le tour du royaume 
sans aucune fatigue. » 
Un autre moyen curatif dont il convient de dire un mot, c'est 
l'acupuncture. Elle consiste, pour les médecins coréens, à percer 
d'un coup de lancette divers points du corps, afin de rétablir la 
machine dans son équilibre naturel. 11 existe des traités spéciaux 
sur cette partie de l'art chirurgical, la seule connue des Coréens; 
ils savent même fabriquer avec du fil de fer des modèles du corps 
humain, afin d'indiquer exactement aux étudiants les endroits où 
CLXXXII INTRODUCTION. 
la lancette doit être enfoncée. Sous la main d'un opérateur habile, 
l'instrument, excessivement mince, pénètre jusqu'à quatre ou 
cinq centimètres de profondeur, et c'est à peine s'il sort quelques 
gouttes de sang. Les missionnaires assurent qu'ils ont souvent vu 
des effets remarquables et toujours très-prompts de ce genre de 
traitement. 
Les Coréens, peu avancés dans les études scientifiques, ne le 
sont guère plus en connaissances industrielles. Chez eux, les arts 
utiles n'ont fait, depuis des siècles, absolument aucun progrès. 
Une des principales causes de cet état d'infériorité, c'est que, 
dans chaque maison, on doit faire à peu près tous les méiiers, et 
fabriquer soi-même les objets de première nécessité. La récolte 
donne au laboureur tout ce qu'il lui faut, et pendant l'hiver il 
devient tour h tour : tisserand, teinturier, charpentier, tailleur, 
maçon, etc.. 11 fait chez lui le vin de riz, l'huile, l'eau-de-vie. 
Sa femme et ses filles filent le chanvre, le coton, la soie même, 
quand il a pu élever quelques vers; elles en tissent des étoffes 
grossières, mais solides, qui suffisent aux besoins habituels. 
Cha(|ue paysan connaît et recueille les graines re(|uises pour la 
teinture, et celles qui servent de remèdes dans les maladies les 
])lus ordinaires. Il confectionne lui-même ses habits, ses souliers 
de i)aille, ses sabots, les corbeilles, paniers, balais, cordes, 
ficelles, nattes, instruments de labour, dont il a besoin. Le cas 
échéant, il répare le mur, le toit, la charpente de sa maison. En 
un mot, il se suffit, mais comme il est facile de le comprendre, il 
ne travaille à cha(|uc chose que dans la mesure de la nécessité 
présente, se contente des procédés les plus simples et les plus 
primitifs, et ne peut jamais arriver à une habileté remarquable. 
11 n'y a d'ouvriers spéciaux que |)0ur les métiers qui exigent 
des outils particuliers, et un apprentissage de la manière de 
s'en servir. Mais, dans ce cas même, les ouvriers établis d'une 
manière fixe, et travaillant dans leur boutique, sont excessive- 
ment rares. D'habitude, chacun d'eux va où on l'emploie, portant 
ses outils sur le dos, et quand il a fini quelque part, cherche de 
l'ouvrage ailleurs. Ceux mêmes qui ont besoin d'une certaine ins- 
tallation, ne se fixent définitivement nulle part. Les potiers, par 
exemple, s'établissent aujourd'hui dans un lieu où le bois et 
l'argile sont à leur convenance; ils y bâtissent leur cabane et 
leur four, fabriquent pour les gens du voisinage quelques porce- 
laines grossières, des vases de terre assez solides et d'une capa- 
cité quelquefois monstrueuse ; puis, quand le bois est épuisé, ils 
vont chercher fortune ailleurs. Les forgerons agissent de même, 
INTRODUCTION. CLXXXMI 
et s'éloignent quand l'extraction du minerai devient trop difficile. 
Aussi jamais de grandes fabriques, jamais d'exploitation sérieuse, 
jamais d'ateliers qui en méritent le nom. Des baraques de plan- 
ches mal jointes, facilement emportées par le vent ou effondrées 
par la pluie, des fours ou fourneaux sans solidité qui se fendent 
à chaque instant, voilà tout. Par suite, le profit est presque nul. 
Les individus qui ont de l'argent ne songent guère à le mettre 
dans de pareilles entreprises, et parmi ceux qui avec quelques 
centaines de francs veulent tenter la fortune, la moitié se ruinent 
en quelques mois. 
Les Coréens prétendent qu'ils fabriquent et exportent en Chine 
de grands couteaux, des sabres et des poignards de première 
qualité; mais les missionnaires n'ont pas eu l'occasion de vérifier 
suffisamment l'exactitude de cette assertion. Ils font aussi des 
fusils à mèche qui paraissent assez solides. Bien qu'il y ait de 
très-beau cuivre dans leur pays, ils tirent du Japon tout celui 
qu'ils emploient. Ils le mélangent avec le zinc pour en confec- 
tionner des vases et des marmites. Ainsi combiné, il s'oxyde très- 
difficilement, et malgré l'usage continuel qui se fait de ces vases 
dans les maisons un peu aisées, on ne connaît aucun exemple 
d'empoisonnement par le verl-de-gris. Tous les bijoux, tous les 
articles de parure, tous les objets de luxe viennent de Chine ; en 
Corée, on ne sait point les travailler. 
11 est néanmoins une industrie dans laquelle les Coréens l'em- 
portent sur les Chinois, c'est la fabrication du papier. Avec de 
l'écorce de mûrier, ils font du papier bien plus épais et plus solide 
que celui de la Chine ; il est comme de la toile et on a peine à le 
déchirer. Son emploi se diversifie à l'infini. on en fait des 
chapeaux, des sacs, des mèches de chandelle, des cordons de 
souliers, etc.. Lorsqu'il est préparé avec de l'huile, il remplace 
avantageusement, vu sou bas prix, nos toiles cirées, et sert à 
confectionner des parapluies et des manteaux imperméables. Les 
portes et les fenêtres n'ont pas d'autres vitres que ce papier 
huilé collé sur le châssis. Il y a une exception cependant. « Quand 
un Coréen, dit Mgr Daveluy, a trouvé un petit morceau de verre 
d'un demi-pouce carré, c'est une bonne fortune. Aussitôt il l'in- 
sère dans une fente de sa porte ; dès lors il peut, d'un tout petit 
coin de l'œil, regarder ce qui se passe au dehors, et il est plus 
fier qu'un empereur se mirant devant les glaces de son palais. 
A défaut de ce morceau de verre, il fait avec le doigt un trou 
dans le papier, et se met ainsi eu communication avec le monde 
extérieur. » 
CLXXXIV I!«TR0DUCT10W. 

on peut aisément conclure de tout ce qui précbde que le com- 
merce intérieur est, en Corée, peu développé. Il y a très-peu de 
marchands qui tiennent magasin ouvert dans hurs maisons, et 
presque toutes les transactions se font dans les foires ou marchés. 
Ces foires se tiennent dans différentes villes ou bourgades dési- 
gnées par le gouvernement, au nombre de cinq par district. 
Dans chacune de ces localités, la foire a lieu tous les cinq jours, 
aujourd'hui dans l'une, demain dans une autre, et ainsi de suite, 
toujours dans le même ordre, de manière que chaque jour il y 
ait une foire sur un point quelconque du district. Des tentes sont 
préparées pour les marchandises. 
Les mesures dont se servent les marchands sont : pour les 
grains, la poignée. Cent poignées font un boisseau, vingt 
boisseaux font un sac (en coréen :som). Pour les liquides, on 
compte par tasses. La mesure de poids est la livre chinoise, et 
l'on ne se sert que des balances de Chine. La mesure de longueur 
est le pied, qui varie suivant les provinces, on pourrait dire 
suivant les marchands. Le pied se subdivise en dix pouces; le 
pouce en dix lignes. 
Un des grands obstacles au développement du commerce est 
l'imperfection du système monétaire. Les monnaies d'or ou 
d'argent n'existent pas. La vente de ces métaux, en lingots, est 
entravée par une foule de règlements minutieux ; et l'on se com- 
promettrait gra^emenl si, par exemple, on vendait de l'argent 
de Chine, même fondu en barres de forme coréenne. Cet argent 
serait reconnu infailliblement, et le marchand, outre la confis- 
cation de ses barres, risquerait une forte amende, et peut-être la 
bastonnade. La seule monnaie qui ait cours légal est la sapèque. 
C'est une petite pièce de cuivre, avec alliage de zinc ou de plomb, 
d'une valeur d'environ deux centimes nu deux centimes et demi. 
Elle est percée, au milieu, d'un trou destiné à laisser passer une 
ficelle avec laquelle on en lie ensemble un certain nombre, d'où 
l'expression ligature ou dcmi-ligalure,s\ fréquemment employée 
dans les relations de l'extrême Orient, pour désigner la monnaie 
courante. Pour effectuer un payement considérable, il faut une 
troupe de portefaix, car cent nhiangs ou ligatures (environ deux 
cents francs), forment la charge d'un homme. Dans les provinces 
du Nord, cette monnaie même n'a pas cours ; tout s'y fait par 
échanges, d'après certaines bases de convention. Il paraît qu'au- 
trefois les céréales servaient de monnaie, car, encore dans la lan- 
gue actuelle, celui qui porte son blé au marché pour le vendre, dit 
qu'il va acheter; et celui qui va en acheter dit qu'il va vendre. 
INTRODUCTION. CLXXXV 
Le taux de l'argent est énorme en Corée. Celui qui le prèle 
à trcnie pour cent est censé le donner pour rien. Le plus habi- 
tuellement on réclame cinquante, soi.xante, quel(|uelbis môme 
cent pour cent. Il est juste de dire que la rente de la terre, qui 
doit servir de point de départ pour apprécier le taux de Targent, 
est en ce pays relativement considérable. Dans les bonnes années, 
le cultivateur lire de ses champs environ trente pour cent de la 
valeur du fonds. 
D'après les ancienties traditions du pays, il paraît que les rois 
des dynasties précédenlcs avaient une monnaie de papier, de 
la forme d'un fer de flèche, d'une valeur d'environ trois feuilles 
de papier. Après la soumission de la Corée par la dynastie 
mandchoue de Péking, le droit de battre monnaie fut retiré aux 
rois coréens. Le premier qui osa en frapper, malgré le texte des 
traités, parait avoir été Souk-lsong ((ui mourut en 1720, après 
un règne de quarante-deux ans. Aujourd'hui, le droit est acquis 
par une longue prescription, et le gouvernement en use et abuse. 
Dans ces dernières années on en frappe continuellement, mais 
elle est de plus en plus altérée. Tandis que les anciennes sapèques 
étaient de cuivre, avec un alliage minime, les nouvelles ne sont 
presque que du plomb, et se détériorent rapidement. Ce n'est pas 
le gouvernement qui y gagne, car il fournit aux fondeurs la quan- 
tité de cuivre voulue; mais ceux-ci remplacent le cuivre par du 
plomb et partagent le bénéfice, soit avec le ministre des finances, 
soit avec le fonctionnaire spécialement chargé de la vérification. 
Une autre entrave aux transactions commerciales, c'est le triste 
état des voies de communication. Les rivières navigables sont 
très- rares en Corée; quelques unes seulement portent bateau, 
et cela dans une partie fort restreinte de leur cours. D'un autre 
côté, l'art de faire des roules, dans ce pays de montagnes et 
de vallées, est à peu près inconnu. Aussi presque tous les trans- 
ports se font, soit à dos de bœufs ou de chevaux, soit à dos 
d'hommes. 
« Les routes, écrit Mgr Daveluy, se divisent, théoriquement du 
moins, en trois classes. Celles de première classe que je traduis 
par routes royales, ont généralement une largeur suffisante pour 
quatre hommes de front. Comme il n'y a pas de voitures en pro- 
vince, c'est tout ce qu'il faut pour les piétons et cavaliers. Klles 
sont bonnes ou mauvaises suivant la saison. Mais il arrive fré- 
quemment qu'elles sont diminuées des trois quarts par quelque 
grosse pierre ou fragment de ronher, ou parce que la pluie a em- 
porté une partie du chemin. Personne, naturellement, ne songe 
CLXXXVI INTPODUCTION, 
à remédier à ces petits inconvénients, et souvent il faut grimper 
sur ces rocliers avec sa monture, au risque de se casser le cou ou 
de rouler dans le fossé. Toutefois, aux environs de la capitale, 
ces routes sont un peu mieux entretenues. La principale est celle 
qui va de Séoul à la frontière de Chine. 11 y en a une autre, assez 
belle dit-on, longue de huit lieues seulement, qui conduit du 
palais à un tombeau royal. 
« Quant à celles de deuxième classe, leur beauté, largeur et 
commodité varient tous les quarts d'heure. Lorsque je ne vois 
plus qu'un mauvais sentier, je demande si c'est encore la grande 
route; on répond affirmativement; le tout est de s'entendre. 
Pierres, rochers, boue, ruisseaux, rien n'y manque, excepté le 
chemin. Mais que dire des routes de troisième classe, larges d'un 
pied plus ou moins, visibles ou non, selon la sagacité du guide, 
souvent couvertes d'eau quand elles traversent les rizières, et 
dans les montagnes, effleurant les précipices ! 
« Pour les ponts, deux espèces sont à ma connaissance. Les 
uns consistent en quelques grosses pierres jetées de distance en 
distance, en travers des ruisseaux ; ce sont les plus communs. Les 
autres, composés de pieux fichés dans le fleuve et supportant une 
espèce de plancher recouvert de terre, forment un viaduc passable, 
quoique trop souvent à jour. Quand l'eau est abondante, ce qui 
est fréquent en été, tous les ponts sont emportés ou submergés 
par la crue, et laissent au voyageur le plaisir de prendre un bain 
au passage Les grands seigneurs peuvent s'y soustraire en 
grimpant sur le dos de leur guide. Enfin, il y a à la capitale un 
pont en pierre, magnifique sans doute, et l'une des merveilles 
du pays. Les rivières un peu considérables se traversent en 
bateau. » 
Les relations commerciales de la Corée avec les nations voi- 
sines sont presque nulles. Pour mieux conserver son indépen- 
dance contre ses deux puissants voisins, la Chine et le Japon, ce 
pays s'est enfermé dans un isolement complet. Toute communi- 
cation avec les étrangers, sauf les cas prévus par la loi, est un 
crime digne de mort. D'après les conveniions internationales, 
aucun Chinois ou Japonais ne peut s'établir en Corée, et récipro- 
quement. Les ambassadeurs chinois qui viennent à Séoul laissent 
leur suite à la frontière, sauf un ou deux domestiques attachés à 
leur personne, et pendant qu'ils sont à la capitale, ne sortent pas 
du palais qui leur est assigné pour résidence. Les ambassadeurs 
coréens peuvent, au contraire, entrer en Chine avec tous les gens 
de leur suite, et circuler librement dans les rues de Péking 
INTRODUCTION. CLXXXVII 
pendant leur séjour. Lors du passage de Tambassadeur à Pien- 
men (1), h Taller et au retour, il y a une foire qui dure plusieurs 
jours. Le mandarin de Ei-lsiou, dernière ville coréenne sur la 
frontière chinoise, a seul le droit d'avoir des rapports par lettres 
avic les autorités de Pien-men, à toutes les époques de l'année. 
Tous les deux ans, une autre foire se tient h l'extrémilé nord de 
la province de llam-kieng. entre Houng-tchoung, village tarlare 
de cette partie de la Mandchourie qui a été dernièrement cédée 
aux Russes, et Kieng-ouen, ville coréenne la plus voisine. Cette 
foire est considérable, mais elle ne dure que deux ou trois jours, 
et quelques heures seulement chaque jour, depuis midi jusqu'au 
coucher du soleil. Au signal donné, chacun se hâte de repasser la 
frontière, el les soldats poussent les traînards avec leurs lances. 
Nous avons mentionné plus haut les marchés mensuels, entre les 
Coréens et les quelques soldats japonais élablis à Fusan-kaï. Là 
se bornent les rapports que la Corée a, par terre, avec les autres 
nations. 
Par mer, elle en a moins encore. on permet aux navires 
chinois ou japonais de venir pêcher le haï-san {hololhurin) sur le 
rivage du Pieng-an, et le hareng sur les côtes du Hoang-haï, 
mais à deux conditions : ne jamais mettre pied h terre, et ne 
jamais s'aboucher, en pleine mer, avec les gens du |)ays, sous 
peine de confiscation du navire et d'emprisonnement de l'équi- 
page. La première condition est généralement observée, mais il 
se fait, entre les barques coréennes et les jon(|ues chinoises, h 
l'abri des innombrables rochers ou îlols de l'archipel coréen, un 
commerce de contrebande assez considérable. Les mandarins, 
moyennant quehfues profits secrets, ferment les yeux. Si la tem- 
pêie jette un navire chinois sur la côte coréenne ou un navire 
coréen sur la côte chinoise, les naufragés sont recueillis, entre- 
tenus par le gouvernement, gardés avec soin pour empêcher 
aucun rap|)ort entre eux et les habitants, et reconduits par terre 
jusqu'à la première ville de leur pays. Le retour par mer leur est 
interdit. Entre le Japon et la Corée, le rapatriement se fait par 
mer, mais avec des précautions analogues. 
Donnons ici quelques détails sur les difficultés que les mission- 
naires ont eu à surmonter pour pénétrer en Corée ; on aura, 
par là même, une idée de la sévérité minutieuse avec laquelle le 
(1) Pion-men, dont il est très-souvent question clans cette histoire, est la 
dernière ville chinoisi; tlu côté cic la Corée, près de la mer Jaune. Son nom 
signilie : porte de la [routière. 
CLX!ÎXV11T INTHOnCCTlON. 
gouvernement coréen mainlienl son isolement nbsoln. Les fron- 
tières de terre et de mer sont gardées, par un cordon de postes 
militaires, iinii|iiement charges d'empêcher l'entrée des étrangers 
et la sortie des indigènes. Dans les plus importants de ces postes 
résident, comme inspecleurs et employés des douanes, des agents 
de police choisis parmi les plus fins et les plus expérimentés, et 
ils se font aider dans leur surveillance de jour el de nuit par 
des chiens dressés exprès, de sorte qu'il est h peu près impos- 
sible de passer la frontière inaperçu. 
Par terre, il n'y a que deux chemins : celui de Tartarie par 
Houng-tchoung et Rieng-ouen, et celui de Chine parPien-men et 
Ei-tsion. Ailleurs, la frontière qui sépare la presqu'île coréenne 
du coniineni, est formée de déserts montagneux et de forêts im- 
praticables. Or on ne peut tenter le passage sur un de ces deux 
points qu'aux jours de foire légalement reconnus; à toute autre 
époque, ce serait folie même pour les indigènes, à plus forte 
raison pour des étrangers. H faut donc ou suivre les caravanes 
qui se rendent à la foire de Houng-tchoung, ou se joindre à l'am- 
bassade coréenne qui revient de Chine. La grande difficulté, dans 
les deux cas, est la manière d'arranger ICo cheveux. Les Chinois 
se rasent la tête, ne gardant, au sommei, qu'une touffe de che- 
veux qui se tresse et s'allonge en queue sur le dos; les Coréens 
conservent tous leurs cheveux. Si l'on se rase à la chinoise, on 
sera reconnu et arrêté en entrant en Corée ; si l'on suit la mode 
coréenne, on sera reconnu en Chine même, avant d'arriver sur 
la frontière. Pendant la foire de Kieng-ouen, il est défendu aux 
Chinois d'enirer dans les maisons coréennes, et de nombreux 
satellites sont distribués à la porte de la ville et dans les rues 
pour faire observer cette consigne. Le missionnaire qui prendrait 
cette voie, même en supposant qu'il n'ait pas été découvert par 
ses compagnons de route, soit en chemin, soit pendant les quel- 
ques jours d'attente qui précèdent la foire, devrait s'aboucher avec 
les courriers coréens et changer d'accoutrement en plein air, au 
milieu de milliers de personnes, sans être aperçu d'aucune, ce qui 
est manifestement impossible. D'ailleurs, une fois entré, il lui 
faudrait, avant derencontrer des villages chrétiens, faire une route 
d'un mois, dans un pays peu fréquenté, et où, par conséquent, 
les voyageurs sont rares et facilement reconnus. Les courriers qui 
lui serviraient de guides auraient à repasser, dans les quelques 
auberges de la route, avec une personne de plus qu'en allant ; cela 
seul éveillerait immédiatement dt's soupçons, que la différence 
de visage et de prononciation changerait bientôt en certitude. 
INTRODUCTION. CLXXXIX 
Par Pien-mcn les difficultés ne sont i^iièrc moindres. Chacun 
des Coréens qui suit Tamba.ssade, à quel(|ue titre que ce soit, est 
visité à la porte, lors du déj)arl pour la Chine, et fouillé de haut 
en bas. Si sa personne et ses baiçages n'offrent rien de suspect, 
il reçoit un passejiort où tout est minutieusement déiaillé. Sup- 
posons que les courriers ont obtenu leurs passeports. Ils ramènent 
avec eux un missionnaire, et ont réussi à passer la douane chi- 
noise; mais de là à la douane coréenne, il ya quinze lieues de 
désert. A droile et à gauche de l'unique route, s'étendent des 
forêts impénétrables. Si pendant le trajet on s'avise de faire du 
feu j'Our préparer quelque nourriture, les autres voyageurs 
accourent atin de faire eux-mêmes cuire leur riz, ce qu'on ne peut 
leur refuser, et le danger pour le missionnaire est grand, vu 
la curiosité insolente des Coréens. on arrive sur les bords du 
fleuve où stationnent des gardiens, et Ton descend dans une 
barque coréenne qui conduit les voyageurs à la douane située sur 
l'autre rive. Là, chacun doit présenter son |)asseport, se laisser 
fouiller et examiner minutieusement. Le missionnaire évidem- 
ment ne peut affronter cette douane, aussi a-t-il pris soin de 
demeurer caché sur l'autre rive. Il doit attendre la nuit pour 
tenter le passage sur la glace, car c'est toujours en hiver que 
l'ambassade revient de Pcking. Mais sur la rive coréenne sont 
échelonnés de distance en distance des corps de garde, chacun 
avec un piquet de soldats et une troupe de chiens, La .seule 
chance de succès est de se traîner dans les ténèbres entre deux 
corps de garde, et d'escalader les montagnes neigeuses du voisi- 
nage pour, de là, regagner la roule à l'intérieur. Les premiers 
missionnaires entrèrent par cette voie ; mais bientôt, à la suite 
des persécutions, toutes les ruses des chrétiens furent connues, 
non-seulement des mandarins, mais des douaniers, des auber- 
gistes, de tous les habitants païens, et l'on fut forcé d'abandonner 
celte route, désormais impossible. 
Reste la voie de mer. Nous avons fait connaître les conventions 
maritimes en vigueur entre la Chine et la Corée, d'où il résulte 
qu'aucun navire de l'un des deux pays ne peut, légalement, 
abordera la côte de l'autre. Cette prohibition n'est violée ni par 
les Coréens, ni par les Chinois. Les milliers de jonques chinoises 
qui parlent chaque année du Léao-tong, du Kiang-nan, du Chan- 
tong, ei vont à la pêche sur les côtes de Corée, stationnent 
toujours loin du rivage. Si elles approchent de trop près, elles 
sont soumises aux perquisitions les plus sévères, et aucune con- 
sidération, aucune offre d'argent ne déciderait leur équipage 
CXC INTRODUCTlOr^. 
à prendre terre. Quant aux Coréens, il serait difficile de trouver 
parmi eux un pilote capable de diriger une barque, en pleine 
mer, vers un point donné. Us connaissent la boussole, nommée 
par eux : le fer qui marque le sud, et on en rencontre dans le 
pays un certain nombre de fabrique chinoise. Mais ils ne s'en 
servent que dans la recherche superstitieuse des lieux les plus 
favorables pour les sépultures. L'usage de cet instrument pour la 
navigation leur est inconnu, car leurs barques no quittent jamais 
la terre de vue. D'ailleurs, les navires coréens sont très- mal 
consiruits. Destinés uniquement à la pêche côtière, ils sont plats 
en dessous afin de pouvoir sans inconvénient rester h sec pendant 
la marée hnsse. Une vague un peu forte rompt le gouvernail ; 
une brise un peu fraîche force à couper les mâts qui sont toujours 
très-hauts. Construire autrement serait attirer l'atiention, pro- 
voquer une surveillance spéciale, et s'exposer à la j)risou pour 
cause de violation des usages. Eût on triom|)hé de tous ces obs- 
tacles, fait le voyage de Chine aller et retour, que la réussite 
serait encore fort douteuse. Un navire qui arrive de la j)leine 
mer est par cela seul mis en suspicion ; les matelots des autres 
barques se hâtent de venir à bord, les autorités ne peuvent 
tarder h faire leur visite, et si l'on trouve quelque objet d'origine 
suspecte, la barque est brûlée, et l'équipage mis à mort. 
Le seul moyen praticable de pénétrer en Corée par mer, est 
celui que les missionnaires avaient adopté dans les derniers 
temps. Partir de Chine sur une jonque chinoise, après s'être 
entendu d'avance avec des pêcheurs coréens sur le lieu et 
l'époque du rendez-vous; s'aboucher la nuit assez loin de la côte, 
à l'abri de quelqu'une des îles de l'arcliipcl coréen, transborder 
h la hâte, et gagner le rivage avant le jour. Mais cette voie, 
employée sans accidents fâcheux jusqu'en 1866, est maintenant 
fermée. MM. Ridel et Blanc l'ont vainement essayée en 1869; 
la surveillance est tellement sévère, qu'ils n'ont échappé à la 
mort que par une protection spéciale de la Providence. 
En effet, depuis l'expédiiion du contre-amiral Pioze, la Corée 
est, plus que jamais, séquestrée du reste du monde. En 18G7, 
les foires annuelles qui avaient lieii à Pien-men, au passage des 
ambassadeurs, ont été su|q)rimées; les jonques chinoises venues, 
comme d'habitude, pour faire la pèche sur les côtes, ont été 
visitées jusqu'à fond de cale, et renvoyées sans permission de 
séjour. L'année suivante, 1868, plus de soixante-dix de ces 
jonques ont été brûlées, et troiscents hommes de leurs équipages 
massacrés, on ne sait sous quel prétexte. Un ou deux navires 
IMRODUCTION. CXCI 
américains ayant éprouvé le même sort, les Élats-Unis ont fait h 
leur lour, en 1871, une expédiiion aussi stérile que celle des 
Français en i8G6. Depuis lors, la pêche du liareng sur les côtes 
de Corée est interdite aux navires chinois, qui n'osent plus guère 
s'y aventurer. 
Et cependant, le peuple coréen n'est point, par nature, ennemi 
des étrangers. Peut-être même est-il mieux disposé envers eux 
que ne le sont les Chinois; il est moins arrogant, moins ennemi 
de toute espèce d'amélioration et de progrès, moins fanatique de 
sa prétendue supériorité sur les Barbares qui peuplent le reste du 
monde. Mais le gouvernement conserve avec un soin jaloux cet 
isolement qu'il croit nécessaire à sa sécurité, et aucune considé- 
ration d'intérêt ou d'humanité ne le lui fera abandonner. Pen- 
dant les années 1871 et 1872, une famine cponviintable a désolé 
la Corée. La misère était si grande que les habitants de la côte 
ouest vendaient leurs jeunes filles aux contrebandiers chinois, un 
boisseau de riz par tête. Quelques Coréens, venus au Léao-tongà 
travers les forêts de la frontière septentrionale, ont fait aux mis- 
sionnaires un tableau effrayant de l'état du pays, affirmant que 
sur toutes les routes on rencontrait des cadavres. Mais le gou- 
vernement de Séoul laisserait périr la moitié du peuple, plutôt 
que de permettre de s'approvisionner en Chine ou au Japon. La 
force seule pourra lui imposer un changement de système. Les 
diverses expéditions ou plutôt démonstrations faites dans les 
trente dernières années, mal combinées, sans esprit de suite, sans 
vues politiques sérieuses, n'ont abouti, jusqu'à présent, qu'à 
l'irriter et à exaspérer son orgueil, sans le dompter. Si l'on 
devait s'en tenir là, elles auraient été, sous tous les poims de 
vue, dans l'intérêt de la liberté de commerce comme de la liberté 
religieuse, beaucoup plus nuisibles qu'utiles. 
Il est évident qu'un pareil état de choses ne peut durer, et que 
l'excès du mal amènera le remède. Les nations civilisées, forcées 
de protéger dans l'extrême Orient leur marine et leur commerce, 
ne toléreront pas indéfiniment qu'un misérable petit royaume, 
sans marine, sans armée sérieuse, biûle les navires qui touchent 
à ses rivages, massacre les étrangers parce qu'ils sont étrangers, 
et se tienne de force en dehors de l'humanité. Très-probablement, 
le procès sera vidé par les Russes dont les conquêtes, au nord-est 
de l'Asie, prennent chaque jour un développement plus considé- 
rable. Depuis 1860, leurs possessions sont limitrophes de la 
Corée. 11 y a déjà eu plusieurs difficultés entre les deux pays 
pour des questions de frontière et de commerce; ces questions ne 
CXCII INTRODUCTION. 
peuvent manquer de se renouveler, et, un jour ou l'autre, elles 
se lerfnineront par l'annexion de la Corée au territoire russe. 
Peut-être aussi les Anglais ou les Américains, poussés à bout i)ar 
quelque nouvelle insulte à leur pavillon, imposeront de force la 
liberté commerciale. 
Mieux vaudrait certainement que la France se chargeât elle- 
même d'intervenir, pour effacer l'humiliation de l'échec subi en 
<866. Cette malheureuse expédition devait, dans l'intention du 
gouvernement, punir le meurtre des missionnaires français, el 
rendre impossible la répétition de pareils actes de barbarie. En 
fait, elle a complété la ruine de l'Eglise de Corée, et causé le 
massacre de milliers de chrétiens. Quelle autre manière de réparer 
ce désastre que d'assurer aux frères et aux enfants de ces martyrs 
la complète liberté de religion, en forçant la Corée à conclure 
des traités avec les peuples civilisés, et, ces traités une fois 
conclus, à les respecter scrupuleusement? Sans doute, dans les 
circonstances actuelles, une expédition de ce genre semble h peu 
près impossible, mais la France n'est pas morte, l'avenir n'a pas 
dit son dernier mot, et l'avenir est à Dieu. 
HISTOIRE DE L'ÉGLISE DE CORÉE 
PREMIÈRE PARTIE 
De l'introduction du Christianisme en Corée à l'érection de ce 
royaume en Vicariat Apostolique. 
1784- 1831 
LIVRE I" 
Uepuis les premières eonversiona, jusqu'à l'arrivée du 
P. «Iacques TSIOU, prêtre chinois, envoyé par 
l'Évêque de Péking^. 
1784.-1794 
CHAPITRE I^ 
Invasion des Japonais en Corée, au xvi^ siècle. — Néophytes 
et martyrs coréens au Japon. 
Vers la fin du xvi® siècle, quarante ans après la mort de saint 
François-Xavier, lorsque l'Eglise du Japon florissante comptait 
déjà des millions d'enfants, lorsque la Chine évangélisée dès le 
vi^ siècle, évangélisée de nouveau aux. xiii" et xiv*" siècles, venait 
enfin de se rouvrir pour la troisième fois au zèle des mission- 
naires, le royaume de Corée, dont le nom même était inconnu 
en Europe, n'avait encore jamais entendu prêcher Jésus-Christ. 
A cette époque, on put espérer un instant que le jour de la 
miséricorde était arrivé pour ce pays. Taïko-Sama, devenu maître 
1 
— 2 — 
absolu de tout le Japon, avait conçu le projet de conquérir la 
Chine. Pour se frayer un chemin, en l'an 1592, il fit envahir la 
Corée par une armée de deux cent mille hommes, qui battirent 
les Coréens et les Chinois venus à leur secours, s'emparèrent de 
cinq provinces sur huit, prirent la capitale, firent un immense 
carnage, et envoyèrent comme esclaves, au Japon, un nombre 
considérable de prisonniers. 
La plupart de ces soldats japonais étaient chrétiens , car 
Taïko-Sama, qui avait secrètement résolu de faire disparaître 
du Japon la religion de Jésus-Christ, avait surtout employé pour 
cette expédition les princes et les seigneurs chrétiens. Il comptait, 
s'ils étaient vainqueurs, leur donner des apanages dans le pays 
conquis, et y transplanter de gré ou de force tous les chrétiens de 
son empire ; s'ils étaient vaincus, les abandonner sans secours et 
s'en débarrasser ainsi sans se donner l'odieux d'une persécution 
ouverte. 
La guerre se prolongeant en Corée, les princes et les seigneurs 
chrétiens, et surtout Augustin Arimandono, roi de Fingo et grand 
amiral du Japon, le principal et le plus zélé d'entre eux, firent de 
vives instances auprès du supérieur de la mission du Japon pour 
obtenir un prêtre. Vers la fin de lo93, le vice-provincial de la 
Compagnie de Jésus leur envoya le P. Gregorio de Cespedes, et 
un frère japonais nommé Foucan Eion. Ce Père et son compagnon 
furent forcés d'hiverner dans l'île de Tsoutsima, dont le prince, 
néophyte zélé, servait lui-même en Corée. Ils y baptisèrent un 
grand nombre de païens, entre autres les quatre principaux con- 
seillers de Tsoutsimandono. Enfin, au commencement de 1594, 
après une navigation assez longue et remplie de dangers, ils arri- 
vèrent en Corée et gagnèrent la forteresse de Comangaï où rési- 
dait Augustin (1). 
Pendant près d'un an, le P. de Cespedes exerça son ministère 
parmi les troupes japonaises avec un zèle infatigable. Il allait 
de forteresse en forteresse, luttant contre les désordres de toute 
nature, réformant les abus, raffermissant les chrétiens par l'ad- 
ministration des sacrements, et baptisant de nombreux soldats 
païens. Mais il fut soudain arrêté au milieu de ses travaux. Un 
général païen, jaloux de la haute fortune du prince Augustin, le 
dénonça à Taïko-Sama, prétendant que ses efforts et ceux du 
(1) LeUre annuelle du .Japon, de Mars lo93 à Mars 1391, écrite par la 
P. Pierre Gomez au P. Claude Acquaviva, général de la Compagnie de Jésus 
— Milan, 1j97, — p. 11:2 cl suivantes. 
— 8 — 
P. de Cespedes, pour la propagation de la foi chrétienne, cachaient 
une vaste conspiration contre le pouvoir de rempereur. Averti h 
temps, Augustin renvoya immédiatement le prêtre au Japon, et y 
retourna lui-même peu après, pourselaverde l'accusation intentée 
contre lui. Il parvint aisément à sejustifier, et l'affaire n'eut pas 
de suites fâcheuses. 
La lettre annuelle de la mission du Japon, qui nous donne 
ces détails, raconte aussi que le prince de Tsoutsima envoya à sa 
femme Marie, fille d'Augustin, deux jeunes esclaves coréens, l'un 
fils d'un secrétaire du roi de Corée, et l'autre aussi d'une très- 
noble famille. La princesse touchée de leur infortune les donna à 
l'Eglise, envoya immédiatement le plus âgé au séminaire des 
PP. Jésuites, et garda l'autre chez elle jusqu'à ce qu'il pût y être 
envoyé à son tour (1). 
Dans sa lettre de l'année suivante le P. Louis Froës parle encore 
des Coréens, k Cette année, dit-il, on a instruit beaucoup d'escla- 
ves coréens, tant hommes que femmes et enfants, qui demeurent 
ici à Nangasaki, et dépassent, dit-on, le chiffre de trois cents. Il y 
a deux ans qu'ils ont été baptisés pour la plupart, et le plus grand 
nombre s'est confessé cette année. on voit clairement par l'ex- 
périence, que c'est un peuple très-disposé à recevoir notre sainte 
Foi ; ils sont très-affables, reçoivent le baptême avec allégresse, 
et sont heureux de se voir devenus chrétiens. Ils aiment à se 
confesser, et en très-peu de temps, le plus grand nombre a appris 
la langue japonaise avec tant de facilité, que presque aucun 
d'eux n'a besoin d'interprète pour le faire. Le vendredi saint, 
aussitôt que la nuit se fit, pendant qu'on apprêtait l'église dont 
les portes étaient fermées, et qu'on disposait les fonts baptismaux 
pour le lendemain, un Père et quelques Frères qui dirigeaient 
les préparatifs, entendirent un grand bruit du dehors, près de la 
porte de l'église. Ils ouvrirent une fenêtre et demandèrent ce 
que c'était. Quelques hommes, agenouillés avec une grande humi- 
lité, répondirent : a Père, ce sont les pauvres Coréens. Parce 
que nous sommes esclaves, nous n'étions pas prêts hier pour la 
procession, mais nous voici maintenant venus tous ensemble, 
pour demander à Dieu miséricorde et pardon pour nos péchés. » 
En disant cela ils se llagellaient cruellement, et tous ceux qui les 
entendirent et virent la rigueur de leur pénitence, en versaient 
des larmes. Cette nation unit un bon jugement à une grande 
(1) Lettre annuelle du Japon pour 1595, du P. Louis Froës au P. C. Acqua- 
viva. — Rome, 1598, — p. 32 et suivantes. 
_ 4 — 
simplicité, et elle paraît ne le céder en rien aux Japonais, Il a plu 
à Dieu Notre Seigneur de prendre oes prémices du royaume de 
Corée, à l'occasion de cette guerre, pour le plus grand bien de 
leurs âmes. L'opinion commune, dans les entreliens qu'ils ont 
entre eux, est que si la prédication de la loi évangélique pénétrait 
une fois en Corée (ce qui semble ne devoir pas être difficile par 
la voie du Japon), elle y serait très-facilement reçue, et pourrait 
prendre dans ce royaume de grands développements (1). » 
Ces belles espérances ne furent point réalisées. En 4598, 
Taïko-Sama, se sentant mourir, envoya à ses troupes l'ordre 
formel d'abandonner toutes leurs conquêtes, et de revenir de 
suite au Japon. Les tuteurs de son fils pressèrent Fexéciition 
immédiate de cet ordre, et la Corée tout entière, sauf le poste 
militaire de Fusan-kaï sur la côte sud-est, se retrouva sans 
coup férir sous l'autorité de son propre roi. 
Les troupes japonaises, en quittant la Corée, y laissèrent-elles 
quelques germes de christianisme, et faut-il faire remonter à 
cette expédition la véritable origine de l'Église coréenne? on l'a 
dit et répété dans ces derniers temps ; mais cette assertion ne 
soutient pas un examen sérieux. 
Pendant son séjour en Corée, l'an 1594, le P. de Cespedes 
n'avait vu d'autres indigènes que les prisonniers de guerre que 
l'on expédiait au Japon i)Our y être vendus comme esclaves. Les 
lettres écrites alors par les jésuites du Japon à leur Père général 
prouvent qu'il lui avait été impossible d'entrer en relation avec 
les gens du pays. En effet, la lactique des Coréens était d'isoler 
les Japonais, en dévastant complètement la contrée autour des 
forteresses qu'ils occupaient ; la plupart des habitants avaient fui 
dans les provinces septentrionales; les autres reculaient devant 
les envahisseurs, et, à leur approche, cherchaient un refuge dans 
les bois et les montagnes. Après le départ du P. de Cespedes, 
l'armée japonaise resta encore plus de trois ans en Corée, mais 
le zélé missionnaire ne put y revenir, et aucun autre prêtre ne 
fut envoyé à sa place. Les Japonais chrétiens ne purent, pas plus 
que lui, se mettre en rapport avec les habitants ; d'ailleurs la 
haine innée des Coréens pour tout ce qui est étranger, l'exas- 
pération naturelle d'un peuple vaincu contre ses vainqueurs, 
auraient certainement fait échouer toute tentative de prosé- 
lytisme. Les Coréens emmenés au Japon comme prisonniers de 
(I) LeUre annuelle du Japon pour 1595. — Rome, 1599. — p. 136 el suivantes. 
guerre eurent donc, senls de leurs compatriotes, l'opportunité de 
connaître la toi chrétienne, et nous avons vu que, grâce à Dieu, 
un grand nombre en profitèrent. Quelques années après l'expé- 
dition de TaVko-Sama, commençait, au Japon même, cette persé- 
cution si longue, si sanglante, si glorieuse qui semblait devoir 
y éteindre le christianisme, et on comprend facilement que les 
missionnaires de ce pays ne purent plus songer à la Corée, et 
ne firent aucune tentative pour y pénétrer. 
Dans cette grande persécution, un certain nombre de néophytes 
coréens partagèrent avec leurs frères japonais l'honneur de con- 
fesser Jésus-Christ devant les bourreaux. Leur vie et leur mar- 
tyre appartiennent à l'Église du Japon, mais, parleur naissance, 
ils sont les prémices de l'Église de Corée. C'est pourquoi nous 
reproduisons ici, dans l'ordre chronologique, ce que l'on sait de 
leurs noms et de leur histoire (1). 
Michel, pauvre laboureur coréen, avait été baptisé à Nangasaki. 
Il était d'une charité singulière envers les lépreux, les attirait 
dans sa maison, les faisait asseoir à son foyer, les servait de ses 
mains en leur disant : « Vous êtes mes frères, et votre infirmité 
m'oblige à vous honorer davantage. » on le suspendit h une four- 
che, puis on lui comprima les jambes et on lui coupa les jarrets. 
Il expira dans ce supplice, le 22 novembre 1614. Après sa mort, 
on lui trancha la tête, et son corps fut haché en morceaux. 
Le même jour fut aussi martyrisé Pierre Djincouro. Il avait été 
esclave chez les païens, depuis l'âge de treize ans jusqu'à celui de 
trente. Omis sur la liste des chrétiens dénoncés, parce qu'il 
n'était que locataire d'une boutique et n'avait pas de maison à 
lui, il fit de vives réclamations et obtint d'être inscrit avec eux. 
Il supporta courageusement les tortures, et comme il ne cessait 
d'invoquer le saint nom de Jésus, il eut les lèvres et la bouche 
fendues, fut percé d'un poignard, et enfin décapité. Il était âgé 
de trente-trois ans. 
Le 18 novembre 1619, Cosme ïakeya fut brûlé vif à Nanga- 
saki . Trois ans plus tard, sa femme Inès, âgée de quarante- 
deux ans, subit à son tour le martyre. Elle eut la tête tranchée. 
(1) Le P. Gharlevoix, Hlsl. du Christianisme au Japon, passim. — M. Léon 
Pasès, Hisl. du Japon. Tome III, passim. — Les noms de famille des 
martyrs coréens cités par ces auteurs sont des noms japonais, soit qu'on 
ait donné aux captifs de nouveaux noms, soit qu'on ait purement et simple- 
ment traduit en japonais leurs noms coréens. 
— 6 — 
C'était le 2 septembre 1622, journée à jamais glorieuse pour 
rÉglise du Japon, qui s'enrichit d'un seul coup de cinquante-deux 
martyrs. Cinq d'entre eux étaient Coréens : Inès, que nous venons 
de nommer, Antoine, qui fut brûlé vif, Marie, femme d'Antoine, 
et leurs deux enfants, Jean, âgé de dix ans, et Pierre, âgé de 
trois ans, qui furent décapités. 
Le 4 septembre 1624, Sixte Cazayernon et sa femme Catherine 
furent décapités à Chembocou. 
Le 5 novembre de la même année, le jeune Coréen Caïo fut 
brùlê vif à Nangasaki. Son histoire prouve, d'une manière écla- 
tante, que Dieu ferait un miracle plutôt que d'abandonner un 
infidèle qui suit les lumières de sa conscience, et cherche la vérité 
d'un cœur droit et docile. Né quelque temps avant l'invasion 
japonaise, il éprouva dès son jeune âge un désir extrême de 
parvenir au vrai bonheur, c'est-à-dire à un bonheur qui n'eût 
point de fin. 11 se relira dans une solitude pour méditer plus à 
son aise sur cette félicilé qu'il cherchait. Il n'avait pour habita- 
tion qu'une caverne, qu'il partageait avec un tigre |qui l'occupait 
avant lui. Ce féroce animal respecta son hôte ; il lui céda même 
la caverne quelque temps après, et se retira ailleurs. Le jeune 
solitaire dans l'unique vue de conserver son innocence, s'exer- 
çait à toutes sortes de mortifications ; il s'abstenait de tout ce qui 
n'était pas absolument nécessaire à la vie. Une nuit qu'il était 
en méditation, un homme d'aspect majestueux lui apparut, et 
lui dit : « Prends courage; dans un an tu passeras la mer, et, 
après bien des travaux et des fatigues, tu obtiendras l'objet de 
les désirs. » Cette même année, les Japonais entrèrent en Corée, 
et le jeune solitaire fut fait prisonnier. Le vaisseau qui le trans- 
portait au Japon ayant fait naufrage près de l'île Tsoutsima, Caïo 
se sauva à la côte ; ceux qui le conduisaient périrent probable- 
ment dans les flots. Quoi qu'il en soit, il recouvra sa liberté. 
Séduit par la vie austère des bonzes, il crut avoir trouvé ce qu'il 
cherchait depuis tant d'années, et se retira dans une des plus 
célèbres pagodes de Méaco. Mais il ne fut pas longtemps sans 
s'apercevoir de son erreur ; ces religieux idolâtres n'étaient rien 
moins que des hommes parfaits. 
Cette méprise lui causa un si grand chagrin qu'il en tomba 
malade. Pendant sa maladie, il lui sembla voir la pagode tout en 
feu, puis un enfant d'une beauté ravissante lui apparut et le 
consola : « Ne crains pas, lui dit-il, tu es à la veille d'obtenir ce 
bonheur tant désiré. » Il n'était pas encore guéri, qu'il abandonna 
la bonzerie. Le jour même, il rencontra un chrétien à qui il 
raconta ses peines et ses aventures; celui-ci l'amena sur-le-champ 
au collège des Jésuites, où on Tinstruisit des mystères de la reli- 
gion. Comme son cœur était déjà préparé à recevoir la divine 
semence, il crut sans hésiter, goûta sans peine la sainte morale 
de rÈvangile, et demanda aussitôt le baptême. on ne pensa pas 
devoir le soumettre à une plus longue épreuve, et la grâce du 
sacrement produisit dans une âme si bien disposée des effets 
admirables. Pendant qu'on l'instruisait, un des Pères lui montra 
un tableau représentant Notre-Seigneur: « Oh ! voilà, s'écria-t-il, 
voilà celui qui m'a apparu dans ma caverne, et qui m'a prédit 
tout ce qui m'est arrivé. » Il se mit à la suite des missionnaires 
et se consacra au soin des malades, surtout des lépreux. Il n'est 
point de vertu dont cette âme prédestinée n'ait donné l'exemple : 
mortifications presque excessives, charité pour les malheureux, 
soins empressés pour les missionnaires, dont il partageait les 
travaux et les dangers, zèle pour le salut des âmes, etc.. Rien 
n'était au-dessus de ses forces, lorsqu'il fallait témoigner de la 
reconnaissance pour un Dieu qui 1 avait prévenu de tant de 
grâces, avant même qu'il pût connaître et apprécier ses dons. 
En 1614, il suivit aux Philippines, Ukandono, général des armées 
du Japon, qui était exilé pour la foi. Après la mort de ce grand 
homme, il retourna au Japon, et reprit ses fonctions de caté- 
chiste. La persécution prenant tous les jours un caractère plus 
effrayant, il se crut obligé de redoubler de ferveur; il multiplia 
ses austérités et ses oraisons. Dieu récompensa tant de vertus 
par un glorieux martyre. Le néophyte étant allé un jour, selon sa 
coutume, visiter les confesseurs de la foi, se déclara lui-même 
chrétien et catéchiste; il fut arrêté sur-le-champ et conduit dans 
les prisons de Nangasaki, où il eut beaucoup à souffrir. on le 
condamna à être brûlé à petit feu, supplice horrible, qu'il subit 
avec une constance admirable. 
Vincent Kouan-Cafioïe, qui, en 1626, souffrit le martyre avec 
plusieurs des PP. Jésuites, était fils d'un des principaux officiers 
du roi de Corée. Ce seigneur, allant combattre les Japonais, 
confia son fils à une personne sûre, pour le conduire avec toute sa 
famille dans un château inaccessible; mais Dieu qui voulait faire 
de Cafioïe un chrétien et un martyr, permit qu'il s'égarât en 
route et se trouvât par hasard assez près de l'armée japonaise. 
Bien loin d'en être effrayé, le jeune Cafioïe qui avait à peine 
treize ans, voulut, par une curiosité bien naturelle à son âge, la 
voir de plus près ; et, sans penser à quoi il s'exposait, il alla droit 
à la tente d'Augustin, roi de Fingo, général en chef. Ce prince 
— 8 — 
se sentit ému de compassion à la vue du jeune orphelin, le prit 
en affection, et chargea un de ses parents d'en avoir soin jusqu'à 
la fin de la guerre. Il confia ensuite son éducation aux Jésuites, 
qui Tinstruisirent de la religion et le baptisèrent. Le jeune 
Cafioïe, autant par affection que par reconnaissance, ne voulut 
plusse séparer de ceux qui Tavaient engendré à Jésus-Christ; 
il les accompagna toujours dans leurs courses apostoliques, et 
fut enfin pris et conduit avec eux dans les prisons de Chimabara. 
Quelque affreuse que fût cette prison, les saints confesseurs ajou- 
taient encore des austérités volontaires à leurs souffrances. on 
avait choisi les gardes les plus brutaux, pour accroître la dureté 
de leur détention ; mais la vie angélique des prisonniers, leur 
patience, et un air de sainteté qui paraissait sur leur personne, 
adoucissaient insensiblement la férocité de ces satellites. Ils com- 
mençaient par admirer une religion qui élève Thomme au-dessus 
de lui-même, et finissaient souvent par l'embrasser. Aussitôt qu'on 
apercevait en eux quelques sentiments d'humanité, on leur substi- 
tuait d'autres geôliers, qui bientôt se trouvaient vaincus à leur 
tour. A la fin, le gouverneur furieux commit le soin des confes- 
seurs à un officier de ses parents, qui était plus semblable à une 
bête féroce qu'à un homme. Sa haine contre le christianisme 
ne connaissait point de bornes ; cependant, dès qu'il eut vu 
les prisonniers, il se sentit ému, et au bout de huit jours se 
déclara chrétien. Le gouverneur aussi surpris qu'irrité de cette 
conversion, n'épargna ni reproches ni menaces pour ramener le 
néophyte au culte des idoles. Cet officier lui répondit invariable- 
ment : « Vous pouvez me dépouiller de mes emplois, m'enlever 
mes biens, m'ôter même la vie ; mais vous ne pourrez rien sur 
mon esprit, je vivrai et mourrai chrétien. » 
Le gouverneur voyant que la rigueur de la prison était inutile, 
se résolut à tourmenter les confesseurs, mais séparément, afin 
qu'ils ne pussent pas s'encourager les uns les autres, Il commença 
par Cafioïe ; croyant qu'un étranger serait vaincu plus facile- 
ment. Il le fit venir chez lui, le combla d'amitiés et de caresses, 
lui fit les promesses les plus séduisantes, et le menaça en même 
temps des plus horribles supplices, s'il n'obéissait à l'heure même. 
Le néophyte coréen lui répondit simplement : « Je suis chrétien 
et je ne renoncerai jamais à ma religion. » A l'instant même, il 
le fil exposer tout nu à un vent glacial, et oubliant en même 
temps le caractère déjuge dont il était revêtu, il n'eut pas honte 
d'exercer la fonction de bourreau. Il tenailla de ses propres mains 
le saint confesseur, qui ne faisait que rire d'un si horrible 
— — 
supplice ; ensuite il lui fil avaler une drogue, que le patient rejeta 
par la bouche avec des flots de sang. Ce tourment lui causa une 
défaillance, mais il reprit aussitôt ses sens et recouvra ses forces. 
Dès ce moment, il ne sentit plus d'autre douleur qu'un léger 
engourdissement aux pieds et aux mains. on continua les tortures 
plusieurs jours de suite, sans pouvoir jamais lasser sa constance. 
Enfin on le renvoya en prison, dans une masure ouverte à tous 
les vents ; il y passa vingt-quatre jours, exposé aux injures de l'air 
et privé de toute nourriture. ïl respirait encore lorsque l'em- 
pereur donna ordre de le transporter h Nangasaki, pour y être 
brûlé vif comme chrétien, avec les illustres compagnons de sa 
prison et de ses souffrances. Avant de mourir, il demanda au 
Père Pacheco, provincial des Jésuites, de l'admettre dans la 
société ; ce Père lui accorda cette grâce, et reçut ses vœux sur le 
lieu même où ils allaient tous les deux consommer leur sacrifice. 
Vers le même temps, une jeune Coréenne, nommée Julie Ota, 
donna une preuve de 'courage à peu près semblable. Issue d'un 
sang illustre, elle était élevée h la cour de Cubo-Sama, et fort 
chérie de ce prince, qui voulait la marier à un des plus grands 
seigneurs de l'empire. Il s'agissait d'abord de changer de reli- 
gion; Julie refusa, et fit, sur-le-champ, vœu de virginité. Puis, 
non contente de paraître en public avec toutes les maniues exté- 
rieures de sa foi, elle se mit à fréquenter les maisons où les 
chrétiens tenaient leurs assemblées, chose extraordinaire au 
Japon, où les femmes de qualité ne sortent jamais qu'accompa- 
gnées du plus grand cortège, et encore très-rarement. Elle 
voulait par là, à quelque prix que ce fût, forcer Cubo-Sama h 
lui accorder la palme du martyre ; or, il ne s'agissait de rien 
moins que d'être condamnée au feu, ou h d'autres supplices bien 
plus cruels encore. Cubo-Sama , essaya par toutes sortes de 
moyens d'ébranler sa constance , et à la fin , voyant que les 
caresses et les menaces étaient également inutiles, il la déporta 
dans une Ile lointaine où vivaient quelques pauvres pêcheurs, qui 
n'avaient d'autres habitations que de misérables cabanes. Son 
exil et ses souffrances durèrent quatre ans, c'est-à-dire autant que 
sa vie; mais si les consolations humaines lui manquèrent, elle 
en fut pleinement dédommagée par l'abondance des faveurs du 
ciel. Son seul chagrin était de n'avoir point versé son sang pour 
Jésus-Christ. Elle trouva l'occasion d'écrire à un missionnaire 
jésuite à ce sujet; le missionnaire lui répondit que l'Église regarde 
aussi comme martyrs ceux qui ont été exilés pour la foi. Cette 
réponse la combla de joie, et dissipa toutes ses craintes. 
— 10 — 
En i 629, le 31 juillet, le gouverneui" de Nangasaki fit conduire 
aux étangs sulfureux d'Oungen, soixante-quatre chrétiens des 
deux sexes, parmi lesquels une néophyte coréenne, nommée 
Isabelle. on avait averti les confesseurs qu'ils ne seraient point 
mis à mort, mais que leur supplice se prolongerait, plusieurs 
années s'il était nécessaire, jusqu'à leur apostasie ; car les juges 
sachant que les chrétiens regardent comme un grand bonheur de 
mourir pour Jésus-Christ, ne voulaient pas laisser cette consola- 
tion à leurs victimes. Les eaux d'Oungen sont si corrosives qu'elles 
couvrent de plaies les parties du corps sur lesquelles on les 
répand. on avait partagé les confesseurs en cinq troupes, et les 
femmes avaient été séparées de leurs maris. Tous les jours on les 
arrosait de cette eau brûlante, et après quelque temps, le plus 
grand nombre faiblirent. Isabelle, presque seule, resta intrépide 
jusqu'à la fin, « Votre mari à apostasie, » lui disait-on. — « Que 
m'importe 1 j'ai dans le ciel un époux immortel, et c'est à lui 
d'abord que je dois obéissance. » on la plaça debout pendant plus 
de deux heures, avec une pierre au cou, des pierres dans la 
bouche, et une autre sur la tète, lui déclarant que si cette 
dernière tombait, ce serait signe d'apostasie, « Non, répondit- 
elle, il n'est pas en mon pouvoir d'empêcher que cette pierre ne 
tombe, mais quand je tomberais moi-même à terre, ma volonté 
ne changera point. » La pierre ne tomba pas, et la nuit suivante 
une vision céleste vint consoler la courageuse chrétienne. Le len- 
demain, elle fut inondée de nouveau. « Nous continuerons dix ans, 
ving ans, s'il le faut, » répétaient les bourreaux. — « Dix ans, 
vingt ans, cent ans même, s'il m'était donné de les vivre, sont 
un intervalle bien court, et je m'estimerai heureuse de passer 
ma vie entière dans les supplices, pour rester fidèle à mon Dieu.» 
La patience d'Isabelle finit par lasser ses persécuteurs. Après 
treize jours, on la traîna épuisée, meurtrie, devant le gouverneur 
de Nangasaki. on lui prit la main de force, et avec cette main 
on signa une déclaration d'apostasie, puis sans lui laisser proférer 
une parole, on la renvoya. 
Tels furent les principaux martyrs coréens qui, les piemiers de 
leur nation, allèrent intercéder auprès de Dieu pour la conversion 
de leurs infortunés compatriotes. 
L'invasion japonaise avait disparu de la Corée sans y laisser 
aucune trace de christianisme, et, dans les desseins de Dieu, 
deux siècles encore devaient s'écouler avant (jue la foi pût péné- 
trer en ce royaume que la jalousie de l'enfer tenait si complète- 
— 11 — 
ment fermé. Le seul l'ait à citer pendant ce long intervalle, est 
riiiiroducîion en Corée, à diverses reprises, de quelques livres 
(Il réliens en langue chinoise. Ceci eut lieu au moyen des ambas- 
sades que le roi de Corée envoie chaque année en Chine. on con- 
çoit, en effet, que les ambassadeurs coréens et les seigneurs de 
leur suite, ne pouvaient pas ignorer entièrement l'existence 
ofticielle à Péking des missionnaires. D'un autre côté, les Jésuites 
hxés à la cour impériale, quelque gênés qu'il fussent dans l'exer- 
cice de leur zèle, n'ont certainement pas laissé échapper de 
pareilles occasions d'entrer en rapport avec les représentants 
iWin royaume païen non encore évangélisé. 
Dans un recueil coréen de documents curieux, on lit qu'en l'an- 
née sin-mi(1631), l'ambassadeur TsiengTou-ouen-i vit à Pékin un 
Européen nommé Jean Niouk, âgé de quatre-vingt-dix-sept ans, 
et jouissant encore d'une santé parfaite. « Il semblait, dit-il, être 
un des bienheureux sin-sien (les bienheureux immortels de la 
secte de Lao-tse). » C'était sans doute un des premiers compa- 
gnons du P. Ricci. L'ambassadeur reçut de lui beaucoup de 
livres de science, faits par les Européens, et aussi des objets 
curieux, tels que pistolets, télescopes, lunettes, horloges, etc. 
Ni Siou, surnommé Si-pong, l'un des ancêtres du martyr 
Charles Ni, et l'un des plus célèbres savants qu'ait eus la Corée, 
mentionne dans ses écrits l'ouvrage du P. Piicci, intitulé : Tien- 
Isou-sir-ei, ou Véritables principes sur Dieu, dont il donne une 
analyse assez exacte. 11 parle aussi de la constitution de l'Église 
sous l'autorité du Souverain Pontife. 
En l'an kieng-tsa (1720), l'ambassadeur Ni I-mieng-i vit aussi 
h. Péking plusieurs missionnaires, eteut avec eux des conférences 
sur les questions religieuses. Il raconte qu'il a trouvé l'enseigne- 
ment chrétien sur la mortification des mauvais instincts et la 
purification du cœur, assez semblable aux théories de la religion 
des lettrés ; il croit voir dans le mystère de l'incarnation une des 
doctrines de Fo, et assure qu'il ne faut nullement placer cette 
nouvelle religion au même rang que la secte de Lao-tse. 
Ni Ik-i, surnommé Seng-ho, parle aussi de la religion dans ses 
livres. D'après lui, le Dieu des chrétiens n'est pas autre que le 
Siang-tiei des lettrés (le chang-ti des Chinois). La doctrine du 
paradis et de l'enfer lui semble empruntée au système de Fo. 
11 a aussi quelques mots sur les sept vertus, opposées aux sejU 
péchés capitaux. 
La lecture de quelques livres chrétiens, les rapports néces- 
sairement très-rares et très-limités des ambassadeurs avec les 
12 
missionnaires de Péking, n'avaient, on le voit, pu donner aux 
Coréens qu'une idée bien vague du christianisme. Elle fut suffi- 
sanie néanmoins, si Ton en croit les traditions coréennes, pour 
convertir un homme de bonne volonté. Cet homme nommé Hong 
lou-han-i, ou Sa-riang-i, était né en 1736, d'une famille hono- 
rable dont les membres avaient souvent rempli des charges 
importantes. Il habitait Niei-san, et, dans sa jeunesse, avait pris 
des leçons de Ni Ik-i dont nous venons de parler. En 1770, il 
rencontra des livres chrétiens, les lut avecjoie, abandonna toute 
autre étude, et se livra à la i)ralique de la religion. N'ayant ni 
calendrier ni livre de prières, el sachant seulement que les fêtes 
se succédaient de sept en sept jours, il se mit à chômer reli- 
gieusement les 7, 14, 21 et 28 de chaque mois, laissant de côté, 
ces jours-là, toutes les affaires du siècle, pour se donner tout 
entier h l'oraison. Comme il ne connaissait pas les jours d'absti- 
nence, il prit pour règle de se priver toujours des mets les plus 
délicats, donnant pour raison à ceux qui lui en faisaient la remar- 
({iie que la cupidité naturelle est mauvaise de soi, et qu'il faut, 
autant que possible, la dompter. on raconte de lui plusieurs 
traits édifiants. Un jour qu'il voyageait à cheval dans un chemin 
boueux, il vit un vieillard chargé d'un lourd fardeau. Touché de 
compassion, il descendit de cheval, fit monter cet homme à sa 
place, et marchant à pied le conduisit lui-même. Une autre fois, 
ayant appris qu'un champ vendu par lui, venait de disparaître 
sous un éboulement de montagne, il en renvoya le prix à l'ac- 
quéreur, et malgré le refus de celui-ci, le força à l'accepter. on 
dit que Hong lou-han-i passa treize ans dans les montagnes de 
Paik-san, pour se livrer sans obstacle, dans la solitude, à la 
contemplation et à la prière. Il mourut à Niei-san, n'ayant 
probablement jamais reçu d'autre baptême que le baptême de 
désir. on ne voit pas qu'il ail cherché à convertir personne, et à 
sa mort, il ne laissa point de disciples. 
CHAPITRE IL 
Origine de l'Église de Corée. — Premières conversions. 
L'an de Jésus-Christ 1784, le jour du salut se leva enfin pour 
la Corée. Alors Dieu, dans sa miséricorde, y implanta la foi 
chrétienne d'une manière définitive ; alors commença cette glo- 
rieuse Église, qui, depuis, n'a cessé de grandir et de 'se fortifier 
à travers les persécutions et les vicissitudes dont nous allons 
retracer l'émouvante histoire. 
Le principal instrument dont la Providence se servit pour 
introduire l'Evangile en Corée fut Ni Tek-tso, surnommé Piek-i. 
Il descendait de la famille des Ni de Rieng-tsiou, et parmi ses 
ancêtres, déjà dans les dignités sous la dynastie Korie, on 
comptait un grand nombre de personnages qui s'étaient distingués 
dans les lettres, et avaient été honorés des plus hautes fonctions 
publiques. Depuis deux ou trois générations, cetle famille s'était 
tournée exclusivement vers la carrière des armes, et ses membres 
avaient obtenu des grades militaires importants. Piek-i étant 
doué des plus belles qualités du corps et de l'esprit, son père 
voulut l'appliquer, dès son enfance, aux exercices de l'arc et de 
l'équitation, qui pouvaient plus tard rendre son avancement 
facile. Mais l'enfant s'y refusa avec obstination, allant jusqu'à dire 
que, dùt-il mourir, il ne s'y livrerait pas. Par là, il perdit, en 
partie au moins, l'affection de son père, qui lui donna ce surnom 
de Piek-i, pour désigner la ténacité de son caractère. 
Avec l'âge, Piek-i devint un homme d'une haute stature et 
d'une force prodigieuse. « Il avait, disent les relations coréennes, 
une taille de huit pieds (1), et d'une seule main pouvait soulever 
cent livres. Son extérieur imposant attirait vers lui tous les 
regards ; mais il brillait surtout par les qualités de l'âme et les 
talents de l'esprit. Son élocution facile pouvait être comparée 
(1) Le pied coréen est plus petit que le pied français. 
A ce propos, il est bon de rappeler au lecteur que les mémoires de 
Mgr Daveluy sur celle période primilive, ne sont le plus souvent que la 
traduction littérale des documents originaux coréens, ce qui explique l'em- 
phase toute orientale de certaines descriptions d'hommes et de choses. 
_ u — 
au cours majestueux d'un fleuve. Il s'appliquait à approfondir 
toutes les questions, et dans Tétude des livres sacrés du pays, 
il s'était fait, dès sa jeunesse, une habitude de creuser toujours 
les sens mystérieux cachés sous le texte. » Non content d'étudier 
les livres, Piek-i cherchait à se lier avec tous les gens instruits 
qui pouvaient le diriger et l'aider dans l'acquisition de la science. 
Il aimait la plaisanterie, et se souciait assez peu des lois compli- 
quées et minutieuses de l'étiquette coréenne ; mais, quoiqu'il ne 
conservât pas toujours cet air de dignité guindée qui, en ce pays, 
distingue les docteurs de profession, il avait naturellement dans 
sa manière d'agir quelque chose de noble et de grand. De si 
heureuses dispositions lui promettaient un brillant avenir dans 
le monde, lorsque Dieu daigna jeter sur lui un regard de 
miséricorde. 
En l'année tieng-iou (1777), le célèbre docteur Kouen Tsiel- 
sin-i, accompagné de Tieng Iak-lsien-i et de plusieurs autres 
nobles désireux d'acquérir la science, s'était rendu dans une 
pagode isolée pour s'y livrer avec eux, sans obstable, à des études 
approfondies. Piek-i, l'ayant appris, en fut rempli de joie, et 
forma aussitôt la résolution d'aller se joindre à eux. on était en 
hiver, la neige couvrait partout les routes, et la pagode était à 
plus de cent lys de dislance. Mais ces difficultés ne pouvaient 
arrêter un cœur aussi ardent. Il part à l'instant même, il s'avance 
résolument par des chemins impraticables. La nuit le surprend à 
une petite distance du but de son voyage. 11 ne peut se déter- 
miner à attendre plus longtemps, et continuant sa route, arrive 
enhn vers minuit à une pagode. Quel n'est pas, alors, son désap- 
pointement en apprenant qu'il s'est trompé de chemin, et que la 
pagode qu'il cherche est située sur le versant opposé de la mon- 
tagne ! Celte montagne est élevée, elle est couverte de neige, et 
des tigres nombreux y ont leur repaire. N'importe, Piek-i fait 
lever les bonzes et se fait accompagner par eux. Il prend un bâton 
ferré pour se défendre des attaques des bêles féroces, et, poursui- 
vant sa route au milieu de ténèbres, arrive enfin au lieu désiré. 
L'arrivée de Piek-i et de ses compagnons répandit d'abord la 
frayeur parmi les habitants de cette demeure isolée, et perdue au 
milieu des montagnes. on ne pouvait imaginer quel motif ame- 
nait, à cette heure indue, des hôtes si nombreux. Mais bientôt 
tout s'éclaircil, la joie succéda à la crainte, et dans les premiers 
épanchements que fit naître cette heureuse rencontre, on s'aper- 
çut à peine que le jour avait déjà paru. 
Les conférences durèrent plus de dix jours. Pendant ce temps, 
— 15 — 

on cherclia la soliKion des questions les plus inléressantes sur 
le ciel, le monde, la nature humaine, etc. Toutes les opinions 
des anciens furent rappelées et discutées point par point. on 
étudia ensuite les livres de morale des grand hommes ; enfin on 
examina quelques traités de philosophie, de mathémati((ues et de 
religion, composés en chinois par les missionnaires européens, el 
on mit tout le soin possible à en approfondir le sens. Ces livres 
étaient ceux qu'à diverses reprises les ambassadeurs coréens 
avaient rapportés de Péking. Un certain nombre de savants en 
avaient entendu parler, car dans les compositions littéraires qu'il 
est de mode d'échanger entre Coréens et Chinois, lors de Tani- 
bassade annuelle, on voit, vers cette époque, qu'il est souvent 
fait allusion aux sciences et à la religion européennes. 
Or, parmi ces ouvrages scientifiques, se trouvaient quelques 
traités élémentaires de religion. C'étaient les livres sur l'existence 
de Dieu, sur la Providence, sur la spiritualité et l'immortalité 
de l'âme, et sur la manière de régler ses mœurs en combattant 
les sept vices capitaux par les vertus contraires. Accoutumés aux 
théories obscures et souvent contradictoires des livres chinois, 
ces hommes droits et désireux de connaître la vérité, entrevirent 
de suite ce qu'il y a de grand, de beau et de rationnel dans la 
doctrine chrétienne. Les explications leur manquaient pour en 
acquérir une connaissance complète; mais ce qu'ils avaient lu 
suffit pour émouvoir leurs cœurs et éclairer leurs esprits. Immé- 
diatement, ils se mirent à pratiquer tout ce qu'ils pouvaient 
connaître de la nouvelle religion, se prosternant tous les jours, 
matin et soir, pour se livrer à la prière. Ayant lu quelque part 
que, sur les sept jours, on doit en consacrer un tout entier au 
culte de Dieu, les septième, quatorzième, vingt-unième, et 
vingt-huitième jours de chaque mois, ils laissaient toute autre 
affaire pour vaquer uniquement à la méditation, et, en ces jours, 
observaient l'abstinence ; tout cela dans le plus grand secret, et 
sans en parlera personne. on ignore pendant combien de temps 
ils continuèrent ces exercices, mais la suite des événements porte 
à croire que la plupart n'y furent pas longtemps fidèles. 
Une semence précieuse avait été ainsi déposée dans le cœur de 
Pieki, mais il sentait combien ces premières notions sur la reli- 
gion étaient insuffisantes, et toutes ses pensées se portaient vers 
la Chine, où devaient se trouver les livres plus nombreux et plus 
détaillés nécessaires pour compléter son instruction. Se procurer 
ces livres était chose bien difficile et plusieurs années s'écou- 
lèrent en tentatives infructueuses. Il ne se décourageait pas 
- 16 - 
cependant, et ne manquait aucune occasion d'approfondir et de 
discuter la doctrine chrétienne. Nous lisons, dans une des pre- 
mières relations écrites par les clirétiens, qu'au commencement 
de Tété de 1783, le lo de la quatrième lune, après avoir séjourné 
quelque temps à Ma-tsaï, dans la famille Tieng, à l'occasion de 
l'anniversaire delà mort de sa sœur, Piek-i monta sur un bateau 
avec les deux frères Tieng Iak-tsien et Tieng Iak-iong, pour se 
rendre à la capitale. Pendant le trajet, leurs études philosophi- 
ques habituelles furent le sujet de leurs conversations. Les dogmes 
de l'existence et de l'unité de Dieu, de la création, de la spiri- 
tualité et de l'immortalité de Tàme, des peines et des récompenses 
dans le siècle futur, furent examinés et commentés tour à tour. 
Les passagers, qui entendaient pour la première fois ces vérités 
si belles et si consolantes, en étaient surpris et enchantés. Il est 
très-probable que de semblables conférences se seront souvent 
renouvelées, mais aucun autre détail ne nous a été conservé. 
Dieu permit enfin la réalisation des vœux ardents de ces âmes 
droites qui cherchaient la vérité avec tant de zèle. Pendant l'hiver 
de cette même année 1783, Ni Tong-ouk-i fut nommé troisième 
ambassadeur à la cour de Péking. Son filsSeng-houn-i, l'un des 
amis intimes de Piek-i, devait l'accompagner dans ce voyage. 
Disons ici quelques mots de ce dernier qui, pendant plusieurs 
années, va jouer un rôle important dans l'histoire de l'Église 
coréenne. 
Ni Seng-houn-i, appelé aussi Tsa-siour-i, était de la noble 
famille des Ni de P'ieng-t'sang. Ses ancêtres remplirent souvent 
des charges importantes comme mandarins civils, et sa maison 
jouissait d'une haute réputation. Il naquit en l'année pieng- 
tsa (1756). Dès l'âge de dix ans, sa capacité précoce s'était déjà 
révélée, et à vingt ans il s'était fait un nom parmi les lettrés. 
Voulant marcher sur les traces des saints de son pays, il se lia 
avec les hommes les plus célèbres par leur science et leurs vertus. 
Il s'appliquait à régler ses mœurs autant qu'à se perfectionner 
dans les lettres et les sciences. A l'âge de vingt-quatre ans, en 
l'année kieng-tsa (1780), il obtint le degré de docteur, et sa 
réputation augmentait tous les jours. 
Piek-i fut comblé de joie en apprenant que Seng-houn-i devait 
suivre son père dans l'ambassade de Péking. Il alla aussitôt le 
visiter ; et voici, d'après les documents de l'époque, le discours 
remarquable qu'il lui tint ; ^ Ton voyage à Péking est une occa- 
« sion admirable que le Ciel nous fournit pour connaître la vraie 
« doctrine. Cette doctrine des vrais saints, ainsi que la vraie 
— 17 — 
«manière de servir l'Empereur suprême, créateur de toutes 
«choses, est au plus haut degré chez les Européens. Sans cette 
« doctrine nous ne pouvons rien. Sans elle on ne peut régler son 
« cœur et son caractère. Sans elle, on ne peut approfondir les prin- 
« cipes des choses. Sans elle, comment connaître les différents 
« devoirs des rois et des peuples? Sans elle, point de règle fonda- 
« damentaledela vie. Sans elle, la création du Ciel et de la terre, 
« les lois des pôles, le cours et les révolutions régulières des astres, 
« la distinction des bons et des mauvais esprits, Torigine et la fin 
« de ce monde, Tunion de l'âme et du corps, la raison du bien 
« et du mal, Tincarnation du Fils de Dieu pour la rémission des 
« péchés, la récompense des bons dans le ciel et la punition des 
« méchants dans l'enfer, tout cela nous reste inconnu. » A ces 
paroles, Seng-oun-i qui ne connaissait pas encore les livres de reli- 
gion, fut ému de surprise et d'admiration. Il demanda à voir 
quelques-uns de ces livres, et ayant parcouru ceux que Piek-i 
avait en sa possession, tout ravi de joie il demanda ce qu'il 
devait faire. « Puisque tu vas à Péking, dit Piek-i, c'est une 
« marque que le Dieu suprême a pitié de notre pnys et veut le 
« sauver. En arrivant, cours aussitôt au temple du Maître du 
« ciel, confère avec les docteurs européens, interroge-les sur 
« tout, approfondis avec eux la doctrine, informe-toi en détail de 
« toutes les pratiques de la religion, et apporte-nous les livres 
« nécessaires. La grande affaire de la vie et de la mort, la grande 
« affaire de l'éternité est entre tes mains : va, et surtout n'agis 
« pas légèrement. » 
Ce discours de Piek-i nous le montre plus altéré de la soif delà 
religion que de la soif de la science. La grâce de Dieu préparait son 
cœur; la grande affaire du salutdevenaitdeplus en plus, pour lui, 
la seule importante. Ses paroles pénétrèrent profondément dans 
l'âme de Seng-houn-i. Il les reçut comme la parole du Maître, et 
promit de faire tous ses efforts pour réaliser leurs communs désirs. 
Seng-houn-i partit donc pour Péking dans les derniers mois 
de l'année 1783. Arrivé dans cette capitale, il se rendit à l'église 
du Midi (1), où il fut reçu par l'évêque Alexandre Tong auquel il 
demanda à s'instruire. — C'était le célèbre Alexandre de Govéa, 
Portugais, de l'ordre de Saint-François, l'un des plus doctes et 
des plus grands évoques dont peut se glorifier l'église de Chine, 
et l'un de ceux qui ont le plus travaillé à ramener les chrétiens 
(1) Il y avait alors dans Péking quatre églises, une à chacun des points 
cardinaux. Celle du midi était, et est encore, la cathédrale. 
2 
— 18 — 
Chinois à la stricte observation des décrets du Saint-Siège con- 
cernant les rites. — Les relations coréennes disent aussi que Seng- 
houn-i vit à Péking l'Européen Sak Tek-t'so, âgé de plus de quatre- 
vingt-dix ans, encore plein de santé etdun extérieur très-affable, 
et un jeune homme nommé Niang. Dans les quatre églises de la 
ville se trouvaient environ soixante personnes. Seng-houn-i se 
mit avec zèle à étudier la docrine chrétienne, et fut bientôt en 
état de recevoir le baptême. Ce sacrement lui fut conféré avant 
son départ, et comme on espérait qu'il serait la première pierre 
de l'Église coréenne, on lui donna le nom de Pierre. Voici com- 
ment M. de Ventavon, missionnaire à Péking, écrivant en date 
du 2o novembre 1784, annonçait à ses amis d'Europe cet heu- 
reux événement : 
« Vous apprendrez sans doute avec consolation la conversion 
d'une personne dont Dieu se servira peut-être pour éclairer des 
lumières de l'Évangile, un royaume où l'on ne sache pas qu'au- 
cun mi.ssionnaire ait jamais pénétré; c'est la Corée, presqu'île 
située à l'Orient de la Chine. Le roi de cette contrée envoie tous 
les ans des ambassadeurs à l'empereur de la Chine dont il se 
regarde comme vassal. Il n'y perd rien ; car s'il fait des présents 
considérables à l'empereur, Tempereur lui en fait de plus consi- 
dérables encore. Ces ambassadeurs coréens vinrent, sur la fin de 
l'année dernière, eux et leur suite, visiter notre église ; nous leur 
donnâmes des livres de religion. Le fils d'un de ces deux sei- 
gneurs, âgé de vingt-sept ans et très-bon lettré, les lut avec 
empressement; il y vit la vérité, et, la grâce agissant sur son 
cœur, il résolut d'embrasser la religion après s'en être instruit à 
fond. Avant de l'admettre au baptême, nous lui fîmes plusieurs 
questions, auxquelles il satisfit parfaitement. Nous lui deman- 
dâmes, entre autres choses, ce qu'il était résolu de faire, dans le 
cas où le roi désapprouverait sa démarche, et voudrait le forcer à 
renoncer à la foi ; il répondit, sans hésiter, qu'il souffrirait tous 
les tourments et la mort plutôt que d'abandonner une religion 
dont il avait clairement connu la vérité. Nous ne manquâmes pas 
de l'avertir que la pureté de la loi évangélique ne souffrait point 
la pluralité des femmes. 11 répliqua : je n'ai que mon épouse 
légitime et je n'en aurai jamais d'autres. Enfin, avant son départ 
pour retourner en Corée, du consentement de son père, il fut 
admis au baptême que M. de Grammont lui administra, lui 
donnant le nom de Pierre; son nom de famille est Ly (1). on le 
(1) Ly est la prononcialion chinoise du mol coréen Ni. 
— le- 
dit allié de la maison royale. Il déclara qu'à son retour il vou- 
lait renoncer aux grandeurs humaines, et se retirer, avec sa 
famille, dans une campagne pour vaquer uniquement à son 
salut. Il nous promit de nous donner chaque année de ses nou- 
velles. Les ambassadeurs promirent aussi de proposer à leur 
souverain d'appeler des Européens dans ses États. De Péking 
jusqu'à la capitale de Corée, le chemin par terre est d'environ 
trois mois. 
« Au reste, nous ne pouvons nous entretenir que par écrit avec 
les Coréens, Leurs caractères et les caractères chinois sont les 
mêmes, quant à la figure et à la signification ; s'il y a quelque 
différence, elle est légère ; mais leur prononciation est tout à fait 
différente. Les Coréens mettaient par écrit ce qu'ils voulaient 
dire : en voyant les caract>!re9, nous en comprenions le sens, et 
ils comprenaient aussi tout de suite le sens de ceux que nous 
leur écrivions en réponse (1)... » 
Au printemps de l'année kap-tsin (1784), Pierre Seng-houn-i 
rentra dans la capitale de la Corée, apportant des livres en grand 
nombre, des croix, des images et quelques objets curieux qui lui 
avaient été donnés à Péking. Il n'eut rien de plus pressé que 
d'envoyer à Piek-i une partie de son trésor. Celui-ci comptait 
les jours et attendait avec la plus vive impatience le retour de 
l'ambassade. Dès qu'il eut reçu les livres envoyés par son ami, il 
loua une maison retirée, et s'y enferma pour s'appliquer entière- 
ment à la lecture et à la méditation. Il avait maintenant, entre 
les mains, des preuves plus nombreuses de la vérité de la reli- 
gion, des réfutations plus complètes des cultes superstitieux de 
la Chine et de la Corée, des explications des sept sacrements, 
des catéchismes, le commentaire des évangiles, la vie des saints 
pour chaque jour, et des livres de prières. Avec cela, il pouvait 
voir à peu près ce qu'est la religion, dans son ensemble et dans 
ses détails. Aussi à mesure qu'il lisait , sentait-il une vie 
nouvelle pénétrer dans son âme. Sa foi en Jésus-Chrisi gran- 
dissait, et avec sa foi grandissait également le désir de faire con- 
naître le don de Dieu à ses compatriotes. Après un certain 
temps d'études, sortant de sa retraite, il alla trouver Seng- 
houn-i et les deux frères Tieng, Iak-tsien et Iak-iong : « C'est 
« vraiment une magnifique doctrine, leur dit-il, c'est la voievéri- 
« table. Le grand Dieu du ciel a pitié des millions d'hommes de 
« notre pays, et il veut que nous les fassions participer aux 
(1) Nouvelles lettres édifiantes. - Paris, 1818. — T. II, p. 20. 
— so- 
ft bienfaits de la Rédemption du monde. C'est l'ordre de Dieu. 
« Nous ne pouvons pas être sourds à son appel. Il faut répandre 
« la religion et évangéliser tout le monde. » 
Pour sa part, il commença aussitôt à annoncer la bonne nou- 
velle. Il s'adressa d'abord à quelques-uns de ses amis, de la classe 
moyenne, distingués par leurs connaissances et leur bonne con- 
duite. Plusieurs se rendirent presque immédiatement a sa parole 
vive et pénétrante ; c'étaient entre autres T'soi T'sang-hien-i, 
T'soi In-kin-i, et Kim Tsong-kio. Piek-i prêcha aussi la religion 
à plusieurs nobles qui l'embrassèrent. Fidèle à sa mission, il ne 
se donnait pas de relâche; il allait de côté et d'autre annonçant 
partout l'Évangile. Ses succès firent assez de bruit pour éveiller 
la susceptibilité des lettrés païens, qui comprenaient instinctive- 
ment que la nouvelle doctrine sapait par la base leurs croyances 
nationales. Plusieurs d'entre eux essayèrent tout d'abord de con- 
vaincre d'erreur les prédicateurs de l'Évangile, et de les ramener 
à la religion des lettrés. Le premier qui fit cette tentative fut Ni 
Ka-hoan-i. Issu d'une famille distinguée, il comptait, parmi ses 
ancêtres et ses parents, plusieurs docteurs fameux, et lui-même, 
quoique jeune encore, avait déjà beaucoup de réputation. Appre- 
nant la propagation rapide de la religion, il dit : « C'est ici une 
très-grande affaire. Quoique cette doctrine étrangère ne paraisse 
pas déraisonnable, ce n'est pas cependant notre doctrine des let- 
trés; et puisque Piek-i veut par là changer le monde, je ne puis 
rester immobile. J'irai donc et je le ramènerai dans la bonne 
voie. » on fixa le jour de la conférence. Les amis des deux doc- 
teurs et une foule de curieux se réunirent chez Piek-i pour 
assister à cette discussion solennelle. Ka-hoan-i essaya tout 
d'abord de faire revenir Piek-i de ce qu'il appelait ses erreurs. 
Il se croyait sûr de la victoire, mais chacune de ses assertions était 
relevée par son adversaire qui les réfutait article par article, et 
qui, le poursuivant jusque dans les plus petits détails, détruisait 
et réduisait en poudre tout l'édifice de ses raisonnements. En 
vain s'épuisait-il à le relever, tous les coups de Piek-i frappaient 
juste. Toujours d'accord avec lui-même, il n'avançait rien sans 
le prouver. Sa parole claire et lucide, disent les relations 
coréennes, portait partout la lumière; son argumentation était 
brillante comme le soleil ; elle frappait comme le vent, et tran- 
chait comme un sabre. 
Les nombreux spectateurs de ce combat singulier jouirent 
alors d'un beau spectacle. C'était un des coryphées de la vieille 
école, un champion des ténébreuses doctrines chinoises, aux prises 
— 21 — 
avec un défenseur de la lumière évangélique. Mais celui-ci, appuyé 
sur la vérité, demeurait inébranlable, tandis que l'autre, malgré 
sa souplesse, était renversé et ne se relevait ({ue pour retomber 
encore. La foi chrétienne triomphait sur ce théâtre éminent. 
Elle faisait la conquête d'un grand nombre d'àmes droites et 
sincères, et fortifiait son empire dans les cœurs des néo- 
phytes. Une journée ne suffit pas néanmoins pour faire rendre les 
armes à l'adversaire de Piek-i. Les discussions furent reprises 
pendant trois jours; mais elles n'eurent pour résultat que de 
montrer de plus en plus la beauté et la solidité de la nouvelle 
doctrine. Alors Ka-hoan-i, entièrement vaincu, n'ayant plus 
aucun subterfuge à mettre en avant, dit ces mémorables paroles : 
« Cette doctrine est magnifique, elle est vraie; mais elle attirera 
« des malheurs à ses partisans. Que faire? » Il se retira, et, 
depuis cette époque, n'ouvrit plus la bouche au sujet de la reli- 
gion chrétienne, et ne s'en occupa aucunement. 
Piek-i profita, pour faire de nouvelles conversions, de la gloire 
qu'il venait d'acquérir, mais bientôt un nouvel adversaire, 
apprenant les résultats de la fameuse conférence et les progrès 
de la foi, voulut, lui aussi, entrer en lice avec ses défenseurs. 
C'était Ni Kei-iang-i, non moins remarquable par son érudition 
que par la haute position de sa famille. Piek-i, fort de la vérité 
qu'il annonçait, n'était pas homme à éviter cette rencontre. Il 
développa l'origine du ciel et de la terre, le bel ordre du monde 
dans toutes ses parties, et les preuves de la Providence. Il expli- 
qua la nature de l'âme humaine et de ses différentes facul- 
tés, l'admirable harmonie des peines et des récompenses futures 
avec les actes de chacun pendant sa vie : enfin il démontra que la 
vérité de la religion chrétienne s'appuie sur des principes inatta- 
quables. Kei-iang-i, ne pouvant soutenir la discussion, garda le 
silence. Il semblait croire au fond du cœur, mais il ne pouvait se 
décider à l'avouer franchement. Aussi, quand il se fut retiré, 
Piek-i dit en parlant de ces deux docteurs : « Ces deux Ni ne 
savent que répondre ; mais comme ils n'ont aucun désir de prati- 
quer la religion, il n'y a rien à en espérer. » 
Cependant Piek-i, afin de favoriser la propagation rapide de 
l'Évangile et d'établir solidement la religion chrétienne dans son 
pays, songeait à lui donner pour appuis quelques personnages 
dont la science et la réputation pussent imposer le respect et 
captiver les esprits. Ne comptant plus sur ceux dont il a été parlé 
plus haut, il jeta les yeux sur la famile Kouen de lang-Keun, 
qui, auparavant, avait manifesté de bonnes dispositions. Celte 
— 22 — 
famille, déjà dans les honneurs au temps des Korie, s'était, 
lors du changement de dynastie, ralliée une des premières au 
nouveau roi, et depuis, son crédit n'avait fait qu'augmenter. 
Kouen T'siel-sin-i, surnommé Nok-am, le promoteur des con- 
férences de la pagode dont il a été question au commencement 
de cette histoire, et Fun des plus célèbres docteurs du temps, en 
était alors le chef. Il était l'aîné de cinq frères, tous renommés 
pour leur science et leur bonne conduite, parmi lesquels on dis- 
tinguait surtout le troisième, Il-sin-i surnommé Tsik-am. Les 
cinq frères Kouen avaient un grand nombre de disciples, venus 
de toutes les parties du royaume. Piek-i pensa donc qu'il serait 
très-utile de convertir ces savants et d'en faire les propagateurs 
et les soutiens de la religion. 
A la neuvième lune de cette même année kap-tsin (1784), il 
se rendit dans leur maison à Kam-san, dans le district de lang- 
Keun. Dès qu'il fut arrivé, les conférences sur la religion recom- 
mencèrent, et bientôt la vérité brilla dans tout son jour. L'aîné, 
T'siel-sin-i, âgé d'environ cinquante ans, qui avait passé sa vie 
à approfondir la philosophie et la morale des livres sacrés des 
Chinois, hésita d'abord. Sans résister à la lumière de l'Évangile, 
il ne pouvait se décider à perdre en un instant tout le fruit des 
immenses travaux qui avaient fait sa réputation. Ce ne fut qu'un 
peu plus tard qu'il embrassa la religion, et fut baptisé sous le 
nom d'Ambroise. Sa foi constante et sa sainte vie lui méritèrent 
une belle couronne, comme nous le verrons dans la suite. Mais 
le troisième frère Il-sin-i se convertit de suite, et bientôt sa fer- 
veur extraordinaire, son zèle éclairé, justifièrent pleinement les 
espérances de Piek-i. Non content de pratiquer lui-même, il se 
mit à instruire tous les membres de sa famille et commença à 
prêcher la foi à ses amis et connaissances, avec tout le succès 
que lui assurait l'autorité de son nom, de sa science et de ses 
vertus. Dieu bénit tellement ses efforts, que le district de lang- 
Keun peut, à juste titre, être considéré comme le berceau de la 
religion en Corée. 
Ce fut vers ce temps que Pierre Seng-houn-i, qui avait reçu le 
baptême à Péking, conféra lui-même ce sacrement k Piek-i et à 
Il-sin-i. Le choix des noms de baptême ne se fit pas d'une ma- 
nière indifférente. Ni Piek-i avait commencé l'œuvre de la con- 
version de la Corée : il avait ainsi préparé les voies h la venue du 
Sauveur, Il fut décidé qu'il s'appellerait Jean-Baptiste. Kouen 
îl-sin-i, voulant se consacrer à la prédication de l'Évangile, prit 
pour son patron saint François-Xavier, l'apôtre de l'Orient, afin 
d'en l'aire son modèle et son protecteur. C'est sous ce nom que 
nous le désignerons désormais. 
Ces trois hommes, Pierre, Jean-Baptiste et François-Xavier 
marchaient d'un pas égal dans la noble voie qu'ils s'étaient tra- 
cée, et profitaient de toutes les occasions pour faire briller la 
lumière de la foi aux yeux de leurs compatriotes. Jusqu'alors la 
prédication de l'Évangile s'était faite ouvertement et sans entraves, 
mais déjà il était facile de prévoir que la vérité ne se répandrait pas 
sans combats. Les contradictions commençaient à s'élever. Les 
préjugés bien connus du gouvernement et du peuple coréens fai- 
saient craindre de prochaines violences. Ces prévisions ne décou- 
ragèrent pas nos trois prédicateurs. Ils continuèrent à annoncer 
Jésus-Christ, et la foi lit de grands progrès. Xavier Kouen sur- 
tout, soit par lui-même, soit par ses disciples, obtint des succès 
prodigieux. 
La prédication avait commencé à la capitale, et dans la 
province attenante; mais bientôt la parole de vie fut portée dans 
les autres parties de la Corée. 
Il y avait alors dans la maison de Xavier Kouen un jeune 
homme nommé Ni Tan-ouen-i ou encore Tson-i'siang-i. Il était 
né dans le village de le-sa-ol, au district de T'ien-an, province 
de T'siong-t'sieng, sur les limites de la grande et fertile plaine 
de Naï-po, et appartenait à une honnête famille de cultivateurs. 
Ayant reçu de la nature des talents peu ordinaires, il se livra 
d'abord chez lui à l'étude des lettres, mais bientôt le désir de 
s'instruire plus complètement fit naître dans son esprit la 
pensée d'aller étudier auprès de quelque maître célèbre. Les 
docteurs Kouen étaient alors en grande réputation. Tan-ouen-i 
se rendit auprès d'eux et se fit leur disciple. Xavier Kouen fut 
charmé du bon esprit et des belles qualités de son nouvel élève. 
Il lui donnait ses soins, déjà depuis un certain temps, lorsqu'il 
eut le bonheur de devenir chrétien. Aussitôt, il fit connaître la 
religion à Tan-ouen-i, s'appliquant à lui enseigner non seule- 
ment les principaux articles de la foi, mais surtout les devoirs de 
la vie chrétienne, et la manière de les remplir. Il réussit au delà 
de toute espérance. Ni Tan-ouen-i fut baptisé sous le nom de 
Louis de Gonzague, et reçut de son maître la mission de retour- 
ner dans son pays pour y prêcher à son tour. Il revint donc dans 
sa province, et convertit en très-peu de temps sa famille, ses 
proches, ses amis et une multitude de personnes que sa réputa- 
tion de savoir et de vertu attirait de toutes parts. Ainsi furent 
jetés les premiers fondements de la célèbre chrétienté du Naï-po, 
— 24 - 
qui a toujours été depuis une pépinière de fervents chrétiens et 
d'illustres martyrs. 
A Xavier Kouen devait aussi revenir la gloire d'établir sur des 
bases solides, la chrétienté de la province de Tsien-la, dans la 
partie méridionale du royaume, en convertissant Niou Hang-kem-i, 
qui fut appelé Augustin au baptême. Augustin appartenait à une 
des classes les moins élevées delà noblesse, mais son mérite per- 
sonnel et sa grande fortune lui donnaient beaucoup d'influence. 
Il habitait à T'so-nami , au district de Tsien-tsiou. Ayant 
entendu parler delà nouvelle religion, il fut attiré par la réputa- 
tion des hommes fameux qui l'embrassaient, et voulant examiner 
les choses par lui-même, il vint dans la famille Kouen. A peine 
eut-il connu les principes de la religion chrétienne, que son 
âme droite se rendit, et il voulut commencer de suite à la pra- 
tiquer. De retour chez lui, il instruisit immédiatement sa nom- 
breuse famille, et annonça aussi la bonne nouvelle à ses amis, 
voisins et connaissances. Sa ferveur, son zèle et sa constance 
peuvent le faire regarder comme la pierre angulaire des chré- 
tientés des provinces méridionales. Vers cette même époque. 
PaulTsi T'siong-i, demeurant aussi dans la province de Tsien-la, 
au district de Tsin-sou, reçut la foi par le moyen deKim Pem-ou, 
dont nous parlerons plus tard. 
Dans les pays plus rapprochés de la capitale, nous devons 
signaler la famille Tieng, comme ayant beaucoup contribué à la 
propagation de l'Évangile. Cette famille, depuis longtemps célè- 
bre, était originaire de Na-tsiou, et demeurait alors à Ma-tsai, 
district de Koang-tsiou, province de Kieng-kei. C'est à elle qu'ap- 
partenaient les deux frères Iak-tsien et Iak-iong, qui prirent part 
aux premières conférences de Piek-i. Elle comptait encore plu- 
sieurs autres membres respectés, qui secondèrent admirablement 
à cette époque le mouvement religieux. Il faut aussi mentionner 
la noble famille de Luc Hong, dit Nak-min-i. Les deux frères 
étaient dans les charges publiques. Ils furent tous instruits et 
baptisés, par Pierre Seng-houn-i. 
Dans la classe moyenne, ceux qui travaillèrent le plus à 
répandre la religion, dès le commencement, furent Mathias 
T'soi, Sabas Tsi et Jean T'soi. Mathias T'soi In-kiun-i, d'une 
famille d'interprètes, fut instruit par Piek-i. Sabas Tsi dit 
Tsiang-hong-i, d'une famille de musiciens attachés à la cour, 
se présenta lui-même pour se faire instruire. D'un naturel 
simple, respectueux et diligent, après avoir bien étudié la reli- 
gion, il s'appliqua avec ferveur à aimer Dieu, et son unique désir 
— 25 — 
était de pouvoir mourir pour lui. Aussi s'exposait -il avec joie 
aux dangers, aux privations et aux souffrances. Jean T'soi, dit 
Tsiang-hien-i, et plus connu par son surnom de Koan-t'sien-i, 
appartenait lui aussi à une famille d'interprètes. C'était un 
homme actif et infatigable. Dès qu'il eut embrassé la religion, 
il copia de sa main tous les livres qui en traitaient, et par là, 
rendit d'immenses services. Sa réputation de copiste devint si 
grande, que tous les chrétiens qui désiraient des livres, s'adres- 
saient à lui pour en obtenir. on lui attribue la traduction 
coréenne dn livre chinois intitulé : Explication des Évangiles 
des dimanches et fêtes. 
Pour bien comprendre cette diffusion rapide de la doctrine 
chrétienne, il n'est pas inutile de se rappeler ce que nous avons 
dit dans l'introduction, sur la nature des relations habituelles de 
société dans ce pays. Les appartements des femmes, chez les 
nobles et les riches, se trouvant à l'intérieur et entièrement 
séparés, les rapports entre hommes n'en sont que plus libres et 
plus multipliés. Le devant de chaque maison, où réside habi- 
tuellement le maître, est comme un salon de réception, toujours 
ouvert, où tous, amis ou étrangers, connus ou inconnus, peuvent 
entrer, s'asseoir, boire le thé, fumer, et prendre part à la con- 
versation. Les Coréens, naturellement flâneurs et bavards, sont 
continuellement par voies et par chemins. Ceux qui n'ont rien à 
faire chez eux, vont de salon en salon, en quête de nouvelles. 
S'occupant peu ou point de politique, ils parlent science, littéra- 
ture, se communiquent le résultat de leurs études, comparent 
leurs travaux littéraires, etc. Il est facile d'imaginer combien la 
doctrine chrétienne, si étrange et si nouvelle pour eux, et prêchée 
par des docteurs si renommés, dut frapper la curiosité publique, 
et combien de personnes en parlèrent et en entendirent parler, 
dès son apparition en Corée. 
Outre ceux dont nous avons donné les noms, beaucoup d'au- 
tres néophytes travaillèrent alors à faire briller aux yeux de leurs 
compatriotes la lumière qu'ils avaient reçue. Nous ne pouvons les 
désigner tous ici. Nous n'avons fait connaître que les plus célèbres, 
dont le nom reviendra souvent dans le cours de cette histoire. 
CHAPITRE ÎII 
Premières épreuves. —Rapports de l'Église coréenne avec l'Évêquede Péking. 
Quelques jours avant sa mort, Notre-Seigneur Jésus-Christ a 
dit : « Si le grain de froment tombant en terre, ne meurt pas, il 
demeure seul ; mais s'il meurt, il porte beaucoup de fruit. Celui 
qui aime sa vie, la perdra, et celui qui hait sa vie, la garde pour 
l'éternité. » Ces paroles divines sont vraies pour tous les 
hommes, partout et toujours. La foi de chaque chrétien ne 
s'enracine et ne vit que par la mortification et la souffrance; la 
foi de chaque peuple ne s'enracine, ne grandit, ne se développe, 
qu'arrosée du sang des martyrs. 
La nouvelle Église de Corée allait bientôt en faire l'expé- 
rience. Mais le Dieu miséricordieux qui proportionne l'épreuve à 
notre faiblesse, ne permit tout d'abord qu'un commencement de 
persécution, assez pour avertir les néophytes, et leur montrer ce 
qu'ils devaient attendre, pas assez pour les décourager. Leur 
nombre augmentait tous les jours, mais le nombre et la violence 
de leurs ennemis augmentaient plus rapidement encore. Le roi 
cependant n'avait jusqu'alors pris aucun parti, et l'affaire dont 
nous allons parler semble avoir eu lieu sans sa coopération. 
Au commencement de l'année eul-sa (1785^, un an à peine 
depuis que l'Évangile avait été introduit en Corée, le ministre des 
crimes, Kim Hoa-tsin-i, voulut en arrêter les'progrès par quelque 
coup d'éclat, de nature à jeter la terreur dans les esprits. N'osant 
pas s'attaquer directement aux chefs bien connus des chrétiens, 
il fit saisir et traduire à son tribunal Kim Pem-ou, nommé Tho- 
mas au baptême. 
Thomas, né à la capitale, appartenait à une des principales 
familles d'interprètes. Appliqué aux études et ami de la science, 
il s'était lié avec Ni Piek-i, et c'est par lui qu'il fut instruit de 
la religion en 1784. Piépondant aussitôt à l'appel de la grâce, il 
se mit à pratiquer avec ferveur, instruisit et convertit, non-seule- 
ment sa famille tout entière, mais encore un certain nombre de 
ses amis, surtout dans la classe des interprètes. 
Appelé devant le ministre des crimes, et sommé de renoncer à 
sa religion, Thomas, soutenu par la grâce divine, refusa avec 
— 27 — 
constance d'apostasier. Il fut appliqué à diverses tortures : mais 
il ne fléchit pas un seul instant. Xavier Kouen ayant appris ce 
qui se passait, crut indigne de lui d'abandonner son fidèle core- 
ligionnaire. Accompagné de plusieurs autres chrétiens, il se rendit 
devant le ministre : « Tous, s'écria-t-il courageusement, tous 
« nous professons la même religion que Kim Pem-ou. Nous vou- 
« Ions partager le sort que vous lui réservez. « Le ministre ne 
crut pas prudent d'attaquer des personnages aussi puissants et 
aussi distingués. Il les fit renvoyer, sans les écouter, et n'en 
continua pas moins de persécuter Thomas. Après divers sup- 
plices, dont le détail n'est pas connu, ne pouvant triompher de 
la foi et de la constance du chrétien, il le condamna à l'exil dans 
la ville de Tan-iang, à l'extrémité orientale de la province de 
T'siong-t'sieng. Dans le lieu de son exil, Thomas Kim continua 
cà pratiquer publiquement sa religion. Il faisait à haute voix ses 
prières, et instruisait tous ceux qui voulaient l'entendre. Son 
courage et sa patience ne se démentirent pas un seul instant. 
Il mourut des suites de ses blessures, quelques semaines après 
son arrivée à Tan-iang, selon les uns, ou selon d'autres, deux 
ans plus tard. Telle fut la fin du premier martyr qui, sur la 
terre de Corée, donna sa vie pour Jésus-Christ. 
Cette affaire n'eut pas d'autres suites. Mais elle était suffisante 
pour montrer aux chrétiens qu'il faut non-seulement professer 
l'Évangile de bouche, mais aussi être prêt, le cas échéant, à 
signer de son sang sa profession de foi. Aussitôt la terreur se 
repandit, surtout à la capitale et dans les environs. Le T'ai- 
hak-saing (savant précepteur du roi) nommé Tsieng-siouk-i, fit 
pubber alors une circulaire violente contre les chrétiens, enga- 
geant leurs parents et amis à rompre ouvertement et complète- 
ment avec eux. Ce document, daté de la troisième lune, 1785, 
est la première pièce publique connue, qui attaque officiellement 
le christianisme. Plusieurs familles firent tous leurs efforts, par 
prières et par menaces, pour obtenir l'apostasie de ceux de leurs 
membres qui avaient embrassé la religion. Il y eut alors de glo- 
rieuses confessions, mais il y eut aussi des défections déplora- 
bles, même parmi ceux qui semblaient être les colonnes de la 
nouvelle Église. Pierre Seng-houn-i et Jean-Baptiste Piek-i, 
étaient désignés par la voix publique, comme les principaux 
chefs et fauteurs du christianisme ; aussi, ceux de leurs parents 
qui n'avaient pas embrassé la foi , épouvantés du supplice de 
Thomas Pem-ou, mirent tout en œuvre pour les faire renoncer 
à une religion qui allait attirer des malheurs sur eux et 
— 28 — 
sur leur famille. Ils ne réussirent que trop, dans leur funeste 
dessein. 
Le frère cadet de Seng-houn-i, appelé Tsi-houn-i, témoignait 
surtout une haine violente contre la religion. Il employa tous les 
moyens pour décourager son aîné et le faire changer de résolu- 
tion. Poussé à bout par ces persécutions domestiques qui se renou- 
velaient tous les jours, Seng-houn-i finit par céder. Il briila ses 
livres de religion et fit un écrit pour se justifier devant le public 
d'avoir été chrétien. 
Le père de Piek-i , homme d'un naturel emporté, n'avait 
jamais voulu entendre parler de la nouvelle doctrine. 11 fit des 
efforts inouïs pour arracher la foi du cœur de son fils. Ne pou- 
vant y réussir, il tomba dans le désespoir, et, un jour, se passa 
une corde autour du cou pour se donner la mort. Piek-i, ébranlé 
à la vue de semblables scènes, sentait son courage faiblir. Tou- 
tefois, il ne se rendait pas encore. Un chrétien, indigne de ce 
nom, vint près de lui pour achever de le perdre. Il y employa 
toutes les ruses, tous les mensonges Imaginables, jusqu'à ce 
qu'enfin, fatigué de vexations, trompé par l'apostat, troublé par 
la vue et par les paroles de son père au désespoir, Piek-i céda. 
Reculant devant une apostasie manifeste, il usa de mots à double 
sens pour dissimuler sa foi. Son cœur avait défailli; Dieu n'y 
avait plus la première place, et Dieu le rejetait, car il est écrit : 
celui qui aime son père ou sa mère plus que moi, n'est pas 
digne de moi. Depuis ce temps, circonvenu par ses proches et 
ses amis païens, il ne put avoir aucun rapport avec les chré- 
tiens. Les relations coréennes racontent qu'il fut horriblement 
persécuté par les remords. Il devint morne, silencieux, mélan- 
colique. Jour et nuit il versait des larmes, et souvent on l'en- 
tendait pousser des gémissements douloureux. Il ne pouvait plus 
se livrer au sommeil, il ne se dépouillait même plus de ses habits. 
S'il mangeait, c'était sans appétit, sans goiit et sans profit pour 
son cor])s. Peu à peu cependant, les agitations de sa conscience 
se calmèrent ; les derniers efforts de la grâce se faisaient à peine 
sentir. Sa santé se rétablit, et on dit même que le désir des 
dignités pénétra dans son cœur. Quoi qu'il en soit, il n'eut le 
temps d'en posséder aucune. Au printemps de l'année pin-go 
(1 786), il tomba malade de la peste qui sévissait alors (le io-ping 
des Chinois, espèce de typhus), et mourut h l'âge de trente-trois 
ans, après huit jours de maladie. Il a été impossible de savoir 
d'une manière certaine comment se passèrent ses derniers mo- 
ments. on prétend que des chrétiens purent parvenir jusqu'à lui, 
— 29 — 
pour rexhorter au regret de son crime, mais cette tradition 
n'est appuyée sur aucun document authentique. 
Espérons néanmoins que Dieu aura fait miséricorde à celui 
dont le zèle et les grandes qualités ont tant servi à introduire et 
propager TÈvangile en Corée, et qu'à l'instant suprême, il lui 
aura accordé la grâce du repentir. 
Cependant la foi du petit troupeau, ébranlée un instant, 
n'était point anéantie. Si la chrétienté était dans le deuil à l'oc- 
casion de l'apostasie de quelques-uns de ses membres, elle était 
en même temps consolée par la constance du plus grand nombre 
au milieu des persécutions domestiques, souvent plus difficiles à 
supporter que celles des juges et des bourreaux. Les conversions 
se multipliaient. Louis de Gonzague Tan-ouen-i, le disciple de 
Xavier Kouen, continuait à prêcher l'Évangile dans la plaine du 
Naï-po. Ses grands talents, joints à un don particulier de captiver 
les âmes, lui attiraient chaque jour de nouveaux auditeurs, et 
bien peu résistaient à ses prédications. Aussi le nombre des 
chrétiens augmentait considérablement dans cette province. Ce 
n'étaient plus seulement des familles de nobles et de lettrés qui 
embrassaient la foi ; les cultivateurs, les hommes de labeur, les 
gens du bas peuple, les pauvres, recevaient, eux aussi, le don de 
Jésus-Christ. Ils arrivaient de loin, en foule, pour entendre la 
bonne nouvelle, et demeuraient souvent plusieurs jours, nourris 
et logés par les chrétiens. Un de ces derniers, nommé Ouen 
Tong-tsi, qui plus tard reçut la couronne du martyre, est resté 
célèbre pour sa généreuse hospitalité. Il recueillait et traitait 
chez lui un grand nombre des auditeurs de Louis de Gonzague, 
et c'est alors que prit naissance ce dicton populaire : « on va 
« chercher la science dans la maison de Ni Tan-ouen-i comme 
« on va chercher la nourriture dans celle de Ouen Tong-tsi. 
De son côté, François-Xavier Kouen, qui s'occupait toujours 
très-activement à la prédication, sentit le besoin de se retirer 
quelque temps dans la solitude. Il avait compris à l'école del'Es- 
prit-Saint qui fut en cela son seul maître, qu'avant tout il faut se 
sanctifier soi-même, si l'on veut être utile aux autres. Dans ce 
but, il forma la résolution de faire une retraite spirituelle en 
règle, et pour exécuter plus facilement son dessein, il quitta 
momentanément sa famille, et se retira secrètement dans une 
pagode déserte située dans les montagnes Liong-Moun-Son. Un 
seul de ses amis, Justin T'sio, dit Tong-seum-i, l'accompagnait. 
Arrivés dans la pagode, ils convinrent de ne pas se dire un seul 
mot, pendant tout le temps de la retraite. Ils y passèrent huit 
— 30 — 
jours entiers, uniquement occupés aux exercices spirituels que 
leur suggéra le désir d'imiter Notre-Seigneur et ses saints. Une 
pratique si conforme au véritable esprit du Christianisme leur 
obtint certainement de Dieu des grâces abondantes pour eux et 
pour ceux qu'ils instruisirent après leur retraite. L'année sui- 
vante, tieng-mi (1787), les clameurs contre la religion se cal- 
mèrent peu à peu, les contradictions furent moins vives, et plu- 
sieurs de ceux qui avaient cédé à l'orage, manifestèrent leur 
repentir. Pierre Ni Seng-houn-i, entre autres, qui avait succombé 
par faiblesse, revint de nouveau trouver François-Xavier Kouen 
et les frères Tieng, Iak-iong et Iak-tsien. Ceux-ci le reçurent 
à bras ouverts. 
C'est vers cette époque que, pour favoriser la propagation de 
l'Évangile, et confirmer dans la foi les néophytes, François- 
Xavier Kouen, Pierre Ni, les frères Tieng et autres chrétiens 
influents formèrent le dessein d'établir entre eux la hiérarchie 
sacrée. Cette pensée, quelque étrange qu'elle semble, était néan- 
moins bien naturelle. N'ayant pas le bonheur, comme les chré- 
tiens de Chine leurs modèles, de posséder des pasteurs venus de 
l'Occident, les chrétiens de Corée comprenaient cependant très- 
bien qu'une église ne peut pas subsister sans chef. Dans leur 
ignorance sur la nature du sacerdoce, sur sa transmission par 
unechaîne non interrompue qui remonte jusqu'au souverain Prêtre 
Jésus-Christ, ils crurent ne pouvoir rien faire de mieux que de 
se créer à eux-mêmes, des évêques et des prêtres. 
Pierre Seng-houn-i avait vu à Péking la hiérarchie catholique 
en action : l'évèque, les prêtres et les autres clercs inférieurs. Il 
avait assisté aux saints mystères dans l'église de cette ville. Les 
sacrements avaient été administrés en sa présence. Il rappela 
tous ses souvenirs, et à l'aide des diverses explications qui se 
trouvent dans les livres liturgiques ou dogmatiques à l'usage des 
chrétiens, on arrêta un système complet d'organisation, et on 
procéda de suite à l'élection des pasteurs. 
François-Xavier Kouen, que sa position, sa science et sa vertu 
mettaient au premier rang, fut nommé évoque. Pierre Ni Seng- 
houn-i, Louis de Gonzague Ni Tan-ouen-i, Augustin Niou, Jean 
T'soi Tsiang-hien-i et plusieurs autres, furent élus prêtres. on 
ignore s'il y eut quelque cérémonie, ressemblant h une consé- 
cration ou ordination. Chacun se rendit immédiatement à son 
poste, et ils commencèrent une sorte d'administration des chré- 
tiens, prêchant, baptisant, confessant, donnant la confirmation, 
célébrant les saints mvstères, et distribuant la communion aux 
— 31 — 
fidèles. Ces sacrements sont les seuls que nous (rouvioiis men- 
tionnés dans les mémoires du temps. Le baptême donné par ces 
pasteurs était évidemment valide, et conférait la grâce de la régé- 
nération. Les autres sacrements qu'ils administraient étaient évi- 
demment nuls. Néanmoins, il est certain que leur ministère 
réchauffa partout la ferveur, et donna un nouvel élan à la propa- 
gation de la foi dans tout le royaume. on parle encore de Ten- 
thousiasme des chrétiens, de leur sainte ardeur pour assister aux 
cérémonies et pour recevoir les sacrements. La grand'mère du 
célèbre martyr André Rim, le premier prêtre indigène de la 
Corée, a raconté que Louis de Gonzague Ni, son oncle, par qui 
elle avait été baptisée, se servait d'un calice d'or pour célébrer le 
sacrifice. Les ornements sacrés étaient confectionnés avec de 
riches soieries de Chine. Ils n'avaient pas la forme de nos cha- 
subles, mais ils étaient semblables à ceux dont les Coréens font 
usage dans leurs sacrifices. Les prêtres portaient le bonnet usité 
en Chine, dans les cérémonies du culte catholique. Pour entendre 
les confessions des fidèles, ils se plaçaient sur un siège élevé sur 
une estrade, et les pénitents se tenaient debout devant eux. Les 
pénitences ordinaires étaient des aumônes, et pour les fautes les 
plus graves, le prêtre frappait lui-même le coupable sur les 
jambes avec une verge. Accoutumés, selon les lois de l'étiquette 
coréenne, à fuir la vue des femmes de condition, les prêtres refu- 
sèrent d'abord de les confesser; mais les instances furent si vives 
qu'il fallut y consentir. Ils ne faisaient pas la visite des chrétientés, 
mais on venait auprès d'eux leur demander les sacrements. Ils 
voyageaient à pied, et s'excitaient toujours à éviter le faste et 
l'orgueil. 
A la capitale, Jean T'soi Koan-t'sien-i loua une maison pour 
l'administration des sacrements. Plein d'activité et doué d'une 
grande pénétration d'esprit, il réglait toutes les affaires, recevant 
les prêtres et préparant les chrétiens. Jour et nuit, il était occupé 
à ce ministère, sans redouter ni les embarras ni les fatigues; il 
était comme le catéchiste général de la chrétienté. Son père, 
quoique ne pratiquant pas la religion, était loin de s'opposer aux 
nombreuses réunions qui se faisaient chez lui ; il les protégeait, 
au contraire, de tout son pouvoir. 
Ce clergé coréen improvisé continua ainsi ses fonctions pen- 
dant près de deux ans, avec de grands succès et dans une par- 
faite bonne foi. Mais en l'année kei-iou (1789), certains passages 
des livres de religion, examinés plus minutieusement, firent 
naître dans l'esprit des prêtres et de l'évêque des doutes sérieux 
— 32 — 
sur la validité de leur élection et de leur ministère. Ils conclurent 
qu'il fallait de suite renoncer à toute administration comme à 
une entreprise téméraire, et prirent la résolution d'écrire à 
révêque de Pékin pour le consulter à ce sujet. Après s'être ainsi 
avancés devant toute la chrétienté, il dut leur en coiiter beau- 
coup, pour abandonner immédiatement leur position, au risque 
de s'exposer à la risée publique. Mais leurs intentions étaient 
droites, leur foi sincère, et ils ne voulurent, sous aucun prétexte, 
s'exposer à profaner les choses saintes. Ils reprirent donc immé- 
diatement leur place parmi les simples fidèles, et ne s'occupèrent 
plus qu'à instruire les nouveaux chrétiens, et à prêcher la foi 
aux Gentils. 
La lettre consultative à l'évêque de Péking ayant été rédigée 
par Pierre Seng-houn-i et François-Xavier Rouen, on rechercha 
les moyens de la faire parvenir sûrement. L'ambassade annuelle 
offrait une occasion naturelle. Mais il fallait trouver un homme 
capable et dévoué qui voulût accepter la périlleuse mission d'éta- 
blir des relations nécessairement secrètes, avec l'Église de Chine. 
Il n'y avait pas de chrétien dans l'ambassade : il fallait y en faire 
entrer un à l'insu des païens. on jeta les yeux sur le catéchumène 
Paul loun lou-ir-i, pour ce rôle important. Paul loun descen- 
dait d'une famille noble du district de Nie-liiou. 11 avait été 
disciple des Rouen, et François-Xavier l'avait instruit des vérités 
de la religion. Son caractère doux et affable et sa grande 
discrétion le rendaient propre à l'entreprise projetée. Il accepta 
la mission qu'on lui confiait, se chargea de la lettre à l'évêque, 
et déguisé en marchand, partit pour Péking à la dixième lune 
de cette même année 1789. 
La route de Séoul à Péking est de trois mille lys, plus de trois 
cents lieues. Ce long voyage, fait pendant l'hiver, dans un pays 
étranger, est très-pénible et offre des dangers véritables. Il n'est 
pas rare de voir plusieurs personnes de l'ambassade succomber 
à la suite de maladies contractées en route. Les fatigues ordi- 
naires étaient bien plus grandes encore pour Paul qui, appliqué 
dès l'enfance à l'étude, et habitué à une vie sédentaire, n'avait 
aucune expérience des voyages, et se trouvait isolé au milieu de 
compagnons inconnus, sans aucun appui humain. Il dut cepen- 
dant faire la route à pied, comme tous ceux dont il simulait la 
profession, et enfin, malgré mille difficultés, soutenu qu'il était 
par la grâce toute-puissante de Dieu, il arriva heureusement à 
Péking. Il se rendit aussitôt auprès de l'évêque, lui remit la 
lettre dont il#était porteur, et lui raconta dans le plus grand 
— 33 — 
détail tout ce qui s'était passé en Corée, les joies el les tribula- 
tions de la clirétienté naissante. L'arrivée inattendue de Paul 
causa une joie bien vive dans l'église de Péking. La préseuce de 
ce chrétien, venu d'un royaume où jamais aucun prêtre n'avait 
prêché le nom de Jésus-Clirist, et expliquant de (pielle manière 
admirable la foi s'y était propagée, fut le plus doux des spec- 
tacles pour les missionnaires et surtout pour ï'évêque, Mgr Govea, 
qui se hâta d'écrire une lettre pastorale à ces nouvelles ouailles 
que Dieu lui donnait. 
Au printemps de l'année kieng-sioul (^1790), Paul reprit à la 
suite de l'ambassade la roule de sa patrie. Il avait reçu à Péking 
les sacrements de Baptême, d'Eucharistie et de Confirmation (1). 
Fortifié par ces secours célestes, il sut se tirer adroitement de 
tous les mauvais pas, passa la frontière sans exciter de soupçon 
et revint à la capitale, sans s'être attiré aucune fâcheuse affaire. 
La réponse de Ï'évêque était écrite sur une pièce de soie, afin 
que Paul put la cacher plus aisément dans ses habits, et l'intro- 
duire en Corée d'une manière plus sûre et plus facile. Elle était 
adressée à Pierre Ni et <à Xavier Kouen. Le prélat commençait 
par exhorter les néophytes à rendre d'immortelles actions de 
grâces au Dieu très-bon et très-grand, pour l'inestimable bienfait 
de la vocation à la foi. Il les excitait à la persévérance et à l'em- 
ploi des moyens nécessaires pour conserver la grâce de l'Évan- 
gile. Venait ensuite une exposition abrégée des dogmes et de la 
morale chrétienne. Pierre et François-Xavier étaient repris pour 
s'être ingérés témérairement dans le ministère sacerdotal. L'évê- 
que leur expliquait qu'ils ne pouvaient nullement célébrer les 
saints mystères et administrer les sacrements ,à l'exception du 
baptême, parce qu'ils n'avaient pas reçu le sacrement de l'Ordre ; 
mais qu'ils élisaient une action très-agréable à Dieu en instrui- 
sant et encourageant les chrétiens, et en convertissant les infi- 
dèles. Il les exhortait à persévérer dans cette conduite. 
Cette réponse, attendue si longtemps, ne laissait plus aucun 
doute. Elle fut reçue avec une entière soumission, et chacun se 
félicita de la prudence qu'on avait eue d'interrompre les fonc- 
tions du saint ministère. 
Cependant, les chrétiens coréens avaient un grand désir de 
(1) Paul fut baptisé à Pélving par M. Raux, supérieur des missionnaires 
Lazaristes français enCliinc, le 5 février 1790. Le frère Pansi fut son parrain, 
et peignit son portrait que l'on envoya à Saint-Lazare. — Nouv. lettres édif., 
tome V, p. 321. — Ce frère, horloger et mécanicien habile, est nommé Paris 
dans d'autres documents. — Ann. de la Prop. de la Foi, tome X, p. 127. 
— 34 — 
recevoir les sacrements. Enflammés par les récits de Paul loun 
qui leur parlait de églises qu'il avait vues à Péking, des mis- 
sionnaires européens venus des extrémités de la terre pour pro- 
pager rÉvangile, des entretiens qu'il avait eus avec eux et des 
sacrements qu'il avait reçus, ils résolurent denvoyer une nou- 
velle lettre à Tévêque de Péking, pour le supplier instamment de 
leur envoyer des prêtres qui pussent les instruire par la prédi- 
cation, et les fortifier par l'administration des sacrements. L'oc- 
casion était favorable. Une ambassade extraordinaire allait partir 
pour féliciter Tempereur Kien-long, qui célébrait, au mois de 
septembre 1790, la quatre-vingtième année de son âge. Paul 
loun reprit donc le chemin de la Chine. Il était accompagné, 
dans ce second voyage, par un catéchumène nommé Ou, officier 
du roi de Corée, chargé par ce prince de faire quelques em- 
piètes à Péking. Nos deux députés arrivèrent sans accident, et 
remirent à l'évêque la lettre de leurs compatriotes. 
Outre les instantes prières des néophytes pour obtenir un 
pasteur, cette lettre contenait aussi plusieurs questions sur les 
contrats de leur pays, sur les superstitions, sur le culte des 
ancêtres, et sur quelques autres points difficiles. Après avoir pris 
sur des matières de cette importance l'avis de missionnaires 
savants et zélés, Tévéque répondit aux questions des Coréens, 
leur promit de leur envoyer un prêtre, et leur fit connaître à 
quelle époque et de quelle manière ce prêtre se présenterait à 
la frontière, afin qu'ils pussent préparer et faciliter son entrée. 
Le catéchumène Ou fut baptisé, et reçut le nom de Jean-Bap- 
tiste. on lui remit un calice, un missel, une pierre sacrée, des 
ornements, et tout ce qui était nécessaire pour la célébration du 
saint sacrifice. Ou lui apprit aussi à faire du vin avec des raisins, 
afin que tout fût prêt, à l'arrivée du missionnaire. 
Paul et Jean-Baptiste repartirent de Péking au mois d'octobre. 
Ils arrivèrent heureusement dans leur pays, et rendirent la lettre 
de l'évêque et les objets qui leur avaient été confiés. L'Église 
naissante tressaillit de joie, dans l'espérance de posséder bientôt 
un prêtre, mais la décision sur les superstitions et le culte des 
ancêtres fut, pour plusieurs, une pierre de scandale et une cause 
d'apostasie. 
Jusqu'alors les néophytes coréens, assidus aux observances 
chrétiennes qu'ils connaissaient, n'en avaient pas moins continué 
le culte superstitieux rendu aux parents défunts. L'ignorance et 
la bonne foi pouvaient les excuser, mais dès ce moment toute 
participation à de semblables pratiques, sacrifices, cérémonies. 
— 35 — 
prostrations, etc., devenait impossible. L'Église leur déclarait 
parla bouche de l'évêque de Péking que le culte des ancêtres est 
contraire au culte de Dieu. Cette déclaration, rendue publique, 
devait blesser à la prunelle de l'œil toutes les classes de la popu- 
lation, car en Corée, la religion des lettrés ou le culte des ancê- 
tres, est la religion de l'État. Toute infraction à ce culte est 
reçue avec une violente répulsion par l'opinion publique dans 
le pays tout entier, et l'omission des cérémonies re(iuises sévè- 
rement punie. Ces usages traditionnels, dont l'origine remonte 
très-haut, et qui ont été transmis fidèlement de génération en 
génération, sont aux yeux de tous la base de la société, le 
fondement de l'État, le point d'appui de tous les rapports 
naturels; et malheur à celui qui a l'audace de les attaquer, 
même en paroles! Il était dès lors facile de prévoir l'orage qui 
allait éclater, et le parti que les ennemis des chrétiens allaient 
tirer de leur conduite pour détruire et anéantir l'Église nais- 
sante. 
Quelques chrétiens faibles en furent épouvantés, et cessèrent, 
dès ce jour, de pratiquer la religion. Parmi eux, nous avons la 
douleur de compter Pierre Ni Seng-houn-i, que la crainte avait 
déjà fait tomber d'une manière si déplorable quelques années 
auparavant. Il se retira chez lui et n'eut plus aucun rapport 
avec les chrétiens. Bien plus, cédant à l'ambition des dignités, 
il obtint successivement divers emplois publics, ce qui, en ce 
pays comme en Chine, entraîne nécessairement une participa- 
tion fréquente au culte idolâtrique. Désormais, nous ne le ver- 
rons plus paraître que de loin en loin, poursuivi, malgré sa 
défection, par le mépris des païens eux-mêmes, et ne pou- 
vant parvenir à se laver auprès d'eux du crime d'avoir intro- 
duit la religion en Corée. C'est là, aux yeux des gentils, une 
espèce de péché originel qu'ils reprochent encore aujourd'hui à 
ses descendants. Malgré cette seconde chute d'un chef influent, 
la foi des néophytes ne paraît pas avoir été ébranlée, et le très- 
grand nombre, soumis d'esprit et de cœur à la décision de 
l'Église, continua à pratiquer avec ferveur, et renonça à tous les 
actes superstitieux. 
Xavier Kouen, resté seul des trois premiers fondateurs de la 
chrétienté, redoubla de zèle pour raffermir, diriger et augmenter 
le petit troupeau. Il fut en cela merveilleusement secondé par 
Jean T'soi, surnommé Koan-tsien-i, âgé alors de trente et quel- 
ques années. De leur côté, Louis de Gonzague au Naï-po, et 
Augustin Niou Hang-kem-i dans la province de Tsien-la, ne se 
— 36 — 
découragèrent point, et continuèrent à travailler de toutes leurs 
forces au progrès de l'Évangile. 
C'est dans cette année (1790) qu'eut lieu la conversion de 
T'soi Pil-kong-i, appelé Thomas au baptême. Thomas T'soi était 
né à la capitale, du ne famille de la classe moyenne. Ses ancêtres 
avaient élé employés comme médecins par le gouvernement ; 
mais à cette époque T'soi était réduit à une grande pauvreté, 
parce qu'il n'avait aucun protecteur pour obtenir un emploi. 
Son indigence l'avait même empêché de se marier. La franchise 
et la générosité faisaient le fond de son caractère, aussi em- 
brassa-t-il la religion aussitôt qu'il en entendit parler. Dès le 
premier jour de sa conversion il montra une grande ferveur, ne 
pensant qu'aux choses spirituelles, et oubliant même de subve- 
nir aux nécessités du corps. Ce saint enthousiasme ne .se refroidit 
point avec le temps. Inaccessible à la crainte, il ne cessait de 
prêcher publiquement le christianisme, et il lui arrivait quel- 
quefois de s'arrêter dans les rues, au milieu de la foule, et de 
s'écrier à haute voix : « Il faut nécessairement servir le grand 
« Roi du ciel et de la terre. Comment ne pas servir le grand sei- 
« gneur de toutes choses? » Aussi, quoiqu'il fût nouveau chré- 
tien, il fut bientôt connu partout comme un des plus fervents. 
Cette conversion, et un certain nombre d'autres sur les- 
quelles nous n'avons malheureusement pas de détails, servirent 
beaucoup à ranimer le courage des chrétiens de Corée, et à les 
fortifier d'avance contre la perséculion qui ne pouvait tarder 
d'éclater. 
CHAPITRE IV 
Persécution de 1791. — Martyre de Paul loun ei de Jacques Koucn. 
Après le martyre de Thomas Kim Pem-ou, les clameurs des 
ennemis de la religion s'étaient un peu calmées, mais leur haine 
n'était pas éteinte. Ils tramaient toujours de nouveaux complots 
pour perdre les chrétiens, et ils ne préparaient leurs batteries 
dans le secret que pour les rendre plus formidables. Deux hom- 
mes surtout se montraient les adversaires acharnés de l'Évan- 
gile. C'étaient Hong Nak-an-i et Ni Kei-kieng-i. Le premier 
avait, en 1787 et 1788, publié des lettres violentes contre les 
chrétiens, et adressé une supplique au roi, pour obtenir un édit 
de persécution. Le second, ami de Pierre Seng-houn i et son 
compagnon d'études, avait d'abord fait cause commune avec les 
fidèles, mais s'était bientôt retiré, et, en 1788, était allé gros- 
sir le parti de Hong Nak-an-i. Appliqués sans cesse à rechercher 
tout ce qui pouvait favoriser leur projet, ces deux individus 
épiaient la conduite et les paroles des chrétiens, et n'attendaient 
qu'une occasion favorable pour exciter une persécution contre 
eux. Cette occasion se présenta dans l'année sin-haï (1791), 
lorsque, à la mort de la mère de loun Tsi-t'siong-i, ce chrétien 
refusa de faire les sacrifices accoutumés. 
Paul loun Tsi-t'siong-i, appelé encore Ou-iong-i, descendait 
d'une famille noble originaire de l'île de Hainam. Ses ancêtres 
avaient souvent occupé des places distinguées, et plusieurs 
d'entre eux s'étaient fait un nom dans les lettres. Son père, 
après s'être livré avec succès h l'étude de la médecine, était venu 
s'établir au village de Tsang-kou-tong, district de Tsin-san, 
province de Tsien-la. C'est la que naquit Paul loun en l'année 
kei-mio (1759\ Dès l'enfance, il se fit remarquer par son intelli- 
gence et sa bonne conduite. Il acquit rapidement une réputation 
de science, qui grandit encore, lorsqu'en l'année kiei-mio (1783), 
à l'âge de vingt-cinq ans, il obtint aux examens publics le grade 
appelé tsin-sa (licencié). Pendant l'hiver de l'année suivante, 
ayant fait un voyage à la capitale, il trouva chez Thomas Kim 
Pem-ou, deux livres de religion qu'il emporta et dont il prit 
copie : mais il ne pratiquait pas encore. Ce ne fut qu'environ 
— 38 — 
trois ans après, qu'instruit par son cousin germain Tieng lak- 
tsien, sur tout Fensemble delà religion chrétienne, il l'embrassa 
définitivement et se mit avec ferveur à en remplir les devoirs. 
Lorsqu'on commença à persécuter les chrétiens, il brûla, par 
crainte, une partie de ses livres, mais n'en continua pas moins à 
pratiquer la religion en secret. on ne voit pas qu'il ait eu beau- 
coup de relations publiques avec les chrétiens, ni qu'il ait tra- 
vaillé à la conversion des infidèles. La lettre de Tévêque de 
Péking défendant les sacrifices et autres superstitions en l'hon- 
neur des parents défunts, n'ébranla pas son courage. Il obéit 
sur-le-champ, et brûla les tablettes, qui, selon la coutume du 
pays, étaient conservées dans sa famille. Sur ces entrefaites, 
dans l'été de l'année sin-haï (1791), sa mère, nommée Rouen, 
vint h mourir. 
La position était délicate. La nouvelle de cette mort allait atti- 
rer chez Paul ses parents et amis, pour lui faire leurs compliments 
de condoléance et pour assister aux sacrifices. Il devait violer sa 
foi et renier son Dieu au moins extérieurement, ou bien être prêt 
à affronter les reproches, les injures et les malédictions. Son 
âme noble et droite ne balança pas sur le parti à prendre. Il 
revêtit l'habit de deuil, pleura sincèrement sa mère, et fit tout 
ce que peut suggérer, en pareille circonstance, une piété filiale 
éclairée et bien" entendue. Rien ne manquait à ce qu'exigent 
l'amour d'un fils pour sa mère et les convenances extérieures, 
seulement il n'y avait pas eu de sacrifices. Aussitôt les mur- 
mures éclatèrent. on ne parla plus que de cet attentat jusqu'alors 
inouï, surtout de la part d'un enfant noble. La nouvelle s'en 
répandit au loin, et bientôt, signalé comme impie par tout ce 
qu'il avait de plus cher, montré au doigt par ses voisins comme 
un homme qui a renié tous les sentiments de la nature, injurié, 
menacé d'être traduit comme rebelle à son roi, Paul se trouva 
à peu près mis au ban de la société. 
Mais rien ne put vaincre cette âme généreuse. Paul avait 
pour soutien sa conscience calme qui ne lui reprochait aucun 
crime. Il avait l'exemple du divin Sauveur, qui a été poursuivi 
le premier, par les injures et les calomnies. Il avait surtout la 
grâce de son Dieu, grâce d'autant plus forte que l'épreuve était 
plus terrible, et il persista dans sa courageuse profession de foi. 
Cette nouvelle parvint aux oreilles de Hong Nak-an-i, et nulle 
autre ne pouvait lui être plus agréable. Il adressa aussitôt une 
pétition au premier ministre T'sai , tout-puissant alors, ne 
demandant rien moins que la peine capitale contre Paul. En 
— 39 — 
même temps il écrivit au mandarin du district de Tsin-san, 
nommé Sin Sa-oucn-i, pour le presser de faire des perquisitions 
et d'arrêter le coupable. 11 parait que le ministre, de son côté, 
donna des ordres analogues au gouverneur de la province. Le 
mandarin de Tsin-san se rendit donc chez Paul. Une visite 
domiciliaire chez un noble est, en Corée, une expédition très- 
délicate et souvent dangereuse , mais le mandarin était trop 
bien renseigné pour avoir rien à craindre. Il fut cependant un 
peu interdit en trouvant dans la maison de Paul, la boîte em- 
ployée dans le pays pour enfermer les tablettes. La boîte fut 
ouverte, et se trouva vide (1). Aussitôt Sa-ouen-i donna l'ordre 
d'arrêter Paul loun Tsi-t'siong-i et son cousin Jacques Kouen- 
Siang-ien-i (2), l'un fils, l'autre neveu de la défunte. Comme ils 
s'étaient retirés l'un à Koang-tsiou et l'autre h Han-sou, proba- 
blement d'après quelque avis secret de l'arrivée du mandarin, 
celui-ci emmena prisonnier, comme caution, l'oncle de Paul. 
Jacques Kouen Siang-ien-i que nous venons de nommer, appar- 
tenait à une famille originaire d'An-tong, dans la province de 
Kieng-siang, mais établie depuis quelqne temps dans le district de 
Kong-tsiou. Sans être de la première noblesse, elle comptait 
cependant parmi ses membres quelques personnages distingués. 
Kouen se livrait à l'étude des lettres et de la morale, lorsqu'il fut 
instruit de la religion par son cousin Paul. Il l'embrassa de suite, 
et ne cessa plus de la pratiquer fidèlement. A la mort de sa 
tante, mère de Paul, il imita la courageuse conduite de son cou- 
sin. Comme lui, il ne fit aucun sacrifice. Il supporta avec lui les 
reproches et les injures de ses parents et amis, et fut enveloppé 
dans sa disgrâce, ou plutôt, partagea son bonheur. 
Dès qu'ils connurent le mandat d'arrêt lancé contre eux, et 
l'arrestation de l'oncle de Paul, ils partirent de compagnie, pour 
se livrer eux-mêmes entre les mains du mandarin Sin Sa-ouen-i, 
et faisant route nuit et jour, arrivèrent à la préfecture de Tsin- 
san le soir du vingt-sixième jour de la onzième lune de l'année 
sin-haï (1791). Les interrogatoires commencèrent de suite. Les 
voici, tels qu'ils nous ont été racontés par Paul lui-même, dans 
des notes qu'il écrivit en chinois, et qui furent plus tard tra- 
(1) II est striclement défendu aux chrétiens de conserver et d'exposer à la 
vue cette boîte de tabletles, même quand elle est vide. Mais, h celte époque, 
le plus grand nombre des néophytes ne connaissaient pas bien cette prohi- 
bition, et, les tablettes une fois détruites, ne voyaient aucun inconvénient à 
laisser la boîte a sa place habituelle. 
(2) Quelques relations donnent à ce dernier le nom de Jean. Mais il nous 
semble certain qu'il avait été appelé Jacques au baptême. 
— 40 - 
duites en coréen. Nous reproduisons intégralement ces documents 
parce qu'ils sont les premiers de ce genre qui nous aient été 
conservés, et parce qu'ils feront comprendre, mieux que toute 
explication, les idées du peuple coréen sur le culte des ancêtres, 
et ses terribles préjugés contre la religion chrétienne. 
« Vers le soir du vingt sixième jour de la dixième lune (1791), 
j'arrivai à la préfecture de Tsin-san, et aussitôt après le souper 
je fus cité devant le mandarin. — En quel état te vois-je, s'écria- 
t-il, et comment en es-tu arrivé là? — Je ne comprends pas très- 
bien ce que vous me demandez, lui répondis-je. — Je dis qu'il 
circule contre toi des bruits très-graves. Se pourrait-il qu'ils 
soient fondés? Est-il vrai que tu sois perdu dans des supersti- 
tions? — Je ne suis nullement perdu dans des superstitions; 
seulement, il est vrai que je professe la religion du Maître du ciel. 
— Et n'est-ce pas là une superstition? — Non, c'est la véritable 
voie. —S'il en est ainsi, tout ce qui s'est pratiqué depuis Pok-hei 
jusqu'aux grands hommes de la dynastie Siong, tout est donc 
mensonge? — Dans notre religion, parmi les commandements, se 
trouve celui qui nous défend de juger et de condamner autrui. 
Pour moi, je me contente de suivre la religion du Maître du ciel, 
sans songer ni à critiquer personne, ni à faire des comparaisons. 
— Tu refuses d'offrir des sacrifices aux ancêtres ; mais l'ani- 
mal Sei-rang ne fait-il pas lui-même preuve de reconnaissance 
envers les auteurs de ses jours! Certains oiseaux savent aussi 
faire les sacrifices; à plus forte raison, l'homme doit-il en agir 
ainsi (1}. N'as-tu pas lu le passage des livres de Confucius où il est 
dit : Celui qui, pendant la vie de ses parents, les a servis selon 
toutes les règles, qui, après leur mort, a fait leurs funérailles 
selon toutes les règles, enfin offert les sacrifices selon les rites 
prescrits, celui-là seulement peut dire qu'il a de la piété 
filiale. — Tout cela, répondis-je, n'est pas écrit dans la religion 
chrétienne. — Alors, le mandarin citant d'autres passages des 
livres sacrées de Confucius, m'exhorta vivement à changer de con- 
duite, et me dit en soupirant : — Quel dommage ! Depuis tant de 
générations la renommée de ta famille est allée en grandissant 
jusqu'à toi; la voilà entièrement ruinée. Tu avais toi-même la 
réputation d'un lettré plein de talent ; mais ton esprit manquant 
de maturité et de réflexion, tu en es venu au point d'abandonner 
le culte de tes pères. Si j'avais su plus tôt que tu agissais ainsi, je 
serais allé de suite t'exhorler, te faire ouvrir les yeux, et je t'aurais 
vl)Ancien proverbe'corcen fondé sans doute sur quelque histoire fabuleuse. 
— 41 — 
empêché d'arriver à celte extrémité. Cependant, tout n'est pas 
perdu. Il y a eu, par le passé, de grands hommes qui sont reve- 
nus, après avoir été longtemps égarés par les doctrines de Fo et 
de Lao-tse. Si donc, dès maintenant, lu songes à changer, tu 
peux encore marcher sur leurs glorieuses traces. — S'il y avait 
encore pour moi possibilité de changer, je l'aurais fait tout d'a- 
bord, et je ne serais pas venu jusqu'ici. — 11 n'y a donc plus rien 
à tenter pour t'amener à de meilleurs sentiments! Pour moi, je 
ne veux ni décider ton sort, ni t'interroger minutieusement. 
Arrivé devant le tribunal criminel, tu auras à rendre compte de 
toute ta conduite. Ce corps que tu as reçu de tes parents, lu veux 
donc follement lui faire souffrir les supplices et la mort? De 
plus, tu es cause que ton oncle est emprisonné dans sa vieillesse ; 
est-ce là remplir le devoir de la piété tiliale? — Accjuérirla vertu 
en dépit des supplices et de la mort, est-ce manquer de piété filiale? 
Aussitôt que j'ai appris l'incarcération de mon oncle, sans même 
faire halle la nuit, je suis accouru me livrer entre vos mains; 
n'est-ce pas là remplir les devoirs de la piété? 
« Le mandarin ordonna alors de me traiter selon la loi, et aus- 
sitôt on me passa au cou une lourde cangue, puis il me dit en 
soupirant : — Dans quel accoutrement te voilà! Mourir sous la 
cangue et dans les fers, c'est mourir en criminel. — Il me fit con- 
duire à la prison ; mais la chambre qui m'était destinée étant en 
ruines, et n'ayant pas encore pu être restaurée, je fus déposé 
dans une autre pièce. Ainsi se termina la journée. 
« Le 27 se passa sans aucun incident remarquable. Le 28, à 
l'heure du déjeuner, je vis entrer dans la prison mon cousin 
Jacques Kouen. Il venait de subir son interrogatoire. on lui 
avait fait les mêmes questions, et il y avait répondu de la même 
façon que moi. A midi, le mandarin fit appeler mon oncle; et, 
après lui avoir adressé de longues condoléances : — Ne pouviez- 
vous donc pas, lui dit-il, faire comme tel et tel, que vous connais- 
sez, et empêcher ces jeunes gens de se livrer aux pratiques 
mauvaises? — Mon oncle ne répondit pas un seul mot, sortit 
du tribunal ; et fut, je crois, relâché à l'heure même. Vers la chute 
du jour, nous Mmes cités de nouveau, mon cousin et moi; la 
grande cangue nous fut enlevée et fut remplacée parla petite : — 
Vous allez, nous dit le mandarin, partir pour Tsien-tsiou, 
résidence du Tsieng-min-si, gouverneur de la province. Mais 
quelle conduite tenez-vous donc? ne pas suivre, avec la doc- 
trine des lettrés, une voie de plaisirs, et s'attirer soi-même 
des malheurs, qu'est-ce que cela signifie? — Puis, regardant 
- 42 — 
mon cousin Rouen il lui dit : — Toi qui as vécu au milieu 
de tous tes parents, as-tu répandu ces superstitions parmi eux? 
— Nous gardâmes tous les deux le silence, et le mandarin ne 
recevant pas de réponse, nous renvoya. Nous étions accompa- 
gnés du prétorien préposé aux affaires criminelles, d'un satellite 
et d'un geôlier. Ils avaient reçu Tordre de nous faire partir sur 
l'heure, mais la nuit étant déjà venue quand nous sortîmes du 
tribunal, il fut impossible de se mettre en route, et nous cou- 
châmes chez le correspondant du canton (1). 
« Le 29, au premier chant du coq, nous étions en route. Nous 
fimes une première halte à l'auberge de Sin-keren pour déjeuner, 
et plus tard une deuxième, à Kai-pa-hai, pour faire manger les 
chevaux. A la chute du jour, après avoir passé près de l'hôtel de 
voyage des dignitaires à An-tek, et franchi un petit monticule, 
nous rencontrâmes les satellites du tribunal criminel qui venaient 
nous chercher. De nombreux valets étaient sur pied et s'avan- 
çaient en poussant de grandes clameurs, et en faisant un tel 
vacarme, que notre prise ressemblait à celle d'insignes voleurs. 
on nous conduisit à la préfecture, en dehors de la porte du sud, 
et, comme les ténèbres étaient déjà complètes, et la nuit avancée, 
on alluma des torches à notre droite et à notre gauche, et l'on 
nous plaça près des gradins du tribunal. Le juge criminel nous 
dit : quels sont vos noms et prénoms? — Nous les déclinons. — 
Connaissez-vous le crime dont vous êtes accusé? — J'ignore ce 
dont il est question. Notre gouverneur nous ayant envoyés au 
juge, nous sommes venus sur son ordre, et contre toute attente, 
nous avons été, en route, saisis comme des voleurs. — Quelles 
sont vos occupations habituelles? — Je me livre à l'étude. — A 
quelles études? — A l'étude de la religion? — En quel endroit 
vous étiez-vous retirés chacun séparément? — J'ai été à Koang- 
tsiou, répondis-je ; et moi à Han-sou, dit mon cousin Jacques 
Kouen. Ayant appris, chacun de notre côté, l'ordre du manda- 
rin, nous sommes revenus de suite, sans même faire halte la nuit, 
pour nous livrer entre ses mains. — Nous répondîmes ainsi fran- 
chement. Peu après, on passa au cou de chacun de nous une 
grande cangue du poids de dix-huit livres; on nous attacha en 
outre au cou une chaîne de fer, et par un croc en bois on nous 
fixa la main droite contre le bord de la cangue. 
« Le juge ayant donné l'ordre de nous emmener à la prison. 
{\j on appelle ainsi le représentant que chaque mandarin inférieur, ou 
mandarin d'un canton, doit avoir à la capitale. 
— 43 — 

on nous y conduisit. Là, nous nous assîmes sur le plancher en 
dehors de la porte. Puis, quand tout le monde se fut retiré, on 
nous fit passer à la salle où se trouvaient les voleurs, et nous 
fûmes bien oblififés de prendre place parmi enx. Heureusement, 
le geôlier vint bientôt après nous faire entrer dans la chambre 
des gardiens. Cet appartement avait le désagrément d'être peu 
éloigné de la prison des brigands, mais en revanche il était élevé 
et le sol un peu chauffé. C'était comme une chambre ordinaire. 
Nous y passâmes la nuit, tantôt étendus à terre et sommeillant, 
tantôt assis. Le 30, à la pointe du jour, on nous lit encore chan- 
ger d'habitation, et quand le jour fut tout à fait levé, on nous 
conduisit h la prison du gouverneur, qui nous cita à sa barre 
après midi, et nous fit subir l'interrogatoire suivant : — Quel est 
celui d'entre vous qui se nomme loun? et quel est celui qui s'ap- 
pelle Kouen? — Chacun de nous répondit en déclarant son nom. 
— Quelle est votre occupation ordinaire? — Dans ma jeunesse, 
lui répondis-je, je me suis appliqué à la littérature afin de passer 
les examens; depuis quelque temps, je me livre aux études qui 
règlent le cœur et la conduite de l'homme. — Tu as étudié 
les livres classiques des lettrés ? — Je les ai étudiés. — Si tu 
veux régler ton cœur et ta conduite, nos livres sacrés ne suffisent- 
ils pas. et pourquoi aller te perdre dans des superstitions? — Je 
ne suis nullement perdu dans la superstition? — Et la religion 
qu'on appelle du Maître du ciel, n'est-ce pas une superstition? — 
Dieu est le père suprême, créateur du ciel, de la terre, des anges, 
des hommes et de toutes les créatures ; son service se peut-il 
appeler superstition? — Donne-moi un simple sommaire de cette 
doctrine. — Le lieu où nous sommes convient pour examiner les 
causes criminelles et non pour développer une doctrine. Ce que 
nous pratiquons se réduit aux dix commandements et aux sept 
vertus capitales. — De qui as-tu reçu tes livres? — Je pourrais 
bien l'indiquer, mais quand on me prêta ces livres, la défense du 
roi n'existait pas, et par suite, celui qui les prêtait n'était pas 
coupable. Aujourd'hui qu'il y a défense rigoureuse, si je le dési- 
gnais, il serait exposé, sans aucune culpabilité de sa part, h de 
violents supplices; comment pourrais-je m'y résoudre? ce serait 
enfreindre le précepte qui nous défend de nuire au prochain, 
je ne puis donc le dénoncer. — Il n'en est pas ainsi; quand 
même tu le déclarerais, cet homme qui t'a prêté ces livres avant 
la prohibition, n'en deviendra certainement pas coupable. Ne sois 
donc pas retenu par cette vaine crainte. Le roi ayant ordonné de 
faire des informations exactes, si tu ne déclares rien, comment 
_ 44 — 
pourrai-je faire un rapport? Ce serait enfreindre l'ordre du roi, 
ce qui, sans contredit, n'est pas permis. Déclare-le donc et 
n'attends pas les tortures pour le faire. 
« Je restai longtemps dans un silence complet, et, comme 
mon cousin Jacques me pressait de répondre, je dis d'abord : — 
C'est une chose qui date de loin et il m'est difticile de m'en bien 
souvenir. — Puis j'ajoutai : dans l'hiver de 1784, j'allai par 
hazard chez Kim Pem-ou, de la classe moyenne, et y trouvant 
ces livres, je les empruntai, les copiai et les renvoyai de suite à 
leur propriétaire. Quand ensuite j'appris la prohibition du roi, 
je brûlai ce qui était sur papier de Chine et lavai ce qui se trou- 
vait sur papier coréen. Il y a déjà plusieurs années que les deux 
traités des dix commandements et des sept vertus capitales ne 
«e trouvent plus chez moi. — L'ordre du roi porte que, s'il y a 
des livres, on doit les brûler. Si donc tu en as quelque autre, il 
est juste de le livrer de suite. — Le mandarin de mon district 
a visilé toute ma maison, et n'y a pas trouvé une seule page. — 
Vous êtes coupables d'un péché que le ciel et la terre ne pour- 
raient contenir, et l'ordre du roi portant qu'il faut examiner 
les choses à fond, voici des questions auxquelles vous devez 
répondre franchement, article par article. — Alors le gouverneur 
fait déposer devant nous une liste de questions dont voici à peu 
près le contenu. « Vous autres qui ne suivez pas la vraie voie et 
ajoutez follement foi à des paroles trompeuses, vous infatuez le 
monde, et débauchez le peuple, vous détruisez et faussez les re- 
lations naturelles de l'homme. Déclarez donc quels livres vous 
étudiez, et ceux avec qui vous le faites. Malgré une sévère défense, 
vous osez vous livrer à une grande licence d'idées, et vous joignez 
plus follement encore la pratique h la théorie. C'est une grande 
impiété. Mais cette faute serait relativement légère. Il est dit dans 
la dépèche du roi que vous ne faites plus les sacrifices. Ce n'est 
pas tout : vous brûlez les tablettes et empêchez d'entrer chez 
vous les visiteurs qui viennent payer leurs devoirs aux défunts. 
Enfin vous ne rendez pas même à vos parents les lionneurs de 
la sépulture, et cela sans rougir et sans vouloir revenir à de 
meilleurs sentiments. Celte conduite est digne de la brute. Livrez 
de suite vos livres, et déclarez tous vos coreligionnaires. De plus, 
on dit qu'il y a parmi vous des évêques qui vous dirigent en 
secret, et répandent cette religion; vous ne pouvez ne pas les 
connaître, déclarez donc tout, sans rien déguiser. » 
« Après avoir lu ce réquisitoire jusqu'au bout, je répondis : 
— J'ai, il est vrai, omis les sacrifices, j'ai aussi détruit les tablettes, 
— 45 - 
mais j'ai reçu les visiteurs qui venaient faire leurs condoléances, 
et ne les ai pas empêchés (rentrer. J'ai aussi rendu à mon père 
et à ma mère tous les honneurs de la sépulture. Pour les livres, 
je viens d'expliquer ce qu'il en était; je n'en ai point à livrer. Je 
n'ai pas non plus de compagnons à déclarer. Pour ce qui regarde 
les évèques, ce »)om même n'existe pas ici. En Europe, cette 
dignité existe, et Ton dit qu'ils traitent les affaires de la religion. 
Si vous voulez en demander, c'est en Europe qu'il faut le faire. 
Enfin dans la religion, il n'y a pas de maître, ni de disciple, dans 
le sens que l'on y attache ici. — Le gouverneur se tournant alors 
alors Jacques Rouen: — Et toi, lui dit-il, quels livres as-tu 
étudiés? — J'ai étudié le livre de la vraie notion de Dieu, et 
celui des .sept vertus capitales. — D'où les as-tu reçus? — Je les 
ai lus avec mon cousin loun Tsi-t'siong-i qui les avait empruntés. 
— Les as-tu aussi copiés? — Je ne l'ai pas fait. — As-tu omis 
aussi les. sacrifices? — Je les ai omis. — Et brûlé les tablettes? 
— J'ai encore chez moi, les boîtes que le mandarin a notées lors 
de sa visite. — Le gouverneur l'interrogea ensuite sur sa parenté 
avec divers personnages, et continua : — Un de les parents, à la 
capitale, a répandu le bruit que tu avais brûlé les tablettes, que 
faut-il en croire? — Depuis que j'ai omis les sacrifices, mes 
parents me regardent comme un ennemi, et me réprimandent en 
disant : «. Cet être-là en viendra sûrement à brûler les tablettes. » 
Leurs paroles de blâme, en se répandant, ont fait du bruit, et c'est 
ainsi qu'on a conclu sans doute que je les avais détruites (1). — 
Le gouverneur s'adressanlàmoidenouveaumedit : — Connais-tu 
Hong Nak-ani? — Je le connais de nom, mais ne l'ai jamais vu. 
— Hong Nak-ani et ses amis ont fait un rapport au ministre 
contre vous, et celui-ci m'a envoyé des ordres. Telle est la cause 
de toute cette affaire. Mais le bruit qui court que tu n'as pas en- 
terré tes parents, doit avoir un fondement quelconque; comment 
pourrait-on dire en l'air de telles paroles? — J'ignore vraiment 
la cause de ces bruits. Au moment de l'enterrement, la peste était 
dans ma maison, mes parents et amis ne vinrent pas, et ne pou- 
vant avoir de rapports avec les étrangers, je fis toute la cérémonie 
(,1) En cet endroit, ainsi que clans les deux défenses écrites qui suivent, les 
confesseurs affectent de cacher le fait d'avoir brûlé les tablettes de leurs 
ancêtres, avant de les enterrer. C'était un acte passager de faiblesse, causé 
sans doute, par un reste de respect mal entendu pour les préjugés de leur 
nation. Plus loin, nous les verrons avouer courageusement qu'ils les ont 
brûlées, et aller au supplice par suite de cet aveu. Ces passages du récit de 
Paul, tout à son désavantage, montrent avec quelle loyauté et quelle exacti- 
tude il raconte ce qui s'est passé. 
— 46 — 
funèbre avec les hommes du village seulement. Est-ce de là que 
ce bruit s'est répandu? Vraiment j'en ignore la cause. — Parmi 
vous, il y a certainement des maîtres avec lesquels on discute et 
que l'on interroge, qui sont-ils? — Dans la religion, comme je 
l'ai déjà dit, il n'y a ni maître, ni disciple, comme on l'entend ici ; 
à plus forte raison dans ce royaume, où personne n'a pu faire 
autre chose que lire quelques livres, quel est celui qui oserait se 
vanter d'avoir le mieux approfondi la doctrine et voudrait se donner 
pour maître? — Quel être étonnant es-tu donc pour savoir sans 
avoir appris? — Comme je connais quelques caractères, il me 
suffit d'avoir ouvert un livre etde l'avoir lu. — Es-tu licencié tsin- 
sa? — Je le suis. — En quelle année l'es-tu devenu? — Au 
printemps de l'année 1783. — Ensuite, après m'avoir interrogé 
sur ma parenté avec diverses personnes ; il me dit : — on prétend 
que dans votre religion, vous vous réjouissez des souffrances et 
des supplices, et vous aimez à mourir sous le glaive; est-ce 
croyable? — Désirer de vivre, et craindre la mort, est un sen- 
timent commun à tous; comment pourrions-nous être comme 
vous le dites? 
« Nous fûmes renvoyés, et quand nous arrivâmes à la prison, 
il faisait déjà nuit. 
(.< Le 1" de la onzième lune, au point du jour, notre propre man- 
darin nous appela, nous fit asseoir dans une espèce de vestibule, 
et commanda à un prétorien de nous faire réciter les dix comman- 
dements et les sept vertus capitales. Nous les récitâmes ; il prit nos 
paroles par écrit et les envoya au gouverneur. Peu de temps après, 
ce mandarin nous fit rappeler et, après quelques exhortations, 
il nous dit ; — Ce que vous avez déclaré hier n'est pas la vérité et 
ne suffit pas j)Our porter un jugement. Et puis, cette religion, 
malgré ses dix commandements, ne renferme pas les rapports de 
roi à sujet. C'est ce que l'on appelle une doctrine sans roi, ou qui 
méconnaît le roi. — Il n'en est pas ainsi, lui répondis-je, le roi 
est le père de tout le royaume, et le mandarin, le père de son 
district; on doit donc leur rendre les devoirs de la piété ; or, tout 
cela est compris dans le quatrième commandement. — S'il en est 
ainsi, il faut mettre des notes dans ce sens au quatrième comman^ 
dément, et le présenter annoté. La religion des Européens n'est à 
nos yeux qu'une superstition. Mais, vous autres, si vous la suivez 
parce que vous la croyez vraie, et parce que vous savez qu'elle 
n'est pas semblable à celle de Fo qui méconnaît les parents et le 
roi, quelle raison avez-vous de ne pas ériger les tablettes, et de 
ne pas faire les .sacrifices aux parents? Quand même vous n'of- 
— 47 — 
(ririez pas de nourriture, vous avez sans doule quelque autre 
moyen de témoigner votre piété filiale. Si tout cela existe parmi 
vous, il faut l'indiquer en détail. De plus, hier tu disais que le désir 
de la vie, et la crainte de la mort, sont des sentiments communs 
à tous; il est donc juste de réfléchir et, en faisant tes déclarations, 
de mettre en avant des principes de fidélité au roi et de piété 
filiale, afin de trouver par là des moyens de te conserver la vie. 
« Le mandarin de Lim-p'i, chargé d'examiner l'affaire, vint 
aussi près de moi, et me i)arla d'un ton calme, et par manière 
de conseil. Je lui répondis: — Tout ce que vous me dites entre dans 
mes désirs, seulement je ne puis de vive voix tout expliquer 
clairement. Si vous voulez me donner un prétorien et des pinceaux, 
je ferai écrire le tout en détail. Alors il me fit passer dans un 
autre appartement, avec ordre d'écrire une défense et de la 
présenter. Je m'assis, et dictai ce qui suit. 
« Pour la cause de Vaccusè loun. De bonne heure, je me 
livrai au travail pour me préparer aux examens, dans la pensée de 
remplir des charges publiques. Mes humbles désirs se bornaient 
à tâcher de satisfaire aux devoirs de dévouement envers le roi, 
de piété envers mes parents, et d'amitié envers mes frères'. Au 
printemps de l'année kiei-mio (1783), j'obtins le diplôme de 
licencié tsin-sa. L'année suivante, m'étant rendu pendant 
l'hiver à la capitale, j'allai par hasard chez Kim Pem-ou, de la 
classe moyenne, au quartier Mieng-niei pang-kol. Il y avait dans 
cette maison deux livres intitulés, l'un : Véritables principes sur 
e Maître du ciel, et l'autre : les sept Vertus capitales. En les par- 
courant, j'y entrevis que le Maître du ciel est notre père commun, 
créateur du ciel, de la terre, des anges, des hommes et de toutes 
choses. C'est celui que les livres de Chine appellent Siang-tiei. 
Entre le ciel et la terre l'homme naquit, et quoiqu'il reçoive de 
ses parents la chair et le sang, au fond c'est Dieu qui les lui 
donne. Une âme est unie à son corps, mais celui qui les a unis, 
c'est encore Dieu. La base du dévouement au roi, c'est l'ordre de 
Dieu, la base de la piété envers les parents, c'est aussi l'ordre de 
Dieu. En comparant le tout avec la règle donnée dans les livres 
sacrés de la Chine, de servir le Siang-tiei de tout cœur et avec le 
plus grand soin, je crus y voir beaucoup de conformité, La 
pratique est renfermée dans les dix commandements, et les sept 
vertus capitales. Les dix commandements sont : 1° Adorer un 
seul Dieu au-dessus de toutes choses. 2" Ne pas prendre en vain 
le nom de Dieu pour faire de faux serments. 3° Observer les jours 
de fêle. 4° Honorer ses père et mère. (La glose dit que le roi étant 
— 48 - 
le père de tout le royaume, et les mandarins, pères des peuples 
deleur district, il faut les honorer également.) 5° Ne pas commettre 
d'homicide. 6° Ne pas commettre l'impureté. 7° Ne pas voler. 
8° Ne pas porter de faux témoignages. 9° Ne pas désirer la femme 
de son prochain. 10" Ne pas désirer injustement le bien d'autrui. 
Ces dix commandements se rapportent en somme à deux points 
qui sont : aimer Dieu par-dessus toutes choses, et aimer tous les 
hommes comme soi-même. Les sept vertus capitales sont : 
1" L'humilité, pour combattre l'orgueil. 2" La charité, pour 
combattre la jalousie. 3" La patience, pour combattre la colère. 
4° La générosité dans l'aumône, pour combattre l'avarice. 5" La 
tempérance, pour combattre la gourmandise. 6° La répression de 
la concupiscence, pour combattre la luxure. 7° L'assiduité au bien, 
pour combattre la paresse. Tout ceci étant clair, précis et facile 
pour aider à la pratique de la vertu, j'empruntai ces deux livres, 
je les mis dans ma manche et, de retour chez moi, en province, 
je les copiai. 
« Au printemps de l'année eul-sa (1785), je les renvoyai à 
leur propriétaire. C'est seulement trois ans après, qu'ayant étudié 
et médité ces livres, je me mis à les pratiquer sérieusement. 
Deux ans plus tard, j'appris que cette doctrine était sévèrement 
prohibée, je brûlai ou lavai ces volumes et ne les conservai pas 
chez moi. Je n'ai donc appris. la doctrine chrétienne de personne, 
comme aussi je ne l'ai communiquée à personne. Mais, après 
avoir une fois reconnu Dieu pour mon père, je ne pouvais me 
dispenser de suivre ses ordres. Or, les tablettes en usage chez les 
nobles, étant prohibées par la religion du Maître du ciel, puisque 
je suis cette religion je ne pouvais faire autrement que de me 
conformer à ce qu'elle prescrit. Le quatrième commandement 
nous ordonnant d'honorer nos père et mère, si, par le fait, nos 
parents étaient réellement dans ces tablettes, tout homme qui 
professe la religion devrait les honorer. Mais ces tablettes sont faites 
de bois. Elles n'ont avec moi aucun rapport de chair, de sang, ou 
de vie. Elles n'ont eu aucune part aux labeurs de ma naissance et 
démon éducation. L'câme de mon père ou de mon grand-père une 
fois sortie de ce monde, ne peut plus rester attachée à ces objets 
matériels. Or, la dénomination de père et de mère étant quelque 
chose de si grand et de si vénérable, comment pourrais-je oser 
prendre un objet fabriqué et arrangé par un ouvrier, en faire mon 
père et ma mère, et l'appeler réellement ainsi ? Cela n'est pas fondé 
sur la droite raison, aussi ma conscience n'a pu s'y soumettre; et 
quand bien même je devrais, par l<à, selon vous, déroger à ma 
— 49 — 
noblesse, je ne veux pas me rendre coupable envers Dieu. J'ai 
donc enterré mes tablettes sous le sol de ma maison. Le bruit 
s'est répandu que je les avais brûlées, mais la religion ne nous 
faisant point, à ce sujet, un précepte formel, j'ignore quelles 
lèvres ont formulé l'accusation, et quelles oreilles l'ont entendue. 
« Quant à l'offrande de vin et de nourriture aux morts ou à 
leurs tablettes, c'est aussi une chose défendue par la religion du 
Maître du ciel, et ceux qui la suivent doivent se conformer à ses 
lois. En effet, lorsque le Créateur a disposé les différentes espèces 
de créatures, il a voulu que les créatures matérielles usent de 
choses matérielles, et les créatures immatérielles de choses im- 
matérielles. C'est pourquoi la vertu est la nourriture de l'àme, 
comme les aliments matériels sont celle du corps. Eût-on d'ex- 
cellent vin et des mets délicieux, on ne pourrait en nourrir l'àme, 
par la raison qu'un être immatériel ne peut être nourri de choses 
matérielles. Les anciens ont dit : « on doit servir les morts de 
même que quand ils étaient vivants, » et vous admettez que 
c'est là une maxime fondamentale des livres de ce pays. Or, 
puisque, pendant la vie, leur âme n'a jamais pu se nourrir de 
vin et d'autres aliments, à plus forte raison ne le peut-elle pas 
après la mort. Quelque pieux que soit un homme envers ses 
parents, il ne leur offre pas de nourriture pendant leur som- 
meil, parce que le sommeil n'est pas un temps où l'on puisse 
manger. De même et à plus forte raison, quand ils sont endormis 
du long sommeil de la mort, leur offrir des aliments serait 
une chose vaine et une pratique fausse. Or, comment un en- 
fant pourrait-il se résoudre à honorer ses parents défunts par 
des pratiques vaines et fausses? Ainsi, mettant de côté l'em- 
ploi des aliments qui n'ont «nul parfum véritable pour les 
parents, s'appliquer de toutes ses forces à la pratique de la 
vertu pour en faire parvenir les effets jusqu'à eux, et en même 
temps, nourrir notre âme, voilà la vraie voie, la droite doctrine. 
Et, je le répète, dussé-je en la professant déroger à ma 
noblesse, je ne veux pas me rendre coupable envers Dieu. De 
plus, considérez que le peuple qui n'érige pas les tablettes, n'est 
pas pour cela en opposition avec le gouvernement, que les nobles 
qui, à cause de leur pauvreté, ne font pas tous les sacrifices selon 
les règles, ne sont pas repris d'une manière sévère. Il me semble 
donc, dans mon humble pensée, que ne pas ériger de tablettes 
et ne pas offrir les sacrifices aux défunts, tout en étant chez moi 
la fidèle observation de la religion du Maître du ciel, n'est nulle- 
ment une violation des lois du royaume. 
— so — 
« on m'accuse encore de prohiber les condoléances après la 
mort des parents. Faire et recevoir des visites de condoléance en 
pareil cas, est un devoir d'humanité. Comment un enfant bien 
né pourrait-il s'y opposer? Si vous ne me croyez pas, il y a des 
personnes qui sont venues me faire des visites de ce genre, vous 
n'avez qu'à ordonner une information, et vous reconnaîtrez la 
vérité de ce que je dis. 
« on ajoute que je n'ai pas inhumé mes parents. La mort de 
ma mère a eu lieu cette année h la cinquième lune, et j'ai fait les 
cérémonies de l'enterrement le dernier jour de la huitième lune. 
Quant à ce qui concerne la sépulture, le cercueil, les pleurs, les 
habils de deuil, etc., la religion chréiienne nous recommande 
de lout faire avec le plus grand soin. J'ai fait ces cérémonies et 
choisi un lieu convenable, comme le font tous les autres. La 
peste étant alors dans ma maison, je n'ai pu, il est vrai, me 
meure en rapport avec les élrangers, et mes parents et amis 
n'ont pu tous assister au convoi, mais tous les gens du village, 
grands et petits, y sont venus et y ont pris part. Ici encore vous 
n'avez qu'à prendre des informations pour voir que les bruits 
répandus sont faux et calomnieux. Ce mot : religion chrétienne, 
est un instrument dont on se sert pour soulever tous les blâmes. 
L'un en parle à l'autre, celui-ci à un troisième; un mensonge en 
fait répandre un autre, et c'est ainsi que peu à peu on en est 
venu jusqu'à dire que je refuse de recevoir les condoléances ha- 
bituelles, que même je n'enterre pas mes parents. L'accusation 
d'avoir brûlé mes tablettes, est aussi faite en l'air et sans preuve; 
on s'en sert pour me charger et me charger encore. on prétend 
de plus que je suis évêque des chrétiens. Dans tous les royaumes 
d'Europe il y a bien, il est vrai, la dignité d evêque, mais on ne 
la donne pas à des enfants ou novices, encore moins la donnerait- 
on à moi qui ai vécu dans un lieu retiré, au fond d'une pro- 
vince, qui n'ai rien vu ni eniendu, qui seul, jiar le moyen de deux 
ou trois volumes, ai travaillé à ma sanctitlcalion personnelle, qui 
n'ai reçu de leçons de personne, et n'ai nulle part propagé cette 
doctrine. Dire que je suis évêque, c'est par trop ridicule, et je 
n'ai pas de réponse à faire. Né de parents nobles, ayant enfin à 
peu près découvert l'origine du ciel et de l'homme, et les com- 
mandements du dévouement au roi et de la piété filiale, mes 
faib'es désirs se sont bornés à cultiver la vertu, et à tâcher de 
servir Dieu convenablement. Hors de là, je n'ai plus rien à 
exposer. 
« Pour la cause de laccusê Kouen. Étant cousin germain 
- 51 - 
de loun Tsi-tsiong-i par sa mère, et demeurant dans le voisi- 
nage, j'ai vu chez lui, et je lui ai emprunté les livres intitulés : 
Véritables principes sur Dieu et Traité des sept vertus capi- 
tales. Il y a de cela nombre d'années. Celait avant que Tsi- 
tsiong-i eût brûlé ou lavé ces livres, je ne les coj)iji pas et je ne 
fis qn\',n prendre lecture. J'ai, il est vrai, cessé d'offrir les sacri- 
fices, mais je n'ai ni brûlé ni détruit les tablettes, les boîtes en 
sont encore chez moi, et le mandarin de Tsin-san ayant tout noté 
dans l'inventaire qu'il a fait, il m'est inutile d'en parler davan- 
tage. Depuis le moment où je commençai à pratiipier la religion, 
tous mes proches me regardèrent d'un mauvais œil, cl déversè- 
rent sur moi toute sorte de blâme. Puis, voyant que je ne faisais 
plus les sacrifices, ils dirent tous d'une voix : « Puis(iu'il ne fait 
plus les sacrifices, les tablettes deviennent inutiles, et assuré- 
ment il finira par les brûler. » A cette parole jetée en l'air, cha- 
cun ajouta encore et la répandit partout, et voilà pourquoi je 
suis aujourd'hui prisonnier. Du reste, ayant perdu mon père 
et ma mère de bonne heure, je n'ai pas eu lieu, de|)uis que je 
pratique la religion, de faire les cérémonies d'enterrement de 
mes parents. Hors delà, tout ce que je pourrais dire n'est pas 
différent de ce qu'a déclaré Tsi-lsiong-i, et je n'ai rien de plus à 
exposer. 
« Par le moyen du prétorien, je fis présenter ces deux défenses 
au mandarin de Lim-p'i. H les lut attentivement, les mil dans sa 
manche, et se rendit au tribunal criminel du gouverneur, don- 
nant des ordres pour qu'on nous fit attendre à la porte. 
Il était environ midi, et nous nous assîmes en attendant. Long- 
temps après on nous appela, et le gouverneur dit d'abord à 
Jacques Koien : — As-tu vraiment conservé les tablettes? Tout 
à l'heure lu disais les avoir, et cependant le mandarin de Tsin- 
san, dans son rapport, dit n'avoir vu que quatre boîtes vides et 
pas de tablettes; qu'est-ce que cela? — Jacques répondit : — 
Quand je vins de Tsin san, i)rès du gouverneur, on me dit qu'il 
fallait tout déclarer, comme il était marqué dans le rapport du 
mandarin. Craignant donc, si j'en disais trop, que le mandarin 
ne fût lésé à celle occasion, j'ai dit simplement au gouverneur 
que les boites des tablettes étaient encore chez moi; mais, par 
le fait, mes tablettes n'y sont i)lus, je les ai enterrées. — Où 
lesas-lu enterrées? demanda le gouverneur. Jacques indiqua 1 en- 
droit, mais ajouta qu'un ébonU-ment ayant eu lieu depuis, on ne 
pourrait pas sans doute retrouver la place. — Tu ne les as pas 
enterrées seul, j'imagine; il y a eu un homme qui a creuse la 
terre, il doit servir de témoin. — Comme, dans cette affaire, je 
craignais d'être vu de qui que ce fût, je n'ai fait venir personne, 
et je les ai enterrées de ma propre main. Le gouverneur s'adres- 
sant à moi, me dit : — Et toi, comment as-tu agi? — J'ai tout 
déclaré dans ma défense écrite, veuillez bien ne plus m'interroger. 
— As-tu enterré les tablettes entières, ou seulement après les 
avoir brûlées? Selon que tu les auras brûlées, ou non, ta culpa- 
bilité sera plus ou moins grave. En tous cas, il me suffira d'un 
délai de peu de jours pour savoir ce qu'il en est, quel avantage 
y auras-lu? — Je les ai brûlées, puis enterrées. — Si lu les as 
honorées comme tes parents, passe encore de les enterrer, mais 
les brûler! Cela peut-il jamais se faire? — Si j'avais cru que 
c étaient mes parents, comment aurais-je pu me résoudre à les 
brûler? Mais sachant très-clairement qu'en ces tablettes il n'y a 
rien de mes parents, je les ai brûlées. D'ailleurs, qu'on les en- 
terre ou qu'on les brûle, elles retournent toujours en poussière; 
il n'y a donc rien qui rende un de ces actes plus grave que l'autre. 
Le gouverneur, après nous avoir ordonné de monter et de 
nous asseoir sur la planche à supplices, nous fit signer notre 
jugement et me dit : — Reconnais-tu être condamné justement 
pour avoir brûlé les tablettes des défiints? — Si j'avais brûlé 
quelque tablette, pensant que les parents y sont renfermés, les 
supplices seraient justes; mais comme je l'ai fait, sachant très- 
clairement qu'il n'y a là rien de mes parents, quelle faute 
puis-je avoir commise? — Si tu étais en Europe, tes paroles 
pourraient être justes, mais étant dans notre royaume, lu dois 
être puni selon la loi. — Dans notre pays, après cinq générations, 
tous, même les nobles, enterrent les tablettes, les punissez-vous 
sévèrement pour cela? — D'après la décision des saints, c'est à 
ce terme de cinq générations que finissent pour l'homme les de- 
voirs de parenté. A ces mots, le gouverneur ayant commandé de 
me battre, je reçus dix coups. Le gouverneur dit ensuite : — Toi 
qui es noble, ne souffres-tu pas dans ce supplice? — Comment 
pourrais-je ne pas souffrir, puisque je suis de chair comme vous? 
— N'as-tu pas de regret? — Comme la religion chrétienne n'or- 
donne pas précisément de brûler une tablette, je pourrais, à la 
rigueur, regretter de l'avoir fait légèrement ; hors de là, je n'ai 
rien que je puisse regretter. Le gouverneur ordonne à un autre 
valet de me battre, et l'on me donne encore dix coups. Puis le 
gouverneur me dit : — Quand tu devrais mourir sous les coups, 
il faut que tu abandonnes cette religion? — Si je venais à renier 
mon père suprême, vif ou mort, en quel lieu pourrais-je jamais 
- 53 ~ 
aller? — Si tes parents on le roi te pressaient, ne te rendrais-tii 
pas à leur voix? A cette question je ne fis pas de réponse. — Pour 
toi, tu ne connais ni parents, ni roi. — Je connais très-bien et 
parents et roi. « 
Ici se termine le récit de Paul. on a remarqué qu'il ne répon- 
dit point à l'avant- dernière question : ce ne fut nullement par 
hésitation, mais pour lie pas blesser les usages de ce pays qui ne 
permettent pas une réponse négative quand le roi est mis en 
cause. Du reste, son silence fut très-bien compris des juges. 
Aussi le gouverneur lui fit donner dix autres coups; ce qui 'fai- 
sait les trente coups fixés par la loi. 
Après cela, Paul et Jacques furent ramenés et renfermés dans 
la prison. La nuit était déjà venue. A la suite de ces interroga- 
toires, le gouverneur envoya son rapport au roi. 
Le roi de Corée était alors Tsieng Tsiong. Il était âgé de 
quarante ans, et il y avait quinze ans qu'il gouvernait le royaume- 
L'histoire le représente comme un prince sage, modéré, prudent, 
ami de la science et juste appréciateur du mérite de ses sujets. Il 
reçut le rapport du gouverneur, mais il ne paraissait nullement 
disposé à pousser les choses à l'extrémité. Cependant les enne- 
mis de la religion chrétienne se montraient de plus en plus mena- 
çants : de tous côtés arrivaient des adresses au roi, des pétitions 
aux ministres, demandant la punition des coupables et l'extirpa- 
lion de cette nouvelle doctrine, qui renversait tous les fonde- 
ments de la société. Plus de trente pièces de ce genre parurenj 
du neuvième au douzième mois de cette année. Effrayé de ces 
manifestations, le premier ministre Tsaï, quoique loin d'être per- 
sonnellement hostile aux chrétiens, entra dans les vues de leur plus 
violents accusateurs, et pressa le roi de condamner Paul loun et 
Jacques Kouen à la peine capitale. Cette conduite surprit beau- 
coup de monde, car le ministre appartenait au parti Nam-in, 
aussi bien que les principaux d'entre les chrétiens, et de plus, il 
était lié parle sang ou l'amitié avec la plupart d'entre eux. Mais, 
la crainte de perdre son crédit et peut-être sa dignité, le désir 
de conserver sa fortune et celle de sa famille, le rendirent persé- 
cuteur. Nous verrons plus tard que la justice de Dieu le punit, 
dès cette vie, de sa lâcheté. 
Cédant aux instances de son ministre, le roi consentit enfin à 
signer le décret qui condamnait Paul loun et Jacques Kouen à 
être décapités. Leurs têtes devaient être exposées en public pen- 
dant cinq jours, afin d'effrayer les populations voisines, et de les 
empêcher de suivre la nouvelle religion. Le décret, revêtu de la 
— 54 — 
sanction royale, fut expédié au gouverneur de Tsien-tsiou. A la 
réccplion de la sentence, les deux confesseurs furent aussitôt 
conduits de la prison au lieu du supplice. Une foule immense de 
païens et de chrétiens les suivait. Jacques, affaibli par les coups 
qu'il avait reçus, se contentait de prononcer de temps en temps 
les noms de Jésus et de Marie. Paul, plus robuste, s'avançait 
avec un air d'allégresse, allant à la mort comme à un festin, 
prêchant Jésus-Clirist avec tant de dignité que, non-seulement 
les chrétiens, mais les païens eux-mêmes étaient ravis d'admi- 
ration. 
Arrivés au lieu de l'exécution, l'ofticier qui présidait leur 
demanda s'ils voulaient obéir au roi, rendre le culte ordinaire 
aux tablettes de leurs ancêtres, et renoncer à la religion étran- 
gère. Sur leur réponse négative, l'officier commanda à Paul 
loun de lire la sentence de mort, confirmée par le roi, et écrite 
sur une planche, suixant l'usage du royaume. Paul la prit aussi- 
tôt et la lui à haute voix. 11 posa ensuite sa tête sur un gros 
billot, répéta jdusieurs fois les saints noms de Jésus et de Marie, 
et, avec le i)lus grand sang-froid, fit signe au bourreau de fi'apper. 
Le bourreau lui trancha la tête d'un seul coup. Puis vint le tour 
de Jacques, qui ne cessait, lui aussi, d'invoquer Jésus et Marie. 
11 eut la tête tranchée immédiatement après son cousin. 11 était 
trois heures de l'après-midi, le treizième jour de la onzième lune 
de l'année sin haï (8 décembre i791). Paul loun était âgé de 
trente-trois ans, et Jacques Kouen de quarante et un ans. 
Le roi cependant s'était repenti d'avoir cédé aux instances de 
son ministre. Il prévoyait que, d'après les mœurs et coutumes du 
pays, ce premier acte deviendrait loi de l'Etat, et que dans la 
suite on continuerait à mettre à mort ceux qui suivraient la reli- 
gion nouvelle. Un courrier extraordinaire fut envoyé en toute 
hâte au gouverneur de Tsien-tsiou pour faire surseoir à l'exé- 
cution. Mais il était trop tard; Paul loun et et Jacques Kouen 
avaient déjà obtenu la couronne du martyre. 
Comme le roi l'avait prévu, les ennemis de la religion s'ap- 
puyèrent toujours depuis sur cette sentence, pour faire considé- 
rer la condamnation à mort des chrétiens comme loi de l'État, 
et la première exécution publique fut la principale et souvent 
l'unique cause d'un grand nombre de celles qui suivirent. Les 
corps des deux martyrs restèrent neuf jours sans sépuliure. Pour 
intimider les chréiiens, on plaça sur le lieu du supplice des 
satellites chargés de les garder jour et nuit Le neuvième jour, 
les parents qui avaient obtenu du roi la permission de les ensc- 
— 5S — 
velir, et leurs amis qui étaient venus à leurs funérailles, furent 
Irès-étonnés de voir les deux corps sans aucune marque de cor- 
ruption, vermeils et (lexililes comme s'ils eussent été décapités 
le jour même. Leur étonnement redoubla lorsqu'ils virent le 
billot sur lequel ils avaient eu la tête tranchée, et la planche où la 
sentence de mort était écrite, arrosés d'un sang liquide et aussi 
frais que s'il eût été versé un moment auparavant. Ces circons- 
tances parurent d'autant plus surprenantes qu'au mois de décem- 
bre, la ripfucur excessive du froid, disent les Coréens, faisait 
geler tous les liquides, dans les vases qui les renfermaient. Les 
païens, pleins d'admiration, se récriaient contre l'injustice des 
juges et proclamaient l'innocence des deux confesseurs. Quel- 
ques uns même, touchés du prodige qu'ils avaient examiné avec 
soin, se convertirent. Les yeux baignés de larmes de joie, les 
chrétiens bénissaient le Seigneur. Ils trempèrent un grand nom- 
bre de mouchoirs dans le sang des martyrs, et en envoyèrent à 
l'évêque de Péking quelques fragments, avec l'histoire cir- 
constanciée de ce qui s'était passé. Les néophytes prétendent 
qu'un homme abandonné des médecins et près de mourir fut 
guéri, en un instant, après avoir bu de l'eau dans laquelle on 
avait trempé la planche arrosée de sang. Ils rappoitent aussi 
que plusieurs moribonds, h qui Ton fit toucher un mouchoir teint 
de ce même sang, furent guéris sur l'heure (l). 
L'exemple de Paul et de Jacques eut une influence prodigieuse 
sur les premiers chrétiens de Corée. Leurs noms sont demeurés 
célèbres, et Paul surtout est, encore aujourd'hui, en grande véné- 
ration parmi les fidèles. Il laissait une tille âgée de treize ans, 
qui se retira momentanément dans la maison de Thomas Kim, 
prétorien, ancien disciple de son père. Le jour, elle se cachait 
dans le jardin, et la nuit elle venait dans la maison. Plus tard 
elle put être mariée, selon sa condition, dans la famille des Song, 
à Sout-pang-i, district de Kong-tsiou. Sa mère la suivit chez 
son mari, et continua, dit-on, h pratiquer la religion. Depuis 
cette époque les chrétiens n'ont plus eu de rapport avec cette 
famille. 
Quelques jours après le supplice de Paul loun et de Jacques 
Kouen, le gouvernement coréen fit afficher leur sentence et la 
nouvelle de leur mort, dans toutes les villes et tous les villages, 
afin d'effrayer le peuple et d'empêcher de nouvelles conversions. 
Mais Dieu se plaît à déjouer les plans de ses ennemis. Celte 
(1) Nouvelles IclLres édifiantes.— Paris, 1820. — Tome V, p. 274. 
— 56 — 
publication officielle donna un très-grand retentissement au pro- 
cès des deux confesseurs, fit connaître la religion chrétienne à 
nombre d'hommes qui en ignoraient même le nom, et contribua 
beaucoup à la propagation de l'Évangile. Aujourd'hui comme 
toujours, en Corée comme dans le reste du monde, cette parole 
est toujours vraie : Sanguis martyrum semen christianorum. 
Le sang des martyrs est une semence de chrétiens. 
CHAPITRE V 
Suite de la persécution. — Défection de quelques chrétiens influents. 
Martyre de Pierre Ouen. 
Pendant que la religion chrétienne était si glorieusement 
défendue devant le premier tribunal de la partie méridionale du 
royaume, plusieurs autres chrétiens étaient aussi appelés à con- 
fesser leur foi, à la capitale et dans les provinces voisines. 
François Xavier Kouen Il-sin-i n'avait pas été inquiété en 
1785, malgré son courage et ses réclamations publiques. Mais 
en 1791, il ne put échapper plus longtemps à l'envie de ses 
ennemis. Tous savaient très-bien quelle grande influence exer- 
çaient pour la propagation de la nouvelle doctrine, son nom, sa 
science et ses continuels efforts. Aussi, à Toccasion de l'affaire de 
Tsin-san, Hong Nak-an-i, Mok Man-tsiong-i, et plusieurs 
autres, présentèrent-ils une accusation contre lui, le désignant 
comme le principal chef et fauteur de la religion chrétienne. 
François-Xavier fut donc arrêté et traduit devant le tribunal des 
crimes, à la onzième lune de cette même année. Ne pouvant pas 
obtenir sa rétractation, les mandarins le mirent plusieurs fois à 
la torture, et employèrent pour vaincre sa persévérance, des 
tourments extraordinaires. Mais Xavier resta ferme. H fit 
clairement sa profession de foi sous le fer et le fouet des bourreaux: 
« n est impossible, disait-il, de ne pas servir le grand Dieu, 
créateur du ciel, de la terre, des anges et des hommes. Pour 
rien au monde je ne puis le renier, et plutôt que de manquer à 
mes devoirs envers lui, je préfère subir la mort. » Les supplices 
eurent bientôt réduit son corps à un état affreux. Cependant, le 
roi qui connaissait Xavier 11-sin-i, et avait une grande estime 
pour ses belles qualités, ne pouvait, malgré les réclamations des 
ennemis du nom chrétien, se résoudre à signer sa sentence de 
mort. Il désirait toutefois le faire changer de sentiments, et com- 
manda d'employer tous les moyens imaginables pour le gagner. 
D'après ses ordres, un nouvel assaut, plus dangereux que les 
précédents, fut livré au confesseur. Les caresses, les flatteries, 
les promesses, les insinuations, furent successivement mises en 
œuvre, avec toutes les ressources que l'amitié et la compassion 
— 58 - 
peuvent suggérer; mais sans résultat. on revint alors aux sup- 
plices et aux lortures, et le généreux confesseur triompha de la 
souffrance, comme il avait triomphé des perfides caresses de l'en- 
nemi. De guerre lasse, le roi, qui ne pouvait se décider à faire 
mourir Xavier, le condamna h l'exil dans l'île Tsiei-tsiou (Quel- 
paerl), et le gouverneur de cette île reçut l'ordre de mettre son 
prisonnier à la question, trois fois par mois, jusqu'au moment où 
il ferait sa soumission. 
Xavier Kouen restait donc victorieux de ces premiers et 
terribles assauts de l'enfer. Sa foi était intacte. Il sortit de prison, 
et comme l'état de ses blessures donnait de l'inquiétude, on lui 
permit de demeurer quelques jours à la capitale, avant de partir 
pour le lieu de son exil. 11 alla se loger dans la maison de Ni 
loun-ha. Là, occupé à soigner ses blessures et à se disposer h 
son long voyage, il ne s'attendait guère, pas assez peut-être, à 
nne dernière et plus violente tentation qui allait encore Tassaillir. 
A l'instigation du roi, quelques fonctionnaires du tribunal des 
crimes vinrent lui représenter que sa vieille mère, alors âgée 
de quatre-vingts ans, ne pouvait plus vivre longtemps. Une fois 
rendu à Tsiei-tsiou, au delà de la mer, comment pourrait-il sup- 
porter le remords de l'avoir laissée seule, et de l'avoir privée 
de la présence de son fils h ses derniers moments? on insista sur 
ce tableau déchirant, et sans lui parler d'apostasie, ce qu'il re- 
poussait toujours avec indignation, ou l'engagea seulement à faire 
au roi une légère soumission, afin d'obtenir une commutation 
de peine, et d'être exilé en un lieu moins éloigné. Xaxier vi- 
vement ému à cette pensée, se sentit faiblir. Les uns disent 
qu'il fit de la main un signe de soumission. D'autres prétendent 
qu'un des assistants, le voyant chanceler, se hâta de faire ce 
signe en son nom. Une troisième version rapporte qu'il écrivit la 
phrase incomplète et amphibologique suivante : « La doctrine 
des Européens très-différente, la doctrine de Confucius et de 
Meng-tse, mauvaise et fausse. » on lui fit remarquer qu'il 
manquait, au milieu de la phrase, un caractère nécessaire pour la 
com|)léterethi rendre intelligible. Xavieraurailrépondu: «Laissez- 
moi tranquille, faites ce que vous voudrez.» on ajouta immé- 
diatement un caractère, de façon adonner à la phrase le sens que 
voici : « La doctrine des Européens est très-différente de la doctrine 
de Confucius et de Meng-tse -.elle est mauvaise et fausse.» Quoi qu'il 
en soit, un exprès fut envoyé au roi pour lui annoncer la sou- 
mission de Xavier. Le lieu de son exil fut immédiaiement changé, 
et il eut ordre de se rendre h la ville de Niei-san. Hélas! il n'eut 
— S9 — 
pas môme le temps d'y arriver. Il s'était à peine mis en route 
qu'une maladie, causée par ses blessures, l'obligea de s'arrêter en 
chemin, et il mourut dins une liûtellcrie. 
Nous voudrions j)onvoir déeliirer de notre histoire, celte page 
que la vérité nous a forcé d'écrire. Cet homme que nous avons vu 
si grand dans sa vie, si grand au milieu des supplices, flétrissant 
ainsi ses derniers moments par une lâche faiblesse, quel spectacle ! 
mais aussi quelle leçon ! Sans doute, le i)eu de précision des do- 
cuments ne nous permet pas d'apprécier exactement la jiortée de 
son acte de souniission, et de le qualifier d'apostasie ouverte, 
m:iis au lieu de raconter un triomphe, nous devons rester le cœur 
triste, en face d'un doute insoluble. Heureux, si après avoir 
refusé la couronne du martyre, que les anges tenaient déjà sus- 
pendue sur sa tête, Xavier Kouen a pu, par un acte de sincère 
repentir, trouver grâce devant le Dieu dont il avait propagé le 
culte et prêché la gloire, avec tant de zèle et de succès. C'est le 
second exemple que nous rencontrons, de chutes causées par un 
amour trop naturel pour les parents. Nous en trouverons d'autres. 
La piélé filiale est un devoir sacré, sans aucun doute; mais il y a 
pour l'homme d'autres devoirs plus sacrés encore, et parmi les 
premiers néophytes coréens, un grand nombre ne le savaient pas 
assez. 
Pierre Ni Seng-houn-i que nous avons vu se retirer si hon- 
teusement avant le combat, était alors mandarin de la ville de 
Pieng-t'aik. Malgré sa défection bien connue du public, Hong 
Nak-an-i et se^ partisans présentèrent à la cour une requête, 
dans laquelle ils le signalaient comme chef des chrétiens, ajoutant 
qu'on l'avait vu, à la préfecture, lire des livres de cette secte. Ils 
demandaient qu'il fût traduit devant les tribunaux et jugé selon 
les lois. on l'accusait aussi de ne pas faire les prostrations d'usage 
au temple de Confucius. Les faits ne purent être prouvés, et 
Seng-houn-i, de son côté, au lieu de contesser ouvertement la foi, 
publia une lettre pour se disculper de ce qu'il appelait une 
calomnie. 
Dans cette requête de Hong Nak-an-i contre Pierre Ni, on lit 
la phrase suivante: «Parmi les dignitaires du royaume et les 
personnages les plus importants, déjà sept ou huit sur dix ont 
embrassé cette doctrine. Où arriverons-nous donc? » L'exagé- 
ration de ces paroles est manifeste, mais elles montrent bien 
qu'à cette époque, la religion chrétienne s'était grandement pro- 
pagée en Corée, et que ses ennemis craignaient de la voir envahir 
bientôt tout le royaume. Le gouvernement effraye faisait faire 
— 60 — 
partout des perquisitions. Sur la proposition de Kim Sang-tsip-i, 
ministre des crimes, le roi ordonna que ceux qui ne livreraient 
pas leurs livres de religion dans l'espace de vingt jours, seraient 
poursuivis selon la rigueur des lois. Dans une autre ordonnance 
royale du 9 de la onzième lune, quatre jours avant le martyre de 
Paul loun et Jaccjues Kouen, il était dit que dans le procès des 
deux cousins, il ne s'agissait pas d'une question de funérailles, 
mais que les deux nobles avaient été mis en jugement, pour avoir 
osé porter la main sur les tablettes de leurs ancêtres. Si l'on 
supportait un tel crime, que ne devrait-on pas supporter? Le roi 
ordonnait ensuite d'abaisser le rang de la préfecture de Tsin-san, 
oîi le mal avait pris naissance, et de la mettre au-dessous des 
cinquante-cinq autres préfectures de la province de Tsien-la. Le 
mandarin de cette préfecture devait être cassé, pour n'avoir pas 
pris lui-même, à temps, l'initiative de punir les coupables. Il 
fallait inviter les lettrés de tout le royaume à étudier plus à fond 
les vrais principes dans les livres classiques. Dans les examens de 
chaque province qui allaient avoir lieu, on devait faire un choix 
plus consciencieux des candidats, et éliminer avec soin les indi- 
vidus suspects. Enfin tous les fonctionnaires étaient excités à 
déployer le plus de zèle possible pour anéantir la nouvelle doctrine. 
on comprend, dès lors, combien nombreuses furent les arres- 
tations. 
Nous avons raconté plus haut la conversion de Thomas Tsoi 
Pil-kong-i, cet homme courageux qui ne cessait de prêcher la foi, 
dans les rues et sur les j)laces publiques. 11 était trop connu pour 
échapper. Traduit devant le tribunal, et interrogé sur sa religion, 
il répondit hardiment : «Tout homme doit suivre la loi du Maître 
du ciel, et pour moi, je suis disposé à en remplir toujours les 
devoirs. Les suj)plices auxquels il fut soumis après cette réponse 
ne rébranlèrent pas. D'une voix toujours égale , il ne cessait 
de répéter la même profession de foi, parlant avec une simplicité, 
une franchise, et une conviction telles que tous les spectateurs en 
étaient dans l'admiration. Le roi partagea lui-même ce sentiment, 
et touché de pitié pour Pil-kong-i, voulut lui conserver la vie. 
Dans ce but, il ordonna de faire tous les efforts possibles pour 
obtenir de lui, par douceur, quelques paroles de soumission. on 
s'appliqua donc à séduire Thomas. Ruses, caresses, promesses 
de fortune, tout fut employé, mais tout fut inutile. Sur les ordres 
du roi, le vieux père et le frère de Thomas furent appelés, et par 
leurs larmes et leurs supplications essayèrent d'émouvoir ce cœur 
généreux. Thomas fut vivement impressionné ; tous les sentiments 
— 61 — 
de la nature se révoltaient dans son âme. Il ne se rendit pas 
néanmoins, et ne cessa dt; répéter que, malgré tout, il ne pouvait 
se résoudre à renier Dieu, son vrai roi et son vrai père. 
Celte dernière tentative ayant échoué, il ne restait plus ([u'à 
prononcer le jugement selon la rigueur des lois. Plusieurs fois le 
ministre des crimes demanda l'assentiment du roi, mais il ne put 
jamais l'obtenir. A la fin, le ministre touché lui-même de com- 
passion, annonça au roi que Pil-kong-i avait fait une soumission 
telle quelle, et le prince aussitôt, louant beaucoup son bon esprit 
et son obéissance, lui fit donner une belle place, de celles que 
peuvent remplir les familles de médecin. Dans une autre cir- 
constance, il se fécilita encore d'avoir ramené Pil-kong-i à de 
meilleurs sentiments. Celui-ci avait-il réellement cédé à la 
crainte, comme quelques-uns le prétendent? ou bien avait-il eu 
seulement la faiblesse de ne pas prolester de suite et avec éner- 
gie, contre les paroles qu'on lui prêtait faussement? Nous l'igno- 
rons. Quoi qu'il en soit, il pleura amèrement sa faute, reprit sa 
première ferveur, et s'appliqua avec plus de zèle que jamais à 
tous ses devoirs de chrétien. Nous retrouverons un jour son nom 
dans la liste des martyrs. 
Un grand nombre d'autres chrétiens arrêtés, vers la même 
époque, se délivrèrent de la persécution par l'apostasie. Nous 
pouvons citer parmi les principaux : Tsoi Il-tsiel-i, Tsieng In- 
hiek-i. Son Kieng-ioun-i, Sang Tak-nioun-i, T'soi In-kir-i, T'soi 
Pil-lie-i, etc., qui tous eurent plus tard le bonheur de souffrir le 
martyre. 
Dans le Nai-po, nous rencontrons les mêmes exemples de 
faiblesse. Au district de Koang-tsiou, apostasie de Marcellin 
T'soi et de ses nombreux compagnons d'emprisonnement; au 
district de Hong-tsiou, apostasie de la famille de Seng-hoa; au 
district de Tang-tsin, apostasie de François Pai et de beaucoup 
d'autres. Marcellin T'soi et François Pai, lavèrent plus tard cette 
faute dans leur sang. Enfin la défection la plus triste, la plus 
humiliante pour les chrétientés du Nai-po, fut celle de leur apôtre, 
Louis de Gonzague Ni Tan-ouen-i. Connu de tous, païens et 
chrétiens, il ne put longtemps éviter les embûches des persé- 
cuteurs. 11 fut pris et enfermé à Kong-tsiou. Nous ne connaissons 
pas les supplices qu'il eut à supporter; mais il parait certain 
qu'il se laissa ébranler. Une lettre du gouverneur de Kong-tsiou, 
Pak Tsong-ak-i, du 2 de la douzième lune, annonça au roi la 
soumission de Tan-ouen-i. « Il a apostasie, dit ce document, de la 
manière la plus formelle, a témoigné sa douleur de s'être laissé 
— 62 — 
entraîner dans une mauvaise doctrine mêlée de magie, et s'est 
engagé avec serment à aller dissuader tous ceux qu'il avait en- 
doctrinés, afin de les ramener dans la voie véritable. » Le roi 
répondit par un ordre de ne relâcher le coupable qu'après un 
retour positif et complet, car sa conversion était bien récente. 
Toutefois il fut mis en liberté, le 5 de cette même lune, et put 
retourner chez llii. Le rapport du gouverneur de Hong-tsiou est 
évidemment empreint d'une monstrueuse exagération. Quels 
qu'aient pu être les torts de Louis, sa faiblesse n'a pu aller jusqu'à 
s'engager par serment à faire apostasier les chrétiens. La meilleure 
preuve, c'est qu'aussitôt mis en liberté, il recommença à pratiipier 
tous les devoirs de la religion. Mais comme il était trop connu 
dans le Nai-po, il prit le parti d'émigrer pour être moins exposé à 
de nouveaux périls. Dans la nuit du dernier jour de cette année 
(1791), il lit ses adieux à son frère aîné. Non-seulement plus de 
trente familles de sa parenté qui habitaient en ce lieu, mais 
encore tous les habitants du village, composé de plus de trois 
cents maisons, s'étaient réunis autour de lui. C'était lui qui leur 
avait fait connaître Jésus-Christ, lui qui les avait convertis et 
baptisés ; aussi semblait-il que chacun perdit un père, un frère, 
un ami. Son départ fut une scime déchirante. Il alla s'établir au 
district de Hong-san, et recommença h travailler à la prédication 
de l'Evangile, quoique avec beaucoup moins d'éclat et de 
publicité. Nous aurons plus tard le bonheur de raconter son 
martyre. 
Dieu, qui avait, dans ses secrets desseins, permis tant de 
chutes, ne voulut pas cependant que les ennemis de son nom 
pussent se flatter dun triomphe com|)let. De grands et glorieux 
exemples de fidélité vinrent consoler l'Eglise naissante de Corée. 
Dans le district de Mien-tsien, où les arrestations avaient été très- 
nombreuses, Laurent Pak, voyant les chrétiens emprisonnés depuis 
plusieurs mois, avait eu le courage d'aller souvent les consoler 
dans leurs cachots. Lu jour, pendant que les prisonniers pre- 
naient leur repas du matin, il alla frapper à la porte du manda- 
rin, entra hardiment, et, se tenant debout en face de ce magis- 
tral, s'écria : « Battre avec violence des hommes innocents, les 
« tenir en prison pendant des mois entiers, n'est-ce pas là un 
« crime horrible? )< Le mandarin, en colère, demanda quel était 
cet homme. on lui répondit que c'était un habitant de Hong- 
tsiou, frère de Pak ll-lenk-i, alors en prison pour cause de reli- 
gion. Laurent fut saisi aussitôt. on lui passa une lourde cangue 
au cou et on le battit violemment. Loin de se laisser ébrauler, 
— 63 - 
« cette Gangue de bois est trop légère, disait-il au mandarin, 
(( faites-m'en mettre une de fer. » La position du mandarin 
devenait difficile : toute la ville était eu émoi et les murmures 
commençaient h se faire entendre, car Laurent Pak était très- 
populaire. N'osant pas le condamner, il s'en débarrassa en l'en- 
voyant ailleurs. Laurent comparut successivement devant les 
tribunaux criminels de H.ii-mi et de Hong-tsiou. Dans ce dernier, 
il fut soumis à une cruelle flagellation, mais son courage ne se 
démentit pas. 11 y avait un mois et quelques jours (|u'il était 
emprisonné, lorsqu'une dépèche de la cour arriva ordonnant de 
le relâcher. 
Kim Pié, l'aïeul du premier prêtre indigène de la Corée, le 
vénérable André Kim, montra la même constance devant les 
juges; néanmoins, il ne put pas obtenir la couronne du 
martyre. 
Pierre Ouen Si-tsiang-i fut i)lus heureux. Il était originaire du 
village de Eug-tsieni, au district de Hong-tsiou, et descendait 
d'une famille honnête et jouissant d'une belle fortune. La vio- 
lence sauvage de son caractère, l'avait fait surnommer le Tigre. 
En 1788 ou 1789, il était âgé de plus de cinquante-cinq ans, 
lorsqu'il entendit parler de la religion chrétienne. Par une grâce 
e.xtraordiriaire de Dieu, il se convertit à l'instant, mais sans en 
parler à personne, et un jour il quitta sa maison, en disant : « J'ai 
vécu inutilement plus de cinquante années, quand je reviendrai, 
on saura la cause de mon départ. Soyez sans imiuiétude et sur- 
tout ne m'attendez pas. » Il partit à l'instant, et, pendant plus 
d'un an, on ne put en avoir aucune nouvelle. Enfin, Pierre ayant 
reparu, ses parents et ses amis accoururent près de lui, lui fai- 
sant mille questions, auxquelles il répondit en souriant : « Pen- 
dant plus de cinquante ans, j'ai failli bien des fois mourir, mais 
maintenant j'ai une médecine qui assure la vie pour des mil- 
liers d'années, je vous expliquerai cela demain. » Le lendemain, 
en effet, il réunit tous ses parents, et se mit à leur développer 
l'origine et la fin de ce monde, l'existence d'un Dieu créateur et 
conservateur de toutes choses, le péché originel, l'Incarnation, 
les commandements de Dieu, le ciel et l'enfer, enfin, tout ce 
qu'il savait de la religion chrétienne. « Voilà, ajouta-t-il, pour 
quiconque a bonne volonté, le moyen de vivre éternellement. 
vous tous, recevez mes paroles comme mes vœux testamentaires, 
et embrassez comme moi cette religion divine. » La grâce accom- 
pagnait ses paroles, tous |)romirent de se mettre, dès ce jour, au 
service du grand roi et père commun de tous les hommes. 
— 64 — 
Mais ce qui, plus que tous les discours, donnait à Pierre une 
force convertissante, c'était son bon exemple, c'était le triomphe 
qu'il avait remporté sur lui-même. Lorsqu'il revint chez lui, il 
avait tout à fait dompté son caractère, et montrait dans les 
diverses circonstances de la vie une inaltérable douceur. on 
admirait aussi son zèle ardent pour soulager les pauvres en leur 
faisant part de ses biens, et pour exhorter les païens de sa con- 
naissance dont il convertit plus de trente familles. Sa ferveur 
était si grande que, même en présence des païens, il accomplis- 
sait toujours ses exercices religieux. Environ deux ans après sa 
conversion, le bruit que sa famille était tout entière chrétienne, 
arriva jusqu'aux oreilles du mandarin. Celui-ci envoya des satelli- 
tes pour saisir un cousin de Pierrenommé Jacques; mais, sur l'avis 
de ses amis, Jacques avait pris la fuite. Les satellites s'adressè- 
rent à Pierre : « Où est allé votre cousin? — Il s'est caché par 
crainte de la mort; comment voulez-vous que je sache où il est? 
— Nous avons ordre du mandarin de l'arrêter comme chré- 
tien; mais, puisqu'il n'est pas ici, nous allons vous prendre 
en sa place. — Soit, » répondit Pierre, et aussitôt il fut pris et 
conduit au prétoire devant un officier subalterne qui lui dit : « Où 
est allé votre cousin? — Je l'ignore. — on dit que votre cousin 
pratique la religion chrétienne; la pratiquez-vous aussi'? — Je la 
pratique. — Promettez de ne plus la pratiquer, reniez Dieu, et 
j'avertirai le mandarin que tous ces bruits sont une pure calom- 
nie, vous serez relâché de suite. — Je ne puis renier Dieu. » on 
l'enferma dans une chambre, et pendant plusieurs jours on ne 
cessa de le presser d'apostasier. Mais Pierre s'y refusant toujours, 
l'officier en colère l'envoya au mandarin. « Est-il vrai, lui dit ce 
magistrat, que tu suis la religion du Maître du ciel? — Cela est 
vrai. — Renie ton Dieu, dénonce tes complices, et dis-moi que 
tu ne la suivras plus, je te relâcherai aussitôt. — Renier Dieu! 
jamais! Je ne puis non plus dénoncer d'autres chrétiens. — Ne 
veux-tu pas dénoncer tes complices et déclarer les livres que 
tu as chez toi? — Cela m'est impossible. » Le mandarin fu- 
rieux lui fit subir le supplice de l'écartement des os, et le fit 
battre de soixante -dix coups de la planche à voleurs. Mais 
Pierre souffrait tout patiemment, ne cessant d'exposer la vraie 
doctrine, sur Dieu, sur les devoirs de l'homme envers Dieu et 
les parents, sur la vanité des superstitions païennes, etc.. Ren- 
voyé à la prison , il comparut encore le lendemain , et aux 
mêmes questions du juge, fit les mêmes réponses. 
Il subit de nouveau le supplice de l'écartement des os et fut. 
— 65 — 
frappé, plus cruellement que la veille, avec la planche à voleurs. 
Ses chairs étaient en lambeaux, ses deux épaules brisées, et 
les os du dos, tout meurtris, restaient à nu. C'est dans ce 
triste état qu'on le reconduisit h la prison. Malgré ses souf- 
frances, son visage respirait le contentement et la joie. 11 se mit 
à prêcher les geôliers, prétoriens et satellites, et peu de jours 
après, un chrétien étant venu le voir à la prison, il reçut de lui 
le baptême, car jusqu'à ce moment, il n'était que catéchumène. 
Cependant le mandarin ayant fait un rapport au gouverneur de 
la province, en reçut Tordre de faire mourir Pierre sous les 
coups. Au troisième interrogatoire devant le juge criminel, on 
déploya un appareil formidable, et un grand nombre de satel- 
lites furent placés autour du confesseur pour l'effrayer. Le juge 
lui dit : « Le désir de te sauver la vie m'a fait employer tous les 
moyens pour te faire revenir à de meilleurs sentiments; mais 
comme tu ne voulais rien écouter et que tu t'obstinais à désirer 
la mort, j'ai averti le gouverneur, et j'en ai reçu l'ordre de te 
faire périr sous les coups; sache donc que cette fois tu vas 
mourir. » Pierre répondit : « c'est mon vœu le plus ardent. » A ces 
mots, on serra ses liens, et on commença à lui faire subir des 
tortures affreuses qui durèrent tout le jour. Pierre les supporta 
courageusement, mais il eut le corps tellement broyé qu'il ne 
pouvait plus faire usage de ses membres. on dut l'emporter à 
la prison, et lui faire mettre dans la bouche les aliments qu'il ne 
pouvait plus prendre lui-même. 
Enfin le juge criminel et le mandarin réunis, firent un der- 
nier effort pour le gagner, en lui parlant de ses enfants, qui sans 
cesse l'attendaient et l'appelaient. « Ceci me touche vivement, 
répondit Pierre, mais c'est Dieu lui-même qui m'appelle, com- 
ment pourrais-je ne pas répondre à sa voix? » Alors ils lui firent 
donner le régal ordinaire des condamnés à mort. Puis on se mit 
à le battre avec plus de rage qu'auparavant, de manière à le tuer 
aussi vite que possible. Mais il ne mourait pas. Le mandarin, 
les satellites et les bourreaux, épuisés de fatigue, se dirent alors : 
« ce coupable ne sent pas les coups, il n'y a pas moyen d'en finir. » 
— « Je sens les coups, répondit Pierre, mais Dieu est là qui me 
parleet me fortifielui-même. » En entendant ces paroles, le man- 
darin dit : « Ce coquin-là a sans doute le diable à ses ordres, » 
et il fit frapper plus fort, mais inutilement. A la fin, désespérant 
de le tuer ainsi, le mandarin commanda de le lier et de l'exposer 
couvert d'eau au froid de la nuit, pour le faire geler. Pierre fut 
donc attaché avec une grosse corde et on lui versa de l'eau sur 
— 66 — 
tout le corps. Bientôt, il fut entièrement couvert de glace. Dans 
ce supplice, il ne pensait qu'à la passion du Sauveur, et répétait : 
« Jésus flagellé pour moi par tout le corps, et couronné d'é- 
« pines pourmon salut, voyez la glace dont mon corps est couvert, 
« pour l'honneur de votre nom; » puis il offrait sa vie à Dieu 
avec action de grâces. Au second chant du coq, il rendit le der- 
nier soupir. C'était le 17 de la douzième lune de l'année im-tsa 
(janvier 1793). Pierre avait alors soixante et un ans. 
Vers cette époque, la persécution diminua beaucoup d'activité 
et de rigueur, surtout à la capitale. Le roi, d'un caractère natu- 
rellement modéré, répugnait aux mesures de violence. Il préfé- 
rait'voir employer auprès des chrétiens les caresses, les pro- 
messes, les séductions de tout genre, et trop souvent ce système 
réussit à amener des apostasies, surtout parmi les nobles. Dans 
les provinces, les choses étaient abandonnées à peu près à l'arbi- 
traire des gouverneurs, qui poursuivaient les chrétiens ou les 
laissaient en paix, selon leurs caprices ou leurs préventions per- 
sonnelles. Aussi, tandis que quelques chrétientés jouissaient 
d'une liberté presque complète, dans d'autres, comme le Nai- 
po, les néophytes furent toujours poursuivis et maltraités. 
En 1794, nous trouvons une nouvelle persécution à Hong-tsiou, 
sans pouvoir en préciser la violence et l'étendue. Paul Pak 
Hieng-hoa, eut alors le malheur d'apostasier. Nous le verrons 
réparer glorieusement cette faute on 1827. Paul Hoang, qui 
n'obtint la couronne du martyre qu'en 1813, fut plus généreux. 
Il était né à Tsié-oun-i, au district de Tsieng-iang, et depuis 
longtemps pratiquait la religion avec ferveur, lorsqu'il fut arrêté 
et conduit devant le mandarin. « Renie ton Dieu, lui dit 
celui-ci, injurie-le, et je te permets de te retirer. — Injurier 
Dieu! répondit Paul, c'est ce que les animaux eux-mêmes ne 
pourraient faire. Comment l'homme qui a une âme spirituelle 
î'oserait-il? » Il fut battu violemment avec la planche à voleurs, 
mais ne faiblit pas un seul instant et, après une longue flagel- 
lation, fut reporté mourant à la prison. Les soins que lui don- 
nèrent les autres prisonniers le firent cependant revenir à la 
vie. Le mandarin, étonné d'apprendre qu'il n'était pas mort, le 
condamna à exercer l'emploi de bourreau-fusligateur. Trois 
mois après Paul fut relâché. Des douze chrétiens arrêtés avec 
lui, il paraît que pas un n'eut le courage de l'imiter. Tous se 
tirèrent d'embarras par des paroles d'apostasie. 

on parle aussi de quelques actes de persécution dans d'autres 
endroits. Mais ce n'étaient probablement que des vexations 
— 67 — 
locales, de peu d'importance, et l'on n'en a conservé qu'un vague 
souvenir. 
Telle fut la première persécution qu'eut à subir l'Église de 
Corée, tel fut le baptême de sang et de larmes qui consacra 
celte chrétienté naissante. Quand on songe que, par une dispo- 
sition particulière de Dieu, unique peut-être dans l'histoire du 
christianisme, cette Église avait été fondée, croissait et se forti- 
fiait sans le secours d'aucun pasteur, le courage de ses martyrs, 
la constance de ses confesseurs, la persévérance de ses enfants, 
son existence même, deviennent un éclatant prodige. 
Sans doute tous ne surent pas confesser leur foi. Les premiers 
convertis, les plus célèbres propagateurs de l'Évangile, nous ont 
attristés du spectacle de leur lâcheté. En punition peut-être de 
quelque secret orgueil causé par le succès de leur parole, ils 
sont tombés, et en ont entraîné beaucoup dans leur chute. Mais 
ce n'est pas la défection de quelques-uns qui doit nous surpren- 
dre, ce qui est vraiment étonnant, ce qui montre une œuvre 
manifestement divine, c'est que tous n'aient pas apostasie. Ils 
n'avaient qu'une connaissance bien incomplète de la religion ; 
ils n'avaient pas d'autres maîtres que les quelques livres chinois 
introduits en cachette, possédés seulement par les plus instruits; 
et surtout, ils n'avaient pas le secours des sacrements. Nous 
voyons tous les jours ce que sont, même avec ce secours surnatu- 
rel, tant de chrétiens qui les reçoivent souvent. Qu'auraient dû 
être ces pauvres néophytes qui en savaient à peine le nom ! 
Et cependant, par l'unique puissance de la grâce de Dieu, nous 
comptons, parmi ces néophytes, des martyrs, des confesseurs, 
des prédicateurs zélés de l'Évangile. Dix ans après le baptême 
de Pierre Ni à Péking, nous trouvons, malgré la persécution, 
malgré la défection coup sur coup des plus illustres chefs, plus 
de quatre mille chrétiens en Corée. Nous rencontrons chez eux 
la pratique des plus grandes vertus, la charité envers le pro- 
chain, la morlification, la chasteté, toutes choses si inconnues 
des païens et si inexplicables pour eux. Oui, le doigt de Dieu 
est là. 
Une paix relative suivit l'apaisement de la persécution. La 
chrétienté en profita pour se resserrer, se raffermir dans le 
silence et la prière, et même faire de nouvelles conquêtes. Les 
chefs éminents avaient disparu. Il restait à la vérité Ambroise 
Kouen, frère aîné de Xavier, et l'illustre famille des Tieng, mais 
— es- 
par caractère, ils se mêlaient peu des affaires de la chrétienté, et 
on ne voit pas qu'ils l'aient jamais dirigée. Ceux que nous trou- 
vons alors à la tête sont : Jean T'soi Koan-tsien-i, etMatliias T'soi 
In-kir-i, hommes zélés et capables, de la classe moyenne. Ils 
n'avaient pour eux ni la renommée, ni la grande naissance de 
leurs prédécesseurs, mais le progrès de la religion n'en souffrit 
nullement, et quoique moins frappant aux yeux des païens, fut 
plus réel et plus solide. on dirait que la Providence, après s'être 
servie de ces savants et de ces nobles, pour produire le premier 
ébranlement, les laissa disparaître presque aussitôt, pour mon- 
trer que l'Évangile n'a pas besoin d'eux, et faire comprendre aux 
Coréens qu'il ne s'agissait pas d'une de ces sectes philosophiques 
auxquelles le nom, la position et la science des adeptes donnent 
pendant quelques jours une vie factice, et qui meurent avec leurs 
fondateurs. JVon muiti sapientes secundum carnem^ non multi 
nobiles ut non evacuetur crux Christi. Peu de savants 
selon la chair, peu de grands, peu de nobles, afin que ne soit 
pas oubliée et réduite à rien la croix du Christ. — I Cor. i, 17. 
Voici le portrait que tracent de Jean T'soi les relations 
coréennes. Le chef catéchiste Jean T'soi fut un des premiers à 
embrasser la religion. C'était un homme calme, prudent, éclairé, 
au cœur généreux et résolu. Il expliquait la vérité avec précision 
et douceur. Sa parole était sans apprêt, et cependant tous l'écou- 
taient avec satisfaction et grand profit pour leurs âmes. L'humi- 
lité, la résignation à la volonté de Dieu, lui étaient comme natu- 
relles, et, quoiqu'il n'y eût rien d'extraordinaire dans sa conduite, 
jamais homme ne fut plus estimé et plus aimé des chrétiens. 
Le premier soin de Jean Tsoi et de ses compagnons fut de 
chercher à obtenir un prêtre. Les difficultés nées de la persécu- 
tion étaient presque aplanies, et le désir des fidèles de posséder 
le ministre de Dieu, était plus ardent que jamais. Il fut donc 
décidé que Paul loun lou-ir-i, qui avait déjà fait deux fois le 
voyage de Péking, se mettrait h la tête de l'expédition, et que 
Sabas Tsi Tsiang-hong-i l'accompagnerait avec quelques autres. 
Pendant leur absence, on devait préparer une maison, à la capi- 
tale, pour y recevoir le prêtre, et la garde de cette maison devait 
être confiée à Mathias T'soi In-kir-i. 
Les courageux députés partirent donc, à la suite de l'ambas- 
sade, vers la fin de l'année 1793. Dieu les protégea dans le che- 
min, et ils arrivèrent heureusement au terme de leur voyage. 
LIVRE II 
Depuis l'entrée «lu P. TSIOU en Corée, 
Jusqu'à son g^lorieux martyre. 
lîOX-lSOl. 
CHAPITRE l« 
Entrée du P. Tsiou en Corée. — Martyre de ses introducteurs. 
Travaux du P. Tsiou. 
Nous avons vu qu'en 1790, l'évèque de Péking avait promis 
aux députés de l'Eglise coréenne, Paul loun et Jean-Baptiste Ou 
de leur envoyer bientôt un pasteur. Il leur tint parole, et au 
mois de février 1791, Jean dos Remedios, prêtre séculier de 
Macao, nommé par lui missionnaire de Corée, partit de Péking. 
Tous les ans, lorsque l'ambassade coréenne rentre dans le royaume, 
une foire a lieu sur les frontières de la Chine et de la Corée, et 
un grand nombre de marchands des deux nations s'y rendent 
pour faire le commerce. Il avait été convenu avec les envoyés 
coréens que le prêtre viendrait à la foire de cette année. Des 
chrétiens coréens, qu'on reconnaîtrait à certains signes, s'y 
trouveraient aussi, pour le recevoir et pour l'introduire dans leur 
pays. Après vingt jours de marche, Jean dos Remedios arriva sur 
les frontières de la Corée, mais les chrétiens coréens, empêchés 
par la persécution si violente alors, ne parurent pas. Dix jours 
s'écoulèrent, la foire se termina, l'ambassade rentra en Corée, et 
le zélé missionnaire, plein de douleur de l'insuccès de son entre- 
prise, fut obligé de revenir à Péking, avec les Chinois qui l'ac- 
compagnaient. 
Après avoir envoyé le P. dos Remedios en Corée, l'évèque 
Govea écrivit au pape Pie VI, pour lui annoncer la nouvelle du 
merveilleux établissement de l'Eglise dans ce pays. Sa lettre ar- 
riva à Rome en 1792. De grandes douleurs affligeaient alors 
le souverain Pontife, et ce fut au milieu des angoisses de cette 
terrible époque, qu'il apprit qu'à l'extrémité de l'Orient, de 
— 70 — 
nouveaux fils étaient nés à la sainte Eglise Romaine, et que 
Notre Seigneur Jésus-Christ avait déjà des témoins, dans une 
contrée où jusqu'alors son nom n'avait pas été prêché. En lisant 
cette lettre, le vicaire de Jésus-Christ versa des larmes de joie, 
et du fond de son âme donna une première bénédiction à cette 
église naissante. Le cardinal Antonelli répondit à Tévêque de 
Péking: «Notre excellent Souverain Pontife a lu avec la plus 
grande avidité l'histoire que vous avez tracée de ce très-heureux 
événement. Il en a répandu des larmes bien douces et a éprouvé 
un plaisir ineffable de pouvoir offrir à Dieu ces prémices de con- 
trées si éloignées. » Plus loin, il ajoutait : « Sa Sainteté aime avec 
une tendresse toute paternelle ces nouveaux enfants, ces illustres 
athlètes de Jésus- Christ. Elle désire leur accorder toute sorte de 
biens spirituels. Quoique absente de corps, elle les voit des yeux 
de l'esprit, les embrasse tendrement, et leur donne de tout son 
cœur la bénédiction apostolique. » Enfin il annonçait àTévêquede 
Péking, que le Pape, pasteur de l'Eglise universelle, confiait à 
ses soins et à sa direction cette nouvelle église, fille de celle de 
Péking. 
Après le retour du P. dos Remedios, l'évèque fut trois années 
entières sans aucune nouvelle de Corée. Ce silence prolongé 
était de mauvais augure. D'ailleurs, quelques mots prononcés 
par des personnes de la suite de l'ambassade, en 1792, lui 
avaient fait soupçonner qu'on persécutait les chrétiens, et 
comprendre pourquoi aucun d'eux n'était venu au rendez-vous 
recevoir le prêtre. Ce ne fut qu'un an plus tard, à l'arrivée de 
Paul loun et de Sabas Tsi, qu'il put connaître tous les détails de 
cette première persécution. Il était évident qu'il fallait atout 
prix, et le plus tôt possible, porter secours à celte Eglise désolée. 
L'évèque le comprit, et conféra aussitôt avec les courriers, sur 
les moyens de faire parvenir un prêtre dans leur patrie. Jean dos 
Remedios, le premier missionnaire désigné, était mort. Pour le 
remplacer, l'évèque jeta les yeux sur un jeune prêtre chinois, les 
prémices du séminaire épiscopal de Péking. Il se nommait Jacques 
Tsiou, et était originaire de la grande ville de Sou-Tcheou, dans 
la province de Kiang-nam. Les Portugais l'ont toujours désigné 
sous le nom de P. Jacques Yellozo. Il n'avait alors que vingt- 
quatre ans; mais sa grande piété, son habileté dans la littérature 
chinoise et dans les sciences ecclésiastiques, sa physionomie assez 
semblable à celle des Coréens, décidèrent l'évèque de Péking à le 
choisir, pour cette belle et périlleuse mission. 
Le P. Jacques Tsiou, muni de tous les pouvoirs ordinaires 
— 71 — 
et extraordinaires, pour exercer le 'ministère apostolique, partit 
donc de Péking, au mois de février 1794. Après vingt jours de 
marche, il arriva aux frontières de la Corée. Des chrétiens 
l'attendaient afin de l'introduire et de le conduire jusqu'à la 
capitale; mais comme la surveillance était alors très-sévère, par 
suite des ordres donnés pendant la persécution, il fut convenu 
que la tentative serait différée jusqu'au mois de décembre. En 
attendant l'époque fixée, le missionnaire visita les chrétientés de 
la Tartarie, voisines de la Corée, comme l'évêque de Péking lui en 
avait donné la commission, dans le cas où il ne pourrait pas 
pénétrer immédiatement en Corée. 
Au mois de décembre, le P. Tsiou revint à Pien-men, où 
Sabas Tsi et d'autres chrétiens s'étaient rendus, pour lui servir 
de guides. Le prêtre changea ses habits, arrangea ses cheveux à 
la Coréenne, et, vers le milieu de la nuit du 23 décembre 1794, 
franchit le fleuve Apno, la terrible barrière qui le' séparait de la 
Corée. D'autres chrétiens l'attendaient sur la rive coréenne du 
fleuve, à Ei-tsiou, vis-à-vis Pien-men, et le conduisirent jusqu'à 
la capitale, où il parvint au commencement de l'année 1795. Son 
arrivée causa une joie et une consolation inexprimables aux 
chrétiens qui le reçurent comme un ange descendu du ciel. 
Le P. Tsiou fut logé dans la maison préparée par Mathias 
T'soi au quartier nord de la ville. Il commença par faire préparer 
tout ce qui était nécessaire pour la célébration du saint sacrifice, 
et se livra tout entier à l'étude de la langue coréenne, afin de 
pouvoir, le plus tôt possible, exercer le saint ministère. Le jour 
du Samedi-Saint, il baptisa plusieurs adultes, suppléa les céré- 
monies de ce sacrement^ à quelques autres, et reçut un certain 
nombre de confessions par écrit. Enfin, le jour de Pâques, il eut 
pour la première fois, en Corée, le bonheur de célébrer la sainte 
messe et de donner la communion aux personnes qu'il avait 
confessées la veille. 
Tout alla bien jusqu'au mois de juin. Les chrétiens, au comble 
de leurs vœux, voulaient tous voir le prêtre , et recevoir les 
sacrements. Bientôt l'affluence fut extrême. Le P. Tsiou, peu 
au courant des coutumes du pays, recevait facilement tous ceux 
qui se présentaient, et nul ne songeait à prendre les précautions 
exigées par la prudence. Sur ces entrefaites, un bachelier nommé 
Han leng-ik-i, de famille noble, qui n'était chrétien que depuis 
quelques mois et n'avait qu'une foi peu solide, parvint à se faire 
introduire auprès du prêtre. Cette entrevue fit naître dans son 
cœur un dessein pervers. Il alla trouver le frère de Ni Piek-i, 
— 72 - 
ennemi déclaré de la religion, et alors en faveur à la cour. 11 lui 
apprit qu'un prêtre chrétien, chinois de nation, résidait dans la 
capitale, lui fit connaître la maison où il était caché, et lui donna 
son signalement. Le premier ministre et le roi lui-même furent 
bientôt informés de tout. Ordre fut donné au grand juge criminel 
T'sio Kiou-tsin-i, d'envoyer à l'instant des satellites, pour se 
saisir sans bruit de l'étranger. C'était le 27 juin. Heureusement, 
les chrétiens, qui se défiaient un peu du traître, avaient épié ses 
démarches, et avaient pu connaître à temps ses dénonciations, et 
lesordres delà cour. Le P. Tsiou, averti, s'était de suite réfugié 
chez un autre chrétien. Mathias Tsoi resta seul pour garder la 
maison menacée. 11 eut pu chercher son salut dans la fuite, mais 
afin de mettre entièrement le prêtre en sûreté, il conçut la 
généreuse résolution de se faire passer pour le Chinois qu'on 
cherchait. Comme il était d'une famille d'interprètes, et parlait le 
chinois, il espérait de cette manière réussir plus facilement dans 
son dessein. 11 se coupa donc les cheveux pour mieux contrefaire 
l'étranger, et attendit paisiblement l'arrivée des satellites. Ceux- 
ci arrivés à la maison, se précipitèrent sur lui, en criant : « Où est 
le Chinois? — C'est moi,» répondit Mathias avec calme. 11 fut 
aussitôt saisi et traîné devant le juge. Mais on ne tarda pas à 
s'apercevoir de la méprise. Le prêtre chinois avait été signalé 
comme portant une barbe assez bien fournie, et Mathias en 
était dépourvu. on se mit donc de nouveau à la recherche du 
prêtre, et il n'eût probablement pas échappé longtemps aux pour- 
suites, si le roi, qui craignait de faire souffrir beaucoup d'inno- 
cents, n'eût ordonné de procéder dans cette affaire avec plus de 
modération. 
Cependant Paul loun et Sabas Tsi, les deux introducteurs du 
P. Tsiou, avaient aussi été pris le même jour, et réunis à 
Mathias T'soi. La nuit même de leur arrestation ils furent con- 
duits devant le tribunal. Leur fermeté et la sagesse de leurs 
paroles déconcertèrent les juges. Des professions de foi claires 
et généreuses étaient la seule réponse qu'ils faisaient à toutes 
les questions sur le prêtre étranger, sur son arrivée et sur son 
séjour dans la capitale. Pour leur arracher des aveux compro- 
mettants, on les mit plusieurs fois à la torture, on les accabla de 
coups, on leur disloqua les bras et les jambes, on leur écrasa les 
genoux, mais rien ne put faire fléchir leur courage ou lasser leur 
patience. Une joie céleste inondait leurs cœurs et se répandait 
jusque sur leurs visages. Enfin le roi, cédant aux réclamations 
multipliées des ennemis de la religion, signa leur arrêt de mort. 
— 73 — 
La sentence fut exécutée cette nuit-là même dans la prison, et les 
corps des martyrs furent jetés dans le fleuve. C'était le 12 de la 
cinqui^nle lune (28 juin 1795). Sabas Tsi était âgé de vingt- 
neuf ans, Paul loun avaii trente-six ans, et Matliias T'soi trente 
et un ans. 
Telle fut la récompense magnifique que Dieu donna h ces 
trois généreux chrétiens qui avaient, au péril de leur vie, intro- 
duit un prêtre en Corée, et qui, parleur piété, méritèrent ce 
bel éloge de l'évêque de Péking. « L'Église de Péking et 
moi, écrivait-il en 1797, avons été témoins de la piété et de 
la dévotion de Paul loun dans les deux voyages qu'il fit à Péking 
en 1790. Il y reçut les sacrements de Confirmation, de Péni- 
tence et d'Eucharistie, avec une ferveur si frappante, que plu- 
sieurs de nos chrétiens ne purent retenir leurs larmes, dans la 
joie et l'admiration qu'ils éprouvaient de trouver chez ce néo- 
phyte, la modestie, les paroles, les vertus exemplaires d'un vieux 
chrétien consommé dans la pratique de l'Évangile. En 1793, 
nous fûmes aussi témoins de la piété de Sabas Tsi, pendant les 
quarante jours qu'il passa à Péking. Les fidèles de cette ville 
furent édifiés de sa dévotion, de sa grande ferveur, et de l'effu- 
sion de larmes avec lesquelles il reçut les sacrements de Con- 
firmation, de Pénitence et d'Eucharistie. Quant à Mathias T'soi, 
nous n'avons pas été témoins oculaires de sa foi, parce qu'il 
n'est pas venu à Péking, mais j'ai appris par le missionnaire de 
Corée, que ce chrétien a été un des premiers catéchistes, et qu'il 
s'est distingué par sa ferveur, sa piété et son zèle à étendre la 
gloire de Dieu (1). » 
Cinq autres chrétiens avaient été arrêtés avec nos trois mar- 
tyrs, et accusés comme eux de s'être faits les introducteurs du 
prêtre étranger dans la Corée; mais ils soutinrent, avec raison, 
qu'ils n'avaient pris aucune part à son entrée dans le royaume. 
on voulut les faire apostasier. Ils s'y refusèrent, et confessèrent 
leur foi au milieu des plus cruels supplices. Après quinze jours 
de tortures, ils furent mis en liberté, et s'en allèrent joyeux, 
louant et bénissant Dieu. Quant au dénonciateur Han leng-ik-i, 
il ne recueillit aucun profit de sa trahison. A l'automne de cette 
même année, il mourut misérablement, loin de sa famille et de 
sa maison. on dit qu'à l'heure de sa mort, il ne cessait de gémir 
et de verser des larmes. Puisse-t-il, par un sincère repentir, 
avoir obtenu de Dieu, le pardon de son crime! 
(1) Nouvelles Lettres édif. T. b. 
— 74 — 
Pendant qu'on mettait à mort ceux qui l'avaient introduit en 
Corée, et qu'on faisait de tous côtés des recherches pour le sai- 
sir, le P. Tsiou était caché dans le bûcher d'une femme chré- 
tienne. Cette néophyte courageuse, qui exposait ainsi sa vie pour 
le sauver, se nommait Colombe Rang Oan-siouk-i. Comme elle 
a joué un grand rôle dans l'histoire de la chrétienté à cette 
époque, nous allons raconter sa vie avec quelque détail. Elle 
était née dans le Nai-po, d'une famille païenne de demi-nobles, 
ou, selon l'expression coréenne, de nobles bâtards. on nomme 
ainsi les familles issues d'une mésalliance. Dès son enfance, 
Colombe montra une pénétration d'esprit remarquable, jointe 
à un cœur droit, ferme et courageux. Elle ne se permettait point 
d'actions mauvaises, et supportait avec beaucoup de patience 
le caractère acariâtre de sa mère. Son âme élevée aspirait déjà 
à quelque chose de grand. Elle s'appliquait à pratiquer les 
maximes de la religion de Fo, et avait même formé, dit-on, le 
desseiri de quitter le monde, pour se livrer toute entière aux 
exercices religieux de cette secte. 
Colombe fut mariée à un demi-noble du district de Tek-san, 
nommé Hong Tsi-ieng-i, qui avait perdu sa première femme. 
C'était un homme d'une simplicité extrême, entièrement dépourvu 
des qualités de l'intelligence, avec lequel Colombe avait bien de 
la peine à vivre en bonne harmonie, et qui lui causait beaucoup 
de chagrins. Elle faisait néanmoins tous ses efforts pour lui être 
agréable, et par ses prévenances et sa douceur, elle sut gagner 
l'affection de sa belle-mère dont le caractère était assez difficile. 
Colombe était maiiée depuis quelque temps, quand pour la pre- 
mière fois elle entendit un parent de son mari, nommé Paul, 
parler de la religion du Maître du ciel. Ce mot la frappa. « Le 
« Maître du Ciel, se dit-elle, ce doit être le maître du ciel et 
« de la terre. Le nom de cette religion est juste, et sa doctrine 
« doit être vraie. » Elle demanda des livres, et en les lisant, 
son cœur comprit la grandeur et la beauté de la vérité évangé- 
lique. Elle s'attacha à la religion par toutes les puissances de 
son âme et, dès ses premiers pas dans la vie chrétienne, aspira 
aux vertus héroïques. Son assiduité à remplir tous ses devoirs, 
sa ferveur, sa mortification étaient admirables. Elle s'appliqua 
aussitôt à convertir sa maison, ses parents et ses amis; et son 
zèle s'étendit jusqu'aux villages voisins. Son mari fut le princi- 
pal objet de sa sollicitude. Quand elle l'exhortait à se faire chré- 
tien, il disait : « C'est vrai, c'est vrai, » mais quand ensuite les 
ennemis de la religion la décriaient, il remuait la tête en signe 
— 75 — 
d'approbation, et accordait pleine créance h leurs paroles. Si sa 
femme le réprimandait, il versait des larmes et regrettait ses 
torts, puis si de mauvais amis revenaient le voir, il agissait 
comme auparavant. Colombe, malgré tous ses efforts, n'abou- 
tissait à rien, et elle vit bien qu'elle ne pourrait jamais parvenir 
à lui faire pratiquer sérieusement la religion. 
Elle s'appliqua aussi à convertir sa belle-mère. Cette dernière 
commença à servir Dieu et à réciter les prières cbrétiennes, mais 
elle ne pouvait se résoudre à abandonner le culte des ancêtres. 
Colombe l'exhortait sans cesse, et surtout adressait à Dieu de 
ferventes prières, pour obtenir sa conversion entière. Ses prières 
furent enfin exaucées. Un jour que la belle-mère balayait la salle 
des ancêtres, un fracas horrible se fit entendre tout à coup, les 
poutres et les coh)nnes de la chambre étaient ébranlées. Saisie 
de frayeur à ce bruit étrange, dont il était impossible de décou- 
vrir la cause, cette femme courut se jeter entre les bras de sa 
bru et abjura ses vaines superstitions. Après cette victoire, 
Colombe convertit encore son père et sa mère, qui moururent 
tous deux d'une manière édifiante. 
En 4791, lorsque la persécution éclata. Colombe secourut les 
confesseurs de la foi, préparant leur nourriture et la leur por- 
tant dans les prisons. Elle fut arrêtée et conduite devant le gou- 
verneur de Hong-tsiou. Nous ignorons les détails de son interro- 
gatoire, mais il paraît qu'elle fut remise en liberté sans avoir eu 
de tourments à endurer, et sans avoir prononcé une seule parole 
d'apostasie. Peu de temps après, elle se sépara de son mari auquel 
elle confia le soin de ses terres, et accompagnée de sa belle-mère, 
de sa fille et de Phili})pe Hong, fils que son mari avait eu d'un 
premier mariage, elle vint résider à la capitale. Le motif qui la 
portait à agir de la sorte ne nous est pas bien connu. Les uns 
disent que ce fut le désir de vivre dans la continence ; d'autres 
assurent qu'elle cherchait seulement à se trouver au milieu de 
chrétiens plus fervents; enfin, d'après la sentence rendue plus tard 
contre elle, elle aurait été chassée par son mari lui-même. Celui- 
ci, en effet, effrayé par la persécution, et n'ayant nulle envie de 
pratiquer la religion, aura pu lui ordonner de se retirer de chez 
lui. Cette dernière explication est beaucoup plus probable. 
Colombe était donc à la capitale, lorsque le P. Tsiou y 
arriva. Elle avait même aidé Sabas Tsi et ses compagnons dans 
leur périlleuse entreprise. Le prêtre la distingua bien vite entre 
toutes les chrétiennes qu'il put voir. Ravi de joie de trouver, dès 
son arrivée, une auxiliaire si dévouée, il la baptisa et lui donna 
— 76 — 
la fonction de catéchiste chargée de tout ce qui concernait l'ins 
truction des femmes, emploi dont elle s'acquitta avec autant 
d'activité que d'intelligence. Lorsque le missionnaire fut trahi 
et poursuivi par les satellites, Colombe, avertie à temps, conçut 
la généreuse pensée de le sauver. Elle le cacha dans le bûcher de 
sa maison, et l'y nourrit pendant trois mois à l'insu de tous, et 
même de sa belle-mère et de son fils Philippe. Elle était cepen- 
dant très-affligée de ne pouvoir offrir au prêtre un asile plus 
commode, mais elle n'osait pas se confier à sa belle-mère, qu'elle 
voyait bien éloignée de ses généreuses dispositions. Elle entre- 
prit cependant de toucher son cœur. Elle se mit à pleurer et à 
gémir presque continuellement : elle ne mangeait et ne dormait 
presque plus. Sa belle-mère, craignant de la perdre, voulut savoir 
la cause de son chagrin. Colombe lui dit : « Le prêtre est venu 
« ici, au péril de sa vie, pour sauver nos âmes, et nous n'avons 
« rien fait pour reconnaître ses bienfaits, et il est aujourd'hui 
« sans asile. A moins d'être de pierre ou de bois, comment ne 
« serais-je pas vivement affligée à cette pensée? Je vais donc 
« m'habiller en homme, et parcourir le pays pour tâcher de le 
« trouver et de le secourir. — La belle-mère répondit en pleu- 
« rant : Si vous agissez ainsi, qui aurai-je pour appui! Je 
« vous suivrai donc et je mourrai avec vous. — Vénérable mère, 
« reprit Colombe, je suis bien consolée de voir h quel degré de 
« vertu vous êtes arrivée. Je ne craindrais certainement pas 
« d'exposer ma vie pour sauver le missionnaire, mais dans des 
« circonstances si difficiles, nous ne pourrions pas le trouver, et 
« nous nous exposerions inutilement. Le Seigneur du ciel qui 
« sait tout, et qui pénètre le cœur des hommes, voit notre bonne 
« volonté, et il permettra peut-être que le Père vienne près de 
« nous. S'il se présentait, oseriez-vous le recevoir? Si vous me 
« donnez l'assurance de votre consentement, votre fille aura 
« aussitôt l'âme en paix. Elle reprendra sa joie première, et 
« s'acquittera envers vous jusqu'à la mort des devoirs de la 
« piété filiale. — La mère répondit : Je ne veux pas me 
« séparer de vous, faites tout ce que vous voudrez. » — Aussi- 
tôt Colombe tressaillant de joie courut à la cachette du prêtre, et 
l'introduisit dans la salle d'honneur. Ce fut là que le P. Tsiou, 
protégé par l'usage coréen qui interdit aux étrangers l'entrée 
des maisons nobles, fit sa résidence habituelle pendant trois ans. 
Au mois de septembre 1796, le P. Tsiou écrivit à l'évêque 
de Péking, pour lui faire connaître sa position et l'état de la 
chrétienté coréenne. Les continuelles perquisitions de la police, 
— 77 — 
et le redoublement de surveillance, surtout aux frontières, ne 
lui avaient pas permis de le faire l'année précédente. Thomas 
Hoang Sim-i, né à Siong-raeri, au district de Tek-san, et l'un 
de ceux qui avaient attendu le prêtre sur la frontière en 1795, 
fut choisi pour courrier. Il dut acheter à prix d'argent une place 
de domestique auprès d'un des membres de l'ambassade. Ayant 
caché soigneusement dans ses habits les deux morceaux de soie 
sur lesquels étaient écrites la lettre latine du P. Tsiou, et la 
lettre des chrétiens en caractères chinois, il se mit en route, et, 
le 28 janvier 1797, arriva à Péking. L'évêque Govea passa de 
l'extrême inquiétude à la joie la plus vive, en lisant les lettres du 
missionnaire et des chrétiens. Dans sa lettre, le prêtre parlait 
des moyens de procurer la paix à l'Église coréenne. Le meilleur 
à ses yeux eiît été de demander à la cour de Portugal, un ambas- 
sadeur qui viendrait saluer le roi de Corée, et faire alliance avec 
lui. Avec cet ambassadeur, on eût envoyé des prêtres savants 
dans les mathématiques et dans^la médecine, qui auraient pu 
s'établir dans le pays, et que le gouvernement coréen eût traité 
favorablement, par égard pour le roi de Portugal. Nous ignorons 
si la demande de cette ambassade fut faite. Ce qui est certain, 
c'est que jamais personne ne fut envoyé. 
Aussitôt que le P. Tsiou connut suffisamment la langue 
coréenne et les usages du pays, il s'occupa de l'administration 
des chrétiens, mais avec les plus grandes précautions. Lorsqu'il 
sortait. Colombe seule savait où il allait. on cachait soigneuse- 
ment toutes ses démarches; il n'avait de rapport qu'avec les 
chrétiens les plus sûrs, et le plus grand nombre, surtout dans 
les provinces, soupçonnaient à peine qu'il y eût un prêtre en 
Corée. 11 ne se montrait même pas à tous les membres des 
familles qui le recevaient, et plusieurs fois des serviteurs même 
chrétiens purent seulement deviner sa présence, qui n'était publi- 
quement avouée de personne. L'extrait suivant d'une lettre écrite 
par un chrétien de l'époque, va nous donner une idée de la 
rigueur avec laquelle le secret était gardé. 
L'auteur de cette lettre est Pierre Sin Tai-po, martyrisé 
en 1839. Il l'écrivit dans sa prison en 1838, sur un ordre de 
M. Chastan, qui recueillait avec soin tous les souvenirs des 
vieillards concernant les premiers temps du christianisme en 
Corée. Jean Ni le-tsin-i, dont il est ici question, est le même 
que nous verrons plus tard renouer les communications avec 
Péking. 
« Mon parent Jean Ni le-tsin-i et moi, étions chrétiens depuis 
— i» — 
cinq ans, mais assez peu fervents. Nous désirions vivement voir 
le prêtre, et depuis longtemps je fatiguais de questions un chré- 
tien de mes amis, fonctionnaire public. Une nuit, je couchai 
chez lui, et le matin, en réponse à mes instances, il se leva, tira 
de son armoire une paire de bas d'enfants, et me donna ces bas 
en me disant de les chausser. Les ayant regardés, il me parut 
qu'un enfant lui-même ne pouvait les mettre, et tout étonné je 
dis : « Ceci est une mauvaise plaisanterie. Pourquoi engagez- 
vous une grande personne à mettre des bas d'enfani? » — Il me 
répondit : « La religion étant très-équitable, il n'y a, vis-à-vis 
d'elle, ni grands ni petits, ni nobles ni roturiers. C'est à peu près 
comme ces bas qui, souples et élastiques, vont aux grands pieds 
comme aux petits. Dans la religion, avec de la ferveur, on peut 
voir le prêtre, comme ces bas avec un peu d'efforts chaussent 
bien, même un grand pied. » En effet, je parvins à les mettre. 
C'étaient des bas venus d'Europe qui, travaillés avec de la laine, 
s'élargissaient autant qu'on voulait. Je multipliai mes questions, 
mais inutilement, je n'obtins pas un mol de plus. Je revins dix 
jours plus lard, j'interrogeai d'autres chrétiens, j'envoyai Jean 
Ni à son tour. Partout silence absolu. En somme, Jean Ni et moi 
finies successivement sept ou huit voyages à la capitale, dont 
notre demeure était éloignée de cent quarante lys, et toujours 
sans succès. Jean Ni laissa même sa famille pour venir se fixer à 
Séoul afin de saisir plus facilement une occasion favorable... 
Malgré tout, nous n'eûmes jamais la consolation de voir le 
prêtre. La nouvelle de sa mort nous arriva plus tard, et ne fit 
qu'augmenter nos regrets. » 
Combien d'autres démarches analogues durent être faites, 
dans le même temps, par un grand nombre d'àmes qui avaient 
faim et soif des grâces de Dieu! et quelle leçon pour tant de chré- 
tiens qui, vivant au milieu des secours de la religion songent si 
peu à en profiler! Nous ne devons pas cependant blâmer comme 
exagérées, ces précautions si sévères. La présence du prêtre en 
Corée était connue du gouvernement, les recherches étaient con- 
tinuelles, les arrestations se succédaient tous les jours. Pou- 
vait-on prendre trop de soin pour conserver l'unique pasteur, 
sur la tête duquel semblait reposer le salut de tout le troupeau. 
Le P. Tsiou étant environné d'un tel mystère, il ne faut pas 
s'étonner que la tradition coréenne ne nous apprenne presque 
rien sur ses travaux apostoliques. on sait seulement qu'à la 
capitale il allait quelquefois chez Augustin Tieng Iak-tsiong, 
chez Alexandre Hoang Sa-ieng-i et chez Antoine Hong An-tang. 
— 79 — 
Il visita aussi plusieurs fois le palais lang-tsiei-kong ou Piei- 
kong, et probablement y séjourna quelque temps. Ce palais 
appartenait à un frère bâtard du roi nommé Ni In ou Il-oang- 
sou, dont le fils Tam avait été mis h mort, comme coupable de 
conspiration. Les grands eussent voulu aussi qu'on fit mourir le 
père, mais le roi ne l'avait pas permis, et s'était contenté de 
l'exiler dans l'île de Kang-hoa. Il n'était resté dans son palais 
Piei-kong que deux femmes, l'épouse du prince exilé, et sa belle- 
fille, veuve de Tam. Une chrétienne, ayant pitié de leur infor- 
tune, leur parla de religion vers l'année 1791 ou 1792. Le mal- 
heur avait préparé leurs âmes, elles se convertirent, mais 
personne n'osait avoir de rapport avec elles sous le prétexte 
que cela pourrait attirer de fâcheuses affaires. Seule, la géné- 
reuse Colombe n'eut pas cette crainte ; elle alla voir les deux 
princesses, conduisit même le prêtre chez elles, et leur fit rece- 
voir les sacrements. La femme de Ni In s'appelait Marie Song, 
et sa belle-fille Marie Sin. Elles devinrent toutes deux très-fer- 
ventes, convertirent plusieurs de leurs esclaves, et s'agrégèrent 
à la confrérie Mieng-to, ou de l'instruction chrétienne. Elles 
étaient heureuses de recevoir le prêtre dans leur palais. Lors- 
qu'il s'y trouvait, il était caché dans une chambre séparée, atte- 
nante à la maison de Hong An-tang, et communiquant avec cette 
dernière par un trou secrètement pratiqué dans la muraille. Le 
prince exilé eut connaissance de ce qui se passait dans son 
palais, et n'y mit aucun obstacle. Cependant lui-même ne se fit 
jamais chrétien. 
Le P. Tsiou fit aussi plusieurs tournées dans les provinces. 
Il alla au district de Nie-tsiou, dans la famille du martyr Paul 
loun, son introducteur. Il résida quelque temps chez Augustin 
Niou Hang-kem-i, àTso-nam-i, district deTsien-tsiou, province 
de Tsien-la, on sait aussi qu'il passa dans les districts de Ko-san, 
Nam-po, Kong-tsiou, on-iang, et dans le Nai-po. Mais à quelle 
époque précise fit-il ces différentes excursions? avec quel succès? 
nous l'ignorons. Les mémoires du temps ne nous ont laissé aucun 
détail. Ce qui est certain, c'est que la plupart des fidèles ne 
purent alors participer à la réception des sacrements, à cause 
du secret inviolable qui devait partout protéger le missionnaire, 
et des autres difficultés de tout genre, causées par la persécution. 
Les chrétiens sont du reste unanimes à faire l'éloge du P. Tsiou. 
Ils nous le représentent infatigable au travail , se réservant 
à peine le temps nécessaire pour manger et pour dormir. La nuit, 
il exerçait le saint ministère; le jour, il traduisait des livres ou 
— 80 — 
en composait de nouveaux. Il jeûnait, se mortifiait et se sacri- 
fiait tout entier à son devoir. Il semble même que Dieu voulut 
rehausser par des miracles léclat des vertus de son serviteur. 
Une tradition respectable rapporte qu'un jour, pendant son séjour 
à la capitale, un incendie éclata au quartier T'sang-kol. Le feu 
durait depuis vingt-quatre heures, lorsque le prêtre, désolé de 
ses affreux ravages, et ne pouvant aller lui-même sur les lieux, 
envoya le jeune Song, fils de Philippe Song, avec ordre de jeter 
de l'eau bénite sur les flammes. Le jeune homme s'acquitta de la 
commission, pendant que le P. Tsiou demeurait en prière, et 
presque aussitôt le vent changea, et poussa les flammes du côté 
où il ne restait plus que des ruines. 
La prudence du prêtre, disent les relations coréennes, ses 
talents, son zèle, ses vertus, le mettaient au-dessus du commun 
des hommes. Il était environné de dangers; néanmoins, sem- 
blable au Koue (I) dont on a réussi à cacher les angles, en l'en- 
vironnant de cent pointes différentes, il sut, à force de précau- 
tions et d'expédients, se sauver de tous les mauvais pas. Lorsqu'il 
entra en Corée, la sainte religion du Maître du ciel ne faisait 
encore que de naître. L'éclat de sa doctrine était comme voilé par 
la grande ignorance des chrétiens. Pour remédier à ces maux, il 
ne se contenta pas de composer des livres, et de répandre lui- 
même l'instruction, mais il corrigea les abus, d'une main ferme et 
sage, et parvint à faire observer fidèlement par tous les prati- 
ques de la foi. Il institua, sur le modèle d'une association sem- 
blable depuis longtemps établie à Péking, le Mieng-to ou con- 
frérie de l'instruction chrétienne, que nous avons mentionnée plus 
haut. Le but des associés était de s'encourager et de s'aider mu- 
tuellement, d'abord à acquérir eux- nêmes une connaissance ap- 
profondie de la religion, et ensuite à la répandre parmi leurs 
amis chrétiens et païens. Augustin Tieng Iak-tsiong fut établi 
président de cette confrérie. Le P. Ts!ou désigna ensuite les 
lieux de la ville où devaient se tenir les assemblées, nomma les 
chefs qui devaient y présider, statua que les hommes y assiste- 
raient séparés des femmes, en un mot, il régla tout avec poids et 
mesure. Echauffés par son zèle, tous les confrères s'empressaient de 
venir recevoir le billet que les chefs distribuaient mois par mois, 
à chacun des membres, leur assignant pour patron un des saints 
honorés par l'Église durant ce mois; c'est ce qu'on appelait le 
(1) Le Koue est une tranche d'ivoire avec laquelle on représente les man- 
darins des anciennes dynasties. 
— 81 — 
billet du patron. Celte pratique se répandit peu à peu dans tout 
le royaume, et produisit des fruits merveilleux. 
Dans tous ses efforts, le prêtre était très-efficacement secondé 
par ColomI)C Kang. A rintériciir de sa maison, elle prenait soin 
du prêtre, et lui fournissait tout ce qui lui était nécessaire ; à 
l'extérieur, elle était mêlée à toutes les affaires importantes, et 
Dieu bénissait ses entreprises en les faisant toujours réussir. 
Comme elle joignait à une instruction solide, une grande facilité 
d'élocution, elle convertit beaucoup de personnes de son sexe, 
parmi lesquelles un certain nombre de femmes de la plus haute 
noblesse. La loi du royaume n'infligeant aucun supplice aux 
femmes nobles, hors le cas de rébellion, ces néophytes ne s'in- 
quiétaient pas de la prohibition du gouvernement. 
Colombe réunissait aussi un grand nombre de jeunes filles et 
les instruisait solidement. Elle fut aidée dans cette bonne œuvre 
par la vierge Agathe loun, qui s'était retirée auprès d'elle et dont 
nous parlerons plus tard. Ces jeunes filles, après leur mariage, 
devenaient autant d'apôtres zélés , prêchaient la foi chrétienne 
dans leurs nouvelles familles, et souvent convertissaient leurs 
parents et connaissances. Douée d'une énergie et d'une activité 
extraordinaire, aidée par une grâce particuière d'en haut. Co- 
lombe animait et dirigeait toutes les œuvres de charité. Tous 
les chrétiens l'aimaient et l'admiraient. « Elle exhortait tout 
le monde, disent-ils, avec autant de fermeté que de prudence, 
et disposait, pour ainsi dire, de tous à son gré. Quoiqu'il y 
eût, parmi les hommes, beaucoup de chrétiens fervents, tous 
subissaient volontiers son influence, et se conformaient à ses 
vues avec la même précision que le son d'une cloche suit le coup 
du marteau. Elle gagnait les cœurs par son ardente charité, 
comme le feu embrase la paille. Dans les affaires compliquées 
et les grandes difficultés, elle tranchait avec la même dextérité 
qu'une main sûre coupe et divise une touffe de radnes entrela- 
cées. » Aussi doit-on, en toute justice, lui attribuer une grande 
partie des progrès que fit la religion à cette époque. Ces pro- 
grès furent très-considérables, et nous pouvons les résumer 
en un mot. Avant l'arrivée du P. Tsiou, les chrétiens de Corée 
étaient environ quatre mille ; quelques années après, leur chiffre 
s'élevait à dix mille. 
CHAPITRE II 
Persécutions partielles. — Martyre de Ni Tokei, de François Pak, etc. 
Mort du roi. 
Nous venons de résumer le peu que l'on connaît des travaux 
apostoliques du P. Tsiou pendant son séjour de six ans en Corée, 
Avant de raconter le glorieux triomphe qui couronna la vie de ce 
saint missionnaire, il nous faut faire connaître les noms et les 
actes des confesseurs et des martyrs qui rendirent témoignage à 
Jésus-Christ, pendant cette période. 
La mort des trois introducteurs du prêtre étranger n'avait pas 
fait entièrement cesser la persécution. Les ennemis de la religion 
sollicitaient vivement le roi d'ordonner de nouvelles poursuites 
contre les chrétiens, et ce prince, malgré sa modération, se crut 
obligé de donner quelque satisfaction à leurs rancunes. Tieng 
Iak-iong, qui avait une position élevée à la cour, fut disgracié et 
envoyé comme surveillant des portes, à Kim-tseng. Il avait déjà 
apostasie une fois, et lorsqu'il fut arrivé dans son gouvernement, 
il eut la lâcheté de tourmenter quelques chrétiens, pour mieux se 
laver du crime d'être chrétien lui-même. Poursuivi malgré tout 
cela par ses adversaires, il finit par présenter au roi une adresse 
dans laquelle sa défection était clairement exprimée, ce qui lui 
permit de respirer un peu. 
Pierre Seng-houn-i avait depuis longtemps abandonné la 
religion, et fait connaître son apostasie par un écrit public. Il fut 
néanmoins envoyé en exil à Niei-san, où il demeura une année. 
Là, il publia encore une apologie de sa conduite, protestant 
qu'il avait rompu avec les chrétiens, et renié leur doctrine ; 
mais il était si méprisé à cause de sa faiblesse, que personne ne 
voulut ajouter foi à ses paroles. Ni Ka-hoan-i lui-même, chef du 
parti Nam-in, ancien ministre des travaux publics, fut aussi 
disgracié et nommé mandarin de la ville de T'siong-tsiou. C'est 
celui que nous avons vu, dans les premières années de l'éta- 
blissementde la religion en Corée, entrer en conférence avec Piek-i, 
reconnaître la vérité de la religion, mais refuser de se convertir. 
Jamais Ni Ka-hoan-i ne fut du nombre des fidèles. Au contraire, 
il s'était fait leur persécuteur, lorsqu'il était mandarin à Kang-hoa, 
— sa - 
et, dans son nouveau gouvernement de ï'siong-lsiou, il suivit la 
même ligne de conduite. on raconte qu'il choisissait les jours 
d'abstinence des chrétiens, pour réunir chez lui les lettrés, et 
qu'il leur faisait servir de la viande, afin de reconnaître s'ils 
pratiquaient ou non la religion. Les trois villes, que nous venons 
de nommer, Kim-tseng, Niei-san et T'siong-tsiou, avaient été, 
avec intention, choisies pour la résidence de ces dignitaires dis- 
graciés. on savait que les chrétiens y étaient comparativement 
fort nombreux, et on voulait les effrayer et mettre obstacle à la 
conversion des gentils. 
La disgrâce de ces trois hommes influents, dont deux apostats 
et un païen, montre bien clairement que les ennemis des chré- 
tiens voulaient, non-seulement détruire la nouvelle religion, mais 
aussi abattre le parti Nam-in, dans la personne de ses principaux 
chefs. Quant à la conduite du roi, en cette circonstance, elle 
nous est expliquée comme il suit, dans les mémoires du martyr 
Alexandre Hoang. 
« Le feu roi, dit-il, n'était pas sans craintes du côté de la Chine. 
La présence d'un prêtre de cette nation en Corée, pouvait lui 
attirer des difficultés avec la cour de Péking, difficultés d'autant 
plus graves qu'il lui eût été impossible de prétexter son igno- 
rance du fait, puisque des preuves certaines en avaient été don- 
nées devant les tribunaux. D'un autre côté, il répugnait, par 
caractère, aux mesures violentes. Jamais il n'avait voulu con- 
sentir à une persécution générale, et ce n'était qu'à force d'ins- 
tances qu'on lui avait arraché, dans quelques cas particuliers, la 
signature des sentences de mort. Il eût désiré se débarrasser 
sans bruit du prêtre, et amener les chrétiens à l'apostasie par 
les séductions ou les menaces, plutôt que par les supplices. Il 
démêlait très-bien d'ailleurs les haines politiques qui, chez ses 
ministres, se déguisaient sous l'apparence de zèle pour la reli- 
gion nationale, mais il n'avait pas la force d'y résister, et le plus 
souvent fermait les yeux sur les excès commis en son nom contre 
les chrétiens, par les différents mandarins des provinces. La 
plupart de ceux-ci, se sentant appuyés à la cour, donnèrent libre 
carrière à leur rapacité et à leurs rancunes. » 
Une de leurs premières victimes fut Thomas Kim, connu 
aussi sous le nom de Kim P'ong-heu, (c'est-à-dire : chef de canton 
ou collecteur d'impôts). Né dans la province de T'siong-t'sieng, 
au district de T'sieng-iang, d'une famille du peuple, il avait reçu 
quelque instruction. Son caractère droit et ferme lui avait attiré 
l'estime de ses concitoyens, et c'est sur la demande du peuple 
— 84 — 
qu'il avait été fait chef de canton. Devenu chrétien, il continua 
l'exercice de sa charge. Il pratiquait avec ferveur la religion, se 
livrait avec assiduité à la prière et aux lectures pieuses, instrui- 
sait avec soin sa famille et vivait en parfaite harmonie avec tout 
le monde. En Tannée pieng-tsin (1796), il fut arrêté et conduit 
à la préfecture de T'sieng-iang où il eut à supporter les plus 
violents supplices. on en vint jusqu'à lui brûler de la feuille 
d'armoise sèche sur l'anus, mais rien ne put lui faire renier sa 
foi. on fit rougir au feu un soc de charrue, et on lui ordonna de 
quitter sa chaussure et de marcher dessus. Il allait obéir, quand 
on l'arrêta en disant qu'il était fou ; c'était la sainte folie de la croix. 
Thomas fut condamné à mort. Trois jours avant l'exécution, on 
lui barbouilla le visage avec de la chaux, et on lui fit faire trois 
fois le tour du marché au son du tambour. Sur ces entrefaites, 
le mandarin de T'sieng-iang ayant été cassé, l'affaire fut différée 
jusqu'à l'arrivée de son successeur, malgré les instances de 
Thomas qui demandait l'exécution de la sentence. Le nouveau 
mandarin, après avoir examiné les pièces du procès, fit sortir de 
prison le confesseur, en le plaçant sous caution dans la maison 
d'un particulier, et quelques jours après, lui fit ordonner de 
sortir du territoire de sa préfecture, Thomas, désolé de n'avoir 
pu obtenir la couronne du martyre, s'en alla en gémissant, et 
répétant à tous, qu'il n'avait pas eu de bonheur, et que désor- 
mais, pays, maison, famille, n'étaient plus rien pour lui. 
Il habita successivement dans les districts de Pou-ie, de Keum- 
san et de Ko-san, s'appliquant à l'instruction des chrétiens, et 
vivant dans un dénûment complet de toutes choses. Si les fidèles 
lui donnaient des habits ou des souliers neufs, il disait que les 
beaux habits entretiennent l'orgueil, et changeait de vêlements 
avec le premier pauvre qu'il rencontrait. Il ne faisait souvent 
qu'un repas par jour, et sa nourriture était des plus grossières. 
En l'année 1801, la persécution étant devenue plus violente, 
Thomas conduisit sa famille dans les montagnes : « Attendez là, 
dit-il, l'ordre de la Providence. Pour moi, j'ai toujours dans le 
cœur le regret de n'avoir pas souffert le martyre. L'occasion est 
belle, je vais me livrer. » on lui représenta que sans lui, toute sa 
famille mourrait de faim, et que, '^d'ailleurs, lui aussi devait 
attendre l'ordre de Dieu. Ce fut à grand'peine qu'on parvint à 
le retenir. Il conservait toujours l'espoir d'obtenir la grâce du 
martyre, mais Dieu exauça ses vœux d'une autre manière. Quel- 
ques jours après, à la septième lune de cette même année 1801, 
il tomba malade à Han-ko-ki, au district de Liong-tam. La veille 
— 85 — 
de sa mort, il prédit qu'il mourrait le lendemain. Le moment 
étant venu, il se lit porter dans la cour de la maison qu'il habi- 
tait, s'agenouilla, et dans cette luiml)le posture, rendit paisible- 
ment le dernier soupir. 
Tousles chrétiens, cependant, ne montraient pas un aussi grand 
courage. En 1797, Luc Hong Nak-min-i, qui avait une dignité 
assez élevée à la cour, fut chargé d'oftîce de présenter un rapport 
au roi sur les affaires de la religion. Il fut assez faible pour le 
rédiger en termes ambigus, et sans se prononcer ni pour ni 
contre, mais il n'eut pas lieu de se féliciter de sa lâcheté. Le roi, 
qui le connaissait comme chrétien, lui reprocha son peu de droi- 
ture et de franchise, ajoutant qu'un dignitaire public doit tou- 
jours parler au prince selon sa pensée. Au lieu de recevoir 
ces paroles comme un avertissement de Dieu , Luc Hong , 
dans sa réponse, en vint jusqu'à répéter au roi les odieuses 
calomnies répandues contre la religion, et à le prier de pour- 
suivre les chrétiens. Le roi fut très-mécontent, et dans la suite, 
ne manqua pas une occasion de faire sentir à l'apostat son 
déplaisir et son mépris. Nous verrons plus tard que Luc eut le 
bonheur d'obtenir de Dieu son pardon et la grâce du martyre. 
En cette même année 1797, Han long-hoa, gouverneur de la 
province de T'siong-t'sieng, résidant à Kong-tsiou, donna ordre 
à tous les mandarins de sa province d'emprisonner les chrétiens 
et d'anéantir à tout prix leur religion. Cette mesure violente 
donna lieu à de nombreuses arrestations, mais Dieu seul aujour- 
d'hui sait le nom de ceux qui souffrirent alors pour sa gloire. Les 
mémoires du temps ne nous ont conservé le nom et l'histoire 
que d'un de ces martyrs, celui qui est resté le plus célèbre, Paul 
Ni To-kei. 
Paul, né dans le district de Tsien-iang, province de T'siong- 
t'sieng, n'avait pas étudié les lettres, mais à l'école de l'Es- 
prit-Saint, il avait appris l'amour de Dieu et la pratique sin- 
cère des vertus chrétiennes. Sa petite fortune fut, par lui, em- 
ployée toute entière à la conversion des païens. Son zèle ayant 
attiré sur lui l'attention des ennemis de notre sainte religion, il 
dut cinq ou six fois changer de résidence, et chacun des lieux où 
il se retira, devint bientôt une fervente chrétienté. Enfin il s'éta- 
blit dans une fabri(jue de poteries, du district de Tieng-san, et y 
vécut d'un petit commerce. Or, tous ceux (jui l'entouraient étaient 
païens; il s'appliqua à leur faire connaître le vrai Dieu, et y 
réussit si bien, qu'en peu de temps, tout le village fut converti. 
Quand parut l'ordre du gouverneur, un païen nommé Kim, qui 
— 86 — 
vivait dans le voisinage, menaça Paul de le dénoncer comme chef 
des chrétiens. Sa femme, effrayée, l'engageait à fuir, mais il 
refusa, dans la crainte d'aller contre la volonté de Dieu et de 
scandaliser les néophytes qui avaient mis en lui leur confiance. 
Seulement, il cacha ses livres et ses objets de religion, et attendit. 
Le huitième jour de la sixième lune (1797), il était chez lui 
occupé à son travail, quand tout à coup des hommes armés se 
présentèrent, demandant à travers la haie de son jardin, s'il était 
à la maison. « J'y suis, répondit-il, qui m'appelle? » Aussitôt il 
sortit au-devant d'eux, les introduisit dans sa maison, les fit 
asseoir, et s'informa du motif qui les animait. « Nous sommes, 
dirent-ils, des gens du prétoire, occupés à rechercher un esclave 
de la préfecture qui s'est enfui. Ayant appris que tu as un calen- 
drier, nous avons voulu le voir pour faciliter nos perquisitions.» 
Le calendrier chinois dont on fait usage en Corée, contient des 
paroles superstitieuses pour retrouver les objets perdus. Paul 
répondit : « J'ai bien un calendrier, mais il n'indique que la suite 
du temps ; » et il l'apporta. « Lis pour moi, dit le chef des satel- 
lites. — Je ne sais pas lire les caractères chinois. — Tu ne sais 
donc lire que les livres de la religion du Maître du ciel? » Et, sans 
attendre de réponse, il donna ordre de l'arrêter. Aussitôt une 
dizaine d'hommes se jetèrent sur lui et le garrottèrent étroite- 
ment. on fouilla la maison, où l'on découvrit un crucifix et 
quelques livres. on l'entraîna dans un bois voisin, et pendant 
qu'on le frappait de verges, le chef l'interrogeait, pour appren- 
dre de lui la retraite du prêtre et l'obliger à dénoncer les chré- 
tiens, mais ce fut en vain. 
La nuit venue, on le conduisit, ainsi que d'autres chrétiens 
pris avec lui, dans une pauvre auberge, dont le maître, touché 
de compassion, obtint qu'on relâchât leurs liens qui les faisaient 
beaucoup souffrir ; mais arrivés à la ville, lui et ses compagnons 
de souffrances, furent chargés de fers. 
Après avoir examiné le crucifix et les livres, le mandarin fit 
comparaître les prisonniers et interrogea d'abord Paul : « Quelle 
est la demeure? — J'ai demeuré d'abord à Tieng-iang, j'habite 
maintenant Tieng-san. — Qui t'a instruit et quels sont tes dis- 
ciples? — Je n'ai ni maîtres ni disciples. — Tu es un être digne 
de mort. Si tu n'as ni maîtres ni disciples, d'où viennent ces 
livres et cette image? » Paul ne répondit rien. on le reconduisit 
en prison les mains et les pieds enchaînés, et la cangue au cou. 
Ses compagnons firent ce que voulut le mandarin, à l'exception 
d'un seul qui fut aussi mis en prison. 
— 87 — 
Le lendemain, le mandarin les menaça de les faire conduire 
tous deux au marché qui se tenait à six lys (environ trois quarts 
de lieue) de la ville, et de les exposer à tous les outrages de la 
multitude. — «C'est pour la cause de Jésus-Christ, répondit 
Paul, nous ne pourrons jamais assez reconnaître un pareil hon- 
neur. — La doctrine de Confucius, dit le mandarin, ou bien 
celle de Meng-tse, ou bien celle de Fo, sont véritables. Pour 
vous, refusant de vous en instruire, où êtes-vous allés chercher 
cette fausse doctrine que vous suivez, et pourquoi voulez-vous 
en infester tout le pays? Votre secte ne connaît ni roi, ni pa- 
rents ; vous vous livrez aux plus monstrueux penchants, et vous 
suivez cette doctrine, malgré la défense du roi. C'est là un grand 
désordre, et vous êtes dignes de mort, » 
« Ignorant comme je suis, répondit Paul, je ne connais pas la 
doctrine de Confucius ni celle de Meng-tse qui sont réservées aux 
seuls lettrés. Celle de Fo ne regarde que les bonzes. Mais la 
religion chrétienne est faite pour tous les hommes; votre servi- 
teur va vous en dire quelque chose. Au commencement Dieu seul 
existait; c'est lui qui a créé tout ce qui existe. Après la création, 
il y eut des époux et des familles, puis des rois et des sujets. 
Fo, Confucius, Meng-tse, les rois et les sujets, sont postérieurs 
à la création du ciel et de la terre. Dieu est le vrai roi du 
ciel et de la terre, le maître et le conservateur de toutes 
choses, le vrai père de tous les peuples, la source véritable de 
la piété filiale et de la fidélité aux princes. La piété filiale 
et la fidélité aux princes sont ordonnées par le quatrième des 
dix commandements. Pourquoi donc nous reprocher si injuste- 
ment de ne connaître ni les parents ni le roi? » — « S'il en était 
ainsi, reprit le mandarin, le roi, la cour et les mandarins le 
sauraient, et c'est d'eux que le peuple l'apprendrait; au con- 
traire, ils prohibent votre religion parce qu'elle porterait mal- 
heur à la Corée. Et vous, peuple stupide, qui refusez d'obéir et de 
dénoncer vos maîtres, vous méritez la mort. » — « Mourir pour 
Dieu, dit Paul, c'est assurer à son âme une gloire éternelle. » 

on les fit alors sortir du tribunal. Les satellites les accablaient 
d'injures, en leur donnant des souffiets ou des coups de pied, les 
couvrant de crachats, ou pesant de tout leur poids sur les can- 
gues des confesseurs. Les uns disaient : « Aujourd'hui, après vous 
avoir fait faire le tour du marché, on vous tuera. — Ces coquins-là 
vont monter au ciel, » s'écriaient les autres. Enfin, on leur bar- 
bouilla la figure avec de la chaux ; on leur attacha une inscrip- 
tion sur la tête, et, sur le dos, un énorme tambour. Le manda- 
rin monta à cheval, et, à coups de fouet, on força les deux 
confesseurs à courir devant lui jusqu'au marché. Pendant le 
trajet, une foule considérable se pressait sur leur passage, atti- 
rée par les cris des satellites, et les coups redoublés du tambour. 
Il était environ neuf heures du matin. Lorsqu'ils furent arrivés, 
le mandarin prit la parole : « Ces deux misérables, dit-il, sont 
chrétiens, et leur crime est celui des rebelles. Ils ne servent pas 
le roi, ne respectent pas leurs parents, et enfreignent la loi 
naturelle. Lorsqu'ils auront fait le tour du marché, on les fera 
mourir. » Il leur fait ensuite donner dix coups de planche, en 
leur commandant d'apostasier. — « J'ai déjà répondu à toutes 
« vos accusations, dit Paul, je n'ai rien à ajouter. » on lui 
frappa les côtés avec la pointe de plusieurs bâtons à la fois, en 
répétant le même ordre. « Quand je devrais mourir dix mille fois, 
reprit le courageux chrétien, je ne puis apostasier. » — Le 
peuple admirait sa fermeté et disait: «Certainement, celui-là 
n'abjurera point. » Il était sept heures du soir, lorsqu'on les 
reporta en prison, après un supplice de plus de douze heures. 
Les satellites essayèrent encore d'ébranler Paul, en lui représen- 
tant que, s'il n'obéissait au mandarin, il ne pouvait éviter la 
mort. Il se contenta de répondre qu'il le savait bien. « Quel rebelle 
obstiné! » disaient les soldats avec dépit. 
Quatre jours après, le geôlier vint les prévenir que le manda- 
rin avait ordonné pour le lendemain un grand repas sur la 
place publique. Les apostats devaient y prendre part avec lui ; 
les confesseurs, au contraire, s'ils persistaient dans leur résolu- 
tion, devaient être mis à mort. Le compagnon de Paul ne com- 
prenant pas bien ces paroles, croyait que la paix serait peut-être 
rendue aux fidèles. « Il n'en est rien, dit celui-ci. Ne nous 
laissons pas aller à un vain espoir, qui nous rendrait les sup- 
plices plus pénibles. Pour moi, je veux demeurer en prison, et 
si le mandarin m'obligeait à en sortir, loin de fuir, je resterais 
dans la ville. » — Son compagnon, saisi de crainte, se cachait 
la tête entre les mains, et gardait le silence. « Qu'as -tu? 
demanda Paul. — Vraiment, je ne sais comment supporter les 
supplices; que faire? — Il est vrai que, moi aussi, je souffre 
beaucoup, et comme je suis plus vieux que toi, mon âge me rend 
les tortures encore plus pénibles ; mais le ciel s'achète t-il à vil 
prix? Les souffrances sont la monnaie avec laquelle on achète le 
bonheur éternel. Prends courage et souffre encore quelques 
instants. » 
Le lendemain, on les conduisit sur la place du marché. Là 
— 89 — 
s'élevait une i^rande tenle, et, sous cette lente, le tribunal du 
mandarin, environné de plusieurs sièges, oii prirent place les 
apostats revêtus de beaux habits. Le festin commença, pendant 
que les deux prisonniers se tenaient au lieu du supplice. Le 
mandarin leur dit : «Le vrai paradis c'est d'avoir ici-bas une bonne 
nourriture, une belle musique et tout ce que l'on souhaite. Vous 
qui voulez monter au ciel, comment ferez-vous pour en escalader 
les trente-trois étages? Abjurez et vous serez traités comme 
ceux-ci; sinon, je vous déférerai au grand tribunal, et vous 
serez mis à mort. — J'ai déjà répondu, dit Paul, mais j'ajou- 
terai encore une parole : Dieu est le seul maître de tout, de la 
vie et de la mort; comment pourrais-je le renier? » — Mais 
son compagnon, moins courageux, n'osa résister au juge, et eut 
la faiblesse de faire un signe d'apostasie. Encouragé par ce suc- 
cès, le mandarin dit alors : « Allons ! toi aussi, injurie le maître 
du ciel. — « Quand le roi porte une loi, reprit Paul, on la trans- 
met au peuple, et vous, loin de la violer, vous veillez à son 
exécution. Comment donc, aujourd'hui, osez-vous ordonner 
au peuple de maudire son véritable père? Chez nous, on n'a 
pas coutume de maudire ses parents. » — Le mandarin , en 
colère, ordonna de brûler les livres saisis chez Paul, et défaire 
circuler le crucifix dans le marché, en disant : « Cet homme fait 
son Dieu de celui que vous voyez ; n'est-ce pas affreux? » — Il 
était alors midi. Tout à coup, le temps devient sombre, le ton- 
nerre gronde, le vent, soufflant avec violence, enlève la tenle et 
renverse presque le mandarin. Les apostats qui se réjouissaient 
et faisaient bonne chère, sont effrayés et prennent la fuite. Le 
peuple s'émeut, et dit qu'on ferait bien de relâcher le chrétien. 
Mais le mandarin, furieux de ce contre-temps, fait frapper de 
nouveau le confesseur. Ce ne fut que vers le soir qu'on le recon- 
duisit en prison, si épuisé qu'il tomba par terre, et qu'on fut 
obligé de le porter; ce qui n'empêcha pas de le charger d'une 
lourde cangue. Malgré tant de tortures, il était calme et ne ces- 
sait de prier. 
A l'automne, il subit un nouvel interrogatoire, et fui de nou- 
veau frappé de la planche. Ceux qui le voyaient, disaient : « 11 
mourra sous les coups. — Mourir sous les verges ou sous la 
planche, disait Paul, tout vient de l'ordre de Dieu : qu'il soit 
béni de tout! » Et il demandait sans cesse la grâce du martyre. 
Il souffrait souvent de la faim, et ses vêtements s'étant usés, 
le froid augmentait encore ses douleurs. Sa femme ramassa un 
peu d'argent, et lui apporta du vin et de la viande; il refusa 
— 90 — 
d'abord : « La sainte Vierge, disait-il, m'ayant placé sur la 
croix, il n'est pas convenable que je mange cela. J'ai bien 
entendu dire que Jésus, sur la croix, n'avait eu que des souf- 
frances, mais je n'ai pas vu qu'il ait pris rien de délicat. Moi 
aussi, je suis sur la croix, je dois faire comme lui. » — Il dut 
néanmoins céder à ses instances, et accepter ce soulagement. 
Ordinairement assis ou couché, il pensait sans cesse à Dieu, et 
en recevait d'abondantes consolations. Un jour, il entendit une 
voix qui lui disait ces paroles de la Salutation angélique : « Le 
Seigneur est avec vous ; » et il se sentit tout rempli de joie. (Le 
texte coréen donne à entendre, sans néanmoins le dire formelle- 
ment, que c'était une voix miraculeuse.) Il semblait aussi avoir 
reçu une intelligence surnaturelle, et goûtait la beauté des prières 
chrélienncs mieux que les plus instruits. Pendant les plus grands 
froids de l'hiver, ses blessures le faisaient beaucoup souffrir, et, 
le jour de Noël, ayant subi un cruel interrogatoire, il fut pris 
d'une fièvre brûlante : «Voyez, disait-il, le Seigneur, par une 
faveur spéciale, afin que mon âme ne se refroidisse pas, me ré- 
chauffe au moyen des coups. » 
Après le nouvel an, il fut mis par trois fois à la question. La 
troisième fois, le mandarin lui dit: «Situ veux abjurer, je te 
donnerai du riz, je ferai soigner tes plaies, et je te procurerai une 
place de chef de canton qui suffira pour te remettre à l'aise. — 
Il répondit : Quand vous me donneriez tout le district de Tieng- 
san, je ne pourrais jamais renier Dieu. — Tu prétends, ajouta 
le mandarin, que les chrétiens honorent leurs parents, mais 
tes quatre enfants ne sont pas venus te voir une seule fois de- 
puis que tu es en prison. A-t-on jamais vu des cœurs aussi déna- 
turés? — Obéir à ses parents, répliqua Paul, n'est-ce pas les 
honorer? Or, j'ai maintes fois recommandé à mes enfants de ne 
pas venir près de moi, de peur que cela ne fût plus nuisible 
qu'utile aux uns et aux autres : c'est cette défense qui les em- 
pêche de venir. » 
Pendant la cinquième lune, les satellites venaient souvent le 
voir, et ne gardaient pas beaucoup la porte, semblant l'inviter 
à s'enfuir : mais il ne voulut pas le faire. Lorsqu'on l'y enga- 
geait, il répondait : « C'est le mandarin qui m'a fait mettre en 
prison, je ne puis en sortir que sur son ordre. » Des chrétiens 
vinrent le voir, et lui dirent que la conduite des satellites ne 
pouvant qu'être dictée par le mandarin, il ne devait pas se faire 
scrupule de s'enfuir. Il réfléchit un peu et répondit : « Si nous 
nous laissons prendre aux pièges du démon, nous courons risque 
— Gi- 
de perdre notre âme, avec tout ce qu'elle a pu acquérir de 
mérites. Ma maison est si pauvre qu'il ne m'est pas difficile de 
rester dans cette prison, où je suis en paix. Tout ce que les 
miens font pour moi me fait peine. » — Puis il dit h sa femme : 
« Tous ceux qui prient pour moi, s'ils le font pour me faire jouir 
encore des choses de ce monde, doivent cesser leurs prières : 
mais s'ils prient pour mon âme, pour mon éternité, pour que je 
n'oublie pas les souffrances de Jésus-Christ et ses mérites , 
recommande-moi à eux, afin qu'ils prient sans cesse. J'espère 
que c'est de la sorte que ma famille prie pour moi. Quant à ma 
nourriture, apporte-moi, selon tes moyens, une écuelle de riz 
par jour ou tous les deux jours, et quand tu ne le pourras pas, 
ne t'en inquiète nullement. Si je ne puis sortir d'ici, mon cada- 
vre en sortira bien. Dorénavant, quand on te chargera de me 
dire quelque chose, même de la part des chrétiens, si cela tend 
à m'ébranler, ne me le rapporte pas : mon cœur pourrait être 
faible. » 
A partir de ce jour, quand sa femme venait lui apporter 
quelque chose, il refusait de la voir, et se contentait de lui 
adresser de loin quelques mots. Quelques jours après, le man- 
darin lui dit : « Tu as été trompé : en Chine, Ni-Matou (1) a 
séduit le peuple par sa science ; comment ne vois-tu pas que ce 
sont des fourberies? — Ni-Matou, reprit Paul, est un homme 
comme les autres; mais la doctrine qu'il a répandue en Chine 
et ailleurs, n'est pas la sienne; c'est celle du grand Pioi du 
ciel et de la terre. Si l'on doit publier et écouter avec une 
attention scrupuleuse les ordres des rois de la terre, à plus forte 
raison les ordres de Dieu qui sont plus terribles, plus redouta- 
bles et plus aimables en même temps que ceux des rois de ce 
monde. Il est le Tout-Puissant, le Très-Haut ; il est dix mille fois 
I)lus admirable que tous les princes. Quand il ordonne, comment 
pourrait-on prêcher négligemment la religion, la recevoir froide- 
ment, l'apprendre avec indifférence? Voihà pourquoi, soutenu par 
la grâce, je dois supporter et je supporterai patiemment tous les 
tourments, mais jamais je ne consentirai à l'apostasie. » — Le 
mandarin le fit battre plus qu'à l'ordinaire, et le renvoya en 
prison. 
Deux jours après, c'est-à-dire le troisième jour de la sixième 
lune, sa femme vint à la prison s'informer de son état, et des cho- 
(I) C'est la manière dont les Coréens prononcent le mot chinois Ly Mateo, 
nom du père Matthieu Ricci, le grand apôtre de la Chine au xvi" siècle. 
— 92 — 
ses dont il pouvait avoir besoin. — « Je ne souffre pas, dit-il, je 
ne sens pas la faim; j'ignore de combien de coups on m'a frappé. 
Il me suffira d'avoir des provisions jusqu'au 10 de ce mois. » — Il 
ne s'expliqua pas davantage; mais il est facile de comprendre 
qu'il avait reçu d'en haut la connaissance de son prochain martyre. 
Le 8, le mandarin le fit amener et lui répéta les ordres qu'il 
avait reçus de le faire mourir s'il persistait dans son refus d'apos- 
tasier. « Depuis plusieurs années que je connais la religion, répon- 
dit Paul, je sais qu'il est juste de mourir pour Dieu ; n'espérez 
donc pas me voir l'abandonner. » — on le tortura et il fut recon- 
duit en prison. Le lendemain, sa femme et trois ou quatre chré- 
tiens étant venus le trouver, il les pria de se retirer, de peur que 
leur présence ne fit sur son cœur une impression qu'il redoutait. 
Comme ils demeuraient, il insista. «Pourquoi ne faites-vous pas 
ce que je vous dis? Si le Seigneur me soutient, les tourments les 
plus cruels sont faciles à supporter; s'il m'abandonne, les moin- 
dres souffrances sont insupportables. Si j'étais livré à ma propre 
faiblesse, il me serait impossible de demeurer ferme; mais Jésus 
et Marie me soutenant, rien ne me. fait peur. Je vous conjure de me 
quitter. » — Ils se retirèrent alors, pour ne pas l'affliger. 
Le 10, au matin, les satellites vinrent l'avertir que le jour de 
sa mort était arrivé ; il tressaillit de joie, et son visage parut tout 
rayonnant. — «C'est étonnant, disaient les gens du prétoire, depuis 
que cet homme est en prison, quand il n'est pas torturé il est 
maigre, pâle et abattu ; les tourments au contraire semblent lui 
rendre la vie, et aujourd'hui qu'on lui annonce sa mort, il semble 
plus radieux que jamais » C'était l'anniversaire du jour où on lui 
avait fait faire le tour du marché. on lui mit une petite cangue 
et il s'avança vers la place, entouré de satellites qui portaient les 
instruments de supplice, et suivi du mandarin. Celui-ci descendit 
de cheval, et commanda de le torturer ; alors on le coucha à plat- 
ventre, la tête assujettie par ses longs cheveux, et les deux bras 
liés à une grosse pierre. on serra la cangue jusqu'à l'étouffer, et 
plusieurs bourreaux le frappèrent avec un morceau de bois trian- 
gulaire, sorte de hache dont chaque coup fait une plaie. Le man- 
darin lui demanda de nouveau s'il ne voulait pas apostasier. Paul 
épuisé ne put répondre. — Alors un satellite s'approcha et lui dit : 
« Si tu veux abjurer, il est encore temps. » Le martyr ramassa 
ce qui lui restait de forces pour crier: « Jamais! «Ses lèvres étaient 
noires et desséchées, à peine semblait-il lui rester un souffle 
de vie. Quelques minutes après, il leva la tète, regarda le ciel, 
et dit : Je vous salue Marie, puis il retomba comme mort. 
— 93 - 
Cependant les païens disaient : « C'est à cause de lui que la 
sécheresse nous désole, et que nous mourons de faim ; il faut 
l'achever h coups de pied. « La foule se pressait autour de lui. Sa 
femme voulut s'approcher pour le soulager ; les clameurs s'éle- 
vèrent contre elle, et repoussée, maltraitée, battue, foulée aux 
pieds, elle fut emportée évanouie. Paul ayant repris connaissance, 
le mandarin le lit frapper pour la troisième fois. Ses jambes avaient 
été cassées au-dessous du genou ; on voyait à nu les os brisés, et 
la moelle coulait jusqu'à terre. Lorsqu'on le délia, il resta étendu 
sans mouvement. Sans lui ôter sa cangue, on le jeta sur une natte, 
et quatre satellites le rapportèrent h la prison, qui fut fermée avec 
soin. Le mandarin dit : «Si quelqu'unlui donne seulement unverre 
d'eau, je le fais mourir comme lui. » Pendant deux jours, le martyr 
ne reçut aucun soulagement, et personne ne put savoir s'il 
était mort ou vivant. Le 12, vers le soir, le mandarin dit à 
ses gens : « Allez à la prison, tirez ce chrétien dehors, voyez sou 
visage, tàtez-lui le pouls, et s'il vit encore, achevez-le, et venez 
m'en rendre compte. Les satellites exécutèrent cet ordre, et, à 
coups de pierres et de bâtons le mirent dans un tel état que, sauf 
la paume des mains, aucune partie du corps n'était sans blessure ; 
toutefois, il lui restait encore un souffle de vie. Les bourreaux le 
dirent au mandarin, qui leur répondit en colère: « Si vous nel'ache- 
vez pas, je vous fais tous assommer. » Ils retournèrent donc à la 
prison, et, cette fois, ne mirent de bornes à leur fureur que lors- 
que l'càme du martyr se fut envolée au ciel. Cependant le manda- 
rin, craignant qu'il ne revînt encore à la vie, fit continuer le sup- 
plice sur le cadavre. Un des satellites lui appuya le bout de la 
cangue sur la poitrine, et monta dessus; les côtes se brisèrent et 
le sang coula à flots. Le corps n'avait plus forme humaine. on le 
couvrit d'une natte, eton'le garda pendant la nuit. Le lendemain, 
il fut enterré par ordre du mandarin ; mais sept ou huit jours 
après, des chrétiens éloignés d'environ dix lieues, vinrent le pren- 
dre pour l'ensevelir honorablement chez eux. Paul était âgé de 
56 ans. Son martyre arriva l'an de Jésus-Christ 1798, le 12 de 
la sixième lune. Pour consoler sa veuve, le geôlier lui dit : « Ne 
vous affligez pas trop, car le 12, pendant la nuit, j'ai vu une 
grande lumière environner le corps de votre mari. » 
Vers le même temps, mais dans une autre province, Laurent 
Pak donnait aux fidèles l'exemple du même courage et de la même 
persévérance. Nous l'avons vu, pendant la persécution de 1791, 
intervenir hardiment en faveur des chrétiens, et souffrir laflagel- 
— 94 — 
lation pour sa foi. En 1797, lorsque la persécution éclata de nou- 
veau dans le district de Hong-tsiou, ordre fut donné aussitôt de 
le saisir. Laurent, par une humble défiance de ses propres forces, 
se cacha d'abord . Mais son jeune fils ayant été emmené captif à sa 
place, sa mère lui dit : « maintenant tu ne peux te dispenser de te 
livrer, » Il vit dans cette parole la volonté de Dieu, et, comptant 
sur le secours d'en haut, se rendit de lui-même à la préfecture, le 
19 de la huitième lune. Le mandarin lui reprocha de s'être enfui, 
mais Laurent répondit : « J'étaisparti avant que votre ordre neme 
fût parvenu. A la nouvelle que vous aviez fait saisir mon fils, et 
sur l'ordre de ma mère, je suis venu; de quoi s'agit-il? — Pour- 
quoi, lui dit le mandarin, suis-tu une mauvaise doctrine, prohi- 
bée par le roi et ses mandarins? — Je ne suis pas une mauvaise 
doctrine, j'observe seulement les dix préceptes de la vraie reli- 
gion, qui enseigne à adorer Dieu, créateur de toutes choses, 
J'honore ce Dieu, puis le roi, les mandarins, mes parents et autres 
supérieurs ; j'aime mes amis, mes bienfaiteurs et mes frères, et 
tous les autres hommes. — Tu as des parents et des frères? on 
dit aussi que tout ton village suit la religion chrétienne, dénonce- 
moi tout exactement. — Je n'ai que ma mère et pas de frère 
cadet; dans tout le village, je suis seul à pratiquer la reli- 
gion. — Tu méconnais tes parents, le roi et ses mandarins, tu 
abuses des femmes des autres, tu dissipes ton bien en futilités, et 
ne fais pas les sacrifices aux parents; pourquoi violer ainsi tous 
les principes naturels? » Puis, se tournant vers les satellites: 
« Liez-moi cet homme, cria le mandarin , frappez-le et mettez-le à la 
question. — « Le quatrième précepte, répondit Laurent, nous 
ordonne d'honorer nos parents, nos supérieurs, le roi et les man- 
darins, et d'aimer nos frères et nos proches : ne sont-ce pas là les 
vrais principes naturels? Mais les parents, après leur mort, ne 
pouvant plus venir manger ce qu'on leur offre, nous ne leur 
offrons pas de nourriture, car la vraie doctrine rejette les choses 
vaines et ne s'attache qu'aux réalités. Du reste, nous faisons la 
sépulture des morts selon toutes les règles et convenances. Le 
sixième commandement nous défend toute espèce d'impuretés, et 
le neuvième nous défend même de désirerla femme du prochain. 
Le peu que j'ai, je l'emploie à soulager ceux qui sont nus ou dans 
le besoin ; ce n'est pas là dissiper son bien en futilités. » 
Le mandarin commanda de lui mettre la cangue, et dit : « Par 
qui as-tu été instruit? qui a copié tes livres, et qui sont tes com- 
plices? — J'ai été instruit par Tsi-hong-i, de la capitale, qui a 
élé décapité pour la religion. C'est delui aussi que me viennent les 
— 95 — 
livres, il est juste que je meure. — Voudrais-tu par hasard mou- 
rir comme Tsi-hong-i? Qu'y a-t-il donc de si ])eau à mourir? — 
Dieu m'a comblé de bienfaits sans bornes, et mes péchés sont 
sans nombre ; il est bien juste que je meure. — Quels péchés as- 
tu commis? — Je n'ai pas observé dans leur intégritéles dix com- 
mandements.» Le mandarin le fit reconduire alors à la prison. Les 
geôliers, pour lui extorquer quelque argent, lui mirent les pieds 
dans des entraves, le couchèrent sur des morceaux de tuile, et lui 
tirent souffrir toute espèce d'avanies. Laurent répondit qu'il était 
disposé à mourir pour la justice, mais que s'il avait voulu donner 
de l'argent, il ne serait pas venu jusqu'à la prison. Ces paroles 
augmentèrent la rage des bourreaux, et il fut accablé de coups. 
Au second interrogatoire, le mandarin le fit placer sur la plan- 
che à tortures, puis flageller, puis tirailler avec des pinces. — 
« T'obstineras-tu encore à méconnaître parents, roi et mandarins? 
Brûle tes livres, croix, médailles et images, toutes ces choses-là 
sont mauvaises. — Quand je devrais mourir, reprit Laurent, 
comment pourrais-je brûler des livres si précieux? » Il ajouta 
quelques mots sur l'Incarnation de Jésus-Christ, sur les mérites 
de sa passion, sur sa résurrection, son ascension et son second avè- 
nement, ce qui lui valut une volée de coups sur les jambes. 
Il y avait trois mois qu'il portait la cangue, quand des chrétiens 
de différents lieux, étant venus pour le voir, obtinrent du geôlier, 
à prix d'argent, qu'elle lui fût enlevée dans la prison. Le troisième 
interrogatoire, comme ensuite tous les autres, commença par des 
menacesde mort. Puis le mandarinluidit: « Toi, enfantde la Corée, 
pourquoi t'obstines-tu à faire ce que tous nos saints et hommes 
célèbres n'ont jamais fait? Qu'as-tu à gagner en violant la loi du 
royaume? Ta conduite n'est pas raisonnable. — Le roi, répondit 
Laurent, peut bien être maître du corps, mais Dieu seul est maî- 
tre de Tàme ; il a établi des récompenses et des peines après la 
mort, et personne ne peut les éviter. S'il faut mourir, que m'im- 
porte? Celte vie n'est-elle pas semblable à la rosée qui se dissipe. 
La vie est un pèlerinage, la mort n'est qu'un retour vers la 
patrie. » 
Sept mois après, le quatrième interrogatoire officiel eut lieu, à 
l'arrivée d'un nouveau mandarin. Celui-ci dit à Laurent : « Pour- 
quoi, après d'aussi violents tourments, persistes-tu dans ton obs- 
tination? Et puis, ta mère vivant encore, comment peux-tu vou- 
loir mourir? décidément, tu es devenu insensé. — « La mort, 
répondit le confesseur, est de toutes les misères de ce monde la 
plus grande; le désir de la vie et l'horreur de la mort sont dessen- 
— 96 — 
tiraents communs à tous. Mais Dieu étant le premier père de tous les 
hommes est le souverain maître de toutes choses, dussé-je mourir, 
je ne le renierai pas. — 11 n'y a rien à faire avec cet être-lh, » dit 
le mandarin, et il le fit battre cruellement, puis l'envoya à la 
préfecture deHai-mi. 
Devant ce nouveau tribunal, aux mêmes accusations ridicules 
du juge, Laurent fit les mêmes réponses; aux tortures de tout 
genre, ilcontinuad'opposer une patience inflexible. — « Quel est 
ce Dieu dont tu parles, disail le mandarin, où est-il? que fait-il? 
Peux-tu le connaître, toi, quand nos savants l'ignorent? Si cette 
doctrine était vraie, le roi, la cour et ses mandarins ne la sui- 
vraient-ils pas? — Dieu est au ciel, d'oîi il fait connaître ses 
ordres ; si vous les exécutez, il vous fera monter près de lui; si 
vous lui résistez, il vous précipitera dans les enfers. C'est une 
peine un milionde fois plus forte qu'on ne peut l'imaginer ici- 
bas. Aucun être n'est_en dehors de ses bienfaits; mais puisqu'une 
pauvre créature telle que moi en a reçu plus que tous mes supé- 
rieurs, dussé-je mourir, je ne le renierai pas. — Après ton supplice, 
la mère aussi sera mise à mort à cause de toi . — Après ma mort, ma 
mère restera entre vos mains, mais elle aussi a été créée par Dieu, 
Dieu pensera à elle. — Est-ce par crainte de l'enfer que tu agis 
ainsi? — Oui, c'est par crainte de l'enfer; mais, en tous cas, 
je ne puis renoncer à mon Dieu. » Le juge le fit battre de quinze 
coups de la grosse planche, puis reconduire en prison. 
A l'interrogatoire suivant, Laurent développa avec plus 
d'énergie la doctrine chrétienne sur le ciel et sur l'enfer. « Puis- 
que vous voulez aujourd'hui même me mettre à mort et que vous 
traitez ma religion de vaine superstition, je ne puis me taire. 
Sachez-le donc : à la fin du monde, après l'anéantissement de tous 
les royaumes,tous les hommes de tousles âges, grands et petits, rois 
et peuples, seront réunis devant le Fils de Dieu, descendu du ciel 
et porté sur les nues, et il jugera les hommes des temps passés 
et présents. Les bons seront portés au ciel avec le Seigneur Jésus 
et ses saints, et jouiront d'un bonheur dix millions de fois plus 
grand que toutes les gloires et tous les plaisirs du monde. Les 
méchants seront engloutis dans l'enfer, par la terre qui s'ouvrira 
sous leurs pieds, et souffriront des peines dix millions de fois 
plus fortes que les douleurs de ce monde, plongés dans un feu 
ardent qui ne s'éteindra jamais. A ce moment-là, tout regret 
sera tardif et inutile ; chacun recevra selon ses œuvres. Puisque 
vous voulez me faire mourir, retournez maintenant mon corps, 
et, me frappant sur la gorge, tuez-moi tout de suite. — Tu mour- 
— 97 — 
ras sous les coups du bâton des voleurs, » repartit le mandarin 
qui le fit frapper de vingt coups. 
Au sixième interrogatoire, le mandarin s'écria : «C'est à cause 
des scélérats qui suivent cette mauvaise doctrine, que la famine 
et la sécheresse sévissent dans le royaume, et que tout le peuple 
va périr. Déclare les lieux où vous vous réunissez pour prati- 
quer votre religion, fais connaître les chefs des chrétiens. on dit 
qu'ils sont réunis dans les montagnes, dénonce tout. — Nous 
n'avons pas de chefs ; que les chrétiens soient dans les mon- 
tagnes, c'est ce que j'ignore ; si vous le savez, pourquoi le de- 
mander? » Le mandarin furieux s'adresse à un bourreau : « Brise 
les os de la jambe à ce coquin-là, et bats-le à mort pour qu'il 
ne sorte pas d'ici. » Cet ordre fut aussitôt exécuté, puis on le 
traîna à la prison. 
Quelques jours après, le gouverneur de la province, dont le 
mandarin avait demandé les ordres, répondit : « La doctrine des 
Européens est sale, mauvaise et horrible : frappez ces gens-là sur 
les jambes, et si, au quatorzième coup, ils ne se rendent pas, 
défaites-vous-en en les tuant. » Lecture de cet édit fut faite à 
Laurent en plein tribunal, au milieu de tous les instruments de 
supplice. Puis le mandarin ajouta : « Ne désires-tu pas voir ta 
mère? Qu'y a-t-il de si bon à mourir? — Mon désir de voir ma 
mère est inexprimable ; mais, dussé-je mourir, je ne puis aposta- 
sier. Faites ce que vous voudrez, je n'ai plus rien à dire. — 
Mais les autres chrétiens ont obéi au roi. — J'ignore ce que 
d'autres ont fait : je n'ai pas à scruter leurs actions. Je ne 
réponds que de moi-même. » Le mandarin lui fit infliger une hor- 
rible torture. Pendant plusieurs mois, il fut tous les huit ou 
dix jours ramené devant le mandarin et remis à la question. La 
cruauté des satellites s'ingéniait à augmenter ses souffrances, 
et plur- d'une fois ils le laissèrent nu et meurtri dans la boue, 
exposé la nuit entière au froid et à la pluie. 
C'est vers cette époque, qu'il trouva le moyen d'écrire à sa 
mère la lettre suivante : « A ma mère, moi Laurent, fils ingrat, 
de ma prison, je vous adresse l'expression de mes sentiments. 
J'avais toujours fait résolution d'être dévot envers Dieu, pieux 
envers mes parents et mes frères, et d'accomplir les ordres de 
Dieu dans toutes mes pensées, paroles et actions. Mais, hélas! 
j'ai péché envers Dieu, et je n'ai pas rempli tous mes devoirs 
envers mes parents et mes frères. N'ayant pu vaincre nos trois 
ennemis (les trois concupiscences), mes péchés sont sans nombre. 
Ma mère, pardonnez-moi mes désobéissances ; mon oncle, mon 
— 98 — 
frère, ma belle-sœur, pardonnez-moi de ne pas vous avoir mieux 
traités, et priez Dieu de me remettre mes péchés et de sauver 
mon âme ; par là Dieu vous remettra aussi tous vos péchés. Le 
printemps et l'automne passent comme le cours des eaux, le 
temps est comme l'étincelle qui jaillit du caillou sous les coups 
du briquet ; il n'est pas long. Surtout soyez sur vos gardes, et 
fidèles aux ordres de Dieu. Environ deux mois après mon arrivée 
en prison, je cherchais ce que je devais faire pour obtenir la 
grâce de Dieu. Un jour, pendant mon sommeil, j'entrevis la 
croix de Jésus, qui me dit : Suis la croix. Cette vision était 
un peu confuse, néanmoins je n'ai jamais pu l'oublier. » Le 25 de 
la deuxième lune de 4799, il écrivit encore : « Je suis inquiet en 
pensant que ma mère, ma femme et mes enfants auront de la peine 
à se conformer à l'ordre de Dieu. Si vous vous y conformez bien, 
je serai moi-même dans la joie. » 
Cependant, l'heure du triomphe approchait pour Laurent. 
Deux jours après avoir écrit ces dernières lignes, à son quinzième 
ou seizième interrogatoire, il fut frappé de nouveau de cinquante 
coups de planche, et pour accélérer sa mort, le mandarin fit 
verser de l'eau sur lui, pendant qu'on le battait. C'est un raf- 
finement de torture que l'on dit insupportable. Son corps 
était dans un état affreux. Il avait reçu en tout plus de qua- fl 
torze cents coups de planche ou de bâton, et depuis huit jours " 
entiers il n'avait pas pris une goutte d'eau. Le geôlier le crut 
mort, et après l'avoir emporté sur son dos à la prison, le dé- 
pouilla de ses vêtements, lui lava le dos avec de l'eau froide, et 
le jeta dehors. 
Laurent cependant n'était pas mort. Pendant la nuit, des 
chrétiens purent pénétrer en secret auprès de lui et lui faire 
prendre quelque nourriture, sans que le geôlier s'y opposât. Le 
lendemain, 28 de la deuxième lune, nouvelle comparution devant 
le mandarin, et nouvelle flagellation. Le juge, les bourreaux, les 
spectateurs étaient stupéfaits de le voir vivant. on l'emporta 
évanoui, sans connaissance et sans mouvement. onze chrétiens 
qui étaient alors enfermés dans la même prison, le virent quelques 
heures après, se lever seul, déposer lui-même sa cangue, entrer 
dans la salle et se coucher. Le geôlier furieux accabla les chré- 
tiens d'injures, croyant que ceux-ci l'avaient aidé. Mais Laurent 
lui dit : « Je ne mourrai ni de faim, ni sous les coups, je serai 
étranglé. » 
Le lendemain, le juge ayant appris que Laurent respirait 
encore, fit donner la bastonnade au geôlier, et le menaça de 
— 99 - 
le faire tuer lui-même. Celui-ci, aidé de son fils, revint 
frapper le martyr, jusqu'à ce que le croyant mort, il tomba 
de fatigue et s'endormit. Pendant qu'il dormait, les prisonniers 
chrétiens s'approchèrent de Laurent, et quel ne fut pas leur étonne- 
ment quand il se mit à causer tranquillement avec eux. Toutes ses 
plaies étaient miraculeusement guéries, on n'en voyait pas même 
la trace. Il dut sortir un instant, et le geôlier s'étant réveillé, 
courut après lui, le saisit, et pour en finir avec ce qu'il croyait 
être une puissance magique, l'étrangla avec une corde de paille. 
Il était onze heures du matin, le 29 delà deuxième lune de l'an- 
née kei-mi (1799). 
Ainsi mourut, à l'âge d'environ trente ans, ce glorieux servi- 
teur de Jésus-Christ. Pendant les dix-huit mois que dura son 
martyre, chacun de ses jours fut marqué par quelque torture, cha- 
cun de ses pas laissa des traces ensanglantées. Il semble impos- 
sible qu'un corps humain puisse résister si longtemps aux sup- 
plices. Mais Dieu, par des motifs dignes de sa sagesse et de sa 
miséricorde, voulait donner un grand exemple, et, de fait, le lieu 
où Laurent a souffert, est toujours demeuré une de nos plus fer- 
ventes chrétientés. Son sang a été littéralement une semence de 
chrétiens. 
Laurent Pak avait trois amis intimes, nommés Jacques Ouen, 
Pierre Tsieng et François Pang. La tradition rapporte que tous 
les quatre, dans un élan de zèle peu éclairé, s'étaient promis 
de se dénoncer mutuellement, afin d'être martyrisés ensemble. 
Il ne paraît pas cependant qu'ils l'aient fait ; mais Dieu, pour 
récompenser leur bonne volonté, permit qu'ils tombassent entre 
les mains des mandarins l'un après l'autre, à peu près à la même 
époque, quoique dans des districts différents, et tous les quatre 
eurent l'honneur de verser glorieusement leur sang pour la foi. 
Nous recueillons ici ce que les mémoires du temps et les tradi- 
tions locales nous ont conservé de leur histoire. 
Il est très-probable qu'ils souffrirent dans cette même année 
1799, et c'est la date que nous avons adoptée. Cependant le fait 
n'est pas absolument certain, car les premiers chrétiens de Corée 
qui prenaient un grand soin de marquer exactement le jour de la 
mort des martyrs, afin de célébrer leur anniversaire, n'ont pas 
observé la même exactitude dans la désignation des années, ce 
qui cause quelquefois une certaine confusion dans la suite des 
faits d'ailleurs les plus authentiques. 
Jacques Ouen était le cousin germain et l'aîné de Pierre Ouen, 
martyrisé en 1793. Ils vivaient ensemble au village de Eug-trien-i, 
— 100 — 
district de Hong-lsiou, et tous deux furent en même temps ins- 
truits delà religion. Jacques était doux, facile, droit et ouvert, et, 
dans un si bon fonds, la foi fit promptement germer toutes sortes 
de vertus. Dès qu'il fut chrétien, il fit serment de consacrer sa 
fortune, qui était considérable, au soulagement des indigents, et 
son occupation journalière fut de les chercher pour leur faire du 
bien. Afin d'expier ses anciens péchés de gourmandise, il jeiînait 
tous les vendredis. Son zèle à répandre la religion parmi les 
païens le portait à aller les trouver de côté et d'autre pour les 
prêcher. Non content de cela, les dimanches et jours de fête 
il faisait préparer des aliments en grande quantité, et invitait 
tout le monde à y prendre part. Quand on était réuni il disait : 
« C'est aujourd'hui le jour du Seigneur, il faut le célébrer avec une 
sainte joie, et aussi remercier Dieu de ses dons en faisant part des 
biens qu'ils nous a donnés. » De là il prenait occasion d'expliquer 
divers articles de la religion. 
Sa réputation se répandit bientôt et, en 1792,1e mandarin 
envoya des satellites pour le saisir. 3Iais il avait eu le temps de 
se cacher, et réussit cette fois à se sauver. Lorsqu'il apprit le 
martyre de son cousin, sa ferveur redoubla, et, regrettant de n'avoir 
pas été martyr avec lui, il se dit : « Si je pratique ma religion 
publiquement, le mandarin en aura bientôt vent, et me fera saisir.» 
11 se mit donc à faire ses prières et exercices de dévotion au 
milieu des païens, soit le jour, soit la nuit, pendant plusieurs 
années; il alla même s'installer sur le grand chemin. Les satel- 
lites le savaient et quelquefois même le voyaient, néanmoins il ne 
fut pas inquiété. 
Ayant appris l'entrée du P. Tsiou en Corée, il alla de suite 
le trouver et témoigna le désir de recevoir les sacrements. Le 
prêtre lui dit : « Tout homme qui a deux femmes est rejeté par 
l'Église, sors de suite et ne te représente plus devant moi.» Jac- 
ques sortit et, pendant trois jours et trois nuits, il ne fit que 
pleurer et gémir sans vouloir prendre de nourriture. on alla 
avertir le prêtre qui permit de le laisser entrer, et lui dit : 
«Aussitôt après ton retour chasseras-tu ta concubine? Sur ta 
promesse formelle je pourrai te donner les sacrements ; sinon, tu 
ne pourras plus même me voir. » Jacques répondit : « En vérité, 
j'ignorais qu'il fût défendu par la loi chrétienne d'avoir femme et 
concubine ; vos ordres me le faisant connaître, je promets de 
chasser de suite, à mon retour, ma concubine; veuillez m'ac- 
corder les sacrements. » 11 les reçut, et de retour chez lui, il dit 
à cette femme : « Un chrétien ne peut pas avoir de concubine, 
i 
— 101 — 
et une chrétienne ne peut pas être concubine. » Et sur-le- 
champ il la répudia. 
Une étroite amitié l'unissait à Laurent Pak ; ils se voyaient 
mutuellement et s'excitaient sans cesse à la pratique des vertus et 
au désir du martyre. Jacques avait ainsi passé plusieurs années, 
lorsqu'en 4798. il fut saisi par les satellites de Tek-san, et con- 
duit à la prison, où il resta plus d'un mois sans qu'il fût question 
de l'interroger. Pensant alors que c'était la foute des satellites, il 
les pressa vivement de le foire comparaître devant le mandarin ou 
de le mettre en liberté. Cité enfin au tribunal, à cette question 
du mandarin : « Est-il vrai que tu pratiques la religion du Maître 
du ciel? — Oui, répondit-il, je la pratique en effet, afin de servir 
Dieu et de sauver mon âme. — Dénonce tes complices. — Il y 
a, reprit-il, trois autres personnes animées comme moi du désir 
de servir Dieu et de donner leur vie pour lui. » Jacques parla 
ainsi, conformément à la promesse mutuelle que lui-même, Lau- 
rent Pak, François Pang et Pierre Tsieng se seraient faite de se 
dénoncer l'un l'autre, afin de souffrir ensemble le martyre. Tou- 
tefois on ne voit pas que Jacques ait fait de dénonciation bien 
positive. « Explique-toi plus clairement. — Quand je devrais 
mourir dix mille fois, je ne puis en dire davantage. » Le juge 
alors le soumit aux divers supplices de 1 ecartement des os, de 
la puncture des bcâtons et de la flagellation , mais inutilement. 
Jacques fut ensuite transféré au tribunal criminel de Hong- 
tsiou, oîi il développa à plusieurs reprises les vérités de la reli- 
gion, et subit deux ou trois fois d'affreuses tortures. on le renvoya 
à Tek-san, oii il fut encore cruellement battu, et eut les jambes 
entièrement brisées. 
Enfin sur un ordre spécial du gouverneur, on l'expédia h 
Tsieng-tsiou, chef-lieu militaire de la province. Le jour de son 
départ, sa femme, ses enfonts et quelques amis, le suivaient en 
pleurant. Il les fit approcher et leur dit : « Lorsqu'il s'agit du 
service de Dieu, et du salut de l'âme, il ne faut pas écouter l'af- 
fection naturelle; supportez bien toutes les peines et les souf- 
frances, et nous nous retrouverons dans la joie, ar.prèsde Dieu et 
de la bonne Vierge Marie. Votre présence ne peut que m 'ébranler 
et m'être très-nuisible. Ainsi donc, soyez raisonnables, et ne 
vous montrez plus devant mes yeux. » Puis il les congédia. Son 
ancienne concubine aussi 1 i envoya un exprès, demandant à le 
voir une dernière fois, mais il refusa en disant : « Pourquoi vou- 
loir me faire manquer la grande affoire? » Arrivé à Tsieng-tsiou, 
il subit un interrogatoire. Le juge voulait le faire apostasier en 
— 102 — 
lui promettant la vie, mais Jacques répondit : « Il y a neuf ans 
que je désire mourir martyr pour Dieu. » Le juge, en colère, lui 
fit souffrir de cruelles tortures durant tout le jour. Le lendemain 
on recommença, et ainsi de suite chaque jour, pendant près d'un 
mois. Les verges, les bâtons et planches de supplice, l'écartement 
des os, tout fut mis en œuvre, jusqu'à ce qu'il mourut sous les 
coups, le 13 de la troisième lune de l'an kei-mi (1799). Il avait 
alors soixante-dix ans. Après sa mort, son corps parut enveloppé 
d'une lumière extraordinaire. Une foule de païens furent témoins 
du prodige, et près de cinquante familles se convertirent à cette 
occasion. 
Pierre Tsieng, né d'une famille honnête du district de Tek-san, 
était, avant sa conversion, redouté de tous à cause de son carac- 
tère violent et de sa force extraordinaire. Il eut le bonheur de se 
faire chrétien et de recevoir le baptême des mains du P. Tsiou; 
dès lors^ il devint humble, doux et affable. on croit qu'il resta 
quelque temps au service du prêtre. Plus tard, nommé catéchiste 
dans le Naï-po, il se montra assidu à la prière et aux lectures 
pieuses, s'occupant sans cesse à instruire et à exhorter ceux qui 
lui étaient confiés. En l'année 1708 ou 1799, il fut pris et con- 
duit à la ville de Tek-san, oii il eut à subir bien des interroga- 
toires et des tortures; il confessa Dieu généreusement, et signa 
sa sentence sans laisser paraître sur son visage la moindre émo- 
tion. Dans la prison, il encourageait les chrétiens ses compagnons 
de captivité, et, le jour du supplice, quand on lui apporta le 
repas des condamnés à mort, il les invita à le partager avec lui, 
disant : « Pour la dernière fois, il faut manger avec actions de 
grâces les aliments que Dieu a créés pour l'homme, et ensuite 
nous irons au ciel jouir du bonheur éternel. » Il eut la tête tran- 
chée. on croit qu'il avait alors de cinquante à soixante ans. 
François Pang, né au village de le, district de Mien-tsien, 
était pit-siang, c'est-à-dire intendant du gouverneur de la pro- 
vince. on ignore entièrement de quelle manière et à quelle époque 
il se convertit. Il se distinguait par une ferveur extraordinaire, et 
désirait vivement le martyre. En l'année 1798, il fut pris à 
Hong-tsiou, et eut à subir, pendant six mois, des supplices fort 
nombreux, dont les détails ne nous sont pas parvenus. on rap- 
porte seulement qu'il y avait alors dans la prison deux autres 
chrétiens comme lui condamnés à mort, qui, lorsqu'on leur 
apporta, selon l'usage, le dernier repas des condamnés, se mirent 
à verser des larmes ; mais François, d'un visage rayonnant de 
joie, remercia Dieu et la vierge Marie, et dit à ses compagnons : 
-- 103 — 
« La création et la conservation sont des bienfaits de Dieu, mais 
un si généreux traitement, de la part du mandarin, n'est-il pas 
aussi un bienfait de la Providence; pourquoi êtes-vous tristes et 
abattus? C'est là une tentation du démon. Si nous perdons une 
aussi belle chance de gagner le ciel, quelle autre occasion atten- 
drons-nous désormais? » Dieu rendit efficaces ses exhortations et 
ses encouragements; ses deux compagnons, regrettant leur fai- 
blesse, partagèrent bientôt la sainte joie de son cœur. Ils furent 
tous trois martyrisés dans cette même ville de Hong-tsiou. on ne 
sait pas si François mourut sous les coups ou fut étranglé. C'était 
le 16 delà douzième lune. (Janvier 1799.) 
A la suite de Laurent Pak et de ses trois amis, mentionnons un 
autre martyr qui souffrit à la même époque et dans la même pro- 
vince. 
François Pai Koan-kiem-i, né au village de Tsin-mok, district 
de Tang-tsin, avait embrassé la religion dès qu'elle fut prêchée 
par Piek-i. Arrêté une première fois en 1791, il eut, comme 
nous l'avons dit, la faiblesse d'apostasier devant le mandarin. 
Mais bientôt après, touché d'un sincère repentir, il se remit à ser- 
vir Dieu avec ferveur. Obligé de quitter son district, il s'était 
d'abord retiré dans celui de Sie-san. Plus, tard, en compagnie 
d'autres chrétiens, il vint s'établir à ïang-tei, district de Mien- 
tsien, et c'est là qu'en 1798, lui et ses compagnons préparèrent 
un oratoire, dans l'espérance d'y recevoir le prêtre. Quelque temps 
après, un apostat, nommé T'sio Hoa-tsin-i, les trahit près du 
mandarin, et amena lui-même les satellites dans le village. Fran- 
çois Pai fut arrêté, le 3 de la dixième lune, et conduit à Hong- 
tsiou. on voulut le forcer à faire connaître les autres chrétiens et 
à livrer ses livres de religion ; mais les plus violents supplices ne 
purentlui arracher une dénonciation. Pendant plusieurs mois il 
fut mis fréquemment à la question, puis on le transféra àTsieng- 
tsiou, chef-lieu militaire et criminel de la province, où il parta- 
gea les souffrances de Jacques Ouen et des autres chrétiens pri- 
sonniers. on n'a pas de détails sur les derniers mois qu'il passa 
en prison. on sait seulement qu'il supporta les tortures avec une 
patience héroïque. Toute sa chair était en lambeaux, ses mem- 
bres brisés, et les os mis à nu. Il expira enfin sous les coups, à 
l'âge d'environ soixante ans. La tradition de sa famille fixe la date 
de son martyre au 13 de la douzième lune de l'année kei-mi 
(1799). 
C'est à cette même année, croyons-nous, qu'il faut aussi rap- 
— 104 — 
porter le martyre de François Ni Po-hien-i et celui de Martin 
In Eun-min-i, morts sous les coups, le 15 de la douzième 
lune. 
François descendait d'une famille honnête et riche de Hoang- 
ma-sil, au district de Tek-san. Dès l'enfance, son caractère ferme 
et quelque peu opiniâtre le faisait remarquer entre ses compa- 
gnons. La mort de son père, qu'il perdit jeune encore, en le lais- 
sant maître de ses volontés, fit qu'il lâcha la bride à toutes ses 
passions, et devint si violent que personne ne pouvaitle contenir. 
Mais àTâge de vingt-quatre ans, instruit delà religion par Thomas 
Hoang, il se convertit et arriva en très-peu de temps à tellement 
se réformer et à si bien dompter son tempérament naturel, que 
sa conduite calme et réglée fit bientôt l'édification de tous. Quoi- 
qu'il n'eût lui-même aucun désir de se marier, il le fit néanmoins 
pour obéir à sa mère. 
De jour en jour sa ferveur augmentait, et il s'appliquait avec 
zèle aux exercices de la pénitence et de la mortification. on dit 
même qu'il quitta quelque temps son pays pour aller dans les 
montagnes ; et là, vivant de légumes, il répétait : « Pour servir 
Dieu et sauver son âme, il faudrait ou pratiquer la continence, 
ou donner sa vie par le martyre ; c'est le seul moyen de devenir un 
véritable enfant de Dieu. » 
Quand on commença à persécuter les chrétiens, François, loin 
d'en concevoir aucune crainte, ne cessait d'exhorter sa famille, et 
les chrétiens de son village. Il discourait chaque jour sur la passion 
de Notre-Seigneur, et les engageait h ne pas laisser échapper une 
aussi belleoccasiondeconfesserlafoi, etdegagnerleciel. Prévoyant 
qu'il ne serait pas longtemps en paix, il fit un jour préparer une 
grande quantité de vin ; « c'est, disait-il, pour faire une dernière 
fête, et régaler tout le village, mais il faut le faire promptement. » 
Deux jours après, les satellites se présentèrent en effet, et lui 
demandèrent : « Es-tu chrétien ? — Non-seulement je le suis, 
répondit-il, mais, de, mis deux jours, j'attends que vous arriviez 
pour méprendre. » Puis il traita les satellites libéralement, après 
quoi, il fut an été et conduit au mandarin. « Es-tu chrétien, lui 
demanda celui-ci, et dequel pays es-tu? — Je suis chrétien, et ori- 
ginaire de Tek-san. — Quel a été ton précepteur, quels sont tes 
complices, et quels livres as-tu en ta possession? — Mon maître 
et mes coreligionrairci sont dans mon pays. Quant aux livres, 
j'en ai bien quelques-uns, mais ils traitent tous de choses très-im- 
portantes, et je ne puis vous les remettre. — Quelle est donc cette 
chose si importante que tu ne puisses me montrer ces livres? — 
- 105 — 
Corame ils parlent de Dieu, le souverain maître de toutes choses, 
je ne puis inconsidérément vous les mettre entre les mains. » 
Piqué de cette réponse, le mandarin le fit battre violemment, puis 
reconduire à la prison. 
Cependant, le juge criminel ayant reçu avis de cette affaire, et 
ordonné de transférer François à sa ville natale, on le conduisit à 
Haï-mi, ]dont le mandarin gérait alors les deux préfectures. Ce 
nouveau juge lui dit: «Pour quelle raison, abandonnant tes 
parents et le tombeau de tes pères, vas-tut établir à 500 lys dans 
un autre district? Pourquoi aussi fais-tu ce que le roi défend, en 
suivant cette détestable doctrine? » — François répondit : « Pour- 
quoi qualifiez-vous si injurieusemont une religion sainte, que le 
roi et les mandarins ne connaissent pas? D'où les hommes tirent- 
ils leur origine? Si c'est Dieu qui, au commencement, leur a donné 
l'être, comment ne pas honorer Celui qui est notre Père suprême 
et notre grand Pioi? — Le roi et les mandarins valent-ils moins 
que toi, pour dire qu'ils sont dans l'ignorance ? Et puis, pourquoi 
suivre une doctrine étrangère? Si elle était bonne, le roi et les 
mandarins, qui te valent bien, la pratiqueraient. Tu n'es qu'un 
grand rebelle qui méconnais les principes. » Puis, faisant appro- 
cher les valets et préparer les divers instruments de supplice, il 
répéta d'un ton de colère : « Dénonce tout sans déguisement ; » et 
surson refus, lui fit infliger lapuncturedes bâtons. — «Partout, dit 
François, ily adesmaîtresetdes disciples, maissi jelesdénonçais, 
vous les traiteriez comme moi ; dussé-je donc mourir moi-même, 
je ne puis rien dire. » En vain les bourreaux, excités par le juge 
furieux, redoublèrent de cruauté et lui firent subir plusieurs fois 
l'écartement des os ; François demeura ferme. « Non, cent mille 
fois non, répétait-il, je ne veux rien dénoncer. » Pendant plus 
d'une demi-journée, toutes les tortures imaginables furent mises 
en œuvre, et bien des fois François perdit connaissance, mais 
sans se laisser vaincre. A la fin, on le chargea d'une lourde can- 
gue, et on le reconduisit à la prison. Quoique tout son corps ne 
fût qu'une plaie, il avait le cœur content et joyeux, priait, exhor- 
tait les autres prisonniers, et, selon son habitude, leur expliquait 
le mystère de la passion de Jésus-Christ. 
Au deuxième interrogatoire, le mandarin, qui avait déployé un 
appareil de tortures effrayant, lui dit: « Cette fois, tu ne peux 
échapper, dénonce donc tout et renie le Dieu des chrétiens. — 
Pourquoi m'adressez-vous encore de telles paroles ? répondit 
François ; si un sujet renie son roi, lui impose-t-on des punitions, 
on lui donne-t-on des récompenses? Vous, mandarin, payé parle 
— 106 — 
roi, traitez-moi selon la loi. » Stupéfait de tant de constance, le 
mandarin fit son rapportai! juge criminel, en demandant ce qu'il 
y avait à faire. Celui-ci répondit de tuer François sous les coups, 
s'il s'obstinait h ne rien dénoncer. Le confesseur fut donc mené de 
nouveau au triJDunal, et subit encore toute la série des supplices. 
Enfin, ne pouvant rien gagner sur lui, le mandarin lui présenta 
sa sentence, qu'il signa d'un air si satisfait, que tous les assistants 
se regardaient, muets d'étonnement. Il fut reconduit à la prison 
et dès le lendemain on lui servit le repas des condamnés, qu'il 
prit joyeusement ; puis, après lui avoir fait faire le tour du mar- 
ché, on commença à le battre. Les bourreaux, ayant lié chacun 
devant soi une natte grossière en guise de tablier, s'évertuèrent 
longtemps à frapper; puis, comme leur victime tardait à rendre 
le dernier soupir, ils le retournèrent sur le dos, lui enfoncèrent 
leurs bâtons dans les parties naturelles, et l'achevèrent ainsi. 
François avait olors vingt-sept ans. Quelques jours après, on 
recueillit son corps, et tous les habitants du village purent cons- 
tater de leurs propres yeux que sa figure était toute fraîche et 
souriante. Plusieurs païens, dit-on, se convertirent à cette vue. 
François eut un digne compagnon de son triomphe dans Martin 
In Run-min-i, jeune noble qui vivait à Tsiou-rai, district de 
Tek-san. D'un caractère à la fois doux et ferme, Martin avait fait 
d'assez bonnes études, et s'était lié avec le licencié Alexandre 
Hoang, qui l'instruisit de la religion. A peine fut-il converti, 
qu'il enferma les tablettes de ses ancêtres dans un vase, et les jeta 
h l'eau. Ensuite, il g.igna la capitale, où il fut baptisé par le 
P. Tsiou. Il laissa près du prêtre son fils aîné, nommé Joseph, 
et maria son second fils dans une famille qui avait alors beau- 
coup de réputation parmi les chrétiens; puis, abandonnant sa 
maison et ses biens, il émigra au district de Kong-tsiou. Ses 
parents païens ne pouvant comprendre la raison d'une aussi 
étrange conduite, il la leur déclara franchement, et leur développa 
la religion, sans réussira gagner leurs cœurs. Arrêté par les satel- 
lites du mandarin de Kong-tsiou, il déclara sans détour qu'il 
était chrétien et voulait donner sa vie pour Dieu. Envoyé à Tsieng- 
tsiou, il y subit de si violentes tortures, qu'il fut mis hors d'état 
de marcher. Pienvoyé h Hai-mi tribunal criminel de son district 
natal, il dut être transporté, de relais en relais, surles chevaux du 
gouvernement. Sa constance ne se démentit pas un seul instant, 
et le juge, poussé à bout, le condamna à mourir, comme François, 
sous les coups. on lui servit le repas d'usage, puis une vingtaine 
de satellites le prirent et procédèrent à l'exécution de la sentence, 
— 107 — 
Pendant le supplice, Martin répéta plusieurs fois : « Oh! oui, c'est 
(le bon cœur que je donne ma vie pour Dieu! » A la lin, un des 
bourreaux, saisissant une énorme pierre, le frappa plusieurs fois 
511 r la poitrine. La mâchoire inférieure se détacha, les os de la poi- 
trine furent broyés, et le saint confesseur expira dans ce supplice, à 
rage de soixante-trois ans. 
Cependant, malgré ces exécutions el d'autres encore qui ensan- 
glantèrent diverses chrétientés des provinces, on peut dire qu'il 
n'y eut pas en Corée, pendant le règne de Tieng-tsong tai-oang, 
de persécution officielle et générale. Comme nous l'avons déjà 
remarqué, ce prince, d'un caractère assez modéré, ne voulait 
point verser le sang. Il avait en grande estime quelques chrétiens 
illustres du parti Nam-in, et sachant que beaucoup d'hommes 
éminents embrassaient la nouvelle religion, il voulait examiner 
les faits par lui-même, et avec calme. Plusieurs fois, il présida 
en personne aux interrogatoires des chrétiens. Le martyr Pierre 
Sin, cité plus haut, nousa conservé, dans ses lettres, un fragment 
curieux d'un de ces interrogatoires, probablement celui que Tho- 
mas T'soi Pil-kong-i eut à subir, à la troisième lune de l'année 
kei-mi (1799). En voici la traduction littérale. 
Le roi. — Moi aussi, j'ai lu les livres de religion, mais comment 
te semble cette doctrine, comparée à celle de Fo? — Le chrétien. 
— La religion de Jésus-Christ ne doit pas être comparée à celle 
de Fo. Le ciel, la terre, les hommes, tout ce qui est, n'existe que 
par un bienfait de Dieu, et ne se conserve que par un autre bien- 
fait, c'est-à-dire par l'Incarnation et la Piédemption de ce même 
Dieu très-haut et très-grand, père et gouverneur de l'univers. 
Comment oser mettre en comparaison avec cette religion une 
doctrine dénuée de sens et de principes. Ici est la véritable voie, 
la véritable science. — Mais comment, dit le roi, celui que tu 
appelles très-bon et très-grand maître de toutes choses, a-t-il pu 
venir dans ce monde, s'y incarner, et qui plus est, le sauver par la 
mort infâme que les méchants lui ont fait subir? Cela est bien 
difficile h croire. — Nous lisons dans l'histoire de la Chine, 
reprit le chrétien, que le roi Seng-t'ang voyant tout son peuple 
réduit à la mort par une sécheresse de sept années, ne put y res- 
ter insensible. Il se coupa les ongles, se rasa les cheveux, se revê- 
tit de paille, et se retira dans le désert de Sang-lin, Là il se mit 
à pleurer et à faire pénitence, puis chantant une prière qu'il avait 
composée, s'offrit lui-même en sacrifice et en victime. Sa prière 
n'était pas achevée, qu'une pluie abondante tomba sur un espace 
— 108 — 
de plus de deux mille lys ; c'est depuis ce temps que le peuple 
dans sa reconnaissance, Ta appelé le saint roi (1). 
«Or, combien plus grand est le bienfait de la Rédemption! Toi 
les peuples anciens, présents, futurs, toutes les choses du monj 
sont imprégnées de cette rédemption, et ne subsistent que pg 
elle. Voilà pourquoi, sire, je ne puis comprendre que vous troi 
viez ceci difficile à croire. — Mais la doctrine de Fo, non plu^l 
ne doit pas être traitée légèrement. Le nom seul de Fo signifianll 
celui qui sait et comprend tout, est un nom sans égal, commenH'^ 
oserais-tu en parler avec mépris? — Si ce n'était ce nom, de que 
eût-il pu se couvrir? Aussi l'a-t-il volé. Mais par le fait, ce roi 
Siek-ka-ie, que vous appelez Fo, n'est qu'un homme, fils du roi 
Tsieng-pou et de ladameMai-ia. Il a dit en montrant de la main 
droite le ciel, et de la main gauche la terre : « Moi seul je suis 
grand. » N'est-ce pas là un orgueil ridicule? Quelle vertu, quelle 
sainteté a-t-il eu, pour que ce soit un crime de le mépriser? — 
La vérité, reprit le roi, se soutient par elle-même, et chaque chose 
à la fin tourne du vrai côté; nous verrons la suite. » Puis, sans 
rien décider, il fit reconduire le chrétien à sa prison. Devant un 
tribunal inférieur, ce confesseur aurait expié sa franchise par une 
dure flagellation, peut-être même par le dernier supplice, mais 
le roi rejeta les adresses des ministres qui voulaient le faire con- 
damner à mort, et, quelque temps après, le fit relâcher. 
Pendant l'été de cette même année 1799, letaisaKan Sin-heu* 
tso présenta une requête contre Ambroise Kouen T'siel-sin-i et Au- 
gustin Tieng Iak-tsiong, qu'il représentait comme les chefs et les 
soutiens des chrétiens. Le roi se fâcha contre l'auteur de la requête, 
le cassa de ra dignité, et défendit de donner suite à cette affaire. 
Ces faits et plusieurs autres analogues donnaient à bien des 
chrétiens l'espoir de faire triompher enfin la vérité. Malgré l'op- 
position secrète des ministres, et la cruauté de quelques gouver- 
neurs de provinces, l'Evangile se répandait parmi les païens; les 
conversions se multipliaient, surtout à la capitale. Mais la mort 
soudaine du roi laissa bientôt le champ libre aux persécuteurs. 
Ce prince mourut d'une tumeur sur le dos. Un coup de lancette 
donné à temps eût pu le sauver, mais une loi inflexible de l'éti- 
quette coréenne défend de toucher le corps du roi, même en cas 
de maladie, et pour le guérir. Cette tumeur dégénéra en une 
large plaie, et il expira le 28 de la sixième lune de 1800, après 
vingt-quatre ans de règne. 
(1) Peut-être s'agil-il de l'empereur Suen-vang, dont il est parlé dans le 
Chi-king. — Duhalde, tome III, p. 13. 
CHAPITRE m. 
Régence. — Persécution générale. — Martyre de Jean T'soi, d'Augustin Tieng, 
de Louis de Gonzagiie Ni, etc.... 
La mort du roi Tieng-lsong tai-oang était un malheur pour 
tout le royaume qui perdait en lui un prince sage, modéré, ami de 
son peuple; mais pour les Nam-in et les chrétiens, c'était un véri- 
table coup de foudre. Ils voyaient disparaître tout à coup le der- 
nier obstacle qui pouvait s'opposer à la rage de leurs ennemis. 
Voici comment Alexandre Hoang, dans ses mémoires, nous décrit 
la position respective des partis politiques en Corée, à cette 
rpoque : 
« Depuis longtemps les nobles étaient divisés en quatre partis 
nommés No-ron, Sio-ron, Nam-in et Sio-pouk. Les deux princi- 
paux étaient celui des No-ron et celui des Nam-in. Vers la fin du 
dernier règne, ces partis s'étaient subdivisés en deux camps ou 
deux fractions. on appelait Si-pai, ceux des divers partis qui 
étaient sincèrement dévoués au roi et disposés à le seconder 
dans ses vues. Ceux au contraire qui, attachés à leurs idées par- 
ticulières, étaient toujours prêts à faire de l'opposition, étaient 
nommés Piek-pai. Tous les ennemis les plus acharnés des chré- 
tiens étaient Piek-pai. Les Nam-in Si-pai étaient en petit nombre. 
C'est parmi eux que la religion se propagea d'abord, et quoique 
plusieurs eussent renoncé à l'Évangile pour conserver leur vie et 
leurs emplois, cependant ils n'étaient pas foncièrement hostiles 
aux chrétiens. Les chefs des Nam-in Si-pai étaient Ni Ka-hoan-i, 
Ni Seng-houn-i, Tieng Iak-iong, etc. La fraction des Nam-in 
Piek-pai avait pour chefs Hong Hei-ho et Mok Man-tsiong. » 
Le roi redoutait les Piek-pai qui étaient nombreux et puis- 
sants, et dont les rangs se grossissaientiouslesjours.il favori- 
sait au contraire les Nam-in Si-pai, lesquels étaient presque tous 
des hommes d'un grand mérite. Ni Ka-hoan-i était le premier 
lettré du royaume ; Tieng Iak-iong avait comme savant et comme 
homme d'État des talents extraordinaires. Le roi les avait en par- 
ticulière affection, et tous deux, avant 1795, furent souvent hono- 
rés des plus hautes dignités. Les Piek-pai détestaient ces deux 
hommes et leurs partisans, aussi, comme nous l'avons vu, se 
servirent-ils du prétexte de la religion chrétienne pour les per- 
— 110 - 
dre, et réussirent-ils, après l'entrée du P. Tsiou en Corée, aies 
faire éloigner de la cour comme suspects. C'est alors qu'ils furent 
privés de leurs fonctions et relégués dans des postes inférieurs. 
Néanmoins le roi les protégea toujours, et repoussa toutes les 
accusations portées contre eux. 
Mais à la mort de ce prince, son fils et successeur étant trop 
jeune pour gouverner lui-même, la régence fut dévolue de droit à 
son aïeule Kim Tieng-sioun-i, seconde femme du père du feu roi. 
Aussitôt elle prit en main la conduite des affaires et abaissa la 
grille (c'est-à-dire le store en bambous derrière lequel elle devait 
assister au conseil des ministres, car, quoique nommée par tous 
grande reine et mère du peuple, elle ne pouvait, suivant les usa- 
ges, être assise près des hommes). Tous ses parents appartenaient 
au parti No-ron et Piek-pai, et avaient été éloignés des charges 
publiques sous le règne précédent. Ils se préparèrent à profiler du 
pouvoir absolu qui tombait inopinément entre leurs mains, et à 
satisfaire leurs rancunes politiques et religieuses, en ruinant à la 
fois le parti Nam-in et la religion chrétienne. 
La tempête, toutefois, ne se déchaîna pas immédiatement. La 
loi coréenne, par respect et par superstition, défend de s'occuper 
d'affaires importantes avant l'enterrement du roi défunt. Or, le 
temps marqué entre la mort et les obsèques de l'empereur de 
Chine étant de sept mois, le roi de Corée, qui est son vassal, ne 
doit attendre que cinq mois, tandis que pour les membres de la 
haute noblesse l'intervalle est de trois mois. Pendant cinq mois 
donc, on eut à accomplir tous les jours diverses cérémonies en pré- 
sence du corps du défunt, et l'on ne put s'occuper que des 
immenses préparatifs nécessaires pour lui donner la sépulture 
selon toutes les règles. 
Les cérémonies funèbres à peine terminées, vers la fin de la 
onzième lune, la régente cassa tous les dignitaires du parti Si-pai, 
et renvoya tous les ministres jusqu'alors en fonction. Ces derniers 
furent remplacés par Ni Pieng-mo, Kim Kouen-tsiou et Sira 
Oan-tsi, tous trois du parti No-ron. Ce brusque changement était 
un coup d'État, car, d'après la loi coréenne, on ne peut pas ainsi 
improviser des ministres à volonté. La dignité de ministre est à 
vie, c'est-à-dire qu'ils conservent toujours le titre, même quand 
ils ne sont plus en fonction, et ceux-là seuls peuvent être faits 
ministres, par un simple décret royal, qui ont déjà rempli cette 
charge. Pour en créer de nouveaux, il faut observer une foule de 
règles, de cérémonies, de formalités longues et minutieuses, qui 
demandent un temps considérable. Mais la régente ne tint nul 
— 111 — 
compte des lois et coutumes, et passa par-dessus tous ces obsta- 
cles, pour avoir de suite sous la main des agents dévoués à son 
parti. Quelques jours après parut, au nom du jeune roi et de la 
régente, le décret impie qui prohibait la religion chrétienne dans 
tout le royaume, mettait au !)an de la loi tous ses adhérents, 
ordonnait à tous les fonctionnaires publics de les saisir, et leur 
donnait plein pouvoir de les juger sans miséricorde. 
D'anciennes lettres, imprimées en Europe, portent qu'un 
ministre eut alors le courage de défendre les chrétiens en plein 
conseil, et qu'il reçut la palme du martyre en récompense de sa 
généreuse apologie. Mais toutes nos recherches n'ont pu jusqu'à 
ce jour nous faire rencontrer des traces de ce fait, et nous ne 
voyons pas de qui il pourrait être question. 
Le décret de persécution était à peine publié que les arresta- 
tions commencèrent. Le premier saisi fut Thomas T'soi, le même 
qui. Tannée précédente, avait soutenu avec tant de talent et de 
courage la cause de l'Évangile, devant le roi lui-même. Quelques 
jours après, le 19 de la douzième lune, fête de la Purification, 
Pierre T'soi Pil-liei-i, cousin germain de Thomas, fut pris à son 
tour. Il était en prière, à l'aube du jour, avec quelques autres 
chrétiens, dans une pharmacie qui donnait sur une des grandes 
rues de la capitale. Des agents de police entendirent en passant 
ces néophytes qui se frappaient la poitrine, et croyant reconnaî- 
tre le bruit d'un jeu de caries prohibé, enfoncèrent la fenêtre, se 
précipitèrent dans l'appartement, fouillèrent toutes les personnes 
présentes, et trouvèrent, non des caries, mais un calendrier chré- 
tien. Comme aucun d'eux ne savait lire, ils le portèrent de suite à 
des camarades plus instruits, et apprenant que c'était un écrit de 
religion, revinrent en toute hâte saisir les délinquants. Tous 
s'étaient enfuis, excepté Pierre T'soi et Etienne 0, qui furent 
conduits au mandarin et enfermés dans la même prison que 
Thomas T'soi. 
Deux chrétiens nobles, du parti des Nam-in, furent pris dans 
ces mêmes jours, l'un au district de lang-keun, et l'autre dans 
la ville de Tsiong-tsiou. Le premier était ce même Justin Tsio 
Tong-siem-i, que nous avons vu autrefois se livrer aux exercices 
de la retraite spirituelle avec Xavier Kouen. Il fut de suite jeté en 
prison. L'autre, nommé Ni Kei-ien-i, échappa à la prison par 
l'apostasie et fut exilé. 
Les perquisitions se multipliaient de toutes parts ; toutes les 
maisons suspectes étaient fouillées par les satellites et souvent 
dévastées ; l'effroi se répandait parmi les chrétiens, lorsque, à la 
— 112 — 
fin de cette douzième lune, les fêtes du nouvel an coréen leur 
procurèrent un sursis de quelques jours, et donnèrent à plu- 
sieurs le temps de se mettre en sûreté, eux et leurs familles. 
L'année qui commençait, Tannée sin-iou (1801), devait être à 
jamais mémorable entre toutes pour ses désastres. Elle est 
gravée en caractères de sang dans les annales de la Corée. C'est 
alors surtout que cette Église naissante acquit droit de cité dans 
rËglise catholique ; c'est alors surtout que la foi de Jésus-Christ 
planta dans cette terre infidèle des racines que l'enfer ne saurait 
arracher et que le temps ne fera jamais périr. Les fêtes du nouvel 
an étaient à peine terminées lorsque le H de la première lune 
fut publié, au nom de la régente, un nouveau décret dont voici le 
texte : 
« Le feu roi disait souvent que si Ton s'appliquait à faire briller 
la droite doctrine, la doctrine perverse s'éieindrait d'elle-même. 
Maintenant j'entends dire que la doctrine déréglée se maintient, 
et que depuis la capitale jusque dans le fond des provinces, sur- 
tout dans le Ho-tsiong, elle se répand de jour en jour davantage ; 
comment pourrais-je ne pas en trembler? L'homme ne devient 
vraiment homme que par l'observation des relations naturelles, et 
un royaume ne trouve sa vie que dans l'instruction et la vraie 
doctrine. Or, la doctrine déréglée dont il est question ne recon- 
naît ni parents, ni roi ; elle rejette tout principe, elle ravale 
l'homme au rang des sauvages et des animaux. Le peuple igno- 
rant s'en laisse pénétrer de plus en plus, et s'égare dans une 
fausse voie ; c'est un enfant qui court à la rivière et s'y perd. 
Comment mon cœur ne serait-il pas touché? et comment pour- 
rais-je ne pas prendre en pitié ces pauvres malheureux? 
(( Les gouverneurs et mandarins des villes doivent donc 
ouvrir les yeux aux ignorants, faire en sorte que les adeptes de 
cette religion nouvelle s'amendent sincèrement, et que ceux qui 
ne la suivent pas soient fortement éclairés et avertis. Par là, nous 
ne foulerons pas aux pieds les instructions que le feu roi s'est si 
généreusement efforcé de donner, et les lumières qu'il a fait bril- 
ler. Après cette stricte prohibition, s'il y a encore des êtres qui 
ne reviennent pas à résipiscence, il faut les poursuivre comme 
rebelles. En conséquence, les mandarins de chaque district éta- 
bliront, chacun dans toute l'étendue de sa juridiction, le système 
des cinq maisons solidaires l'une de l'autre. Si parmi les cinq 
maisons il y en a qui suivent la mauvaise doctrine, le chef pré- 
posé à leur surveillance avertira le mandarin pour les faire cor- 
riger. Après quoi, s'ils ne veulent pas encore changer, la loi est là ; 
— 113 — 
qu'on les extermine de façon à n'en laisser aucun germe. Telle 
est notre volonté ; qu'elle soit connue et exécutée, tant dans la 
ville capitale que dans les provinces. » 
Cet édit sanglant n'était que l'écho des cris de mort que pous- 
saient de toutes parts les ennemis du nom chrétien, car pendant tout 
le cours de la première et de la deuxième lune, on vit publier une 
foule d'adresses au roi, de pétitions aux ministres, de circulaires 
des nobles, etc., venues de tous les points du royaume. Nous eu 
avons sous les yeux une collection qui, bien que très-incomplète, 
montre à quel point les esprits étaient montés, et prouve à elle 
seule qu'aucune force humaine ne pouvait arrêter la persécu- 
tion. 
Comme il arrive toujours en pareille circonstance, l'enfer sus- 
cita parmi les chrétiens eux-mêmes quelques traîtres qui vendirent 
leurs frères. Entre ces malheureux un surtout acquit une triste 
célébrité par les désastres qu'il occasionna. C'était Kim le-sam-i, 
originaire du district de Ho-tsiong, dans la province de Tsiang- 
tsien. Ses trois frères aînés ayant quitté leur pays pour échapper 
à la persécution, étaient venus s'établir à la capitale. le-sam-i les 
y suivit. Mais bientôt il se perdit par la fréquentation des mau- 
vaises compagnies et, malgré les avis de ses frères, tomba dans 
les plus grands excès. Réduit à la misère, il extorqua d'abord 
quelques aumônes à un chrétien de sa connaissance, originaire 
de la même province, nommé Ni An-tsieng-i. Puis, celui-ci ne 
pouvant ou ne voulant satisfaire à ses demandes, il lui voua une 
haine acharnée. 
Ni An-tsieng-i fréquentait les sacrements, le-sam-i, qui le 
savait, se dit à lui-même : « Si le prêtre l'exhortait à faire l'au- 
mône, il ne pourrait s'empêcher de la faire, et s'il ne la fait pas, 
c'est que le prêtre ne l'y pousse pas. » Afin de se venger du 
prêtre, il s'en alla faire une déclaration aux chefs des satellites. 
Ceux-ci qui, depuis l'entrée du prêtre en Corée, n'avaient encore 
pu pénétrer les secrets des chrétiens , furent transportés de 
joie et lui dirent : « Si l'affaire réussit, nous te ferons obtenir une 
place grassement rétribuée. Tâche seulement de savoir où est 
maintenant cet homme. » Le prêtre restait à cette époque chez 
Colombe Kang, et le-sam-i s'en doutait. Il convint avec les 
satellites d'un jour où ils pourraient venir chez lui, promettant 
de leur faire savoir la retraite du prêtre. Mais il tomba grave- 
ment malade, et son projet échoua. Le P. Tsiou, averti secrète- 
ment, se retira ailleurs. 
En vain Ni An-tsieng-i essaya de ramener cet infortuné en 
8 
— 114 — 
lui donnant, à diverses reprises, des sommes assez considérables, 
Kim le-sam-i, toujours plus avide, lié d'ailleurs par ses décla- 
rations antécédentes, retourna à ses haJDitudes coupables, et 
se mêla plus que jamais aux complots contre les chrétiens. Ce 
fut lui qui, deux jours avant le second décret de la régente, con- 
duisit les satellites chez le catéchiste en chef, Jean T'soi Koan- 
tsien-i. Pour échapper à la persécution, Jean T'soi s'était d'abord 
retiré chez d'autres chrétiens, mais une indisposition l'avait forcé 
à revenir chez lui pour se soigner. 11 fut saisi au milieu de la 
nuit et jeté en prison. Peu après, il eut à subir un premier inter- 
rogatoire, reçut treize coups de planche, et quoique étendu sans 
mouvement sur le sol, retrouva assez de force pour expliquer 
au juge les dix commandements de Dieu, et la vanité du culte des 
ancêtres. 
Beaucoup d'autres chrétiens furent arrêtés, surtout des gens 
du peuple, des pauvres, des ignorants et des femmes. on eût dit 
que le nouveau gouvernement n'osait pas s'attaquer de suite aux 
personnes influentes par leur noblesse ou leur fortune. 
Sur ces entrefaites, survint un très-fàcheux accident. Une 
caisse qui renfermait des livres et des objets de religion, ainsi 
que des lettres du P. Tsiou et d'autres objets compromettants, 
avait été déposée dans une maison que l'on croyait sûre. Quand 
parurent les nouveaux édits de persécution, le dépositaire effrayé 
voulut la faire reporter au propriétaire, et par précaution l'enve- 
loppa dans des branches de sapin, espérant que le tout passerait 
pour du bois lié en fagot. Un chrétien nommé Thomas Im consen- 
tit à s'en charger. Mais l'étrange forme de ce fardeau fit soup- 
çonner à un agent de police que ce pourrait bien être de la 
viande de bœuf tué en fraude. 11 arrêta donc le porteur et le 
conduisit jusqu'au poste de la mairie. La caisse fut ouverte devant 
le mandarin ; tout ce qu'elle contenait, livres, objets de religion 
et lettres du prêtre, fut confisqué, et Thomas envoyé immédiate- 
ment sous escorte au tribunal des voleurs. Ce fut de l'huile jetée 
sur le feu, et l'agitation devint extrême. Ceci se passait le 19 de 
la première lune. Cette caisse, au dire d'Alexandre Hoanget des 
chrétiens de l'époque, appartenait h. Augustin Tieng Iak-tsiong, 
et le mandarin de la mairie le déclara ainsi dans son rapport au 
grand juge criminel Ni lou-kieng-i. Celui-ci, soit qu'il conservât 
des doutes, soit qu'il fût effrayé de la gravité de cette affaire, ne 
fit pas de plus ample information pour le moment. 
Dans les premiers jours de la deuxième lune, ce grand juge cri- 
minel fut cassé et remplacé par Sin Tai-hien-i, qui, on ne sait dans 
— 115 — 
quelle pensée, relâcha immédiatement tous les apostats dont la 
prison regorgeait, et ne garda enchaînés que quatre chrétiens 
fidèles : Thomas T'soi, Pierre T'soi, Jean T'soi et Thomas Im. 
Les uns disent qu'on voulait les faire périr sous les coups, d'au- 
tres qu'on songeait à les envoyer en exiL En même temps, Sin 
Tai-hien-i fit cesser les arrestations ; mais les ennemis de 
la foi se concertèrent aussitôt, et, dans une adresse à la 
régente, demandèrent qu'on traitât les chrétiens en rebelles, et 
que le grand juge fût puni comme eux pour leur avoir montré 
trop d'indulgence. La régente furieuse destitua Sin Tai-hien-i, 
annula tous ses actes, ordonna de reprendre tous ceux qu'il avait 
mis en liberté, et fit transférer les quatre chrétiens à la prison 
du tribunal appelé Keum-pou. 
D'après la loi coréenne, les dignitaires publics et les individus 
accusés de lèse-majesté ou de rébellion sont seuls justiciables 
du Keum-pou. Le tribunal des voleurs ne s'occupe que des 
délits contre la propriété. Pour les autres genres de délits, il y 
a le tribunal des crimes, auquel sont amenables non-seulement 
les gens du peuple, mais tous les nobles qui n'exercent aucune 
fonction publique. Les chrétiens avaient jusqu'alors été envoyés 
au tribunal des voleurs. Les transférer au Keum-pou, c'était les 
accuser de rébellion afin de pouvoir les punir en conséquence. 
Tout d'abord, ainsi que nous l'avons remarqué, on n'avait 
saisi que des hommes du peuple ou de la classe moyenne. Le 
parti nouvellement au pouvoir essayait ses forces. Bientôt il se 
sentit assez puissant pour frapper un coup décisif, et le 9 delà 
deuxième lune, un mandat d'arrêt fut lancé avec toutes les 
formalités requises contre Ni Ka-hoan-i, ministre de second 
ordre, Jean Tieng Iak-iong, dignitaire du quatrième degré, Pierre 
Ni Seng-houn-i, ex-mandarin, et Luc Hong Nak-min-i, haut 
fonctionnaire. Ils furent tous les quatre conduits à la prison du 
Keum-pou. Le 11 de la même lune, Ambroise Kouen T'siel-sin-i 
et Augustin Tieng Iak-lsiong furent pris à leur tour. Le 14, 
François-Xaxier Hong Kio-man-i fut arrêté avec son fils Léon ; 
mais ce dernier fut envoyé à la prison de Po-tsien, ville où sa 
famille résidait. 

on cherchait et on jetait en prison des néophytes de toutes 
conditions et de tout âge. on fit même venir à la capitale, pour 
y être jugés par le tribunal Keum-pou, les chrétiens détenus 
dans les villes de Nie-tsiou et de lang-keun. Les allées et venues 
des satellites dans tous les quartiers ne discontinuaient ni jour 
ni nuit. Le Keum-pou, les deux divisions du tribunal des voleurs, 
— 116 — 
la prison du tribunal des crimes, tout regorgeait de prisonniers. 
Des arrestations si nombreuses firent beaucoup de bruit dans la 
ville. Chacun était épouvanté ; les chrétiens surtout étaient 
dans la consternation, et leur frayeur fut portée à son comble, 
quand, le 24, on vit les satellites, en violation de tous les usages 
du pays, ne plus épargner même les femmes nobles, forcer la 
maison de Colombe Kang, et la saisir avec ses esclaves. Ce pre- 
mier pas une fois fait, le même jour et les jours suivants, beau- 
coup d'autres femmes nobles furent aussi jetées en prison. 
La plupart de ces personnages importants ont été souvent 
mentionnés dans cette histoire; nous ajoutons ici quelques mots 
pour fiiire connaître les autres, 
Ambroise Rouen T'siel-sin-i était le frère aîné du célèbre 
François-Xaxier et le chef de cette famille des Rouen, que Ni 
Piek-i choisit ])0ur établir solidement la religion dans ce pays. 
Nous avons déjà dit quelle réputation de science et de vertu il 
s'était acquise. Quand il entendit parler de la religion, il eut 
d'abord peine à y croire, et ce ne fut qu'après avoir approfondi 
avec précaution et prudence les divers points de doctrine, qu'il 
se résolut à l'embrasser; mais une fois son parti pris, il ne se 
démentit jamais. Près de ses parents il s'exerçait aux devoirs de 
la piété filiale ; dans ses rapports de société, il savait par sa libé- 
ralité et son dévouement gagner la confiance de tous, et tous 
avaient pour lui le plus grand respect. L'autorité de son nom 
attira beaucoup de païens à l'Évangile. « Puisque cet homme-là 
regarde la religion commevraie, se disait-on, comment pourrions- 
nous ne pas y croire ? » Cependant il ne faisait pas de propa- 
gande directe, et ne se mêla jamais aux affaires de la chré- 
tienté. Il restait toujours chez lui occupé de ses études et de ses 
pratiques religieuses, ne s'inquiétant en aucune manière des 
injures dont on l'accablait dans des circulaires et écrits publics, 
ni des calomnies dont on chercha souvent à le noircir auprès du roi. 
Entendant parler des actes d'apostasie que les supplices arra- 
chaient aux chrétiens, il disait en soupirant: « Pauvres gens! 
quel dommage! ils rendent par là inutiles les travaux de la moitié 
de leur vie, et perdent la couronne due à leurs souffrances. » Pris 
lui-même et conduit devant les juges, il fit une courageuse apolo- 
gie de la religion et de ses pratiques. Dans les supplices, son 
visage ne changea point et il répondit avec calme et tranquillité, 
au point qu'un de ses ennemis les plus acharnés, que sa fonction 
obligeait d'être présent quand on le mit à la question, disait en 
sortant à ceux qu'il rencontrait : « Pendant les interrogatoires. 
— 117 — 
les autres coupables sont tout hors d'eux-mêmes, mais pour 
Kouen T'siel-sin-i, il ressemble à un homme tranquillement assis 
à un festin. » 
Un des principaux compagnons de captivité d'Ambroise Kouen 
était Augustin Tieng Iak-tsiong, descendant de l'illustre famille des 
Tieng de Ma-tsai,dont nous avons souvent parlé, et l'un des frères 
aînés de Jean Tieng Iak-iong. D'un caractère droit, d'un esprit 
sagaceet profond, il s'appliqua de bonne heure aux études et obtint 
dos succès dans les lettres. Il se plaisait dans la compagnie des 
personnes graves et instruites, et devint l'ami du fameux Ni Ka- 
hoan-i, et des plus célèbres lettrés alors existants. Regardant la 
littérature des examens comme trop légère, il l'abandonna entiè- 
rement et, par cela même, renonça d'avance aux dignités dont 
l'accès lui était d'ailleurs si facile, afin de se livrer sans obstacle 
aux recherches de philosophie et de morale. Pendant quelque 
temps il s'appliqua à la doctrine de Lao-tse, pour obtenir l'im- 
mortalité qu'elle promet à ses adeptes ; mais il reconnut bientôt 
le vide et le ridicule de cette théorie. Il étudia aussi la médecine 
et s'y acquit beaucoup de réputation. 
Dès que la religion se répandit en Corée, il s'en fit instruire, 
mais ne se rendit pas de suite. Il répétait souvent que Ni Piek-i 
sortait de la vraie voie, et ce ne fut que quatre ou cinq ans plus 
tard qu'il céda aux sollicitations de la grâce ; et reconnaissant 
dans ses hésitations quelque chose de semblable h celles de saint 
Augustin, il voulut prendre ce saint pour patron au baptême. 
Devenu chrétien, il ne regarda plus en arrière et pratiqua sa 
religion avec une ferveur et une persévérance au-dessus de tout 
éloge. En 1791, l'exemple funeste donné par ses frères et tant 
d'autres de ses amis qui apostasièrent misérablement, ne l'ébranla 
pas. Il ne s'émut pas davantage des persécutions de sa famille. 
Son père non-seulement avait refusé de pratiquer, mais encore 
il décriait la religion et la prohibait sévèrement à ses enfants. 
Augustin, tout en continuant de se montrer fils pieux et dévoué, 
demeura fidèle à tous ses exercices religieux, et supporta avec 
une patience inaltérable tous les mauvais traitements. 
Il avait été marié, mais sa femme mourut très-jeune, lui lais- 
sant un fils nommé Charles, qu'il instruisait avec soin de tous 
les devoirs de chrétien. Cédant aux instances de sa famille, il se 
remaria peu de temps après, avec le dessein de vivre dans la con- 
tinence avec sa femme. Les chrétiens l'en dissuadèrent, et il eut 
plusieurs enfants dont nous parlerons dans la suite. 
Alexandre Hoang, qui avait intimement connu Augustin, nous 
— 418 — 
trace de lui ce portrait ; « Ne s'occupant nullement des affaires 
du monde, il se plaisait surtout à l'étude de la philosophie et de 
la religion. Un point de doctrine était-il obscur pour lui, dans 
Tardeur de ses recherches il oubliait la nourriture et le som- 
meilj et ne se donnait point de repos qu'il ne l'eût éclairci. En 
chemin ou dans sa maison, à cheval ou en bateau, il ne discon- 
tinuait pas ses profondes méditations. S'il rencontrait des igno- 
rants, il mettait tous ses soins à les instruire, et quelque 
fatigué qu'il pût être, on ne voyait chez lui ni paresse, ni ennui 
à le faire; il réussissait merveilleusement à se faire compren- 
dre de ses auditeurs, quelque grossiers qu'ils fussent. Il com- 
posa en coréen deux volumes intitulés : Principaux articles de 
la religion, où il réunit ce qu'il avait vu dans les livres religieux, 
y ajoutant quelque peu du sien et s'efforçant surtout d'être clair. 
C'est un livre précieux pour les nouveaux chrétiens de ce pays, 
et le prêtre l'a approuvé. Quand Augustin rencontrait des chré- 
tiens, après les premiers compliments d'usage, il parlait de suite 
de doctrine, et pendant tout le jour on ne pouvait placer une 
parole inutile. Si on lui donnait la solution de quelque difficulté 
qu'il n'avait pu pénétrer, il en avait le cœur tout rempli de joie, 
et remerciait chaleureusement son interlocuteur. Lorsque des 
gens tièdes ou stupides n'entendaient pas volontiers les vérités 
du salut, il ne pouvait contenir sa peine et sa tristesse. on l'in- 
terrogeait sur toute espèce de sujet et, grâce à la précision ad- 
mirable de son esprit, grâce à sa parole simple et claire, il forti- 
fiait la foi et échauffait la charité dans le cœur de tous. Sa vertu 
était moins grande peut-être et sa réputation moins brillante que 
celles du chef catéchiste Jean T'soi, mais il était supérieur à ce 
dernier en talents et en connaissances. » 
Outre le livre qu'Alexandre Hoang vient de citer, Augustin, 
de concert avec Josaphat Kim Ken-sioun-i, s'occupa de composer 
un traité complet, montrant toutes les vérités de la religion 
dans leur ordre et enchaînement méthodique. Ils en avaient à 
peine fait la moitié quand la persécution les surprit. Un ouvrage 
de ce genre, rédigé par des hommes du pays, eût été certaine- 
ment beaucoup plus à la portée des peuples de ce royaume; mal- 
heureusement il n'en reste aucun vestige. 
Pendant son séjour à la capitale, Augustin eut des rapports 
très-fréquents avec le P. Tsiou, le reçut nombre de fois dans sa 
maison, et fut nommé par lui président de la confrérie Mieng-to. 
on rapporte que peu de temps avant son arrestation, un de ses 
amis, chrétien de la classe des interprètes, étant venu le trouver. 
— 119 - 
vit sur ses habits mille petites croix resplendissantes de clarté, et 
lui demanda ce que c'était. Augustin, sans répondre directement, 
détourna la conversation d'une manière adroite, mais les chré- 
tiens y virent un présage des souffrances qu'il allait bientôt endu- 
rer, et leurs prévisions ne furent pas trompées. 
Le H de la première lune, revenant à cheval de Mat-sai h la 
capitale, Augustin rencontra sur la route un mandarin du tribu- 
nal Keum-pou. Il l'avait déjà dépassé quand, soupçonnant que 
ce mandarin allait pour le prendre, il lui envoya son esclave 
demander qui l'on voulait saisir, ajoutant que si c'était lui-même, 
il était inutile d'aller plus loin. Le mandarin allait en effet le cher- 
cher; Augustin fut donc pris en ce même lieu, et conduit droit à 
la prison. Dans les interrogatoires, il fit noblement sa profession 
de foi, développa les vérités de la religion devant ses juges, et 
déclara nettement que jamais il ne consentirait à renier son Dieu 
pour se sauver la vie. 
Au sujet delà caisse d'objets de religion, prise le 19 de la pre- 
mière lune, il déclara qu'elle lui appartenait, mais interrogé 
ensuite sur les lettres qui y étaient renfermées, il garda le silence. 
Le juge n'en pouvant rien tirer, s'avisa d'envoyer h la maison 
d'Augustin et de faire dire à sa famille : «Si votre père voulait seu- 
lement indiquer les noms et la demeure du prêtre, il n'y aurait 
plus de raison pour le faire mourir ; mais il préfère subir de vio- 
lents supplices plutôt que d'ouvrir la bouche. Vous, sa famille, 
ses enfants, songez-y bien, et pour sauver la vie de votre chef, 
avouez tout franchement. » La famille répondit qu'elle ne savait 
pas de quoi il était question. 
Augustin était accusé non-seulement, comme les autres chré- 
tiens, d'avoir violé la loi, mais d'avoir commis le double crime de 
lèse-majesté et de rébellion. En faisant l'apologie de la religion, il 
avait dit qu'on ne devait pas la prohiber. C'était accuser d'injus- 
tice le roi lui-même, puisqu'on venait de la proscrire en son nom; 
c'était par conséquent crime de lèse-majesté. De plus, dans son 
livre des : Principaux articles de la religion chrétienne, il avait 
mentionné le monde, la chair et le démon comme les trois grands 
ennemis contre lesquels les fidèles doivent lutter sans cesse. Or 
cette expression : le monde, ne pouvant signifier que le gouverne- 
ment du roi, la rébellion était évidente. Le tribunal admit et 
consacra cette ridicule interprétation. Il ne faut pas trop s'en éton- 
ner, car en Corée, comme partout ailleurs, toute parole ou objec- 
tion contre la religion trouvera d'autant plus de croyants, qu'elle 
sera plus inepte, plus niaise et plus stupide. Nous avons entre 
^ 120 — 
les mains une réfutation du christianisme, composée par un man- 
darin de la même époque, où il est dit : « Cette religion ordonne 
de haïr ses parents, puisqu'elle ordonne de haïr le corps que les 
parents ont engendré ; elle ordonne de traiter le roi en ennemi, 
puisqu'elle dénonce comme ennemi le monde que le roi gouverne; 
enfin elle veut anéantir le genre humain, puisqu'elle enseigne que 
la virginité est plus parfaite que le mariage. » Cette phrase a été 
écrite sérieusement, et, aujourd'hui encore, elle est regardée par 
la plupart des païens comme un résumé complet de l'Evangile. 
L'autre prisonnier, François-Xavier Hong Kio-man-i, plus 
connu parmi les chrétiens sous le nom de Hong de Nam-iang, 
descendait lui aussi d'une noble famille du parti Nam-in, depuis 
longtemps honorée de charges importantes. Livré de bonne heure 
à l'étude, François-Xavier était tsin-sa ou licencié, et son caractère 
grave et réfléchi, aussi bien que l'étendue et la variété de ses con- 
naissances, lui avaient obtenu l'estime générale. Après avoir résidé 
quelque temps à la capitale, il alla s'établir au district de Po-tsien, 
à huit ou dix lieues do la, où il entendit parler du christianisme, 
vraisemblablement par la famille des Kouen de lang-keun, dont il 
était allié. Il ne l'embrassa pas de suite, mais plus tard, éclairé 
et pressé par son fils Léon, il en reconnut la vérité, se mit à la 
pratiquer avec ferveur, et reçut le baptême des mains du P.Tsiou. 
Quoique dans une belle position, il n'eut plus dès lors de pensées 
pourles grandeurs humaines; il cessa ses relations avec ses nom- 
breux amis païens, sans s'inquiéter des reproches que cette con- 
duite lui attirait. Tout appliqué à ses devoirs et à l'instruction de 
sa famille, il s'efforçait de réchauffer les tièdes et de propager la 
religion, et passait fréquemment les soirées à exhorter les chré- 
tiens du pays, réunis chez lui à cet effet. Quand l'édit de 
persécution fut publié, François-Xavier Hong se cacha pendant 
quelques jours, puis voyant (lu'il ne pouvait échapper longtemps 
à ses ennemis, il prit le parti de retourner chez lui, accompagné 
de son fils, et d'y attendre l'ordre de Dieu. Sur la route même, il 
fut rencontré par les satellites, qui l'arrêtèrent et le conduisirent 
à la capitale. 
Le procès de tous ces hommes marquants ne devait pas durer 
bien longtemps, leur sort était décidé d'avance. H reste peu 
de détails sur les interrogatoires et les supplices qu'ils ont 
subis, mais quelques pièces détachées des actes civils, que nous 
avons entre les mains, nous les montrent accusés tous d'être sec- 
tateurs d'une religion étrangère et dépravée. Augustin Tieng seu- 
lement est accusé en outre de lèse-majesté et de rébellion. Avant 
— 121 — 
la fin des débats, le 21 de la deuxième lune, Âmbroise Kouen 
mourut dans la prison, à l'âge de soixante-six ans, tué sous les 
coups, au rapport des uns, des suites de ses blessures ou d'ina- 
nition, selon les autres. 
Quatre jours plus tard, tous les prisonniers furent condamnés à 
mort. Les deux frères d'Augustin, Jean Tieng Iak-iong et Tieng 
Iak-tsien, qui déjà, dans une circonstance semblable, avaient 
donné un triste exemple de faiblesse, curent de nouveau la lâcheté 
de fouler aux pieds les exhortations, les prières, les larmes et les 
nobles exemples de leur frère, et de racheter leur vie par l'apos- 
tasie. La sentence de mort fut pour eux commuée en une con- 
damnation à l'exil. Ajoutons de suite que Jean Tieng, gracié 
quelques années après, fit une longue et sincère pénitence de 
sou crime, qu'il consola les chrétiens par sa ferveur et sa morti- 
fication exemplaires, et fit une mort très-édifiante. Il a laissé plu- 
sieurs écrits religieux, et principalement des mémoires sur Tin- 
troduction de l'Évangile en Corée, où sont recueillis la plupart 
des faits jusqu'à présent relatés dans notre histoire. 
Ni Ka-hoan-i, dont tout le crime était d'avoir été l'un des plus 
illustres chefs du parti vaincu, fut condamné à mort comme chré- 
tien, et enfermé, sans nourriture, dans une chambre où il expira, 
après sept jours de souffrances. Il connaissait très-bien la reli- 
gion, mais, comme tant d'autres savants, il aima mieux la gloire 
des hommes que celle de Dieu, et ne donna jamais aucun signe 
de conversion. Kut-il, à quelqu'une des heures de sa longue et 
solitaire agonie, le bonheur de reconnaître et d'adorer ce Christ, 
pour le nom duquel on le faisait mourir? C'est le secret de Dieu. 
Quoiqu'il en soit, un grand nombre des descendants de cet infor- 
tuné ministre sont aujourd'hui de fervents chrétiens. 
Les six autres condamnés, savoir: Pierre Ni Seng-houn-i, 
Thomas T'soi Pil-kong-i, Jean T'soi Tsiang-hien-i, François- 
Xavier Hong Kio-man-i, Luc Hong Nak-min-i, et Augustin Tieng- 
lak-tsiong, furent décapités en dehors de la porte de l'Ouest, le 
26 de la deuxième lune (8 avril 1801). 
Pierre Ni Seng-houn-i avait alors quarante-cinq ans. Voici le 
texte officiel de sa sentence : 
« Les mauvais livres de l'Occident sont une monstruosité sans 
(( exemple dans les temps anciens et modernes. Par des paroles 
« mensongères, ils prêchent un certain Jésus, et trompent le 
« monde. Ce qu'ils appellent paradis et enfer n'est qu'une mala- 
<( droite imitation de la doctrine de Fo; ce qu'ils appellent père 
« spirituel, n'est que l'anéantissement des rapports naturels de 
— 122 — 
f( l'homme. Ils disent que les biens et les femmes peuvent être 
(( mis en commun, et que les supplices et la mort ne doivent pas 
« être redoutés. Toutes leurs paroles sont fourbes, désordonnées 
« et impudentes; les saints doivent les rejeter, et le peuple les 
« repousser. Malgré cela, l'accusé a reçu le baptême, a acheté 
'( ces livres, les a apportés d'une distance de dix mille lys, lésa 
« répandus parmi ses parents et alliés, à la capitale et en pro- 
f( vince, au près et au loin. C'est encore peu. Il a communiqué 
« avec les étrangers et s'est lié avec eux ; il a ourdi avec lou-i- 
« ri (Paul loun) de mauvais et secrets complots, et s'est uni dans 
« de coupables démarches avec Iak-tsiong (Augustin). Quand le 
« roi eut fait afficher la loi, l'accusé vit comme dans un miroir 
« les mauvais génies qui le dirigeaient ; il fit au dehors semblant 
« de changer, mais au dedans son cœur continua d'être perdu et 
« aveuglé. Dans cette clique fourbe et cette race dégoûtante des 
(< chrétiens, il n'est personne qui ne l'ait regardé comme chef de 
« religion, et ne l'ait appelé père. Comment, après de telles fau- 
« tes, pourrait-il être supporté entre le ciel et la terre? Toutes 
« les preuves sont révélées, tous ses crimes ont paru au grand 
(( jour; la loi du ciel brille avec éclat, la loi du roi est justement 
« sévère. Je le reconnais. » Ces trois derniers mots, qui se retrou- 
vent à la fin de toutes les pièces analogues, sont la formule habi- 
tuelle d'acquiescement, que Ion fait signer de gré ou de force à 
tous les condamnés. 
La mort de Seng-houn-i fut plus triste encore que celle de Ni 
Ra-hoan-i. Jamais peut-être, plus belle et plus facile occasion de 
se repentir n'avait été offerte à un pécheur. Chrétien ou non, il 
lui fallait mourir; l'apostasie même ne pouvait lui sauver la vie, 
tandis qu'un simple acte de retour à Dieu pouvait changer en 
triomphe ce supplice inévitable. Mais ses défections, ses lâchetés 
réitérées et persistantes semblent avoir lassé la patience de Dieu, 
et il expira sans rétracter son apostasie, sans donner le moindre 
signe de contrition. Lui, le premier baptisé; lui, qui avait apporté 
à ses compatriotes le baptême et l'Évangile, marcha à la mort avec 
les martyrs et ne fut pas martyr; il eut la tête tranchée comme 
chrétien et mourut en renégat. mon Dieu, que vos jugements 
sont justes et terribles! 
Cette mort épouvantable consterna les païens eux-mêmes. Le 
corps de Seng-houn-i, ayant été aprèstrois jours reporté dans sa 
maison, personne n'osa y aller faire les visites habituelles de con- 
doléance. Seul, un de ses parents et amis, Sim-iou, s'y rendit vêtu 
de deuil, mais sa conduite excita les murmures du peuple. 
— 123 — 
Depuis cette époque, dans la nombreuse parenté de Pierre Ni 
Seng-houn-i, on ne compte que très-peu de fidèles, et le plus 
grand nombre de ses parents se sont toujours signalés par leur 
hostilité contre la religion chrétienne. Il laissait trois fils, qui 
furent la souche d'autant de familles, dont deux seulement font 
aujourd'hui profession de christianisme. 
Détournons maintenant nos regards de ces scènes attristantes, 
et reportons-les sur la mort précieuse de nos martyrs. 
Thomas T'soi, dont le caractère si droit et la noble franchise 
avaient conquis les sympathies du feu roi, marcha résolument au 
supplice. Le bourreau, encore peu expérimenté, ne put lui tran- 
cher la tête du premier coup. Thomas, portant la main sur sa 
blessure, la retira tout ensanglantée, et la fixant avec attention, 
s'écria : « Précieux sang! » Précieux, en effet, car c'était le prix 
du ciel, dont un second coup de sabre lui ouvrit immédiatement 
les portes. 
Vint ensuite le zélé catéchiste Jean T'soi. Dans un des inter- 
rogatoires subis au tribunal des voleurs, il avait eu un moment 
de faiblesse ; mais Dieu vint à son aide, et la grâce reprit bientôt 
le dessus. A peine arrivé devant le tribunal supérieur, il rétracta 
courageusement ses paroles ambiguës. Il fit plus, comme on le 
voit par le texte de sa sentence ; il composa alors même une apo- 
logie écrite de la religion chrétienne, la présenta aux juges, et le 
lendemain la scella de son sang. Il était âgé de quarante-trois 
ans. 
François Xavier Hong en avait soixante-quatre. Nous n'avons 
aucun détail sur ses derniers moments ; mais les juges eux-mêmes 
ont fait un éloge magnifique de sa persévérance, en inscrivant 
dans son arrêt de mort ces paroles : « Il ose dire impudemment 
(( que c'est un bonheur de mourir pour cette religion. Son 
« obstination est plus forte que le bois et la pierre. Pour lui, 
« tous les supplices sont trop légers. » 
Luc Nak-min-i ayant, quelques années auparavant, renié le 
christianisme publiquement et à plusieurs reprises, le tribunal 
lui fit grâce de la vie. Il fut donc condamné à l'exil, et, selon 
l'usage, il reçut d'abord une forte bastonnade sur les jambes. 
C'est là que Dieu l'attendait. Pendant celte torture, la foi, le 
repentir, les sentiments généreux se réveillèrent dans son âme, 
et relevant la tête, il dit cases juges : « Tout ce que j'ai fait parle 
passé n'était que pour conserver lâchement ma vie. Maintenant 
que je suis encore battu et déshonoré, j'aime mieux vous dire fran- 
chement tout ce que j'ai sur le cœur, et mourir avec courage. Le 
— 124 — 
Dieu que je sers, c'est le souverain Seigneur du ciel, de la terre, 
des esprits, des hommes et de toutes choses. Mathieu Ni (nom 
coréen du P. Matthieu Ricci, l'apôtre de la Chine), et les autres 
missionnaires, sont des hommes admirables de doctrine et de 
sainteté ; toutes leurs paroles sont vraies. Je désire donc mainte- 
nant mourir pour Dieu, et par là confesser la vérité de la foi 
chrétienne. » Les premiers ministres qui présidaient le tribunal 
furent aussi irrités que surpris des paroles du confesseur de la 
foi, et une grande rumeur s'éleva dans toute l'assemblée. Un 
exprès fut immédiatement envoyé à la régente pour l'informer de 
ce qui venait d'avoir lieu, et celle-ci furieuse envoya l'ordre de 
soumettre Luc à une cruelle torture. Son corps fut brisé de 
coups. Renvoyé à la prison, il disait, en lavant le sang qui décou- 
lait de ses blessures : « Maintenant, je suis heureux, et j'ai le 
cœur à l'aise. » S'il faut en croire la sentence, Luc aurait dit 
aussi qu'il souffrait la mort avec joie, comme une punition 
de ses anciennes apostasies. Quand il monta sur le chariot pour 
aller au supplice , sa figure rayonnait de bonheur. Les yeux 
levés au ciel, il ne cessait d'exhorter le peuple. Il mourut ainsi, 
à l'âge de cinquante-un ans. 
L'auteur contemporain qui nous a conservé ces faits, ajoute 
quelques paroles bien dignes d'attention : « Après avoir été fer- 
mes au commencement, dit-il, beaucoup fléchissent à la fin. Se 
relever après la chute, et devenir martyr après l'apostasie, n'est 
pas chose commune, ni facile. Luc Hong, à ce qu'on assure, 
récitait tous les jours son rosaire; même au milieu de ses fonc- 
tions publiques, et delà foule des hôtes et des amis qui s'empres- 
saient chez lui, il ne l'omit jamais un seul jour. C'est sans 
doute cette pratique qui lui aura mérité une grâce aussi extraor- 
dinaire. » — on est heureux de trouver cette réflexion touchante 
sous la plume d'un néophyte. C'est une preuve de plus que par- 
tout et toujours, les vrais chrétiens ont, pour ainsi dire instincti- 
vement, la même foi inébranlable dans la toute-puissante inter- 
cession de Marie, mère de Dieu, 
Les derniers moments d'Augustin Tieng furent dignes de sa 
vie. Quand on le conduisit au supplice, son visage paraissait tout 
lumineux. Pendant le trajet il appela le conducteur et lui dit 
qu'il avait soif. Les assistants l'ayant réprimandé, il répondit: 
(( C'est pour imiter mon grand modèle que je demande à boire. « 
Infatigable prédicateur dans la prison et devant le tribunal, il 
fit encore du théâtre de son martyre une chaire bien éloquente. 
.\ssis en face des instruments de supplice, il les contempla avec 
— 125 — 
bonheur, puis, élevant la voix de manière à être entendu de tout 
le peuple, il s'écria : « Le Seigneur suprême du ciel, de la terre, 
et de toutes choses, existant par lui-même et infiniment adorable, 
vous a créés et vous conserve. Tous vous devez vous convertir à 
votre premier principe ; n'en faites pas follement un sujet de 
mépris et de raillerie. Ce que vous regardez comme une honte et 
un opprobre sera bientôt pour moi le sujet d'une gloire éter- 
nelle. » on l'interrompit en l'avertissant de mettre sa tête sur le 
billot ; il se plaça de manière à voir le ciel, disant : « Il vaut 
mieux mourir en regardant le ciel, qu'en regardant la terre. » 
Le bourreau tremblait et n'osait frapper; mais enfin la crainte 
du châtiment l'emportant sur l'admiration, d'une main mal 
assurée il donna un premier coup de sabre. La tête n'était tran- 
chée qu'à moitié, Augustin se redressa, fit ostensiblement un 
grand signe de croix, et se replaça paisiblement dans sa première 
posture pour recevoir le coup mortel. 
Ainsi mourut, à l'âge de quarante-deux ans, l'un des hommes 
les plus remarquables et l'un des plus grands martyrs quela religion 
chrétienne ait comptés dans ce pays. Son corps fut recueilli avec 
soin, et on l'emporta dans la ville où résidait sa famille pour lui 
donner la sépulture. Ses parents et alliés, tant païens que chré- 
tiens, affirment que plusieurs guérisons miraculeuses ont eu lieu 
sur son tombeau. Augustin avait été accusé du crime de rébel- 
lion ; tous ses biens furent, en conséquence, confisqués par un 
ordre spécial du gouvernement. Il est probable que ses ennemis 
voulurent par là empêcher à tout jamais la réhabilitation de sa 
famille, et lui rendre la vengeance impossible. 
Le même jour, 26 de la deuxième lune, une autre sentence de 
mort avait été portée. C'était celle de Louis de Gonzague Ni 
Tan-ouen-i, l'apôtre du Nai-po. Après son apostasie, en 1791, 
touché d'un sincère repentir, il avait repris avec ferveur ses pra- 
tiques religieuses. Il put voir le P. Tsiou, et même demeurer 
quelque temps auprès de lui. Le prêtre lui répétait souvent : 
« Après avoir commis tant de fautes, après avoir administré les 
sacrements sans autorité, après avoir scandalisé les fidèles par 
ton apostasie, comment pourrais-tu faire assez pénitence? Le 
martyre seul pourra te faire pardonner. )> Aussi Louis pensait-il 
sans cesse à s'y préparer. Arrêté par ordre du gouverneur de 
la province, vers la fin de l'année 1795, il eut à souffrir de 
cruels supplices, mais il ne faiblit pas et fut renvoyé à T'ien-an, 
sa ville natale, pour y être mis au rang des fustigateurs. 
Ce châtiment, fréquent en Corée, est très-honteux pour une 
_ 126 — 
personne de condition honnête; mais le mandarin ne fit pas 
exercer à Louis cette vile fonction, et se contenta de le placer 
sous caution chez un particulier. Il resta ainsi sous la surveil- 
lance de la police pendant six ans environ, jusqu'au moment où 
l'on reprit son procès en 1801. 
L'ordre avait été donné de le mettre à la question, le 1" et 
le lo de chaque mois. Il est probable toutefois que les préto- 
riens ne firent pas trop souffrir un homme qui avait conquis leur 
estime, et s'était dévoué à l'éducation de leurs enfants. Louis 
demeura ferme pendant celte longue épreuve. Il pratiqua cons- 
tamment sa religion au vu et su de tout le monde, et, par ses 
paroles aussi bien que par ses exemples, fit un grand bien dans 
le pays. Ayant obtenu un jour la permission d'aller visiter sa 
famille à le-sa-ol, il s'y informa de l'état de la religion. Il apprit 
alors que, cédant à la crainte, les chrétiens avaient réuni et 
brûlé sur la place publique du village tous leurs livres de reli- 
gion. A cette nouvelle, il ne put retenir ses larmes, et le cœur 
rempli d'amertune, il demanda si aucun volume n'avait échappé 
à l'incendie. on lui en apporta deux, enlevés secrètement. 
Lorsque, après la mort du roi, la persécution redoubla de 
rigueur, Louis fut transféré d'abord à Tsieng-tsiou pour y subir 
la question, puis à la capitale, oîi il fut condamné à mort 
avec Jean T'soi, Augustin Tieng et leurs compagnons. Afin 
d'effrayer les populations, le gouvernement donna ordre de 
l'exécuter à Kong-tsiou, chef-lieu de la province où il avait, pen- 
dant longtemps, prêché l'Évangile. C'est là qu'il fut décapité, 
deux jours après les martyrs de la capitale, le 28 de la deuxième 
lune (10 avril 1801). Sa tête ne tomba, dit-on, qu'au sixième 
coup de sabre. Louis avait alors plus de cinquante ans. Quel- 
ques-uns de ses parents avaient assisté à l'exécution, mais ce 
ne fut que plusieurs jours après, qu'ils purent recouvrer ses 
précieux restes et les transporter dans le tombeau de sa famille. 
on assure qu'au moment où ils recueillirent le corps, la tête se 
trouva solidement attachée au cou, sans autre trace du sup- 
plice qu'une cicatrice circulaire, qui ressemblait à un fil blan- 
châtre. 
Louis de Gonzague Ni Tan-ouen-i, malgré sa faiblesse lors de 
la première persécution, est, sans contredit, l'un de ceux qui ont 
le plus travaillé à la propagation de l'Évangile en Corée. Une 
grande partie de nos chrétiens d'aujourd'hui sont les descendants 
de ceux qu'il convertit alors. Aussi sa mémoire est-elle en véné- 
ration dans le Nai-po et les districts voisins. Par une coïncidence 
— 127 — 
assez singulière, les deux premiers prêtres coréens étaient de sa 
famille : le P. André Kim, pciit-fils d'une de ses nièces, et le 
P. Thomas T'soi, petit-fils d'un de ses neveux. Sa descendance 
directe est aujourd'iuii éteinte. 
Quinze jours après le triomphe de Louis de Gonzague Ni, eut 
lieu dans cette môme ville de Kong-tsiou l'exécution d'un autre 
chrétien, assez peu connu. Les quelques détails qui suivent ont 
été racontés par un vieillard octogénaire, que des circonstances 
avaient alors amené près de la prison, et qui entendit distincte- 
ment tout ce qui s'y passait. Ni T'siong-kouk-i, dont on ignore 
la famille et le nom de baptême, avait été pris à T'siong-tsiou et 
conduit au chef-lieu de la province. La veille de sa mort, vers le 
milieu du troisième mois, la lune étant dans tout son éclat, 
il se tint, toute la nuit, appuyé sur le seuil de la porte de 
sa prison, récitant ses prières. Au point du jour, il entr'ouvrit la 
porte et regardant du côté de l'Orient, il s'écria à diverses repri- 
ses : « Pourquoi le jour tarde-t-il tant à paraître? » Puis, enten- 
dant un coup de fusil, il se leva tout rempli de joie et dit : 
« Voilà qui est un bon signe, on ne tardera pas à m appeler, » 
et il se remit en prières avec un redoublement de ferveur. 
Quelques minutes après, un nouveau coup de fusil se fit encore 
entendre, la porte de la prison s'ouvrit, et les geôliers lui apportè- 
rent le repas des condamnés à mort. Ni T'siong-kouk-i se mit à 
table, remercia Dieu longuement d'avoir créé dans le monde une 
telle abondance de biens, puis goûta de chacun des mets qu'on 
lui avait présentés, et, renvoyant la table, se mit de nouveau à 
prier. Tout à coup, un cri fut entendu : « Faites sortir Ni 
T'siong-kouk-i. » Il se leva aussitôt et appelant par leur nom 
chacun des chrétiens qui étaient prisonniers avec lui, il leur dit : 
« Pour moi, par la miséricorde infinie de Dieu et le secours de 
Marie, je vais maintenant jouir du bonheur du ciel; vous tous 
ne perdez pas confiance, faites comme moi. » 11 les exhortait ainsi 
chaleureusement et à haute voix, lorsque les soldats le pres- 
sèrent de sortir. on le plaça sur un cheval, la figure tournée vers 
la queue. Le visage rayonnant de joie, il fut conduit au lieu de 
l'exécution, et décapité, dans la vingt-septième année de son âge. 
CHAPITRE IV 
Les six martyrs de Nie-tsiou. — Martyre de Barbe Sim, d'Alexis Hoang, etc. 
— Martyre du P. Tsiou. 
Nous avons dit plus haut que le gouvernement de la régente 
avait fait transférer à la capitale, pour y être jugés par le Keura- 
pou, les chrétiens détenus dans les prisons de Nie-tsiou et de 
lang-keun. Ceux de Nie-tsiou, arrêtés à diverses époques, 
avant la mort du roi, avaient déjà subi de longues tortures quand 
cet ordre fut exécuté. Nous allons donner ici les quelques détails 
conservés par les traditions coréennes sur les principaux de ces 
confesseurs. 
Martin Ni Tsong-po-i, de la branche des Ni de Tsien, était né 
au district de Nie-tsiou, d'une famille attachée au parti Sio-ron. Il 
se faisait remarquer par son caractère droit, mais violent et iras- 
cible, par ses connaissances en médecine, par sa force et son cou- 
rage extraordinaires, et par son ambition démesurée. on raconte 
de lui que dans tous ses voyages, même les plus courts, il avait 
la manie de se reposer le jour et de marcher seulement la nuit, 
et qu'il commettait fréquemment, sans le moindre scrupule, 
des actes de violence et d'injustice. Il fut amené à la foi par son 
ami intime, Josaphat Kim Ken-sioun-i, le collaborateur d'Augustin 
Tiengdans la composition de ce traité de religion, qui ne put 
être terminé. Les deux amis se firent chrétiens et furent baptisés 
ensemble. Dès lors Martin fut un nouvel homme. Il réussit à 
dompter son caractère, et ne conserva que sa droiture et sa fer- 
meté. Rempli d'une courageuse ferveur, il professait ouvertement 
sa foi, et, avec son père et sa femme qu'il avait convertis, accom- 
plissait ses exercices religieux sans se cacher de personne. 
Son cousin Jean Ouen Sa-sin-i, de la ville de Nie-tsiou, avait, 
lui aussi, été converti par Josaphat Kim, avec lequel il était très- 
lié. Toute sa famille avait suivi son exemple et pratiquait la reli- 
gion chrétienne. 
A la troisième lune de l'année kieng-sin (1800), Martin et Jean 
allèrent passer les fêtes de Pâques chez un de leurs amis, Tsieng 
Tsong-ho. Ce dernier, dont le nom de baptême nous est inconnu, 
les reçut avec joie au milieu de sa famille, qui était tout entière 
chrétienne. Un chien fut tué, du vin préparé en abondance, et, le 
— 129 — 
jour de la fête, la famille et ses hôtes se réunirent h quelques lidèles 
du voisinage, sur le bord de la route. Là, tous récitèrent à haute 
voix VAUcIuia et le Recjina cœli, puis chantèrent leurs prières 
au son de la calebasse. Ils firent ensuite un repas avec la viande 
et le vin qu'ils avaient apportés, et le repas terminé, les chants 
recommencèrent. Le jour s'écoulait ainsi dans des exercices 
de piété et dans un festin fraternel, lorsque le mandarin, pré- 
venu par des païens de ce qui se passait, envoya des satellites 
pour les saisir. Ils furent tous arrêtés et conduits en prison. 
Pendant le trajet on passa devant la maison de Jean Ouen, et sa 
vieille mère, tout en larmes, se jeta au-devant des satellites, les 
conjurant de lui permettre de voir son fils un instant avant de 
l'emmener, mais elle ne fut pas écoutée, et les prisonniers conti- 
nuèrent leur route. Arrivés au tribunal, le mandarin leur dit : 
« Dénoncez vos complices et ceux qui vous ont séduits, et reniez 
Dieu. » Jean répondit au nom de tous : « II nous est sévèrement 
défendu de dénoncer quelqu'un ; et dussions-nous mourir, nous 
ne pouvons nuire h personne. Quant à renier Dieu, la chose est 
encore plus impossible. » Le mandarin en colère leur fit subir 
l'écartement des os et la puncture des bâtons. Mais soutenus par 
le courage et les exhortations de Martin Ni, tous furent fermes 
dans ces violents supplices, qu'on renouvela inutilement plusieurs 
fois. Ils furent ensuite enfermés dans la prison. 
Vers cette époque, vivait à Tiem-teul, dans ce même district de 
Nie-tsiou, un noble nommé Im Hei-ieng-i, de la branche des 
Im de Pong-tsien. Son père, sa mère, ses frères et sœurs étaient 
fervents chrétiens. Lui seul s'obstinait à rester païen, et donnait 
pour excuse que c'était une chose au-dessus de ses forces, « puis- 
que, disait-il, pour pratiquer fidèlement la religion, il faudrait 
n'avoir ni yeux, ni oreilles, ni aucun autre sens. » A toutes les 
exhortations, à tous les reproches de son père, il ne répondait 
jamais un seul mot. Sur son lit de mort, son père le fit appeler 
et lui dit : « Si avant de mourir je te voyais chrétien, je n'aurais 
plus aucun regret en quittant ce monde. » Le fils gardant le 
silence, « Je dois mourir demain, reprit le père. A ton air, je 
suppose qu'après ma mort tu comptes me faire les sacrifices d'usage 
pour les parents. Pendant ma vie tu ne m'as guère écouté, eh 
bien ! écoute maintenant : si après ma mort tu fais les sacrifices, 
je ne te regarde plus comme mon fils, et je te défends de porter 
mon deuil. » De telles paroles sont, chez tous les Orientaux, 
mais en Corée surtout, le plus terrible des anathèmes. Ici encore 
Hei-ieng-i ne répondit rien. 
— 130 — 
Deux jours après, son père étant mort, il donna des marques 
non équivoques de sa désolation, se revêtit des habits de deuil, 
mais ne fit aucun des sacrifices accoutumés. Tous ses parents et 
alliés, toutes ses connaissances le regardaient avec surprise, et 
ne dissimulaient ni leur mécontentement ni leurs murmures. 
Au printemps de l'année kieng-sin (1800) arriva le premier 
anniversaire, et alors encore il ne fit aucun sacrifice. Bientôt 
après, le mandarin de Nie-tsiou, qui le surveillait, envoya des 
satellites et le fil comparaîtie à son tribunal, a Je sais claire- 
ment, lui dit-il, que tu ne suis pas la religion du Maître du ciel, 
mais on t'accuse de ne pas faire les sacrifices aux parents défunts. 
Si cela est vrai, je serai forcé de te faire mourir. » Hei-ieng-i 
resta muet comme devant son père, et fut conduit dans la prison 
où se trouvaient déjà Martin Ni, JeanOuen et leurs compagnons, 
pour être jugé et condamné avec eux. 
Deux chrétiens avaient été pris dans la maison de Hei-ieng-i, 
en même temps que lui. C'étaient Tsio Tsiei-tong-i , et son 
fils Pierre Tsio long-sam-i. Ce Tsio Tsiei-tong-i était un noble 
du district de lang-keun, de la branche des tsio de An-hiang. 
Devenu veuf et tombé dans la misère, il avait quitté son pays 
natal où il ne pouvait plus subsister, et s'était réfugié avec ses 
deux fils chez Hei-ieng-i, qui, depuis quelque temps, leur accor- 
dait une généreuse hospitalité. Pierre Ion g-sam-i, l'aîné des fils 
de Tsio, était d'un tempérament faible et maladif, d'un extérieur 
fort peu avantageux, et d'une ignorance absolue de toutes les 
choses de ce monde, ce qui, joint à la pauvreté de sa famille, 
l'avait empêché de trouver un parti. Bien qu'âgé de trente ans, 
il n'avait pu encore prendre le chapeau et se marier (1). Tous se 
riaient de lui, le seul Augustin Tieng avait su reconnaître une 
grande âme dans ce corps cliétif. H le traitait avec beaucoup 
d'égards, et ne cessait de louer sa foi et sa vertu. Quand les 
satellites vinrent arrêter Hei-ieng-i, Pierre et son père furent 
saisis avec leur hôte, mais Ho-sam-i, le frère de Pierre, parvint 
à s'évader. 
Pendant la route, Tsio dit à son fils : « Cette fois, je suis 
décidé à donner ma vie pour Dieu, et je serai certainement mar- 
tyr. Pour toi que feras-tu? » Pierre répondit : « Nul ne peut se 
fier à ses résolutions ni à ses forces ; comment oserais-je, faible 
(1) En Corée, les jeunes gens n'ont pas le droit de porter chapeau avant 
leur mariage. Ils vont tête nue, les cheveux pendants, et liés en une seule 
tresse. A l'époque du mariage seulement, ils les relèvent et les nouent au 
sommet de leur tête. 
- 131 — 
et misérable que je suis, me promettre le martyre ? » Ils furent 
conduits au mandarin, et, dès le premier interrogatoire, le père 
fut puni de sa folle présomption et, pour avoir trop compté sur 
ses propres forces, fit une chute déplorable. Le mandarin dit 
à Pierre : « Toi aussi renonce à ta religion. — Je ne puis le faire, 
répondit Pierre. — Eh quoi! quand ton père veut conserver 
sa vie, tu voudrais mourir? N'est-ce pas là un manque de piété 
filiale? — Nullement. Si les parents viennent à dévier et 
que les enfants continuent à remplir tous leurs devoirs, dira- 
t-on pour cela que les enfants man([uent à la piété filiale? 
Chacun, il est vrai, doit honorer et servir son père et sa mère 
selon la nature, mais il y a, avant eux et au-dessus d'eux, le 
grand Roi et Père commun de toutes les créatures du ciel et de la 
terre ; c'est Lui qui a donné la vie à mes parents, c'est Lui aussi 
qui me l'a donnée, comment dès lors pourrais-je le renier? » Le 
mandarin irrité lui fit subir deux ou trois autres interrogatoires 
accompagnés de tortures plus cruelles qu'à l'ordinaire, dans les- 
quelles il eut un genou brisé et détaché de la jambe, et tout le 
corps couvert de plaies. Pierre eut à supporter une épreuve plus 
redoutable. Le mandarin voyant l'inutilité des exhortations et des 
supplices, fit appeler le père et lui dit en présence du confes- 
seur : « Je suis forcé de vous faire mourir à cause de votre fils. 
Parlez-lui donc, une seule de vos paroles peut sauver la vie à 
tous les deux; tout dépend de vous, exhortez-le à se repentir. » 
En même temps, il le fit frapper cruellement sous les yeux 
de son fils. Pierre, vaincu, s'écria : « Je ne puis rompre avec 
les sentiments de la nature. Je ne veux pas que mon père meure 
à cause de moi, sauvez-nous tous deux. » Puis il fit sa soumis- 
sion, et le mandarin, joyeux de son succès, les fît relâcher et 
renvoyer immédiatement. 
Mais Pierre en sortant du tribunal rencontra Martin Ni, qui 
le réprimanda vivement de sa faiblesse, et l'exhorta à une 
prompte pénitence. Il n'avait cédé qua un aveuglement de ten- 
dresse filiale, et la loi était toujours vivante dans son cœur. 
Effrayé de sa faute et touché d'un sincère repentir, il passa la 
nuit dans les larmes, et dès le lendemain matin se présenta 
devant le juge : « Ce que j'ai fait hier, lui dit-il, est maintenant 
pour moi la cause d'un regret mortel. J'espère que le mandarin 
voudra bien faire mourir le fils pour sa propre faute et traiter le 
père selon ses désirs, car il serait injuste, pour la faute du fils, 
de faire mourir aussi le père? A chacun selon ses œuvres. » 
Le mandarin, d'autant plus vexé qu'il s'était imaginé à la 
— i32 — 
mine chétive de Pierre venir faciiement à bout de son obstina- 
tion, le fît enfermer très-étroitement. Puis, à chaque interroga- 
toire, il ne manqua pas de le faire frapper plus longtemps et 
plus violemment que les autres chrétiens. Mais tout fut inutile, 
et Pierre, protégé par son humble contrition, aussi bien que par 
la grâce divine, demeura inébranlable. 
Le même mandarin avait fait arrêter aussi le beau-père de 
Jean Ouen, Marcellin T'soi Tsiong-tsiou, vulgairement nommé 
le-tsiong-i. C'était un noble du district de Nie-tslou, qui prati- 
quait la religion avec toute sa famille. En 1791, il avait échappé 
à la persécution par l'apostasie. Mais, depuis lors, il ne cessa de 
faire pénitence de sa faute, et de demandera Dieu la grâce de la 
laver dans son propre sang. Lorsque les premiers bruits de per- 
sécution s'élevèrent, il repondit en riant à sa femme qui Texhor- 
tait à fuir : « Sois tranquille, quand je ne serai plus, tu vivras 
tout de même. » Sa mère lui fit aussi de vives instances, et par 
respect pour ses ordres, il quitta la maison et partit pour la ca- 
pitale. Mais à peine en route, il changea de résolution et revint 
chez lui. Ce soir-là même, les satellites envoyés de Nie-tsiou le 
saisirent et le traînèrent au tribunal. « De qui as-tu appris la 
religion, lui demanda le mandarin, et quels sont tes complices? 
Dénonce tout. — La religion, répondit Marcellin, me défend 
de nuire à qui que ce soit. Je n'ai rien à déclarer. » Le man- 
darin le fit mettre à la question, lui fit donner la bastonnade, et 
enfin voyant, qu'il restait ferme dans sa foi, le fit jeter dans la 
même prison où étaient déjà son gendre Jean Ouen, Martin Ni, 
les quelques confesseurs dont nous venons de parler, et un assez 
grand nombre d'autres chrétiens. 
Pendant plus de six mois, les prisonniers eurent à comparaî- 
tre, une fois tous les quinze jours, devant le mandarin, pour y 
être interrogés et subir des tortures de plus en plus cruelles. on 
assure que le corps de Jean Ouen, mis eu lambeaux par ces exé- 
cutions réitérées, fut à diverses reprises miraculeusement guéri. 
La famille de Jean tenta plusieurs fois de l'ébranler, et une 
vieille esclave venait souvent lui faire la plus triste peinture de 
la désolation de sa mère et de sa femme. Un jour qu'il paraissait 
plus ému que de coutume à ces récits, Martin Ni vint à son aide, 
et lança de travers à la vieille un regard si terrible, qu'elle s'en- 
fuit épouvantée et n'osa plus revenir. 
Martin, de son côté, eut à subir une tentation redoutable. Son 
vieux père vint, tout en larmes, le trouver dans sa prison et, lui 
prenant la main, lui dit : « Veux-tu donc mourir et abandonner 
— 133 — 
ton père aux cheveux blancs? — Mon père, répondit Martin, je 
n'oublie point les devoirs de la piété filiale. Sans doute, ma con- 
duite paraît bien peu généreuse, mais vous êtes chrétien comme 
moi, et nous devons voir les choses de plus haut. Serait-il juste, 
en cédant à des affections naturelles, de renier notre Père qui 
est aux cieux? Jugez vous-même. » 
Dieu sembla récompenser cette foi héroïque par le don des 
guérisons. En effet, quoique Martin eût une certaine connaissance 
de la médecine, il est difficile d'expliquer naturellement ce fait, 
attesté par des témoins oculaires, que tous les malades qui vin- 
rent le consulter dans sa prison s'en retournèrent guéris. Sa 
réputation s'était étendue au loin ; les malades arrivaient en foule, 
au point que la porte de la prison ressemblait à une place de 
marché. Le mandarin n'osait s'y opposer, car plusieurs de ses 
propres serviteurs avaient été guéris. Josaphat Rim Ken-sioun-i, 
interrogé sur les guérisons opérées par Martin, répondait alors 
même, pour ne pas faire trop d'éclat, que sur dix infirmes huit ou 
neuf guérissaient; mais il a avoué depuis que les guérisons 
étaient de dix sur dix, de cent sur cent, et que pas un malade 
ne se retira sans une cure complète. Les geôliers demandaient à 
voir ses livres de médecine, Martin leur répondit : « Je n'ai .au- 
cune formule à moi, seulement je sers le Maître du ciel. Si vous 
voulez étudier la médecine, il faut d'abord commencer comme 
moi par croire en Dieu. — Mais vous prétendez avoir brûlé tous 
vos livres, comment pourrions-nous apprendre? » Martin dit en 
riant : « J'ai dans le cœur des livres incombustibles qui suffisent 
amplement pour vous instruire, et vous apprendre à pratiquer la 
religion. » 
Fatigués de leur longue détention et dès continuels supplices 
qu'il leur fallait subir, plusieurs prisonniers chrétiens se laissè- 
rent peu à peu gagner par la tiédeur et le découragement. Martin 
Ni, toujours enflammé de zèle, ne cessait de les exhorter et 
encourager. « Nous avons été pris en même temps, leur disait-il. 
Quel bonheur si tous nous pouvions mourir le même jour pour 
Dieu ! » Mais ses efforts et les prières de ses fervents amis n'eu- 
rent pas un plein succès, et un certain nombre de leurs compa- 
gnons de captivité achetèrent la délivrance, en prononçant une 
formule d'apostasie. Pour consoler ceux qui restaient. Dieu per- 
mit qu'un des geôliers, touché de la grâce, se convertît alors 
même, et devînt un fervent chrétien. 
A la dixième lune de l'année 1800, les confesseurs furent cités 
devant le gouverneur de la province, qui essaya tout d'abord de 
— 134 — 
les gagner par la douceur, disant qu'une seule parole d'apostasie 
les ferait de suite mettre en liberté. Marcellin répondit au nom 
de tous : '( Après avoir eu le bonheur de connaître et de servir 
le vrai Dieu, roi et père de tous les hommes, nous ne pouvons 
le renier. Nous préférons mourir. » Voyant toutes ses tentatives 
inutiles, le gouverneur leur fit donner la bastonnade sur les 
jambes, prononça contre eux une sentence de mort qu'il leur fit 
signer, puis les renvoya à la prison. Ils reçurent cette sentence 
avec une sainte joie, et dès lors redoublèrent de ferveur dans 
leurs oraisons et la pratique de'ious leurs devoirs, afin d'obtenir la 
grâce de rester fermes jusqu'à la consommation de leur sacrifice. 
Cependant, le païen Im Hei-ieng-i avait subi régulièrement 
avec les chrétiens deux interrogatoires par mois, sans jamais y 
proférer une parole. Comme eux, il avait souffert de violents 
supplices, et toujours sans pousser aucun cri, ni même ouvrir la 
bouche. Le juge stupéfait lui dit à plusieurs reprises : « Toi qui 
n'es pas chrétien, promets seulement de faire les sacrifices 
d'usage et je te renvoie immédiatement ; mais si tu refuses de le 
faire, je te mettrai à mort. » Hei-ieng-i restait toujours muet. 
Enfin, après l'interrogatoire de la dixième lune, ;les chrétiens ses 
compagnons de prison lui dirent : « Pour toi qui n'adores pas 
notre Dieu, les supplices que tu endures sont tout à fait inutiles. 
Il vaudrait bien mieux faire ta soumission et te conserver la vie.» 
Alors seulement il répondit : « Mon père à l'heure de la mort, en 
déclarant ses dernières volontés m'a dit : Si tu fais les sacrifices 
pour moi, tu n'es plus mon fils, et je te défends de porter mon 
deuil ; maintenant que j'ai pris le deuil, comment pourrais-je 
pour me conserver la vie promettre de faire les sacrifices? Si l'on 
me tue, j'en serai quitte pour mourir; mais faire les sacrifices, 
jamais ! » 
Ce respect pour les ordres d'un père mourant, cette résolution 
inébranlable de ne jamais les enfreindre, peuvent sembler bien 
extraordinaires, surtout chez un païen. Mais, quand on con- 
naît l'esprit de ce peuple, dont toute la religion se résume dans 
l'honneur et l'obéissance que les enfants doivent à leurs parents 
vivants ou morts, Fétonnement diminue. Tous les missionnaires 
peuvent affirmer, pour l'avoir vu, que des faits analogues ne sont 
pas rares dans ce pays. 
Les chrétiens voyant Hei-ieng-i si déterminé, travaillèrent h 
l'exhorter et à l'instruire. Ils lui firent comprendre que puisque 
son père était mort chrétien, et lui avait défendu les sacrifices 
par respect pour la vraie religion, ce serait lui obéir beaucoup 
— 135 — 
plus complètement, et se procurer l;i seule chance de le revoir un 
jour au ciel, que de se faire clirctien comme lui. La grâce de 
Dieu aidant leurs paroles, Ilei-ieng-i se convertit sincèrement, et 
ne lit plus avec eux qu'un cauir et qu'une âme. on croit qu'il fut 
baptisé dans la prison. 
Le gouverneur cependant laissait traîner les choses en longueur, 
et n'osait point faire exécuter de suite la sentence de mort qu'il 
avait portée. Les sentiments personnels du roi lui étaient connus, 
et il craignait de se compromettre. Mais aussitôt que l'édit de 
persécution eut été publié par la régente, il fit comparaître de 
nouveau les confesseurs, et ordonna de les torturer cruellement. 
C'est dans cet interrogatoire que Pierre Tsio long-sam-i répon- 
dit : « Il n'y a pas deux Seigneurs au ciel, et l'homme n'a pas 
deux cœurs. Mon seul désir est maintenant de mourir pour Dieu. 
Il est inutile de m'interroger davantage, je n'ai rien autre chose 
à dire. » Il fut alors fustigé d'une manière si atroce, qu'un ou 
deux jours après, le 14 delà deuxième lune, il rendit le dernier 
soupir, après avoir été baptisé dans la prison, car il n'était que 
catéchumène. 
Le bruit courut bientôt qu'il apparaissait du feu sur l'endroit 
où son corps avait été déposé. Les satellites et un grand nombre 
de curieux allèrent s'en assurer, et virent, non du feu, mais une 
lumière étrange au-dessus du tombeau. Les chrétiens de cette 
province ont conservé pour Pierre une grande vénération, et sou- 
vent encore on les entend parler de lui avec un respect et une 
confiance extraordinaires. 
Les autres prisonniers furent conduits à la capitale. Le tribu- 
nal Keum-pou confirma de suite la sentence de mort, et afin de 
frapper de terreur les populations, ordonna qu'ils fussent recon- 
duits dans leur propre district de Nie-Tsiou, pour y être exécu- 
tés. Le 13 de la troisièm.e lune (2S avril 1801), ils furent tous les 
cinq décapités en dehors des murs de cette ville. Jean Ouen 
n'avait que vingt-huit ans ; Marcellin T'soi en avait cinquante- 
trois; Martin Ni et Tsieng Tsong-ho, avaient environ cinquante 
ans; nous ignorons quel était l'âge de Im Hei-ieng-i. Cinq sol- 
dats avaient été chargés de trancher la tête aux martyrs. Mais le 
moment venu, quatre d'entré eux se refusèrent à cet office, et le 
cinquième seul consentit à les tuer tous. Quelques instants 
après, ce malheureux poursuivi, disait-il, par les ombres san- 
glantes de ses victimes, alla se précipiter dans la rivière, et s'y 
noya. 
Ce même jour, 25 avril, la ville de lang-keun eut aussi ses 
— 136 — 
martyrs, dont la sentence, selon toute probabilité, avait été rati- 
fiée par le tribunal suprême en même temps que celle des con- 
fesseurs de Nie-tsiou. Les principaux étaient Sou Han-siouk-i et 
Jacques loun. 
Le premier appelé aussi Sa-kiem-i, appartenait à une famille 
de demi-nobles du village deTong-mak-kol, au district de lang- 
keun. L'histoire de sa vie et de son martyre ne nous est point 
Darvenue. Nous n'avons non plus aucun détail sur Jacques loun, 
frère cadet de ce Paul loun, qui fut martyrisé en 1795, pour 
avoir introduit le prêtre en Corée. Et il ne faut pas s'étonner si les 
actes du procès de Jacques ne purent être recueillis, car celte 
famille fut à peu près anéantie par la persécution. Son père et un 
de ses oncles furent déportés dans les îles ; un autre oncle du nom 
de André loun Koan-siou mourut dans les tortures, et nous ver- 
rons bientôt la fin glorieuse d'Agathe loun, cousine germaine de 
Paul et de Jacques. 
La tradition la plus autorisée porte à treize le nombre total de 
chrétiens martyrisés à lang-keun pendant ce mois. Ils sont en 
grande vénération parmi les chrétiens, quoique les noms de pres- 
que tous soient maintenant oubliés. 
Toutes ces exécutions, loin d'assouvir la soif que les persécu- 
teurs avaient du sang des chrétiens, ne faisaient que l'irriter de 
plus en plus. Le tribunal Keum-pou fonctionnait avec une acti- 
vité diabolique. Chaque jour, de nouveaux procès et de nouveaux 
supplices. Le 2 de la quatrième lune (14 mai), six confesseurs 
furent condamnés h mort et exécutés. C'étaient : Charles Tieng, 
Pierre T'soi, Tieng In-ick-i, Ni Hap-kiou,et deux femmes, nom- 
mées Oun-hiei et Pok-hiei. Ces quatre derniers ne nous sont 
connus que par le texte officiel de leurs sentences, tel qu'il est 
conser\é dans les actes publics; nous ignorons leurs noms de 
baptême. Voici quelques détails sur les deux autres. 
Charles Tieng Tsiel-iang-i, fils du glorieux martyr Augustin 
Tieng, ayant, dès le bas âge, perdu sa mère, fut instruit de la foi 
chrétienne, et formé à la pratique de la religion, par les paroles et 
les exemples de son père. A une telle école, il fit de rapides pro- 
grès, et méprisant les honneurs auxquels sa naissance semblait 
devoir lui donner un accès si facile, il ne se proposa qu'un seul 
but : servir Dieu de toutes ses forces, l'aimer de tout son cœur, 
et, par là, assurer le salut de son âme. 
Il avait environ vingt ans, quandéclata lapersécution de 1801. 
Son père et son oncle ayant été enfermés à la prison du Keum- 
— i:^7 — 
pou, Charles les suivit selon l'usage, cl resta en dehors, près de 
la prison, pour tâcher de leur rendre quelques services, et d'adou- 
cir leur captivité. Il ne quitta point ce poste jusqu'à la mort de 
son père. Pendant qu'il était là, les juges, à plusieurs reprises, 
renvoyèrent sommer de faire connaître tout ce qu'il savait des 
affaires du prêtre, et de déclarer le lieu où il s'était retiré, ajoutant 
que c'était le seul moyen de sauver la vie à son père. La tentation 
dut être bien violente pour un cœur comme celui de Charles, 
néanmoins il ne s'y laissa pas entraîner. on eut beau le mettre à 
d'horribles tortures; on eut beau faire subir devant lui d'autres 
supplices à son père et à son oncle, il resta inébranlable, et ne 
dit pas un mot qui pût compromettre le prêtre ou la chrétienté. 
Sorti victorieux de cette épreuve, il continua à rester près de la 
prison, et quand son frère eut obtenu la couronne, il fut saisi 
lui-même et traduit devant le tribunal des crimes. Il ne faiblit 
pas un instant, ne témoignant qu'un désir, celui de suivre son 
père et, comme lui, de mourir pour Dieu. La captivité dura un 
peu plus d'un mois, pendant lequel ce jeune homme élevé dans 
l'abondance et la délicatesse dut, pour se procurer la nourriture, 
tresser des souliers de paille. 
Le jour venu, il marcha résolument au supplice et présenta avec 
joie sa tête au bourreau. Son corps, recueilli par sa famille, fut 
enterré avec celui de son père à Ma-tsai. Augustin avait laissé une 
veuve et trois enfants; Charles laissait aussi une jeune veuve et 
un fils. Leur maison et leurs biens ayant été confisqués, tous res- 
taient sans ressources, et leurs parents, par crainte de la mort, 
semblaient redouter de leur venir en aide. Toutefois, un ancien 
ami d'Augustin ayant reconduit ces pauvres délaissés à Ma-tsai, 
on n'eut pas le courage de les chasser, et ils commencèrent dès 
lors une viedegêneetdépreuves, que la Providence rendit, comme 
nous le verrons plus tard, très-abondante en fruits de salut. 
Pierre T'soi Pil-tsie-i, cousin germain du martyr Thomas T'soi, 
semble avoir, lui aussi, pris beaucoup de part aux affaires de la 
religion, en Corée. Il était de ceux qui, arrêtés en 1794, se rache- 
tèrent par l'apostasie, mais reprirent bientôt la pratique de tous 
leurs devoirs religieux. Les efforts continus de son père pour le 
détacher du christianisme n'eurent aucun succès, et ne servirent 
qu'à éprouver sa vertu dans le creuset des persécutions domesti- 
ques, plus dangereuses souvent que les interrogatoires et les sup- 
plices officiels. Pierre fut saisi et emprisonné avec son cousin 
Thomas. 
Celui-ci ayant été décapité, Pierre demanda la permission de 
— 138 — 
sortir de la prison pour aller lui donner la sépulture. Ces derniers 
devoirs des enfants envers leurs parents, ou des membres d'une 
même famille entre eux, sont quelque chose de si essentiel, de si 
sacré aux yeux des Coréens, que les détenus pour délit civil sont 
presque toujours momentanément relâchés en pareil cas, et qu'il 
n'est pas rare de voir même les grands criminels et les condamnés 
à mort obtenir congé de s'absenter quelques jours. L'histoire de 
nos martyrs offre plusieurs exemples analogues. Pierre reçut donc 
cette permission, et le fonctionnaire par qui elle fut accordée, 
louché de commisération, lui insinua d'en profiter pour échapper 
par la fuite à une mort inévitable. Mais le généreux confesseur 
n'eut garde de suivre cette insinuation. « Je veux me venger du 
démon, disait-il à quelques amis, je veux réparer mon apostasie 
d'autrefois, et mon plus grand bonheur sera de donner ma tête, 
pour le témoignage de Jésus-Christ. » En conséquence, les céré- 
monies de l'enterrement terminées, il revint de lui-même, au 
terme fixé, se reconstituer prisonnier, et quelques jours après, 
eut la tête tranchée. Il avait alors trente-deux ans. 
C'est aussi au commencement delà quatrième lune que fut mise 
à mort une jeune vierge, nommée Barbe Sim, du district de Koang- 
tsiou. Touchée des grands exemples qu'elle avait rencontrés dans 
la vie des saints, elle avait résolu de renoncer au mariage, et de 
consacrer à Dieu sa virginité. Elle vivait retirée, dans sa famille, 
et pratiquait la religion avec une ferveur exemplaire. Son frère, 
Sim lo-san, ayant été arrêté comme chrétien, elle dit un jour à 
ceux qui l'entouraient: « Mon frère m'attend, pour que nous 
soyons martyrs tous deux ensemble. » Cette parole n'attira point 
l'attention, mais ce jour-là même, les satellites se présentèrent en 
disant qu'ils venaient chercher la jeune chrétienne qui se trou- 
vait à la maison. on leur répondit que certainement ils se trom- 
paient, qu'il n'y avait personne, etc.. ; mais ils étaient trop bien 
renseignés pour lâcher prise, ils s'obstinèrent et en vinrent aux 
menaces. Barbe, les entendant, dit à sa mère : « Ne vous con- 
tristez pas trop, et laissez-moi obéir à la volonté de Dieu. » 
Aussitôt, sortant de l'appartement des fcmmes, elle se présenta 
devant les satellites, et leur fit nettement sa profession de foi. 
Sur leur ordre, elle se prépara à les suivre, changea d'habits sans 
s'émouvoir, se laissa arrêter et conduire à la capitale, où sa con- 
stance dans la foi lui mérita, après vingt jours seulement d'é- 
preuves, d'aller recevoir la double couronne du martyre et de la 
virginité. Elle eut la tête tranchée à l'âge de dix-neuf ans. Son 
corps fut recueilli par sa famille, et l'on assure que son visage 
— 130 — 
n'avait aucunement changé, et que ses membres conservaient la 
flexibilité et la fraîcheur de la vie. 
Le martyre suivant qui, selon toute probabilité, eut lieu pres- 
que le même jour, est pour nous d'un intérêt particulier. Chez 
les peuples chrétiens, on est tellement habitué h reconnaître l'éga- 
lité devant Dieu de tous les hommes quels qu'ils soient, grands 
ou petits, nobles ou roturiers, riches ou pauvres, que Ton est 
tenté de regarder cette notion comme toute naturelle. on oublie 
trop facilement que c'est Jésus-Christ seul qui nous a révélé 
cette égalité, en nous apprenant que tous nous sommes appelés 
à être fils de Dieu. Mais dans tous les pays infidèles, aujour- 
d'hui en Corée comme autrefois à Rome et dans la Grèce, ce 
qui est naturel, c'est le mépris de l'homme pour l'homme ; l'éga- 
lité chrétienne, au contraire, est maintenant comme jadis, le 
dogme de l'Évangile le plus révoltant pour l'orgueil des païens. 
Aussi , pour l'instruction et l'édification des néophytes de 
Corée, Dieu daigna-t-il montrer sa souveraine indépendance 
dans la distribution de ses dons, en choisissant un de ses plus 
glorieux martyrs dans la classe la plus infime et la plus avilie 
du pays. 
Alexis Hoangll-koang-i, né à Hong-tsiou, dansleNai-po, était 
de la caste des abatteurs de bœufs, caste tellement méprisée en 
Corée, que ceux qui en font partie sont mis au-dessous des escla- 
ves. on les regarde comme des êtres dégradés, en dehors de l'hu- 
manité ; ils sont forcés de se faire des habitations à part, loin des 
villes ou villages, et ne peuvent avoir avec personne les relations 
ordinaires delà vie. 
L'enfance et la jeunesse d'Alexis se passèrent dans sa famille, 
au milieu des insultes et des rebuts de tous, triste héritage que 
recueillent, de race en race, ceux de sa condition. La Providence, 
comme pour l'en dédommager, lui avait donné une intelligence 
remarquable, un esprit vif, un cœur ardent, un caractère plein de 
gaieté et de franchise. A peine fut-il instruit de la religion, qu'il 
l'embrassa de grand cœur, et pour la pratiquer plus librement, 
quitta son pays avec son frère cadet, et alla s'établir au loin, dans 
la province de Kieng-siang. Là, cachant son extraction aux 
païens, il avait plus de facilité pour communiquer avec les chré- 
tiens. Ceux-ci connaissaient bien son origine, mais loin de lui en 
faire un reproche, ils s'empressaient par charité de le traiter en 
frère. Partout, même chez les nobles, il était reçu dans l'intérieur 
des appartements, sur le même pied que tous les fidèles; ce qui 
lui faisait dire plaisamment que, pourlui, il y avait deux paradis, 
- 440 - 
l'un sur la terre, à cause de la manière trop honorable dont on le 
traitait, vu sa condition, et l'autre dans la vie future. 
De Kieng-siang, il passa plus tard à la capitale, et fut reçu 
dans la maison d'Augustin Tieng, où il vécut sur le pied ordi- 
naire des domestiques, rendant au maître de la maison les servi- 
ces habituels. Sa ferveur, loin de diminuer, augmentait dejour en 
jour, et excitait l'admiration de tous. Au printemps de cette 
année, quelques jours avant l'arrestation d'Augustin, il était sorti 
pour acheter du bois, selon son office, quand, rencontré par les 
satellites, il fut pris et mené en prison. Il ne se laissa pas intimi- 
der et, d'un ton jovial, dit à ceux qui le conduisaient : « Vous 
me transportez de la préfecture de Namon-an à celle d'Ok-t'sien, 
qui est un lieu de délices, je vous suis très-reconnaissant de cet 
insigne bienfait. » Dans la langue coréenne, namon signifie 
bois, et ok veut dire prison. En nommant ces deux préfectures, 
Alexis faisait allusion à ce qu'au lieu d'acheter du bois, comme 
son maître le lui avait commandé, il se trouvait jeté en prison. 
Dans les divers interrogatoires qu'il eut à subir, il répondit 
toujours noblement et avec une sainte liberté à tout ce que les 
juges lui opposaient, et ceux-ci, irrités de ce qu'un homme d'aussi 
basse condition ne les craignait pas, et refusait la vie qu'on lui 
offrait au prix de l'apostasie, lui firent endurer d'affreuses tortu- 
res. Alexis les supporta non-seulement avec fermeté, mais avec une 
joie toute céleste. « Dussé-je souffrir dix mille fois plus, criait-il, 
jenerenierai pas Jésus-Christ, faites de moi ce que vous voudrez.» 
Après l'avoir fait battre d'une manière si cruelle, qu'une de ses 
jambes en resta brisée et broyée, on le condamna à mort et on 
l'envoya pour être exécuté à Hong-tsiou, sa ville natale. Porté 
sur une litière en paille, parce qu'il ne pouvait plus marcher, il 
conserva, dans la route, malgré d'horribles souffrances, toute sa 
gaieté naturelle. Sa femme et son fils le suivaient pour le servir 
jusqu'au dernier moment, mais de peur qu'ils ne fussent pour 
lui le sujet de quelque tentation, il ne voulut jamais les laisser 
approcher. Le jour même de son arrivée à Hong-tsiou il fut déca- 
pité. 11 avait alors quarante-cinq ans. 
Les rares vertus d'Alexis, qui formaient un si touchant con- 
traste avec la bassesse de son extraction, ont rendu son nom 
populaire parmi les chrétiens, et ils le citent encore aujourd'hui 
avec respect et admiration, comme un de leurs plus illustres con- 
fesseurs. Mais les païens de ce pays, et surtout les nobles, rient 
d'un air méprisant quand ils entendent dire qu'un homme de cette 
classe est l'honneur de la religion. Gentihus autem stultUiam ; 
— 141 — 
la sagesse de Dieu a toujours été et sera toujours folie aux nations. 
Quatre chrétiens du district de Koang-tsiou, dénoncés par des 
apostats, avaient été saisis à la même époque. C'étaient : Pak 
T'sioung-lioan-i ; Pak loun-hoan-i, frère aîné du précédent ; Sim 
lo san, le frère de la vierge martyre Barbe Sim, et Tso Tsai-tso. 
Après avoir été plusieurs fois interrogés et rais à la question par 
leur propre mandarin, ils furent, comme les autres chrétiens, 
expédiés à la capitale. Mais, quoiqu'ils fussent restés également 
fermes dans les tortures, le premier seul eut la tète tranchée ; 
les trois autres, pour des raisons qui nous sont restées inconnues, 
furent exilés séparément dans les provinces les plus reculées du 
royaume. Une tradition dit qu'une grande sécheresse étant sur- 
venue alors, le peuple murmura contre la cruauté de la régente, 
l'accusant de provoquer le courroux du ciel par tant de sang 
versé. La régente effrayée aurait commué la sentence de mort, 
quelques heures seulement avant qu'elle ne fût exécutée. Mais 
cette explication est inadmissible, car, après comme avant le 
procès de ces quatre chrétiens, la persécution continua avec la 
même fureur. Quoiqu'il en soit, Pak T'sioung-hoan-i, plus heu- 
reux que ses trois compagnons, fut décapité le 18 de la qua- 
trième lune, à l'âge de trente-trois ans. 
Le lendemain 19, ce fut le tour du P. Tsiou, dont nous devons 
reprendre l'histoire d'un peu plus haut. 
Depuis l'entrée du prêtre en Corée, la police n'avait cessé de 
faire des perquisitions pour découvrir le lieu de sa retraite. on 
peut imaginer combien, après l'édit de persécution lancé par la 
régente, ces recherches devinrent plus actives. L'enfer semblait 
avoir révélé aux ennemis du christianisme cette parole de la 
sainte Écriture : «Je frapperai le pasteur et les brebis seront dis- 
persées,» tant ils mettaient d'acharnement à se saisir de l'unique 
pasteur des néophytes coréens. Aussi, voyant que sa position n'était 
plus tenable, que tous les jours on multipliait les tortures pour 
le faire dénoncer par les chrétiens, le P. Tsiou prit la résolution 
de retourner momentanément en Chine, afin de laisser passer 
l'orage, espérant que, son départ une fois connu, la persécution 
cesserait, ou au moins diminuerait de violence. Nous ignorons à 
quel moment il se mit en route, mais il paraît certain qu'il alla 
jusqu'à la ville de Ei-tsiou, sur la rive du fleuve qui sépare la 
Corée de la Chine, vis-à-vis de Pien-men. Arrivé là, par une 
inspiration secrète de la grâce divine, il abandonna son projet, 
et reprit le chemin de la capitale. 
— 142 — 
Sa situation et celle de ceux qui lui donnaient asile, devenant 
de plus en plus critique, un chrétien courageux alla en province 
lui préparer deux retraites sûres, et revint supplier Colombe 
Rang d'en prévenir le prêtre, se chargeant de le conduire lui- 
même, hors de l'atteinte des persécuteurs. Colombe répondit qu( 
c'était inutile, que le prêtre était trop bien caché pour avoir rier 
à craindre. Ce chrétien fil, à plusieurs reprises, de nouvelles 
instances, toujours sans succès, et fut lui-même obligé, quelques 
jours après, d'abandonner sa maison et de s'enfuir avec toute sa 
famille. 
Augustin Tieng, dans les divers interrogatoires, n'ayant rien 
déclaré sur le prêtre. Colombe et Philippe le fils de son mari, 
furent interrogés à leur tour, et soumis à de cruelles tortures ; 
mais tous deux bien décidés à mourir, ne firent non plus aucune 
dénonciation. Alors le juge fit mettre à la question une des escla- 
ves de Colombe, qui, vaincue par la souffrance, déclara toute la 
vérité, et en même temps fit connaître l'âge, la figure et la tour- 
nure du prêtre. Le juge dit alors à Colombe : « Ton esclave ayant 
tout dénoncé, il ne t'est plus possible de cacher la vérité ; déclare 
donc le lieu où s'est retiré cet homme. » Elle répondit : « Il est 
vrai qu'il est resté chez moi, mais il y a déjà du temps qu'il en 
est sorti, et j'ignore oîi il est maintenant. » En conséquence, on 
fit partout coller des affiches indiquant les récompenses promises 
à celui qui prendrait le prêtre, et l'on donna son portrait et son 
signalement que l'on fit circuler jusque dans les provinces éloi- 
gnées. 
Dans ce péril extrême, il restait au prêtre d'autant moins de 
chances d'échapper, que ses ennemis,peu scrupuleux sur le choix 
des moyens, travaillaient surtout à susciter des traîtres même 
parmi les chrétiens. on prétend ({u'un mandarin feignit de se 
convertir, et parvint à connaître sa retraite. Quoi qu'il en soit, 
le P. Tsiou ne lui laissa pas le temps de venir l'y chercher. Il 
était alors dans le palais dont nous avons parlé, ou dans la mai- 
son attenante. Le 28 avril, 16 de la troisième lune, un peu après 
le son de la cloche qui permet de circuler dans la ville, il prit les 
habits d'un chrétien de cettemaison et s'en revêtit. on lui demanda 
où il voulait aller, mais il répondit qu'il était inutile de le suivre, 
et sortit absolument seul. Un chrétien le suivait de loin pour 
savoir ce qu'il allait faire, mais le prêtre s'en apercevant, lui fit 
avec son éventail signe de s'en retourner. Le chrétien cependant 
continua h le suivre, quoique de plus loin ; et bientôt la foule qui 
circulait le lui ayant fait perdre de vue, il s'en revint chez lui. 
— 143 — 
Le P. Tsioii alla droit à la prison du Keum-pou. Les valets du 
tribunal lui ayant demandé qui il était et ce qu'il voulait : « Moi 
aussi, leur dit-il, je pratique la religion des chrétiens. J'ai 
entendu dire qu'elle est sévèrement prohibée par le gouverne- 
ment, et que cha([ue jour on fait périr des innocents en grand 
nombre; comme ma vie serait désormais inutile, je viens vous 
demander la mort. C'est moi qui suis ce prêtre que vous cherchez 
en vain partout. 11 parait que dans votre royaume il n'y a pas un 
seul homme habile, puisque jusqu'à présent on n'a pu parvenir à 
me découvrir. » Il fut aussitôt saisi et mis en prison. Le prési- 
dent du tribunal lui demanda pourquoi il était venu en Corée, 
il répondit : « Je n'ai eu qu'un seul motif en y entrant, celui de 
prêcher la vraie religion, et de sauver par là les âmes de ce pau- 
vre peuple. » 
Pendant son procès, il eut une contenance digne de sa belle 
vie, répondant à tout avec gravité et prudence, sans laisser 
échapper un seul mot (jui pût compromettre personne. Il composa 
même par écrit une longue et éloquente apologie de la religion 
chrétienne, qui eût sans doute fait impression sur ses juges, s'ils 
n'avaient été aveuglés par la passion et le parti pris. 
Alexandre Hoang,dans ses mémoires, parlant de l'emprisonne- 
ment du P. Tsiou, s'exprime ainsi : « on lui mit seulement des 
entraves aux pieds, et on le soumit aux interrogatoires sans le 
torturer aucunement. on dit qu'il y a eu entre ses juges et lui 
beaucoup de dialogues mis par écrit ; je n'ai pu les voir, seule- 
ment j'ai appris que les païens disaient : Celui qui s'est livré se 
dit Européen. Quand on a fait d'abord mourir six chrétiens 
(ceux exécutés le 26 de la deuxième lune), on les accusait du 
crime de rébellion ; mais il paraît que dans sa prison, le prêtre a 
clairement fait voir que les chrétiens ne sont pas des rebelles. 
on rapporte encore que l'Européen n'a pas voulu mourir de suite, 
mais qu'il a demandé la pei'mission de dire d'abord tout ce qu'il 
avait à dire, après quoi seulement on le ferait mourir. » Tous ces 
bruits semblent ne pas être complètement faux. 
Les révélations de Fesclave de Colombe avaient fait connaître 
les rapports du prêtre avec le palais. Aussi, dès le lendemain ou 
surlendemain du jour oî] le P. Tsiou se fut livré (29 ou 30 avril), 
sans procès, sans interrogatoire, sans qu'aucune forme légale 
eût été observée, la régente prononça contre les princesses qui 
lui avaient donné asile, une sentence de mort dont voici les ter- 
mes exprès : 
« Pour l'affaire de Song, épouse du coupable In, emprisonné 
— 144 — 
à la ville de Kang-hoa, et celle de Sin, épouse de Tarn, fils dudit 
coupable In. 
« Il appert que la belle-mère et la belle-fille sont toutes deux 
perdues dans la mauvaise religion ; qu'elles ont communiqué 
avec l'infâme race des étrangers ; qu'elles ont vu le prêtre étran- 
ger et, sans craindre la sévérité des prohibitions, l'ont impudem- 
ment caché dans leur maison. En considérant des fautes si graves, 
il est manifeste pour tous qu'on ne peut les laisser même un seul 
jour entre le ciel et la terre. Qu'on leur donne donc le poison, et 
qu'on les fasse mourir ensemble. » 
Cet ordre fut exécuté immédiatement, et quelques heures 
après, on porta le poison aux deux princesses chrétiennes. La 
tradition rapporte qu'elles refusèrent de le prendre elles-mêmes, 
afin de ne pas se rendre coupables du crime de suicide, et qu'on 
dut recourir à la force pour le leur faire avaler. Ainsi périrent 
victimes de leur foi et de la généreuse hospitalité qu elles avaient 
donnée au prêtre persécuté, Marie Song et sa belle-fille Marie Sin. 
on n'a pas d'autres d'autres détails sur leur fin édifiante; et les 
palais sont ici tellement fermés, tellement séquestrés de toutes 
relations extérieures, qu'il ne faut pas s'en étonner. Les longues 
infortunes de ces malheureuses princesses furent, dans les 
secrets desseins de la Providence, la cause de leur conversion 
et de leur bonheur éternel, car Dieu se plaît souvent à choisir 
ceux que le monde rejette. Elles eurent le mérite d'être cons- 
tamment fidèles à la grâce, et de donner, par leur ferveur et 
leur résignation, aussi bien que par leur nom et leur dignité, 
un grand encouragement à la chrétienté naissante. 
Leur mort entraîna naturellement celle de plusieurs servantes 
du palais, qui avec elles avaient embrassé la foi, et s'étaient 
dévouées au service du prêtre. Elles subirent la même condam- 
nation, mais, d'après la tradition, elles durent aller recevoir le 
poison dans une maison réservée à cet effet en dehors delà petite 
porle de l'Ouest. Leur nombre et leur nom sont restés inconnus. 
11 est certain qu'il y en eut au moins deux martyrisées ; quelques- 
uns en portent même le nombre à cinq. 
La condamnation des princesses amena par contre-coup celle 
du prince Ni In, époux de Marie Song, déjà exilé à Kang-hoa, 
par suite de la prétendue rébellion de son fils. Ses ennemis pré- 
tendirent que les rapports du prêtre avec les princesses, ne 
pouvaient avoir d'autre but que la machination de quelque 
complot monstrueux contre la sûreté de l'État, complot dont, 
sans aucun doute, le prince Ni In était le moteur secret. Ils 
— lis — 
|)iiblièreiil cotle odieuse calomnie dans une adresse présentée à 
la régente, et conçue en ces termes : « La femme du rebelle In, 
et la femme du rebelle Tam, retirées dans les profondeurs du 
palais, ont communiqué avec une mauvaise race. Après avoir 
d'abord préparé les voies, par le moyen de plusieurs infâmes 
esclaves, cha([ue nuit elles allaient et venaient: elles se sont inti- 
mement liées avec des êtres coupables; puis, cachant et recelant 
les gens échappés à la justice, elles ont fait de leur demeure un 
repaire de rebelles. Leurs desseins et leurs ténébreux projets 
devaient enfin aboutir à une inexprimable monstruosité. Mais 
comment ceci pourrait-il être seulement l'œuvre de deux femmes? 
Le moteur et l'agent de ces infâmes menées est certainement In 
lui-même. L'ordre de mettre à mort la femme de In et celle de 
Tam a été sans aucun doute, motivé par une sainte vertu qui veut 
affermir les principes généraux, et anéantir les complots des 
méchants. Mais si on laisse In, seulement un quart d'heure, entre 
le ciel et la terre, la position des rebelles restera la même qu'au- 
paravant; c'est pourquoi ou demande humblement que le poison 
soit aussi donné à In, et qu'on le fasse mourir. » 
La régente n'eut garde de prendre la défense de ce malheureux 
prince calomnié, et, bientôt après, quoiqu'il fût frère du roi 
défunt, et n'eût jamais pratiqué la religion chrétienne, il reçut 
le poison envoyé officiellement delà cour, et dut le prendre de ses 
propres mains. 
Revenons au procès du P. Tsiou. Il paraît que les minisires 
tinrent plusieurs fois conseil à son sujet, avant de prendre une 
résolution définitive. Quelques-uns opinaient pour le renvoyer en 
Chine, et le faire remettre entre les mains de l'Empereur, d'après 
une convention internationale portantque « tout sujet de l'un des 
« deux royaumes, qui sera trouvé sur le territoire de l'autre, doit 
être renvoyé à son propre souverain. » Malgré ce texte formel, le 
plus grand nombre, ne pouvant se résigner à laisser ainsi impuni 
le chef d'une religion qu'ils poursuivaient avec rage, votèrent 
pour le mettre h mort, et obtinrent le consentement de la régente. 
Voici dans quels termes celle-ci fit rédiger la sentence. 
« Le 19 de la quatrième lune. Affaire du coupable Tsiou 
« Moun-mo, de l'affreuse race des étrangers. Lui-même s'appelle 
« Maître de religion et père spirituel. Cachant avec soin son 
« ombre et les traces de ses pas, il a surpris et trompé une foule 
« d'hommes et de femmes, et établi la règle de conférer lebap- 
« tême. Tout ce qu'il dit n'est qu'une suite de paroles vaines et 
« mensongères. Pendant sept a huit ans, il a détourné dans une 
10 
— 146 - 
« fausse voieTesprildu peuple, et, snmblableàuneinondalionsans 
« cesse croissante, sa docirine, en se répandant, est devenue 
« une calamité inquiétante, car ceux qui la suivent doivent 
« nécessairement arriver à un état bien au-dessous de celui des 
« sauvages et des animaux. Mais voici que, par un heureux des- 
« tin, le ciel se chargeant de le poursuivre, le coupable s'est 
(f livré lui-même aujourd'hui. Ayant échappé aux satellites, il 
« y a quelques années, il a continué depuis à répandre autour 
« de lui et au loin ses fausses doctrines; maintenant qu'il a 
« été mis en prison, le peuple de la capitale et des provinces 
« peut facilement reconnaître son illusion. Si l'on considère sa 
« condition, il n'est que d'une origine basse et méprisable; sa 
« conduite est uniquement celle d'un fourbe et d'un arlifi- 
« cieux. Pour sa punition, nous pensons qu'il est convenable de 
« lui appliquer la loi militaire. on le conduira donc au tribunal 
« militaire, pour qu'il soit exécuté selon les formes en usage, 
« et que son supplice fasse impression sur la foule. Nous en 
« chargeons le général du poste nommé lang-tsieng. Telle est 
« notre volonté. » 
Ce général, nous ne savons pour quel motif, ne voulut pas se 
charger d'une semblable mission. Il feignit une maladie qui l'em- 
pêchait de sortir, et un autre général fut nommé pour le rempla- 
cer. Au moment de sortir de la prison, le prêtre reçut la baston- 
nade sur les jambes, selon l'usage constant en pareille circon- 
stance. Ensuite, il se rendit avec allégresse vers le lieu des 
exécutions militaires nommé No-teul, ou encore Mi-nam-to, situé 
à une lieue delà ville. Porté en litière, il dominait ceux qui l'en- 
touraient, et en passant sur la place du marché, il regarda paisi- 
blement toute la foule des curieux, puis dit qu'il avait soif et 
demanda du vin. Les soldats lui en donnèrent une tasse qu'il but 
en entier. 
Lorsqu'il fut arrivé au lieu du supplice, on lui fixa une flèche 
dans chaque oreille, et on lui présenta le résumé de son procès, 
avec la sentence, pour qu'il prit lecture de ces diverses pièces. 
Quoique cet écrit fût fort long, il le lut en entier avec le plus 
grand calme, puis élevant la voix, il dit au peuple assemblé : «Je 
meurs pour la religion du Seigneur du ciel. Dans dix ans, votre 
royaume éprouvera de grandes calamités, alors on se souviendra 
de moi. » on le fit promener trois fois, selon l'usage, autour de 
l'assemblée; puis, le général commandant les évolutions voulues, 
il s'agenouilla, joignit les mains, inclina avec bonheur la tète, qui 
bientôt tomba sous le glaive. C'était le 19 de la quatrième lune 
I 
— 147 — 
(31 mai 1801), jour (.le la sainte Triiiilé, à riieiire appelée sin-si 
c'est-à-dire de 3 à lî heures du soir. Le V. Tsiou avait alors 
trente-deux ans. 
Pendant les longs préparatifs de l'exéculion, le ciel, aupara- 
vant pur et serein, s'était tout à coup couvert de nuages épais, 
et un ouragan terrible éclata sur le lieu du supplice. La violence 
du vent, les roulements répétés du tonnerre, une pluie mêlée de 
houe et tombant j)ar torrents, des ténèbres épaisses que les éclairs 
sillonnaient de toutes parts, tout contribuait à glacer d'épouvante 
les acteurs et spectateurs de cette scène sanglante. Mais à peine 
Fâme du saint martyr se fut-elle envolée vers Dieu, que l'arc-en- 
ciel parut, les nuages se dissipèrent et la tempête s'apaisa sou- 
dain. on eût dit que le soleil, après s'être voilé pour ne pas être 
témoin du crime des bourreaux, reprenait tout son éclat pour 
célébrer le triloraphe de leur victime. Les spectateurs, païens et 
chrétiens, virent dans celte coïncidence si étrange, une preuve 
de la sainteté du missionnaire. « Le ciel n'est pas indifférent au 
sort de ce condamné, disaient les païens, frappés de stupeur, 
puisqu'il fait apparaître des signes aussi effrayants. » 
La tête du martyr resta suspendue, et son corps exposé, au 
lieu de l'exécution, pendant cinq jours et cinq nuits, et, pendant 
tout ce temps on en garda strictement les approches, sans que per- 
sonne eût la permission d'y pénétrer. on prétend que chaque nuit 
des arcs-en-ciel, ou des lumières éclatantes paraissaient sur le 
corps. Quoi qu'il en soit de ces faits, il est certain, et c'est une 
tradition unanime des chrétiens et des païens consignée dans 
plusieurs mémoires du temps, qu'il se passa alors des phénomè- 
nes extraordinaires, dont beaucoup de païens furent fortement 
impressionnés. Plusieurs chrétiens affirment qu'il n'est pas 
rare d'en entendre parler, encore aujourd'hui. Enfin le général 
donna ordre d'enterrer le corps, et on continua de le garder comme 
auparavant. Les chrétiens avaient bien remarqué le lieu, dans 
l'intention de transporter bientôt ailleurs les restes du martyr; 
mais les gardiens, ennuyés de leurs veilles continuelles, allèrent 
l'enterrer secrètement dans un autre endroit. Depuis, les chré- 
tiens ont eu beau le chercher, jus(|u'à présent on ignore le lieu où 
reposent les précieuses reliques du premier missionnaire de la 
Corée. 
Le souvenir du P. Jacques Tsiou est encore vivant dans le cœur 
des fidèles coréens, qni ne parlent qu'avec une profonde vénération 
de son zèle, de sa prudence, de sa vie mortifiée, de ses travaux 
et de sa mort. L'évêque de Péking avait dit en l'envoyant, qu'il 
- 148 — 
perdaitson meilleur sujet; et, en effet, le P. Tsiou joignait à de 
grands talents, et à une connaissance approfondie des caractères 
chinois, une science de la religion, et une vertu peu communes. Il 
fit, en tout et toujours, honneur à la religion dans ce pays. Son 
extérieur digne, sa contenance noble et sa grande bienveillance, 
lui avaient gagné tous les cœurs. Condamné d'abord pendant plu- 
sieurs années, à une retraite absolue, et à la fin, obligé de ca- 
cher toutes ses démarches avec les plus grandes précautions, il 
eut occasion d'acquérir de nombreux mérites devant Dieu, et, 
par sa fidélité, d'obtenir la grâce martyre. 
La tradition des chrétiens assure qu'il prédit presque au 
moment de sa mort, que, dans trente ans, des prêtres rentreraient 
en Corée. Ce ne fut en effet qu'après trente-deux ans d'attente 
que les chrétiens reçurent de nouveaux missionnaires. 
Il reste un ouvrage composé en chinois, et traduit en coréen, 
que l'on a toujours attribué au P. Tsiou, et qui paraît véritable- 
ment avoir été composé par lui. C'est un Guide pour le Carême 
et le Temps de Pâques, dans lequel sont expliquées d'une manière 
claire et très-précise, les dispositions qu'il faut apporter aux 
sacrements de pénitence et d'Eucharistie : ce livre rend encore 
aujourd'hui service aux chrétiens de Corée. 
Les habits, le chapeau du prêtre, et deux images qui lui avaient 
appartenu furent longtemps conservés avec un soin jaloux par les 
néophytes. Pierre Sin dit, dans ses mémoires, que plusieurs fois 
ces reliques échappèrent à l'incendie, d'une manière qui tient du 
prodige; aujourd'hui, à la suite des dernières persécutions, on ne 
sait plus ce qu'elles sont devenues. 
Pour s'éviter des difficultés avec la Chine, le gouvernement 
coréen avait, au moment de l'exécution du P. Tsiou, fait répan- 
dre le bruit qu'il était originaire de Tsiei-tsiou (île de Quelpaert), 
Plus tard, comme nous le verrons, dans la lettre écrite à l'empe- 
reur, au nom du roi, on avoua qu'il était chinois, en protestant 
que son origine n'avait été connue qu'après sa mort, par les décla- 
rations subséquentes de ses complices. on eut soin d'accompa- 
gner cet aveu de l'envoi d'une forte somme d'argent destinée à 
calmer la colère de l'empereur, et l'affaire n'eut pas de suites. 
LIVRE III 
llepuis le martyre du P. «laeques TiSilOU, 
jusqu'à la fin «le la persécution. 
1801-1802. 
CHAPITRE I. 
Martyre de Josaphal Kini. — Mariyre de Colombe Kang el de ses compagnes. 
La mort du P. Tsiou était une grande calamité pour l'Église 
de Corée. Elle perdait en lui son unique pasteur, et il semblait 
humainement impossible qu'il pût être remplacé avant de longues 
années. Sans doute les circonstances n'avaient pas permis à tous 
les néophytes de voir le prêtre, d'entendre ses instructions, et 
de recevoir de sa main les sacrements. Un petit nombre d'entre 
eux seulement avaient eu ce bonheur. Mais au moins, lui pré- 
sent, il y avait un centre commun, un point de réunion pour 
les diverses chrétientés ; il y avait une direction unique dans les 
affaires importantes ; et surtout il y avait la célébration fréquente 
du saint sacrifice, et le sang de Jésus-Christ, source de toute 
grâce, coulait souvent sur cette terre infidèle. 
En se livrant, le P. Tsiou avait espéré user sur lui-mêmela rage 
des persécuteurs, et empêcher ainsi lemalheur de son troupeau . Les 
ennemis de la religion, de leur côté, s'imaginaient qu'après la 
mort du prêtre, les chrétiens démoralisés comme une armée 
sans chef, seraient facilement amenés à l'apostasie, et leur 
culte anéanti. Il n'en fut rien. Dieu permit que les espérances du 
prêtre fussent déçues, et que la persécution augmentât de vio- 
lence ; mais en même temps il déjoua tous les calculs des impies, 
en inspirant h ses fidèles un courage plus ferme, une patience 
plus indomptable, et en multipliant ses martyrs. Nous allons 
donner quelques détails sur les principaux d'entre eux. L'histoire 
de l'Eglise offre peu de pages aussi glorieuses. 
Le P. Tsiou avait été décapité le 31 mai 1801. Le lendemain, 
- 150 — 
l*"' juin, Josaphal Rim, d'une des plus illustres familles du parti 
No-ron, et plusieurs de ses parents, obtinrent par le môme sup- 
plice le même triomphe. Ici vient naturellement se placer une 
remarque importante. Bien que les rancunes de parti fussent 
pour beaucoup, comme nous l'avons expliqué, dans la publica- 
tion de l'édit qui proscrivait la religion chrétienne, la première 
et principale cause néanmoins était, en Corée, comme partout et 
toujours, la haine éternellement active de l'enfer contre l'Eglise. 
Or, il y avait des chrétiens dans les autres partis aussi bien que 
dans le parti des Nam-in, car la religion ne s'inféode jamais à 
aucune caste, ni à aucune faction. De fait cependant, les grands 
personnages condamnés à mort depuis l'avènement de la régente, 
appartenaient presque tous aux Nam-in, ce qui donnait h la per- 
sécution un caractère de vengeance politique, et pouvait, aux 
yeux des païens, altérer et diminuer la gloire des martyrs. Afin 
donc de montrer clairement h tous que, pour le plus grand 
nombre des victimes, la profession du christianisme était l'unique 
cause de condamnation; afin de restituer h la mort des confes- 
seurs son véritable caractère. Dieu permit que les persécuteurs 
fussent forcés par les circonstances d'immoler plusieurs membres 
éminents de leur propre parti. 
Josaphat Kim Ken-sioun-i descendait d'une branche cadette 
delà famille Kim de An-tong, qui était alors une des principales 
du parti No-ron, et se trouve aujourd'hui la première famille de 
la Corée. Il fut adopté dès l'enfance par le principal descendant 
de la branche aînée, et se trouva ainsi placé à la source des di- 
gnités et des honneurs; son père adoptif habitait la ville de Nie- 
tsiou. Josaphat se fit remarquer par une intelligence extraordi- 
nairement précoce. Dès l'âge de neuf ans, disent les relations 
coréennes, il voulut s'appliquer à la doctrine de Lao-tse, qui 
passe pour ouvrir le chemin de l'immorlaliié h ses sectateurs. 
Dans sa maison, il y avait un livre, espèce d'introduction à 
l'étude de la vraie religion, composé en chinois, sous une forme 
attrayante et populaire, par les anciens missionnaires de Péking. 
Josaphat le lut avec grand plaisir, à l'âge de dix ou douze ans, 
et bientôt se mit à discuter sur le ciel et l'enfer, sur la nécessité 
de leur existence, et autres matières traitées dans ce livre. on 
disait de lui, dès lors, qu'il parviendrait au grade de ministre. 
En grandissant, il se livra à de vastes études; les livres sacrés, 
l'histoire, les doctrines de Fo et de Lao-tse, la médecine, la géo- 
scopie, l'art militaire même, rien ne lui resta étranger. 
Il eut bientôt occasion de montrer ses talents. En effet, il n'était 
— 181 — 
âgé que de dix-huit ans, lorsque son père adoptif vint à mourir. 
Or, le deuil légal, en Corée, se faisait alors avecles cérémonies 
du temps de la dynastie Song (1), en négligeant les rites plus 
anciens. Josaphat, qui avait des doutes à ce sujet, consulta le 
fameux docteur Amhroise Kouen T'siel-sini, qui alors n'était pas 
encore chrétien, et ayant, par son moyen, reconnu que certaines 
pratiques n'étaient pas fondées sur les livres sacrés, il les rejeta 
comme erronées et s'en abstint à la mortdeson père. Les lettrés, 
effrayés de cette infraction aux usages, se recrièrent vivement. 
Aussitôt Josaphat, pour justifier sa conduite, écrivit une longue 
apologie, dans laquelle les citations et les preuves affluaient d'une 
manière si savante et si heureuse que Ni Ka-hoan-i, qui passait 
alors pour le premier lettré du pays, avoua qu'il ne pourrait rien 
faire de semblable. 
A la maison, Josaphat se faisait remarquer par la gravité de son 
Caractère, sa piété filiale, sa fidélité et sa générosité. Sa famille 
étant riche, il prenait un vrai plaisir à dépenser en aumônes tout 
ce qu'il possédait, tandis que pour ses propres habits et pour sa 
nourriture, il se limitait au plus strict nécessire, et se traitait 
comme un pauvre. S'il allait à la capitale, les chaises et les che- 
vaux affinaient à la porte de la maison où il descendait, car clia- 
cun voulait avoir la satisfaction de le voir et de l'entretenir, au 
moins une fois. on raconte qu'avec Martin Ni et quelques autres 
amis, il avait conçu le projet de traverser la mer, pour aller à 
Péking consulter les savants européens, acquérir auprès d'eux 
beaucoup de connaissances utiles, et revenir les répandre dans 
son pays. 
Jusqu'alors Josaphat n'avait ouï parler de la religion que très- 
indirectement, et n'en avait pas une idée exacte. De concert avec 
quelques amis, au nombre desquels se trouvait Rang I-tien-i, il 
s'était mis h l'étudier, pensant y trouver des secrets magiques et 
des procédés extraordinaires. Ce Kang I-tien-i était un lettré 
renommé du parti Sio-pouk, d'un esprit méchant et rusé. S'ima- 
ginant qu'il y aurait bientôt un changement de dynastie, il 
cherchait des recettes merveilleuses, et étudiait les arts magiques, 
pour être prêt à l'époque voulue et faire son chemin. 
Josaphat, en se liant avec cet homme, était loin de connaître le 
fond de ses idées, car pour lui-même, outre la curiosité naturelle 
(1) La dynastie Song est la dix-neuvième dynastie chinoise. Elle compta 
dix-huit empereurs, dans l'espace de 319 ans, do l'an de .T. -G. 964 à 
Tan 1:283. Ce fut la dernière dynastie nationale, à la(juelle succédèrent les 
diverses dvnasties tarlares. 
— 15-2 — 
d'apprendre quelque chose d'inconnu, il avait réellement le désir 
sincère d'approfondir la doctrine de l'Évangile. Aussi, ne trou- 
vant pas de chrétiens éminents dans le parti No-ron, auquel sa 
famille appartenait, il résolut de recourir à des membres du parti 
Nam-in, et fit demander à Ambroise Kouen d'avoir quelques 
conférences avec lui sur des matières religieuses. Le noble chré- 
tien y consentit avec joie, mais comme les inimitiés hérédi- 
taires des deux familles ne permettaient pas qu'on se vît publi- 
quement, Josaphat se rendait de nuit à la maison d'Ambroise. 
Dès les premiers entretiens, il n'eut pas de peine à croire l'exis- 
tence de Dieu et le mystère de la sainte Trinité; mais le simple 
énoncé du mystère de l'Incarnation renversa tontes ses idées, et 
il demeura triste et abattu. Plusieurs jours il s'abstint de revenir, 
croyant que celui qui avait prononcé une telle parole ne pouvait 
manquer d'être foudroyé, ou frappé de quelqu'autre punition 
céleste. Puis, voyant que Dieu ne l'avait pas anéanti, il examina 
de nouveau, et la grâce du Saint-Esprit agissant sur son cœur, il 
s'avoua vaincu, soumit sa raison h la foi, et embrassa fermement 
la religion. Le P. Tsiou entendit parler delà droiture d'âme de 
Josaphat, et lui écrivit pour lui faire connaître le véritable esprit 
de l'Evangile, et lui faire déposer toute idée de choses merveil- 
leuses et de puissances magiques. Josaphat, ému, se rendit avec 
joie, rompit définitivement avec les études auxquelles il s'était 
livré, et se mit à marcher tout droit dans la voie du salut. Il avait 
alors vingt-deux ans. 
Presque tous ses amis suivirent son exemple. De ce nombre 
étaient les glorieux martyrs, que nous avons vu décapiter à la 
ville de Nie-tsiou, 3Iartin Ni et Jean Ouen. Kang I-tien-i seul 
ne crut pas, et demeura plus enfoncé que jamais dans ses rêve- 
ries ambitieuses et dans ses chimériques recherches. Deux mois 
s'étaient à peine écoulés, que les projets de ce dernier et des 
siens se dévoilèrent, et le gouvernement, croyant voir dans leur 
conduite une tendance à la révolte, et le danger d'exciter des 
troubles parmi le peuple, les fit saisir et citer en justice. C'était 
en 1707. Josaphat se trouva naturellement compromis, à cause 
de ses rapports antérieurs avec Kang l-tien-i. Heureusement ses 
belles qualités et sa droiture étaient déjà connues du roi, qui lui 
ayant donné toute son estime, sut le protéger et le mettre à l'abri 
des mauvaises suites de cette affaire. Bientôt après, Josaphat fut 
baptisé par le prêtre, et sa ferveur en reçut une grande augmen- 
tation. Il ne craignait pas de se montrer publiquement comme 
chrétien, instruisait ses parents et amis, les exhortait au bien, et 
- lo3 — 
ne ccssaii de prêcher l'Evangile en (ouie occasion. Grand nombre 
de païens, dans le district de Nic-lsioii et les environs, lui durent, 
après Dieu, le bienfait de la foi. 
Son père, cependant, le voyait avec peine pratiquer le christia- 
nisme, et faisait tous ses efforts pour l'en éloigner. Pendant plu- 
sieurs années, Josaphat eut à supporter continuellement des per- 
sécutions domestiques bien pénibles, mais il triompha dé toutes 
les difficultés, et continua la pratique fidèle de ses devoirs. Quand 
il apprit la défection de Jean Tieng qui, pour éviter la mort, 
avait signé une formule d'apostasie, il en fut profondément ému, 
et témoigna toute la douleur qu'il en ressentait, mais n'en fut 
pas ébranlé. Quoique impliqué, par sa naissance et sa posi- 
tion sociale, dans beaucoup d'affaires du monde et de la cour, il 
ne paraît pas que Josaphat ait jamais pris une grande part à la 
direction des affaires de la chrétienté. on voit même qu'il se tint 
un peu à l'écart, quand les clameurs des nobles de son parti, arri- 
vés subitement au pouvoir, préparaient et annonçaient la persé- 
cution. C'est alors probablement que, de concert avec Augustin 
Tieng, il travailla à rédiger un ouvrage complet et méthodique 
sur la religion. Nous avons dit plus haut qu'ils ne purent le 
terminer, et que les chrétiens ne réussirent à en sauver aucun 
fragment. 
La conduite de Josaphat avait toujours été, depuis son bap- 
tême, ferme, grave et irréprochable. Son humilité égalait son 
mérite; aussi était-il aimé et respecté de tous les chrétiens, et 
l'éclat de ses vertus le désignait -il d'avance pour victime de la 
persécution. on se fera difficilement une idée de tous les efforts 
que tentèrent, dans ces circonstances, ses parents et amis pour 
obtenir de lui une parole de faiblesse, qui le mît h l'abri des pour- 
suites. 11 ne paraît pas néanmoins ((ue le noble athlète de Jésus- 
Christ ail failli à son devoir, et, en effet, le mandat d'arrêt fut 
lancé contre lui, probablement dans le courant de la troisième 
lune. on alla le chercher dans la maison de son propre père, à 
la capitale; celui-ci prenait alors son repas, et sans discontinuer, 
il dit aux agents du Keum-pou : « Mon fils est allé aujourd'hui aux 
examens; il doit être assis sous tel arbre, vous le reconnaîtrez à 
tel et tel signe. Remplissez votre devoir, sans donner l'éveil à qui 
que ce soit. » En disant ces mots, il ne changea ni de ton ni de 
couleur. Josaphat fut donc arrêté et déposé à la prison. 
Nous savons que tout fut mis en œuvre pour empêcher sa con- 
damnation. Sa famille si puissante, dont l'honneur allait être 
compromis par le procès criminel d'un de ses membres, avait 
— 154 — 
tout arrangé pour que, sans apostasie formelle, le noble prison- 
nier fût relâché sur quelque petit signe, indifférent par lui- 
même. Comme on devait nécessairement le confronter avec le 
P. Tsiou, il avait été convenu avec les juges que, s'il voulait pré- 
tendre ne pas connaître le prêtre, il serait immédiatement mis en 
liberté. Quels combats ne durent passe livrer dans le cœur de 
Josaphat à la vue de tous se3 parents et des grands du royaume, 
qu'on laissait à dessein circuler dans la prison pour ébranler sa 
constance, et qui se jetaient en pleurs à ses pieds, le conjurant 
d'avoir au moins pitié des siens et d'éviter la ruine totale de sa 
famille! lien fut sans doute un peu affecté, car quand on l'amena 
devant le prêtre et qu'on lui demanda s'il connaissait cet homme, 
il hésita un instant à répondre. Le P. Tsiou, comprenant sa ten- 
tation, essaya de le siimuler en disant : « Ah ! toi aussi tu vas te 
montrer un petit homme d'un petit royaume. » La fierté du noble 
coréen fut piquée de ce reproche, et, la grâce accompagnant cette 
parole sortie de la bouche d'un apôtre, chargé de fers pour Jésus- 
Christ, le confesseur reprit courage et confessa hardiment sa foi. 
Dans les interrogatoires, Josaphat fit plusieurs fois éloquem- 
ment l'apologie de la religion, et apporta, pour la confirmer, une 
multitude de textes tirés des livres sacrés du pays. Les juges lui 
dirent : « Comment un homme d'une aussi noble maison peut-il 
parler et agir ainsi ? Tu veux user de nos livres sacrés pour con- 
firmer une doctrine perverse, tu es digne de mort. » Josaphat 
répondit : « Je désire que toute la cour et les grands du royaume 
pratiquent cettereligion, pour faire le bonheur du peuple, et assu- 
rer de longues années au roi. » Tous les expédients étant épuisés, 
et la constance du confesseur ne laissant plus aucun espoir, il fut 
condamné à mort. 
Le 20 de la quatrième lune (l"" juin), il fut conduit au lieu du 
supplice, en dehors de la petite porte de l'Ouest. Sa noblesse, sa 
vertu, sa réputation, y avaient rassemblé un concours immense 
de toutes classes et de toutes conditions. Durant le trajet, Josa- 
phat conserva son calme et sa dignité, et arrivé au lieu du sup- 
plice, il dit h la foule réunie: « Les honneurs et la gloire de ce 
monde sont illusoires et mensongers. Moi aussi j'ai quelque répu- 
tation, et je pouvais obtenir de grandes dignités, mais les sachant 
vaines et fausses, je n'en ai pas voulu. Il n'y a que la religion 
chrétienne qui soit vraie, et voilà pourquoi je ne crains pas de 
mourir pour elle. Vous tous, pensez-y bien et suivez mon exem- 
ple. » Puis il inclina la tête et reçut le coup qui lui assurait l'im- 
mortalité bienheureuse. Il n'était âgé que de vingt-six ans. 
— 155 - 
A la caj)itale, il n'était personne qui ne déplorât et ne regrettât 
sa mort. D'après la loi et les coutumes, ses proches parents 
auraient dû perdre leurs places, et le nombre deceux qui se trou- 
vaient ainsi compromis était très-considérable, même parmi les 
plus hauts dignitaires du royaume. Mais la famille du défunt, à 
peu près toute-puissante, parvint à faire admettre pour cette fois 
ce principe, que les actes étant personnels, les parents n'ont pas 
à en répondre, et, par là, tous les parents de Josapliat purent con- 
server leurs dignités. Afin de faire dis})araUre, autant que possible, 
la tache d'infamie dont celte mort souillait la branche principale 
delà famille desKim, on adressa une pétition au gouvernement, 
pour faire casser l'adoption de Josaphat. La régente y consentit, 
et un autre fut substitué officiellement au martyr, comme descen- 
dant de la branche aînée. 
Le même jour, et au même lieu, plusieurs parents de Josaphat 
Kim partagèrent son triomphe. Le plus connu d'entre eux est Kim 
Paik-sioun-i qui, n'étant encore que catéchumène, n'a pas, dans 
les actes, de nom de baptême. Cousin de Josaphat, nous ne savons 
à quel degré, il vivait à la capitale, dans une grande pauvreté, 
et ne songeait qu'à en sortir, et à se frayer une voie aux hon- 
neurs et fonctions publiques. Un de ses ancêtres, qui était minis- 
tre en 1636, quand les Mandchoux arrivèrent près du fleuve qui 
sépare la Corée delà Chine, avait refusé de se soumettre aux 
Barbares, et s'était brûlé lui-même. Cet acte de dévouement à 
son pays et h son roi fit qu'on lui érigea, et qu'on permit aussi h 
ses descendants de lui ériger une porte monumentale, deux hon- 
neurs qui deviennent pour la postérité de celui à qui on les 
accorde, des titres à un avancement rapide. 
Paik-sioun-i donc, uniquement dans des vues d'ambition, 
s'appliqua aux études ordinaires des lettrés. Mais Dieu, qui avait 
sur lui des desseins de miséricorde, lui inspira peu à peu le désir 
de la véritable gloire et du véritable bonheur. Pour y parvenir, 
il se mit à lire les écrits philosophiques des grands hommes, mais 
leurs obscurités, leurs contradictions firent naître des doutes 
dans son esprit, et il ne les considéra plus comme entièrement 
dignes de foi. Ayant vu dans les écrits de Lao-tse et autres, que 
l'homme en mourant n'est pas anéanti, il se créa de nouvelles 
doctrines et un nouveau système, qu'il ne tarda pas à expliquer h 
quelques amis. « Tes paroles sont bien étonnantes, lui répondi- 
rent-ils, sans doute tu as tiré tout cela de la religion européenne.» 
Cette observation frappa beaucoup Paik-sioun-i, et il se dit en 
lui-même: '( En voyant des choses qui surpassent notre intelli- 
— lo6 - 
gence, tout le monde dit que cela vient des doctrines européen- 
nes, il doit y avoir quelque chose de bien grand, de bien extraor- 
dinaire dans cette religion. » En conséquence, il se mit à fré- 
quenter des chrétiens, et après avoir examiné, discuté et approfondi 
leur doctrine pendant deux ans, il se sentit convaincu, crut fer- 
mement, et se donna de tout cœur h la pratique fidèle de tous les 
devoirs que la religion impose. 
Sa mère, instruite et exhortée par lui, embrassa aussi le chris- 
tianisme, mais sa femme, d'un caractère étroit, raide et ambitieux, 
qui avait toujours convoité les honneurs pour son mari, voyant 
tout à coup ses espérances déçues, se laissa emporter à la colère 
et ne lui épargna ni les reproches, ni les injures. Paik-sioun-i ne 
faisait point mystère de sa conversion. Un de ses parents l'inter- 
rogeant un jour sur la religion, il répondit à haute voix : « C'est 
la vraie doctrine ; c'est une grande doctrine ; tout homme est 
tenu de la suivre ; faites comme moi. » Un autre jour, son oncle 
maternel venant le trouver, chercha à le séduire par toutes sortes 
de moyens, et ne pouvant parvenir à s'en faire écouter, finit par 
lui dire : « Si tu ne te rends pas à mes paroles, je romprai avec 
toi. » Paik-sioun-i répondit avec calme : « Dussé-je rompre avec 
mon oncle, je ne puis rompre avec mon Dieu. » Dès lors, ses amis 
se concertèrent pour ne plus avoir de rapports avec lui, et ses 
parents prirent la résolution de le chasser de la famille. Notre 
courageux néophyte vit tout cela d'un œil indifférent, et se con- 
tenta de dire: « Depuisque j'ai connu Dieu, mon cœur nes'émeut 
de rien; il est comme une montagne. » 
Au printemps de 1801, dénoncé par un apostat, il fut jeté en 
prison. Les détails de ses interrogatoires ne nous sont pas parve- 
nus. S'il faut en croire sa sentence, les supplices lui auraient 
arraché, un instant, quelques paroles de faiblesse. Mais bientôt il 
les rétracta hautement, et jusqu'à la fin montra un courage et une 
fermeté rares. Il fut condamné à mort et exécuté en même temps 
que son cousin Josaphat, à l'âge de trente-deux ans. on ne voit 
pas ({u'il ait été baptisé en prison ; c'est donc le baptême de sang 
qui le fit chrétien et lui donna entrée dans l'Eglise triomphante. 
Nous devonsmentionnerencore Kim Ni-paik-i, parent luiaussi 
de Josaphat, mais d'une branche bâtarde. Sa sentence se trouve 
jointe h celle de ce dernier, et il dut mourir aveclui Cependant, 
comme il n'est pas parlé de religion dans cet acte, et que d'ail- 
leurs aucun autre document ne le signale comme chrétien, nous 
n'osons, malgré toutes les probabilités, lui donner le titre de 
martyr. 
- 157 — 
Luc Ni Hei-icng-i, ami intime de Josaphat Kim, se trouva aussi 
réuni avec lui dans la même confession de foi, el parlat-ea son 
martyre. Il habitait d'abord la ville de Nie-tsiou. C'est là qu'il 
fut instruit de la religion, el commença à la pratiquer. Plus tard, 
il émigra à la capitale, où sa foi et sa ferveur ne firent qu'aug- 
menter. S'élant exercé dans sa jeunesse, à l'art de la peinture, il 
peignit nombre de sujets religieux, ce qui fut l'un des prétextes de 
sa condamnation. Elle est jointe à celle de Kim Paik-sioun-i, et 
datée du 29 de la troisième lune. Il paraît toutefois que son exé- 
cution fut remise au l'^'' juin, et qu'il fut décapité avec les autres 
confesseurs dont nous venons de parler. 
Il y eut peut-être encore d'autres victimes ce jour-là ; car un 
mémoire contemporain nous dit que, parmi les parents, alliés et 
amis de Josaphat, une vingtaine furent pris, parmi lesquels il n'a 
pu savoir au juste ceux qui se montrèrent fidèles, ou eurent le 
malheur de faiblir. Il nous a été impossible de trouver des rensei- 
gnements plus détaillés. Mais quel que fût alors le nombre des 
chrétiens dans cette famille, il n'y en a plus aujourd'hui un seul. 
Toutefois, l'esprit général de ses membres n'est pas hostile à la 
religion. C'est de cette famille qu'était la reine épouse du roi 
Sioun-tsong, décédée en d8o7, et qui fut toujours favorable aux 
chrétiens, sans oser toutefois prendre leur défense ouvertement. 
La reine actuelle a la même origine, et les principaux gouver- 
neurs qui, de nosjours encore, ont fait éviter bien des vexations 
aux chrétiens, sont la plupart des parents de Josaphat. 
Un mois après, le 23*' jour de la cinquième lune (3 juillet), 
neuf nouveaux martyrs furent conduits en dehors de la porte de 
l'Ouest, et décapités. Cinq de ces martyrs, par une violation de 
la loi coréenne, que la fureur des ennemis de la religion peut 
seule expliquer, étaient des femmes de condition noble. A la tête 
de cette glorieuse troupe, uous rencontrons l'auxiliaire dévouée 
du prêtre, Colombe Kang, dont nous avons parlé plus haut. Aus- 
sitôt après son arrestation, les juges, voulant lui arracher le se- 
cret de la retraite du prêtre, lui avaient fait subir jusqu'à six 
fois l'affreux supplice de l'écartement des os ; mais au milieu de 
ces tourments, elle resta muette et comme insensible, au point 
que les valets qui la voyaient se disaient entre eux : « C'est un 
génie, et non pas une femme. » Loin de donner le moindre signe 
de faiblesse, elle continua son apostolat dans la prison, et jusque 
devant les juges, proclamant sans cesse la divinité de la religion 
chrétienne, et apportant à l'appui de sa parole des preuves tirées 
- 158 — 
de Confucius et des autres philosophes les plus célèbres. Dans 
leur admiration, les mandarins ne l'appelaient que la femme 
savante, la femme sans pai^eille, et disaient qu'elle leur coupait la 
respiration, expression coréenne qui marque cette espèce de stu- 
peur produite par un étonnement extraordinaire. Ils n'en devin- 
rent que plus acharnés à obtenir son apostasie et employèrent 
contre elle tous les supplices que peut inventer la cruauté la plus 
raflinée ; mais toujours ils furent vaincus par la patience surna- 
turelle de leur victime. 
La foi de Colombe triompha non moins glorieusement de sou 
amour maternel. Son beau-fils Philippe, arrêté avec elle, mais 
incarcéré dans une autre prison, avait paru faiblir dans les tour- 
ments. Elle l'apprit, et l'ayant aperçu de loin un jour qu'elle se 
rendait de la jirison au tribunal, elle lui cria d'une voix forte; 
« Jésus est au-dessus de ta tête, et te voit ; peux-tu t'aveugler et 
te perdre ainsi? Prends courage, mon enfant, songe au bonheur 
du ciel. » Cette généreuse exhortation sauva l'àme du jeune 
homme qui, fortifié par ces paroles, reçut, quelques mois plus 
tard, la couronne du martyre. 
Dans sa prison. Colombe apprit la mort du P. Tsiou. Déchi- 
rant alors un pan de sa robe, elle y écrivit l'histoire des travaux 
apostoliques du missionnaire. Cette vie d'un saint, écrite dans les 
fers par une sainte qui le connaissait si bien, a été malheureuse- 
ment perdue par la négligence de la femme chrétienne à qui le 
rouleau de soie avait été confié. 
La ferveur de Colombe et de ses compagnes de captivité avait 
changé leur prison infecte en un lieu de prières. Fidèles à leurs 
exercices de piété, elles se soutenaient et s'encourageaient mutuel- 
lement, et ne cherchaient qu'à se rendre dignes de leur céleste 
époux qui, en retour, les couvrait d'une protection manifeste. 
Plus le moment du sacrifice approchait, et plus elles étaient heu- 
reuses; la veille de leur mort surtout, elles paraissaient ivres de 
joie. Enfin se leva le jour si longtemps attendu, si ardemment 
désiré, le jour du triomphe et de la récompense. Le 23 de la cin- 
quième lune (3 juillet , Colombe et quatre de ses compagnes 
montèrent sur le chariot, et furent conduites au lieu du supplice. 
Durant le trajet, elles ne cessaient de prier, de s'exhorter récipro- 
quement, et de chanter les louanges de Dieu. La foule voyait avec 
étonnement une sainte joie briller sur leurs visages. Arrivée au 
lieu de l'exécution, Colombe se tourna vers le mandarin, qui pré- 
sidait, et lui dit : « Les lois prescrivent de dépouiller de leurs 
vêtements ceux qui doivent être suppliciés, mais il serait incon- 
— 159 - 
venant de traiter ainsi des femmes; avertissez le mandarin supé- 
rieur que nous demandons à mourir habillées. » La permission 
fut accordée, à la grande satisfaction de ces saintes épouses de 
Jésus-Christ. Colombe alors lit le signe de la croix, et la i)re- 
mière, présenta sa tête au bourreau. Elle était âgée de quarante- 
un ans. 
Mentionnons ici, en anticipant un peu sur les événements, le 
martyre de Philiphe Hong Pil-tsiou. 11 était, comme nous l'avons 
dit, fils du mari de Colombe, par une première femme; mais, 
selon l'usage du pays, il fut toujours appelé le liisde Colombe. Il 
demeura constamment avec elle, la suivit à la capitale, et la traita 
toujours comme sa mère. Quand ils eurent recueilli le prêtre chez 
eux, Philippe profita de sa présence pour devenir un excellent 
chrétien. Chaque jour il lui répondait la messe, et lui rendait avec 
assiduité tous les services que réclamait sa position difficile. Pris 
en même temps que Colombe, il fut séparé d'elle dans sa prison, 
et soumis à de violentes tortures, qu'il supporta d'abord avec un 
grand courage, sans laisser échapper aucune parole compromet- 
tante. 11 semblait cependant faiblir, quand son héroïque mère 
ranima par quelques mots sa foi et sa confiance en Dieu. Depuis 
cejour, ilne se démentit plus, et plus fort que les supplices, 
donna sa tête pour Jésus-Christ, le 27 de la huitième lune, 
(4 octobre). Il n'avait alors que vingt-huit ans. 
Les quatre femmes décapitées avec Colombe, étaient; Rieng 
Pok-i, leng In-i, Nien-i et Sin-ai. Nous ignorons quelles sont 
ces bienheureuses martyres, car les femmes, en Corée, n'ont pas 
de nom personnel, et les actes du gouvernement ne les ont pas 
désignées par leurs noms de famille, mais bien par des noms de 
hasard, imposés uniquement pour le procès, comme cela se fait 
souvent dans le cas des personnes condamnées à mort ou à des 
peines infamantes. Elles étaient filles du palais, c'est-à-dire atta- 
chées au service personnel des reines et princesses. Leurs sen- 
tences, presque semblables, portent qu'elles furent instruites et 
baptisées par le P. Tsiou, qu'elles servirent d'entremetteu.ses 
pour les affaires de la religion, qu'elles firent évader plusieurs fois 
des chrétiens poursuivis par la justice, et qu'elles tenaient cachés 
chez elles divers objets de religion, images, livres, etc. 
Des recherches nombreuses nous ayant amenés à penser que 
l'une d'entre elles est très-probablement Bibiane Moun, nous 
donnons ici les détails que la tradition nous a conservés sur 
cette sainte martyre. 
Bibiane descendait d'une famille honorable de la classe 
I 
— 160 — 
moyenne; son père et son oncle avaient de petits emplois. Lai 
troisième de cinq sœurs, elle n'était âgée que de sept ans, quand " 
on vint faire choix de filles, pour le palais du roi. Son père tenait 
cachées les deux aînées, et ne s'inquiélait pas de Biljiane, que 
son jeune âge semblait devoir mettre à Fabri des perquisitions. 
Mais les émissaires du palais l'ayant aperçue, furent frappés de 
son intelligence précoce, et de sa beauté peu commune, et l'em- 
menèrent avec eux. Elle fut donc élevée dans le palais. A l'âge 
de quinze ans, on lui releva les cheveux (1), et comme elle écri- 
vait admirablement bien, on lui confia la charge des écritures. 
Son père était païen, mais sa mère, chrétienne fervente, se déso- 
lait de voir sa fille au palais, presque dans l'impossibilité de faire 
son salut. Quand Bibiane venait, de temps en temps, à la maison 
paternelle, sa mère et ses sœurs aînées l'exhortaient vivement 
à pratiquer la religion. Elle répondait : « Pratiquez-la bien, vous 
qui le pouvez. Pour moi, qui suis captive au palais et impliquée 
dans mille superstitions, cela m'est troj) difficile à présent. Je la 
pratiquerai quand je serai vieille, et qu'il y aura moyen de sortir M 
delà. » ■ 
L'usage des filles du palais est de se réunir le soir, pour 
passer le temps à rire, causer, fumer et prendre des rafraîchisse- 
ments. Un soir, au moment de se retirer, Bibiane, frappée tout 
à coup comme d'un coup de bâton à la tète, se sent le cerveau 
bouleversé, perd connaissance et tombe brusquement. Aussitôt 
on la relève et 0!i lui prodigue tous les soins possibles, mais le 
mal s'aggravant, on dut la renvoyer dans sa famille. Sa mère, 
voyant sa positirn dangereuse, l'exhorta plus fortement que 
jamais à se convertir, et comme déjà Bibiane en avait le désir, et 
que sa position seule l'avait retenue jusque-là, elle y consentit 
facilement et fut ondoyée. Dès le lendemain, elle se trouva com- 
plètement guérie, et se mit aussitôt à apprendre assidûment les 
prières et la doctrine chrétienne. 
Cette guérison subite était déjà une grâce bien extraordinaire ; 
elle devint bientôt un miracle manifeste. Tous les jours ou tous 
les deux jours, on lui envoyait du palais médecins et médecines, 
et souvent même plusieurs filles restaient pour la soigner. Or, 
depuis son baptême, quoiqu'elle fût entièrement débarrassée de 
(1) Les jeunes gens des deux sexes laissent pendre leurs cheveux, et on 
ne les relève qu'à l'épOijue du mariage. Quoique les filles du palais soient 
légalement condamnées à un célibat perpétuel, on leur fait la môme céré- 
monie, pour signifier qu'elles sortent de renfance et doivent désormais s'oc- 
cuper de ctioses sérieuses. 
— 161 — 
sa maladie à tout autre moment, dès que quelque personne du 
palais venait à entrer dans la maison, Bibiane voyait un de ses 
bras et une de ses jambes se raidir et devenir comme morts. Elle 
dut, en conséquence, subir cent fois l'acupuncture, et avaler un 
grand nombre de médecines. Elle se soumettait aux opérations et 
prenait les drogues avec tran(|uillité ; et à peine les gens du palais 
étaient-ils sortis, qu'elle se relevait sans aucune douleur, remer- 
ciait Dieu, et riait aux éclats en disant : « Que de remèdes per- 
dus! que d'acupunctures prodiguées inutilement à un corps en 
jileine santé ! » 
Uniquement occupée à lire et à prier, elle fuyait avec le plus 
grand soin jusqu'à l'ombre du péché, et la réputation de sa fer- 
veur se répandit rapidement parmi les chrétiens. Elle s'efforçait 
d'imiter les saints dont elle lisait la vie, parlait souvent de leur 
générosité envers les bourreaux, et témoignait le désir de les sui- 
vre au martyre. Pendant trois ans consécutifs, tous les soins de 
l'art lui furent prodigués par les médecins officiels qui, à la fin, 
ne voyant plus aucun moyen de guérir cette étrange maladie, la 
firent rayer de la liste des filles du palais. on cessa, dès lors, de 
lui faire toucher ses appointements mensuels. Bibiane, entiè- 
rement rassurée, rendit à Dieu de vives actions de grâces, pour 
sa protection si éclatante, et ne songea plus qu'à s'appliquer à la 
pratique de ses devoirs, et à l'exercice de toutes les vertus chré- 
tiennes. 
Trois ans plus tard, elle entra au service du P. Tsiou, avec 
Suzanne Kim Siem-a, mère du catéchiste Kim Sieng-tsiong-i, et 
pendant plusieurs années, elle s'acquitta de ses fonctions avec un 
dévouement et une piété exemplaires. Quand la persécution fut 
sur le point d'éclater, le prêtre s'étant retiré ailleurs, Bibiane 
revint près de sa mère, attendant le moment du martyre, et 
comme on semblait ne pas penser à elle, elle se désolait en répé- 
tant : « Est-ce que Dieu ne veut point de moi ? » 
Suzanne Kim étant venue la voir un jour, oublia sous la natte 
de la chambre, où elle l'avait déposé en entrant, un papier sur 
lequel étaient écrites diverses prières. Les satellites s'étant pré- 
sentés, quelque temps après, à la maison de Bibiane, avaient 
fouillé partout sans trouver aucun objet suspect, quand, à la fin, 
soulevant la natte, ils saisirent ce papier, et dirent à Bibiane: 
« Est-ce que vous aussi êtes chrétienne? — Certainement, je le 
suis, » répondit-elle sans hésiter. Aussitôt ils la déclarèrent de 
bonne prise, et la pressèrent de partir; mais la vierge chrétienne, 
se rappelant les exemples des saints, voulut d'abord exercer sa 
— 162 — 
générosité à leur égard, et leur fit prendre des rafraîchissements, 
ce dont ils furent tous satisfaits. Puis, faisant ses adieux à sa 
mère, et la consolant de son mieux, elle partit et fut conduite au 
mandarin. Elle avait alors vingt-six ans. 
Le mandarin, voyant sa jeunesse, lui dit: « Comment une 
jeune personne comme toi, si bien élevée au palais, peut-elle 
suivre une mauvaise religion, prohibée par le roi? Veux-tu donc 
mourir dans les supplices? — Je désire de tout mon cœur, répon- 
dit avec empressement Bibiane, donner ma vie pour le Dieu que 
je sers. » Après avoir vainement essayé tous les moyens de séduc- 
tion qu'il put imaginer, le mandarin, furieux de rencontrer chez 
une faible femme une résistance aussi opiniâtre, la fit mettre à la 
torture. on la frappa violemment sur les jambes; le sang en jail- 
lit, et, s'il faut en croire une tradition respectable, se convertit 
aussitôt en fleurs, qui s'élevaient dans les airs. A la vue de ce 
prodige, le mandarin fut frappé de stupeur, et il défendit, sous 
les peines les plus sévères, à tous ceux qui étaient présents, de 
jamais ouvrir la bouche sur ce qu'ils venaient de voir. 
Bibiane eut à supporter beaucoup d'autres supplices, mais rien 
ne put ébranler sa constance, et elle entendit enfin prononcer la 
sentence de mort, qu'elle avait si longtemps désirée. En se ren- 
dant au lieu du supplice, elle dit aux soldats qui repoussaient les 
curieux : « Laissez-les regarder tout a leur aise, on va bien voir 
tuer les animaux; pourquoi ne regarderai l-on pas tuer les hom- 
mes? » Une chrétienne, dont le père avait été témoin oculaire de 
l'exécution de Bibiane, a souvent répété que lorsqu'on lui trancha 
la tête, il coula de sa blessure du sang blanc comme du lait, que les 
bourreaux regardèrent avec admiration. Dieu daignait ainsi 
renouveler pour la vierge et martyre coréenne, le prodige qu'il fit 
autrefois à Rome, pour sainte Martine, vierge et martyre. 
Quatre confesseurs de la foi accompagnèrent à la mort les 
cinq héroïnes dont nous venons déparier. C'étaient: T'soi In- 
l'siel-i, frère de Mathias T'soi In-kir-i, martyrisé en 1793, pour 
avoir reçu chez lui le prêtre, à son arrivée en Corée; Ni Hien-i, 
neveu de Ni Hei-ieng-i, l'un des compagnons de prison et de 
martyre de Josaphat Kim ; Hong Tsieng-ho, proche parent de Phi- 
lipi)e' Hong, beau-fils de Colombe Kang; et enfin Mathieu Kim 
Hien-ou, le septième frère de Thomas Kim Pem-ou, qui, le pre- 
mier, eut l'honneur de confesser la foi, en 1785. 

on raconte que. Mathieu Kim, au moment de son arrestation, 
vit apparaître une grande croix lumineuse, qui marchait devant 
lui et lui indiquait la route delà prison. Notons, en passant, que 
— 163 — 
dans cette famille Kini, se trouvaieiil huit frères, dont trois seu- 
lement étaient chrétiens. Tons les trois obtinrent la grâce dn 
martyre, car Barnabe Kim Li-ou, troisième frère de Thomas, tra- 
duit comme chrétien devant le tribunal des voleurs, y mourut 
sous les coups, pendant cette même persécution, on ne sait pas 
exactement à quelle date. 
Nous n'avons aucun détail sur le procès et les souffrances de 
ces quatre confesseurs. Le texte de leur sentence rempli des 
mêmes banalités ineptes, qui se répètent dans toutes les pièces 
officielles contre les chrétiens, ne nous apprend rien de particu- 
lier. Les neuf corps demeurèrent exposés pendant plusieurs jours, 
au lieu deTexécution. C'était le temps de la i^rande chaleur, et il 
était tombé une pluie abondante. Cependant, lorsque l'ordre de 
les inhumer arriva, on reconnut avec étonnement qu'ils ne por- 
taient aucune trace de corruption. Les chairs étaient saines, les 
visages vermeils, le sang aussi Irais et aussi liquide que s'il eût 
coulé de leurs blessures quelques minutes auparavant. Cette mer- 
veille toucha vivement les chrétiens et grand nombre de païens 
(lui en furent témoins. 
CHAPITRE II. 
Martyrs clans les provinces depuis le cinquième jusqu'au huitième mois. 
Les neufs martyrs dont nous venons de parler, n'avaient pas 
été les seuls condamnés le 23 de la cinquième lune (3 juillet). 
Plusieurs autres sentences de mort furent signées le même jour, 
mais ne purent être mises à exécution que les jours suivants, 
parce que le tribunal, en vertu d'un système déjà signalé, fit trans- 
porter les confesseurs dans les différentes villes d'où ils étaient 
originaires, afin d'effrayer les populations des provinces, par le 
spectacle de leur supplice. 
Nous rencontrons d'abord Tsieng Sioun-mai, sœur de Tsieng 
Koang-siou, native du district de Nie-tsiou. Désirant consacrer 
à Dieu sa virginité, et craignant les clameurs des païens, elle 
prétendit avoir été unie en mariage à un homme qu'elle disait se 
nommer He. Elle se releva elle-mèmeles cheveux, et grâce à cette 
ruse, put rester seule, et se livrer à toutes les bonnes œuvres que 
sa piété lui inspira. Sa sentence porte qu'elle reçut le baptême des 
mains du P. Tsiou. Soumise à de cruelles tortures, elle montra 
un courage au-dessus de son sexe, fut condamnée à mort, con- 
duite à la ville de Nie-tsiou, et décapitée le 25 de la cinquième 
lune, deux jours plus tard que ses compagnes de la capitale. 
Une seconde femme, appelée Tsien-hiei dans les actes du gou- 
vernement, accusée entre autres crimes, d'être restée vierge en se 
disant veuve, eut, le mêmejour, la tête tranchée à lang-keun, sa 
ville natale. Une tradilion constante, et les divers documents que 
nous avons eu entre les mains, nous ont convaincu que cette 
Tsien-hiei n'est autre que la célèbre vierge Agathe loun. Agathe 
était cousine germaine de Paul loun lou-ir-i, qui fit trois fois le 
voyage de Péking, amena le P. Tsiou en Corée, et fut martyrisé 
en 1795. Descendue d'une famille de demi-nobles ou de nobles 
bâtards, elle habitait le district de lang-keun. A peine eut-elle 
connu la religion chrétienne, que, désirant se consacrer à Dieusans 
réserve, elle fit vœu de virginité, puis, craignant de rencontrer 
dans sa famille des obstacles à sa pieuse résolution, elle se fit se- 
crètement des habits d'homme et s'enfuit chez un de ses oncles. 
Sa mère crut qu'elle avait été dévorée par un tigre et ne cessa de 
— l'Jo — 
la pleurer, jusqu'à ce qu'après une longue absence, Agathe revint 
auprès d'elle. Ni les prières, ni les murmures de sa famille, qui 
ne comprenait rien à son héroïque détermination, ne purent tou- 
cher son cœur. Elle n'en devenait au contraire que plus ferme 
dans son dessein d'être toute à Dieu, et plus zélée pour procurer 
h ceux qui l'entouraient les bienfaits de la foi. 
En 1795, elle vint avec sa mère demeurer à la capitale. Elle 
n'était pas encore baptisée, lorsque son consin Paul fut saisi, jugé 
et mis à mort, comme introducteur du prêtre étranger. Elle- 
même, obligée de se cacher, eut alors beaucoup h souffrir. Après 
la mort de sa mère, elle se retira près de Colombe Kang, et jalouse 
de l'aider autant qu'il était en elle, dans l'exercice des bonnes 
œuvres, elle se dévoua à l'instruction des petites filles que Colombe 
réunissait dans sa maison. Infatigable pour le salut des autres, 
Agathe travaillait avec plus de ferveur encore à sa propre sancti- 
fication. A une vie très-austère, à des jeûnes fréquents, à de 
rigoureuses mortifications, elle unissait des prières et des médi- 
tations continuelles; aussi, ses progrès dans les voies de la per- 
fection furent-ils rapides. Dieu daigna même récompenser les 
nobles efforts de sa servante par plusieurs grâces extraordinaires. 
Sa mère était morte sans avoir pu participer aux sacrements, et 
Agathe s'en affligeait beaucoup. Un jour elle la vit en la compa- 
gnie de la sainte Vierge. Craignant d'être victime d'un rêve ou 
d'une illusion du démon, elle découvrit cette apparition au mis- 
sionnaire, qui rinierpréta favorablement, et rendit le repos à 
son âme. Une autre fois, elle eut une vision de la sainte Vierge. 
Le Saint-Esprit lui paraissait descendre sur cette reine du ciel, 
et reposer sur son cœur. Dans son humilité profonde, Agathe 
n'osait croire à la réalité de ces divines faveurs, et elle les eut 
repoussées, si le prêtre n'eût calmé ses craintes, en lui montrant 
une image exactement conforme à ce qu'elle avait vu. Elle avait 
une dévotion toute spéciale à sa patronne, et tâchait d'inspirer 
cette même dévotion aux personnes qui l'entouraient. « Que je 
serais heureuse ! disait-elle souvent, si je pouvais être martyre, 
comme sainte Agathe ! » Ses vœux furent exaucés. 
Dès les premiers jours de la grande persécution, vers la fin de 
la deuxième lune, elle fut arrêtée avec Colombe, et pendant trois 
mois, partagea sa prison et ses souffrances, subit les mêmes in- 
terrogatoires, et eut à supporter les mêmes tortures. Cependant 
ces deux grandes âmes, qui s'étaient si bien comprises et si 
tendrement attachées l'une à l'autre, n'eurent pas la conso- 
lation d'aller ensemble au martyre. Leur sentence fut portée le 
— 166 — 
même jour, et Colombe arrosa aussitôt de son sang le sol de la 
capitale où s'était exercé son zèle ; mais Agathe, transférée à 
lang-keun, n'obtint la palme que deux jours plus tard. Son intré- 
pide courage, sa paix et la sérénité d'âme qu'elle conserva jus- 
qu'au dernier moment, édifièrent beaucoup les chrétiens, et pro- 
duisirent sur un grand nombre de païens une vive et salutaire 
impression. on assure que Dieu donna à l'innocence virginale 
d'Agathe le même témoignage qu'à celle de sa compagne Bibiane 
et que lorsque sa tête tomba, le sang ([ui coulait de la blessure, 
sembla blanc comme du lait. 
Il y eut à cette époque beaucoup d'autres martyrs à lang- 
keun, car s'il faut en croire les récits des vieillards du pays, qui 
vivaient encore il y a peu d'années, cette ville fut inondée de 
sang par la cruauté de son mandarin Tsieng Tsiou-song-i, dont 
le nom est cité avec horreur par les païens eux-mêmes. Malheu- 
reusement, nous n'avons pas sur ces faits de documents contem- 
porains. Mentionnons seulement quelques noms qui ont été 
recueillis de la bouche de témoins oculaires. 
Une famille noble du nom de Ni, branche de Tsien-tsiou, qui 
vivait au village de Pai-sie-kol, donna à l'Église quatre martyrs : 
Ni Tsai-mong-i, âgé de cinquante-cinq ans; son frère cadet Ni 
Koai-mong-i, appelé aussi Tsioung-kin-i, âgé d'environ cin- 
(|uante ans, plus deux jeunes personnes, tilles de l'un des pré- 
cédents, âgées de vingt-cinq à trente ans, et qui avaient consacré 
à Dieu leur virginité. Arrêtés tous ensemble, le 20 de la qua- 
trième lune, ils furent mis à la torture; et sur leur refus cons- 
tant d'apostasier, moururent sous les coups, ou furent décapités 
dans le cours de la cinquième lune. Kim Ouen-siong-i, de famille 
noble, vivant au village de Tsi-ie-oul, fut pris et exécuté avec 
eux, à l'âge de quarante-cinq à cinquante ans. 
Nous devons ajouter à cette liste l'illustre vierge Agathe Ni, 
tille de Ni Tong-lsi, de la branche de Koang-tsiou, et cousine 
éloignée du catéchiste Augustin Ni , martyrisé au commen- 
cement de 4839. Cette jeune personne vivait chez ses parents 
dans le voisinage de lang-keun. De bonne heure, elle con- 
sacra à Dieu sa virginité, mais bientôt ne pouvant plus tenir 
contre les menaces des païens, elle s'entendit avec un de ses 
parents, lou Han-siouk-i, dont nous avons raconté le martyre, et 
celui-ci la fit évader secrètement, et la conduisit à la capitale, 
près d'Agathe loun. Dans cette retraite, à l'abri des clameurs, 
elle put se livrer en toute liberté à la prière et à l'exercice des 
bonnes œuvres, et se préparer pieusement au dernier combat. 
— 167 — 
Nous regrettons d'autant plus de ne pouvoir retrouver les détails 
de sa vie, que sa mémoire est bénie d'une manière toute spéciale, 
encore aujourd'hui, par ceux qui parlent d'elle. 
Enfin, parmi les condamnés du *28 de la cinquième lune, 
nous trouvons Ko Roang-sieng-i, Ni Kouk-sen^-i, et probable- 
ment aussi Hoang Po-siou, dont il nous reste à dire quel(|ues 
mots. Ko Koang-sieng-i était né au district de Pieng-san, pro- 
vince de Hoang-hai, d'unefamille honnête. Nous ignorons les cir- 
constances de sa conversion et les détails de son procès. Jeté dans 
une des prisons de la capitale, il était malheureusement tombé 
dans l'apostasie, quand Dieu permit que Ni Kouk-seng-i fût 
areiené dans cette même prison. Celui-ci lui reprocha vivement sa 
faute, l'engagea à se rétracter, et, pour lui en faciliter les 
moyens, lui indiqua les paroles dont il devait se servir. « Dis au 
mandarin que ce n'est pas toi qui as apostasie, mais que c'est le 
fJiable qui t'a trompé et a parlé par ta bouche. » Ainsi poussé, 
Koang-sieng-i se rétracta convenablement et subit ensuite trois 
nouveaux interrogatoires, sans témoigner aucune faiblesse. Il fut 
envoyé à Pieng-san, sa patrie, pour y être décapité, ce qui fut fait 
non avec l'instrument ordinaire du supplice, mais avec une 
cognée. Sa mort, vu la distance de la capitale à Pieng-san, n'eut 
lieu que le 27 ou le 28 de cette même lune. 
La Providence, dont les voies sont admirables, se servait ainsi 
de la méchanceté des persécuteurs, pour glorifier la religion dans 
des lieux où elle n'était pas connue auparavant. Tel était, en 
effet, le district de Pieng-san, qui entendit parler du christianisme 
pour la première fois, à l'occasion de la sentence et de la mort 
courageuse de notre martyr. Tel était aussi le district de Pong-san, 
dans cette même province de Hoang-hai, où fut décapité le con- 
fesseur Hoang, surnommé Po-siou, du nom de la compagnie de 
tirailleurs, dont il faisait partie. Hoang était venu à la capitale 
pour rejoindre son régiment, lor.qu'il eut le bonheur d'entendre 
parler de la religion et de se convertir. Saisi dès le commence- 
ment de la persécution, il se refusa avec une fermeté inébranla- 
ble à donner le moindre signe d'apostasie, fut condamné à mort, 
et transporté à son district de Pong-san, pour y être exécuté. on 
rapporte que, lorsqu'il se rendait au supplice, une de ses jeunes 
esclaves le suivit; et comme le confesseur, tout occupé du ciel, 
refusait de la regarder, l'esclave se mit en colère et l'accabla 
d injures qu'il supporta joyeusement. 
Pierre Ni Kouk-seng-i, appelé aussi Sieng-kiem-i, était natif 
du district de Eum-sieng, province de T'siong-t'sieng, d'où il 
— 168 — 
avait émigré au district de T'siong-tsiou. Ayant entendu parler 
du christianisme, il se rendit h lang-keun, près des frères Kouen, 
pour s'en instruire à fond, et, touché de la grâce, se mit de suite 
à le pratiquer. Lorsqu'il fut de retour chez lui, son précepteur 
païen employa toute son éloquence pour le faire changer d'avis, 
mais ce fut sans succès, et Pierre eut bon marché de tous ses 
sophismes. Pris d'abord en 1795, il se délivra par une parole 
d'apostasie, qu'il regretta sincèrement plus tard, et dont il fit une 
longue pénitence. Ses parents voulaient le marier, mais rélléchis- 
sant qu'une femme et des enfants lui seraient probablement un 
embarras dans la pratique de la religion, il s'y refusa obstiné- 
ment, et pour éviter de continuelles obsessions, s'en alla habi- 
ter la capitale. Plein de zèle pour les bonnes œuvres, et n'ayant 
aucun embarras de famille, il pouvait facilement se livrer à l'ins- 
truction des autres. Aussi sedonna-t-il tout entier à cette œuvre 
de charité, et sa parole produisit-elle de nombreux fruits de salut, 
parmi ses compatriotes chrétiens et païens. 
Arrêté lors de la grande persécution, il eut, dès le moment 
même de son entrée en i)rison, l'occasion d'exercer son zèle, en 
exhortant au repentir Ko Koang-sieng-i, qui venait d'apostasier. 
Il réussit, comme nous l'avons vu, et contribua à lui faire gagner 
la palme du martyre. Mais bientôt, mis lui-même à l'épreuve des 
supplices, il laissa échapper une parole d'apostasie. Le juge fit 
cesser la torture, et on allait le mettre en liberté, lorsque, 
touché d'un soudain repentir, il s'écria qu'aussitôt relâché, il pra- 
tiquerait de nouveau sa religion tout comme auparavant. La même 
scène d'apostasie, suivie de rétractation immédiate, paraît s'être 
repétée plusieurs fois ; et nous ne nous en étonnons pas trop, car 
Pierre avait tous les défauts, en même temps que toutes les quali- 
tés, de son tempérament. D'un caractère prompt, ardent, plein 
de feu et de zèle, il était aussi mobile et inconstant, et avait 
laissé voir, en plusieurs circonstances, une étourderie fâcheuse. 
Dieu cependant, qui connaissait le fond de son cœur, ne l'aban- 
donna pas, et, après avoir permis ces chutes réitérées, pour débar- 
rasser entièrement son serviteur de tout orgueil et de toute con- 
fiance en lui-même, il lui donna la force nécessaire pour persister 
dans une ferme confession de foi, et conquérir sa sentence de 
mort. on l'envoya à Kong-tsiou pour y être décapité. on 
raconte qu'en se rendant au supplice, il dit plusieurs fois à la 
foule de curieux qui l'accompagnait : « Voussemblez prendre 
compassion de moi, mais c'est vous tous qui êtes vraiment dignes 
de pitié. » Pierre eut la tête tranchée le 26 ou 27 de la cinquième 
— 169 — 
lune ; il était alors âgé deirenlo ans : son corps fut enterré par ses 
neveux à Kong-lsiou. 
A la même cinquième lune, on ne sait quel jour, fut encore 
exécutée dans la même ville de Kong-tsiou, une pauvre esclave, 
nommée iMoun loun-tsin-i. Après avoir servi dans une des 
maisons où se réfugiait le P. Tsiou, elle s'enfuit en province, 
pour éviter la persécution. Elle fut prise toutefois, et sa constance 
lui mérita la grâce du martyre. Inconnue partout ailleurs, elle 
a été signalée par une vieille chrétienne, qui eut avec elle quel- 
ques rapports d'amitié, la suivit dans la ville de Kong-tsiou, et la 
vit passer quand on la conduisait au supplice. 
Les documents coréens ne signalent aucune exécution durant 
le cours de la sixième lune. La rage des ennemis du christianisme 
n'était cependant pas assouvie, et pendant longtemps encore notre 
histoire ne sera qu'une liste de martyrs. Le 13 de la septième 
lune (34 août), une sentence de mort fut portée contre cinq autres 
confesseurs : André Kim Koang-ok-i, et Tieng Tenk-i, delà pro- 
vince de T'siong-t'sieng; Stanislas Han, Mathias T'soi, et André 
Kim T'sien-ai, de la province de Tsien-la. 
André Kim Koang-ok-i, né à le-sa-ol, au district de Niei-san, 
dans leNai-po, d'une famille honnête et riche, exerça longtemps 
les fonctions de chef de canton. Bien qu'il fût doué d'excellentes 
qualités naturelles, son caractère excessivement violent le faisait 
redouter de tous ceux qui le connaissaient. A lage d'environ cin- 
quante ans, ilfutinstruit delà religion parLouis de Gonzague, qui 
était presque du même village, et au grand étonnementde tous, il 
l'embrassa de suite, et se mit à en observer les pratiques avec 
beaucoup de ferveur, ostensiblement, sans s'inquiéter des païens. 
11 fit plus, il convertit sa famille, beaucoup de ses amis, et d'autres 
personnes du village. Chaque jour, en quelque saison que ce fût, 
tousse réunissaient pour réciteren commun les prières du matin 
et du soir. Souvent aussi André expliquait la doctrine, et il savait 
(aire naître dans l'âme de ses auditeurs une foi ardente. Pen- 
dant le carême, il observait un jeûne rigoureux, se livrait à di- 
verses pratiques de mortification, et, par une grande assiduité aux 
exercices des diverses vertus chrétiennes, il parvint enfin à mater 
tellement son caractère, qu'on le disait devenu semblable à un 
enfant à la mamelle. 
Quand il vit la persécution de iSOi s'élever avec tant de vio- 
lence, il se retira dans les montagnes de Kong-tsiou; mais ayant 
été dénoncé dès la première lune, il fut bientôt saisi par les satel- 
— 170 — 
lites de sa propre ville. « Il eût été très-imprudent de ma part, 
dit-il alors, d'attendre assis dans ma maison, car je suis faible, et 
j'aurais semblé me fiar à mes propres forces. J'ai donc dû fuir et 
éviter le danger, mais, au fond, le martyre est mon plus grand dé- 
sir. Aujourd'hui que je suis pris, uniquement par l'ordre de Dieu, 
j'en suis bien heureux. » Et en effet, cette joie intérieure et cé- 
leste se manifestait clairement sur son visage et dans sa démarche, 
au point que les satellites et autres témoins en étaient stupéfaits. 
Le mandarin le fit mettre aussitôt à la question, lui reprocha 
de s'être enfui lâchement, et lui commanda de dénoncer ses com- 
plices et d'exhiber ses livres de religion. André répondit: « J'ai 
beaucoup de coreligionnaires, mais si je vous les faisais connaî- 
tre, vous les traiteriez comme moi, je ne puis donc vous donner 
aucun renseignement. Quant h mes livres, ils sont trop précieux 
pour que je les remette entre vos mains.» Le mandarin en colère fit 
redoubler les tortures, et André perdit connaissance; on le char- 
gea néanmoins d'une lourde cangue et on le reconduisit en prison. 
Dans un second interrogatoire, le mandarin montra la même 
cruauté, André le même courage. « Toutes vos promesses, disait-il, 
aussi bien que toutes vos menaces, sont inutiles. Ne m'interrogez 
pas de nouveau, un sujet fidèle ne sert pas deux rois, une épouse 
fidèle ne se donne pas à deux maris. Vous, mandarin, voudriez- 
vous enfreindre les ordres du roi? oseriez-vous bien le renier? 
Moi, je neveux point enfreindre les ordres de Dieu. Non, dix 
mille fois non, je ne puis renier mon grand Roi et mon Père. Vis- 
à-vis des rois et des parents, il y a bien des circonstances où les 
actes extérieurs ne sont pas en harmonie avec les sentiments du 
cœur; mais notre Dieu voyant les plus secrètes pensées, les sen- 
timentset les intentions, on ne peut devant lui pécher même inté- 
rieurement. Je vous ai parlé, faites ce que vous voudrez. » 
En vain le mandarin le fit-il frapper du bâton et de la planche 
à voleurs, jusqu'à ce que les bourreaux tombassent épuisés de 
fatigue; en vain recommença-t-il la même série de tortures à un 
troisième et à un quatrième interrogatoire. Dieu, qui est plus 
fort (jue la malice des hommes et de l'enfer, soutenait son servi- 
teur. « Mais que trouves-tu donc de si bon à mourir, disait le juge 
stupéfait; tu as une femme, des enfants et de la fortune; tu n'as 
qu'un mot à dire et tu retourneras en jouir ; pourquoi l'obstiner 
à succomber dans les tourments? — La vie et la mort sont loin 
de m'être indifférents, répondit le confesseur, mais je ne puis 
avoir la pensée de renier mon Dieu. Chaque homme est dans sa 
condition; vous mandarin, payé parle roi, vous devez suivre se* 
— 171 — 
ordres, moi j altcnds seulement ({ue vous les exécutiez. Dussc- 
je mourir sous les coups, mou parti est pris; dussé-je mourir 
dix mille fois, je n'ai rien autre chose à répondre, agissez comme 
vous voudrez, je suis ])rèt h tout. » Le mandarin furieux le fit 
accabler de coups, puis lui ordonna de signer sa sentence de mort, 
ce qu'il fit d'un visage rayonnant de joie, remerciant Dieu et la 
Vierge Marie de son bonheur. Renvoyé à la prison, ie jour et la 
nuit il faisait ostensiblement ses prières, et quand il en avait 
l'occasion, développait aux païens la vérité de la religion. 
Quelque temps après, André fut envoyé au tribunal deT'sieng- 
tsiou, chef-lieu militaire delà province, et de là à la capitale, où 
semble avoir été prononcée sa sentence définitive. Les ordres de 
la cour })ortant de le faire exécuter h la ville de Niei-san, dans 
son district natal, il se mit en route accompagné de Kim Tai- 
t'sioun-i, son parent, condamné le même jour que lui, et qui de- 
vait être mis à mort à Tai-heng, district limitrophe de Niei-san. 
Les deux confesseurs s'exhortaient mutuellement pendant le 
voyage, et arrivés à l'embranchement où les deux routes se sépa- 
rent, ils se firent leurs adieux, se donnant rendez-vous dans la 
céleste patrie pour le lendemain, à midi, heure où ils devaient, 
chacun de leur côté, avoir la lêle tranchée. Combien durent-ètre 
édifiants ces derniers entretiens! combien touchants ces adieux, 
avec rendez-vous dans le sein du sauveur Jésus! 
Le lendemain, après sept mois de détention et de souffrances, 
André était porté sur une litière de paille au lieu du supplice. En 
s'y rendant, il récitait son rosaire à haute voix, et les curieux 
disaient : « C'est bien singulier; il est content de mourir, il va 
au supplice en chantant. » André, entendant cette remarque, leur 
répondit: « C'est qu'aujourd'hui je serai près de Dieu, pour y 
jouir du bonheur sans fin. » Arrivé à l'endroit marqué, il dit : 
« Je n'ai pas fini mes prières, attendez quelque peu ; » puis il se mil 
à genoux, les termina à haute voix, et plaçant lui-même sous sa 
tête le billot qui devait la soutenir, il s'inclina. Le bourreau ayant 
frappé à faux, n'atteignit que l'épaule. André se releva, essuya 
le sang avec son mouchoir, et se remit en position, en disant : 
« Fais attention, et tranche-moi la tête d'un seul coup, » puis 
avec le plus grand calme, il reçut ce dernier coup qui consomma 
son sacrifice. C'était le 17 de la septième lune (25 août). André 
devait avoir environ soixante ans. 
Le second confesseur, condamné le même jour ((u'André, est 
désigné dans les actes officiels sous le nom de Tieng Tenk-i. 
Mais il est à peu près certain que ce Tieng Tenk-i n'est autre que 
— 172 — 
Pierre Kim Tai-t'sioun-i, que nous venons de mentionner, en 
rapportant le martyre d'André. Comme nous l'avons déjà remar- 
qué, ces changements de noms, quand il s'agit de coupables con- 
damnés à des peines infamantes, sont assez fréquents. Pierre était 
natif du district de Tai-heng, dans le Nai-po. Conduit d'abord 
au tribunal de Hong-tsiou, puis bientôt après transféré au chef- 
lieu militaire T'sieng-tsiou, il fut, pendant plusieurs mois, sou- 
mis à de fréquentes et cruelles tortures. Il avait pour compagnon 
de prison son parent André Kim. Comme lui, il demeura ferme 
dans les supplices et constant dans sa foi; avec lui, il fut trans- 
féré à la capitale, d'où ils partirent tous deux ensemble pour 
cueillir, chacun dans son propre pays, la palme du martyre. 
Pierre fut décapité à la ville de Tai-heng, le 17 de la septième 
lune, en même temps qu'André à Niei-san. 
Parmi les trois confesseurs de la province de Tsien-la, condam- 
nés à mort le même jour que les précédents, nous trouvons 
d'abord Stanislas Han Tsieng-heun-i. Stanislas appartenait à une 
famille pauvre, quoique noble, du district de Kim-tiei, dans cette 
province. Parent éloigné d'Augustin Mou, dont nous parlerons 
bientôt, il vivait habituellement chez celui-ci, et remplissait auprès 
de son fils la fonction de précepteur. Il y apprit la religion, l'em- 
brassa de grand cœur, la pratiqua avec zèle, et quand il fut pris, 
vers la troisième lune, avec Augustin, ne se laissa ébranler ni 
par les supplices, ni par les promesses et les séductions. Il con- 
fessa noblement sa. foi, d'abord à Tsien-tsiou, puis à la capitale. 
Stanislas ne fut en aucune manière impliqué dans l'affaire du 
prétendu complot que l'on reprochait à la famille Niou, mais cou- 
damné uniquement pour son attachement obstiné à la religion 
chrétienne. Envoyé pour être mis à mort dans son propre dis- 
trict, à Kim-tiei, il y fut décapité le 18 de la septième lune, h 
l'âge de quarante-si.\ ans. 
André Kim T'sien-ai, esclave de la maison d'Augustin et ins- 
truit par lui des principes de la foi, sut la ]»ratiquer avec une 
générosité au-dessus de sa condition. Pris en même temps que 
son maître, il ne consentit jamais à racheter sa vie par l'apostasie, 
souffrit courageusement la question à Tsien-tsiou, puis à la capi- 
tale, mérita d'y être condamné à mort, et fut exécuté à Tsien- 
tsiou, le 19 ou 20 de la septième lune (27 ou 28 aoiît;. Il était 
âgé de quarante-deux ans. 
MathiasT'soi le-kiem-i, né de parents qui avaient quelque petit 
titre de noblesse, au district de Mou-tsiang, avait, jeune encore, 
entendu vaguement parler de la religion chrétienne, et désirait 
- 173 — 
beaucoup la connaître, sans pouvoir y parvenir. S'étant marié 
au district de Han-san, dans la partie sud du Nai-po, il apprit 
bientôt qu'il y avait beaucoup de chrétiens dans les environs, 
alla de suite les trouver, se fit instruire par eux des principales 
vérités de TÈvangile, et, à son retour à Mou-tsiang , se mit à 
la pratiquer avec une grande ferveur. Sa piété et son zèle à 
répandre partout la connaissance de la foi, et à communiquer la 
grâce qu'il avait reçue, étaient telles qu'il convertit un grand 
nombre de païens. La jjerséeution ayant éclaté avec violence 
dans son propre pays, Mathias se retira chez les parents de sa 
femme, à Han-san. Mais bientôt un grand nombre de chrétiens y 
furent arrêtés, et entre autres vingt-huit de ceux qu'il avait con- 
vertis. Quelques-uns d'entre eux le trahirent et firent connaître 
aux mandarins le lieu de sa retraite. 11 y fut pris, le 13 de la qua- 
trième lune, et conduit d'abord à la préfecture de Han-san, où il 
euth subir un interrogatoire devant le mandarin. Celui-ci l'ayant 
fait torturer plusieurs fois inutilement, donna avis de cette cap- 
ture au gouverneur de la province, qui le lit conduire, la cangue 
au cou, au mandarin de Mou-tsiang. Là, de nouveaux supplices 
l'attendaient, mais rien ne put abattre son courage, et le man- 
darin, poussé à bout, l'envoya au tribunal de ïsien-tsiou, capi- 
tale de la province, où sa sentence de mort fut portée. Ayant 
encore sa mère presque octogénaire, Mathias demanda l'autori- 
sation de la voir une fois, afin de mourir sans aucun regret; 
cette permission lui fut refusée. Commeon le menaçait de le faire 
périr sous les coups, il craignit un instant que par là quelque 
chos2 ne manquât à son sacrifice, et en devint triste pendant plu- 
sieurs jours; mais bientôt Dieu exauça les vœux de son serviteur, 
et permit qu'il fût transféré près des fidèles confesseurs Stanislas 
Han et André Kim. Grande fut sa joie et celle de ses généreux 
compagnons quand ils se virent réunis. Enfin le tribunal suprême 
rendit une sentence définitive, et Mathias fut conduit au marché 
Tsi-kap, dans son propre district de Mou-tsiang, et décapité le 
19 de \à septième lune (27 août), à l'âge de trente-neuf ans. 
Ajoutons ici les noms de quelques confesseurs de celte pro- 
vince de Tsien-la, sur lesquels il ne reste pas de détails, et qui, 
très-probablement, ont souffert à la même époque, quoique la 
date exacte de leur martyre n'ait pas été conservée. Ce sont: 
Ni Hoa-paik-i, noble du district de leng-Koang, élève de Mathias 
T'soi, décapité dans sa ville natale; T'soi Il-an-i, vulgairement 
appelé Keum-no , neveu du même Mathias , qui , après une 
glorieuse confession, mourut par suite des supplices dans la 
— 174 — 
province de Tsien-tsiou, à lage de quarante ans ; un chrétien 
nommé 0, noble du village de Pok-san-t'si, au district de leng- 
Koang, décapité; enfin un autre chrétien nommé Ouen, pris à 
Sol-iei, district de Keum-san. et décapité à Tsien-tsiou. 
Nous connaissons les noms de deux seulement des confesseurs 
qui ont été mis à mort pendant la huitième lune : Philippe Hong, 
le beau-fils de Colombe Rang, dont nous avons raconté le mar- 
tyre avec celui de sa mère, et Kim Tsong-tsio ou T'si-hoi. Ce der- 
nier, peu connu des chrétiens, à cause de la vie obscure qu'il avait 
menée depuis son ba})tème, était d'une famille de médecins. Il 
embrassa la religion dès quelle serépandilen Corée. D'un visage 
froid et peu prévenant, d'un caractère timide, appartenant d'ail- 
leurs à une famille très-pauvre, il avait peu d'accès auprès des 
grands, et partant, peu de chance d'obtenir des charges. En revan- 
che, il avait du goût pour les études sérieuses, et Ni Piek-i, plein 
d'estime et d'affection pour lui, répétait souvent que T'si-hoi 
était un homme aussi étonnant que peu connu. En 1791, il se 
racheta par l'apostasie, comme presque tous les néophytes d'alors, 
mais bientôt il regretta sa faiblesse, et reprit ses exercices de 
religion avec plus de ferveur et d'assiduité. A la persécution de 
1801 , dénoncé comme un apostat relaps, il fut jeté en prison, où 
il confessa d'abord généreusement le nom de Jésus-Christ. S'il 
faut en croire sa sentence, il eut un moment d'hésitation au tri- 
bunal des voleurs, puis se rétracta presque aussitôt devant le tri- 
bunal des crimes, et depuis lors ne se laissa plus intimider.il 
fut condamné à mort et exécutéle mêmejour que Philippe Hong, 
le 27 de la huitième lune. 
C'est aussi i)endant la huitième lune (jue fut saisi Thomas 
T'sio, fils de Justin T'sio, delang-keun. Ce dernier avait été con- 
damné à l'exil par le tribunal suprême, pour cause de religion, et 
le mandarin delang-keun, son ennemi personnel, furieux de 
n'avoir pu le faire mettre h mort, avait juré de se venger sur le 
fils, puisque le père lui avait échappé. La chose était assez diffi- 
cile, car Thomas, ayant accompagné son père au fond de la pro- 
vince du Nord, se trouvait sur un territoire hors de sa juridic- 
tion. Le mandarin présenta plusieurs requêtes aux ministres, et 
à la fin, grâce au crédit de quelques amis puissants, obtint les 
pouvoirs nécessaires. 
Dès son enfance, et avant d'être chrétien, Thomas s'était fait 
remarquer par son excellent caractère et par sa piété filiale; aussi, 
après sa conversion, devint-il bientôt, par sa vertu et son exacti- 
— 17o ~ 
tude à tous ses devoirs, un modèle pour les chrétiens de l'endroit. 
Quand son père fut arrêté, en 1800, il le suivit et vint s'ins- 
taller à une lieue de la prison, faisant tous les jours deux fois le 
voyage de la ville, pour lui apporter sa nourriture, et le consoler de 
tout son pouvoir. Justin ayant été transféré à la capitale, Thomas 
s'attacha àses pas, ne le quittant ni le jour, ni la nuit, et raccom- 
pagna ensuite jusqu'au lieu de son exil, à environ 150 lieues au 
nord de Séoul. Ils y étaient à peine arrivés, quand Justin, accablé 
par Tàge, par les suites de ses blessures, par les fatigues d'un 
voyage aussi pénible, tomba dangereusement malade. Thomas, tou- 
jours près de lui, le servit avec un dévouement inexprimable, au 
point que les païens de ce district, frappés d'admiration, procla- 
maient hautement que jamais ils n'avaient vu pareille piété filiale. 
Justin guérit, et le père et le tils se consolaient ensemble 
des amertumes et des privations de l'exil, quand, à la huitième 
lune, arrivèrent les satellites de lang-keun. Le premier moment 
de surprise passé, Justin dit à son tils : « Eh bien! à quoi es-tu 
résolu? » Thomas, forcé de laisser seul son vieux père, avait le 
cœurdéch'ré, mais soumis avant tout aux ordres de Dieu, et ne 
voulant pas trop impressionner son père, en lui laissant voir sa 
peine profonde, il répondit avec calme: « Je n'ai d'autre pensée 
que de suivre pas à pas la croix de Jésus-Christ. — C'est bien, 
reprit Justin, maintenant je te vois partir tranquille et sans 
regret, » et ils se séparèrent pour ne plus se revoir en ce monde. 
Lorsque Thomas tut arrivé à lang-keun, le mandarin lui dit: 
« Connais-tu le crime de ton père? » Thomas répondit : « Com- 
ment pouvez-vous assez méconnaître les principes naturels, pour 
me faire une pareille question? quelle faute acommise mon père? 
La position oii il se trouve aujourd'hui vient de mes fautes à moi, 
et non des siennes. » Le mandarin exaspéré lui fit subir de 
cruelles tortures, en le sommant d'apostasier, mais Thomas sup- 
porta tout avec constance. Pendant près de deux mois, presque 
tous les jours, il fut cité devant le tribunal et mis à la question, 
sans éprouver jamais un moment de faiblesse. Mais son corps 
finit par succomber à ces supplices répétés, et aux premiers jours 
de la dixième lune, Thomas mourut dans la prison. Il y avait 
longtemps qu'il se préparait au martyre. on rapporte que, depuis 
plusieurs années, il profitait des moments oii il était seul pour se 
frapper violemment les bras et les jambes, afin de s'accoutumer 
à supporter les supplices, si Dieu permettait qu'il fût pris. C'est 
peut-être en récompense de cette mortification généreuse, que 
Dieu lui accorda la palme du martyre. 
CHAPITRE III. 
Procès de la famille Mou. — Martyre de Jean Niou et de sa femme 
Lulhararde Ni. — Lettres de Luthfîarde. 
Depuis le martyre de Paul loun, en 1791, jusqu'à la grande 
persécution de 1801, la province de Tsien-la avait joui d'une 
paix profonde, et les chrétiens y étaient devenus très-nombreux. 
Celui qui avait le plus contribué à cette propagation rapide de 
rÉvangile était Augustin Niou Hang-kem-i ; aussi fut-il un des 
premiers enveloppé dans la jjroscription. Dès la troisième lune, 
il avait été saisi avec plusieurs autres membres de sa famille, et 
conduit dans les prisons de Tsien-lsiou, capitale de cette pro- 
vince, dontKim Tal-sioun-i était alors gouverneur. Nous igno- 
rons les détails des interrogatoires qu'ils eurent à subir, mais il 
parait malheureusement assez probable qu'Augustin eut la fai- 
blesse dapostasier. 
Un de .ses frères naturels, Niou Koang-kem-i, porta plus loin la 
lâcheté. Non -seulement il céda aux tortures, mais il se montra 
prêt à faire toutes les dénonciations ([ue les juges exigèrent de 
lui, et à révéler plus qu'on ne lui demandait. Le gouverneur ne 
manqua pas de profiler d'une si bonne occasion, et d'exploiter la 
frayeur de cet infortuné. Il lui remit sous les yeux l'état désespéré 
de toute sa famille, lui faisant en même temps espérer qu'une 
grande franchise à déclarer tout ce qu'il savait serait le moyen 
non-seulement d'éviter la mort, mais de s'attirer les bonnes grâ- 
ces de lacour et d'obtenir les plus grandes dignités. Koang-kem-i, 
aveuglé par la crainte et par l'ambition, donna facilement dans 
le piège. Il commença par brûler tous ses livres, et fit une longue 
liste des chrétiens desa connaissance. on s'en servit immédiate- 
ment. En peu de jours, les districts de ïsien-tsiou, Keum-san, 
Ko-san, leng-koang, Mou-tsang, Kim-tiei et autres furent sillon- 
nés par les bandes des saiellites, et plus de 200 personnes, dit 
un mémoire du temps, furent jetées dans les prisons et soumises 
à d'affreuses tortures. Il est triste de constater que la jdupart 
d'entre eux n'eurent pas le courage de rester fidèles à leur Dieu. 
Plusieurs même firent des aveux très-compromettants sur les 
allées et venues" des courriers que l'on avait, à diverses reprises, 
— 177 — 
envoyés à Péking, elles choses se compliquèrent étrangement. 
Koang-kem-i surtout semble avoir complètement perdu la tête. 
Un fragment des actes de son procès nous apprend qu'il fit 
devant le tribunal les déclarations suivantes : « Pour pratiquer 
la religion, il faut absolument des prêtres; sans eux, on ne peut 
recevoir les sept sacrements ; c'est pourquoi on a dû faire venir le 
P. Tsiou, et cacher sa présence en Corée avec toutes les précau- 
tions imaginables. De plus, pour administrer les sacrements de 
Baptême et de Confirmation, il fautdes saintes huiles, et ces sain- 
tes huiles doivent être renouvelées chaque année; on a dû, en 
conséquence, envoyer tous les ans quelqu'un les chercher à 
Péking. En 1797, Hoang Sim-i y alla, plus tard un des Kim de 
Ko-san... Mais ces voyages offrant tant de difficultés, la situation 
restait trop précaire. Pour remédier à tous ces inconvé- 
nients, on a formé le projet d'appeler sur les côtes de Corée des 
navires européens qui pussent traiter avec le gouvernement, et 
faire accorder la liberté de religion... » Koang-kem-i dénonça 
ensuite quelques-uns de ceux qui auraient fourni de l'argent pour 
subvenir aux frais d'exécution d'un pareil plan. 
Parmi ces noms, on est étonné de trouver celui de Ni Seng- 
houn-i qui, lors de l'entrée du prêtre en Corée, ne pratiquait 
plus depuis longtemps, et celui de Ni Ka-hoan-i, qui n'a jamais 
eu de rapports avec les chrétiens. Nous inclinons à croire que 
Koang-kem-i, pour épargner les chrétiens vivants, a voulu rejeter 
sur ces hommes déjà exécutés tout l'odieux des faits qu'il racon- 
tait ou qu'il inventait, ou, ce qui est plus probable encore, qu'on 
lui a extorqué à plaisir des accusations sans fondement, comme 
Cela a souvent lieu dans les procès de ce pays. 
Plusieurs des principaux chrétiens exécutés le 26 de la deu- 
xième lune se trouvaient aussi compris dans cette dénonciation. 
L'affaire prenant ainsi une tournure de plus en plus sérieuse, on 
se hâta de relâcher ou d'exiler les apostats, tandis qu'un certain 
nombre des accusés les plus influents ou les plus compromis 
furent envoyés à la capitale, pour y être jugés par le tribunal 
suprême. De ce nombre, nous ne connaissons que Augustin 
Niou, son frère Koang-kem-i, loun Tsi-hen-i, Kim lou-san-i, Ou 
Tsip-i, Stanislas Han, Mathias T'soi et André T'sien-ai. Ces trois 
derniers toutefois n'étaient point accusés d'avoir pris part au 
complot pour faire venir les étrangers, mais uniquement de pra- 
tiquer la religion chrétienne ; aussi leur procès fut-il terminé 
beaucoup plus rapidement. Nous avons, plus haut, raconté leur 
martyre. 
12 
— 178 — 
Les cinq autres prisonniers étaient accusés en outre de com- 
plot contre la sûreté de l'État. L'instruction de leur procès traîna 
en longueur, et les débats et interrogatoires furent multipliés en 
conséquence. Tout le peuple en était dans l'agitation, attendant 
le dénouement de cette importante affaire. Ennemis de la religion 
et ennemis des Nam-in, tous se remuaient à l'envi pour faire un 
grand éclat. Enfin, on décida de traiter les accusés en rebelles, et 
le 11 ou 12 de la neuvième lune, leur sentence fut définitivement 
portée. Ils furent condamnés comme coupables d'avoir suivi 
une mauvaise religion, d'avoir communiqué avec les étrangers, 
et d'avoir formé le complot d'appeler les navires européens pour 
forcer la volonté du gouvernement. Ordre était donné de les 
conduire tous les cinq à la ville de Tsien-tsiou, capitale de leur 
province, pour y être exécutés devant le peuple. Augustin Niou 
Hang-kem-i, son frère Niou Koang-kem-i et François loun Tsi- 
lien-i, devaient être décapités et coupés en six. Ce supplice con- 
siste, après avoir tranché la tète, à couper les quatre membres, 
ce qui, avec le tronc, forme six morceaux. Kim lou-san-i et Ou 
Tsip-i devaient seulement avoir la tête tranchée. 

on les expédia donc de suite à la ville de Tsien-tsiou, et le 
17 de la neuvième lune (24 octobre), le gouverneur fit exécuter 
de point en point la sentence. De plus, la famille de chacun 
d'eux fut mise au ban de la loi, et, selon l'usage en pareil cas, 
leurs maisons et tous leurs biens furent confisqués. Niou Koang- 
kem-i avait alors trente-quatre ans. Eut-il, avant de mourir, le 
bonheur de rétracter son apostasie, et d'implorer le pardon de 
Dieu pour tous les maux qu'il venait de causer? on l'ignore. Nous 
avons dit que, d'après l'opinion commune, Augustin Niou Hang- 
kem-i, son frère aîné et le chef de la famille, jadis si zélé à pra- 
tiquer la religion et à la répandre dans toute la province, avait 
eu tout d'abord, ainsi que les trois autres, la faiblesse de donner 
un signe d'apostasie. Toutefois, nous aimons à espérer que leurs 
souffrances n'auront pas été inutiles, et que Dieu leur aura fait, 
à la dernière heure, la grâce de laver leur péché dans leur sang. 
Augustin mourut à l'âge de quarante-six ans. 
François loun Tsi-hen-i était le frère cadet d'un de nos pre- 
miers martyrs, Paul loun Tsi-t'siong-i. Après la mort de son 
frère, il avait quitté son pays natal pour se retirer à Tsie-kou-ri, 
district de Ko-san, où il continua de pratiquer sincèrement la 
religion. Pendant le procès, il déclara le lieu où étaient cachés ses 
livres, et c'est celte circonstance surtout qui a fait douter de sa 
persévérance dans la foi. La violence des tourments lui fit aussi 
— 179 — 
avouer que les chrétiens voulaient faire venir les navires euro- 
péens, ainsi que Koani^-kem-i l'avait déclaré. Lors de son sup- 
plice, François avait trente-huit ans. Sa femme fut exilée à l'île 
Ket-siei, où elle mourut vers 1828. Ses trois fils furent exilés 
aussi dans diverses îles, et l'on prétend que l'un d'eux vit encore 
aujourd'hui. Ou-tsip-i, dont le nom de famille et de baptême ne 
nous sont pas connus, était allié à la famille d'Augustin Niou. 
Nous ne savons rien sur sa vie. Enfin, Kim lou-san-i était un 
homme de la classe du peuple, qui allait de côté et d'autre pour 
le service de la famille Niou et d'autres familles chrétiennes. Il 
fit aussi, à ce qu'il semble, plusieurs fois le voyage de Péking, 
pour y porter ou en rapporter des lettres. C'est pour cela qu'il fut 
impliqué dans le prétendu complot. Il est probable qu'il s'appe- 
lait Thomas. Il était âgé de quarante ans quand il fut décapité. 
S'il nous faut maintenant dire notre opinion sur toute cette 
affaire, nous pensons que sur un fond vrai, on a bâti un échafau- 
dage de calomnies. Ce qui est vrai, c'est que les chrétiens désiraient 
et sollicitaient l'intervention pacifique, par le moyen d'ambassa- 
deurs, des puissances chrétiennes de l'Occident, pour faire cesser 
la persécution. Nous avons vu le P. Tsiou lui-même développer 
ce plan à l'évêque de Péking. Ce qui est faux, c'est qu'Augustin 
Niou et ceux qui furent condamnés comme ses complices eussent 
jamais comploté la ruine du gouvernement coréen, par une inva- 
sion étrangère. Il n'y a absolument aucune preuve contre eux, et 
les nombreux détails qui ont été recueillis de la bouche de témoins 
oculaires ne peuvent pas laisser le moindre doute à ce sujet. 
L'argent en question était destiné aux dépenses personnelles des 
missionnaires et aux frais des chrétiens que, de temps à autre, 
on envoyait à Péking. Quant aux diverses confessions et dénon- 
ciations arrachées par la bastonnade ou d'autres tortures, il serait 
puéril d'y attacher aucune valeur. 
Avant de passer au récit d'autres faits, c'est-à-dire d'autres 
procès et d'au très supplices, il sera mieux de compléter ici l'his- 
toire de la famille Niou, bien qu'une partie des événements que 
nous allons raconter n'aient eu lieu que quelques mois plus tard. 
Augustin Niou, en mourant, laissait sa mère très-avancée en 
âge, sa femme et six enfants. L'aîné, Jean Niou Tsiong-sien-i, 
marié à Luthgarde Ni; la seconde, une fille mariée récemment, 
mais non encore envoyée à la maison de son mari ; le troisième, 
Jean Niou Moun-tsiel-i, non marié; les trois derniers avaient l'un 
neuf, l'autre six et l'autre trois ans. De plusMathieu, fils d'un frère 
d'Augustin, qui était mort avant que la religion se répandit en 
— 180 — 
Corée; ce jeune homme, âgé de quinze à dix-huit ans, portait 
alors le nom de Kang-tsiou-lo-rieng. (C'est celui que les Lettres 
édifiantes appellent Ouen-tsiou.) Enfin, la mère de Mathieu et la 
veuve de Koang-kem-i. Cette nombreuse famille était distinguée 
entre toutes par sa ferveur et son attachement à la religion ; mais 
nous devons signaler tout particulièrement l'épouse de Jean, Luth- 
garde Ni. Voici quelques détails sur cette jeune femme, l'une 
de nos plus chères martyres et l'une des plus touchantes figures 
de cette histoire. 
Luthgarde Ni naquit à la capitale, d'une des plus illustres famil- 
les du pays. Son père se nommait Ni loun et sa mère Kouen ; 
elle-même reçut le nom de Niou-hei. Elle était sœur cadette de 
Charles Ni, martyrisé cette même année sin-iou, à la douzième 
lune, et sœur aînée de Paul Ni, que nous verrons, dans la persé- 
cution de 1827, suivre les glorieuses traces de son frère et de sa 
sœur. 
Luthgarde avait reçu du ciel en partage un caractère résolu, 
un cœur aimant et enthousiaste, une intelligence supérieure; en 
un mot, elle était douée de toutes les qualités du corps et de l'es- 
prit, qualités qu'une éducation convenable à son rang put facile- 
mentdévelopper. Son père mourut pendant qu'elle était encore en 
bas âge, et probablement sans avoir entendu jamais parler de la 
religion. Sa mère, plus heureuse, s'instruisit de la foi chrétienne, 
et consacra sa vie à élever ses enfants dans la piété. Luthgarde 
répondit fidèlement aux soins de sa vertueuse mère; toutes ses 
pensées étaient pour le salut de son âme, tout l'amour de son 
cœur pour Jésus-Christ, et elle ne sentait aucun désir des gran- 
deurs et des plaisirs que sa haute naissance lui eût facilement 
procurés. Elle avait environ quatorze ans, quand elle eut occa- 
sion de rencontrer le P. Tsiou, qui venait d'entrer en Corée. Les 
chrétiens d'alors étaient généralement si peu instruits des dogmes 
de la foi, que Luthgarde sembla d'abord trop jeune pour être 
admise aux sacrements, mais déjà elle comprenait le prix de ces 
dons célestes. Elle s'enferma seule dans une chambre pendant 
quatre jours, uniquement occupée à s'y disposer, et le prêtre 
l'ayant jugée capable de les recevoir, elle fut au comble de ses 
vœux. Son unique soin fut dès lors de bien conserver le fruit de 
la sainte Eucharistie, son unique désir d'orner son âme de toutes 
les vertus, et bientôt après, jalouse d'attirer sans partage les bon- 
nes grâces de son divin Epoux, elle fit résolution de lui consa- 
crer sa virginité. Mais de grandes difficultés s'y opposaient. 
En Corée, comme nous l'avons déjà remarqué, c'est, dans lou- 
— 181 — 
tes les classes de la société, une chose inouïe de ne pas marier 
une jeune fille; mais dans les familles d'un rang distingué, c'est 
presque un attentat, et il serait dangereux de braver, sur ce point, 
l'opinion publique. Le Sauveur lui-même vint au secours de sa 
servante bien-aimée, et lui prépara un époux selon son cœur. Le 
P. Tsiou qui avait, après mûr examen, approuvé le projet de 
Luthgarde, connaissait un jeune homme désireux, lui aussi, de 
garder le célibat pour se donnera Dieu tout entier. C'était Jean 
Niou, fils aîné d'Augustin. La famille de Jean, quoique noble et 
très-riche, était cependant d'une condition bien inférieure à celle 
de Luthgarde, et de plus, Jean habitait à T'son-am-i, près de 
Tsien-tsiou, province de Tsien-la, c'est-à-dire à une distance 
considérable delà capitale, dans une région où les grandes famil- 
les ne s'établissent guère. Toutefois le P. Tsiou vint à bout d'ar- 
ranger les choses pour unir ces deux cœurs sous le voile du 
mariage, et leur permettre de vivre en frère et sœur, selon leurs 
mutuels désirs. La veuve, mère de Luthgarde, donna volontiers 
son consentement, et le mariage fut conclu. 
Grande fut la colère des membres païens de la famille, quand 
ils apprirent ce qui s'était passé. Ils éclatèrent en murmures, en 
récriminations, et réunirent leurs efforts pour faire casser un 
contrat si inconvenant à leurs yeux. La mère de Luthgarde tint 
bon contre leurs clameurs. Elle donna pour prétextes les difficul- 
tés de sa position de veuve, l'avantage pour elle d'obtenir un 
gendre d'une grande fortune, etc. Peu à peu l'orage se calma, le 
mariage eut lieu en 1797, et l'année suivante, à la neuvième 
lune, la jeune personne se rendit dans la famille de son mari, où 
ils firent tous deux le vœu de virginité. Nous entendrons tout à 
l'heure Luthgarde nous donner elle-même de touchants détails 
sur ce point et sur quelques autres, dans les lettres écrites de sa 
prison. Après comme avant son mariage, Luthgarde, constam- 
ment appliquée à la pratique des vertus chrétiennes, se montra 
respectueuse et soumise envers ses nouveaux parents, modeste, 
charitable et exacte à tous ses devoirs. D'une douceur et d'une 
complaisance admirables, ellen'eut jamais la moindre mésintelli- 
gence avec aucun des membres de cette nombreuse famille, et, 
selon l'expression coréenne, elle parfumait de sa présence et de 
son bon exemple non-seulement sa maison, mais tout le voisinage. 
Son mari Jean avait, lui aussi, une piété franche et ouverte, une 
foi solide, une charité fervente. Assidu à ses devoirs, régulier 
dans sa vie, méprisant toutes les vanités du siècle, il était con- 
sidéré, malgré sa jeunesse, comme un homme grave et mûr. Quelle 
— 182 — 
était heureuse, cette union de deuxnobles cœurs dansles liens d'un 
chaste amour! quelle était belle aux yeux des anges! Mais, parce 
que Jean et Lulhgarde étaient agréables à Dieu, il était néces- 
saire que la souffrance vînt les éprouver et les perfectionner. 
Dès le printemps de 1801, Jean fut saisi avec son père Augus- 
tin et quelques autres personnes delà famille. on peut imaginer 
quel terrible coup ce fut pour le cœur de Luthgarde. Elle apprit 
bientôt que son mari était resté prisonnier à la ville de Tsien- 
tsiou, quoique les autres eussent été transférés à la capitale. Pen- 
dant tout l'été, le frère cadet de Jean, nommé aussi Jean, allait 
continuellement à la ville porter des vivres à son aîné, mais il ne 
put réussir à lui faire passer des habits. Le confesseur dut donc, 
au milieu des grandes chaleurs, garder les lourds vêtements d'hi- 
ver qu'il portait lors de son arrestation, et bientôt leur saleté, 
l'odeur qui s'en e.xhalait et la vermine qui s'y engendra, devin- 
rent un véritable supplice pour un homme élevé dans le luxe et la 
délicatesse. Nous ignorons quelles tortures il eut à supporter. on 
sait seulement que pendant tout le temps de son séjour en prison, 
il fut jour et nuit chargé de la cangue, et qu'elle ne lui fut enlevée 
qu'au moment du supplice. Du reste, Jean ne se laissa pas ébran- 
ler et sut conserver sa foi intacte jusqu'à la fin. 
Vers le 15 de la neuvième lune, probablement un jour ou deux 
avant l'exécution d'Augustin Niou et de ses compagnons. Luth- 
garde fut arrêtée h son tour, avec tout le reste de la famille. Peu 
de temps après, on relâcha trois des femmes, savoir : la mère 
d'Augustin, que son grand âge sans doute fit épargner; sa fille, 
nouvellement mariée, qui n'était plus censée faire partie de la 
famille, et une de ses deux belles-sœurs, peut-être la veuve mère 
de Mathieu Niou. Mais la maison d'Augustin étant confisquée, 
elles durent la quitter et furent déposées toutes les trois, sans 
aucune ressource, dans une misérable cabane, près delà. 
A peine arrivée dans la prison, Luthgarde songea à consoler sa 
mère, que la nouvelle de son arrestation venait de plonger dans 
la douleur. Elle lui écrivit, et parvint à lui faire remettre une 
lettre dont voici la traduction aussi littérale que possible. 
« A ma mère. 
« Au milieu des émotions causées par les événements qui me 
sont survenus, je pense à vous, ma mère, et je désire vous faire 
connaître mes sentiments depuis notre séparation, il y a quatre 
ans. Il m'est impossible de tout rapporter, je vous adresse seule- 
— 483 — 
menl quelques lignes. Quoique je me trouve sur le point de 
mourir, ne vous en affligez pas trop, et, sans résister à Tordre 
miséricordieux de Dieu, veuillez vous soumettre en paix et avec 
calme à ses desseins. Si j'obtiens la faveur de ne pas être rejetée 
de lui, remerciez-le de ce bienfait. En restant dans ce monde, je 
n'y serais jamais qu'une fille inconstante, une enfant inutile; 
mais si, par une grcâce signalée, le jour de porter des fruits pa- 
raissait, d'une part ma mère pourrait se dire avoir vraiment 
porté une fille dans son sein, et de l'autre, tout regret serait par 
le fait superflu. 
« A la veille de vous quitter à jamais, et ne devant plus avoir 
l'occasion de remplir vis-a-vis de vous les devoirs de la piété 
filiale, comment pourrais-je bien comprimer tout sentiment natu- 
rel? Mais je me dis que le temps, qui passe comme l'étincelle 
jaillie du caillou , n'est pas de longue durée ; je me dis que moi votre 
enfant, je vais de ce pas ouvrir à ma mère la porte du ciel et du 
bonheur éternel, et donner à l'avance pour elle le prix des éter- 
nelles joies ; et cette pensée de la mort prochaine, quoique natu- 
rellement amère et difficile à supporter, se convertit de suite en 
douceur et devient un plaisir tout suave. Vous n'ignorez pas tout 
cela, il est vrai, mais en vous rappelant les paroles de votre fille 
aux portes de la mort, vous vous aimerez pour vous conserver 
vous-même, et vous pratiquerez tout de bon la vertu. En dehors 
de ce souhait ardent de voir l'âme de tous mes parents jouir éter- 
nellement delà vue de notre Père commun, quel autre désir pour- 
rais-je éprouver maintenant?... Vous, mes sœurs, comment vous 
trouvez-vous? Beaucoup de paroles d'affection ne serviraient de 
rien ; je ne vous adresse que deux mots : Ayez un amour fervent, 
rien ne touche autant le cœur de Dieu; la réalisation de tous les 
désirs est du reste une chose qui ne dépend pas de nous, mais de 
lui. — Que les esclaves soient bien à leur devoir, et par là ils 
deviendront membres de la famille; de petits et inutiles enfants 
qu'ils étaient, ils se rendront de vrais et précieux enfants, j'ose 
mille fois l'espérer. 
« Ne vous affligez pas trop, ma mère, et comprimez toutes vos 
inquiétudes. Regardez ce monde comme un songe, et, reconnais- 
sant l'éternité pour votre patrie, soyez toujours sur vos gardes. 
Puis quand, après avoir en tout suivi l'ordre de Dieu, vous sorti- 
rez de ce monde, moi, vile et faible enfant, la tête ceinte de la 
couronne du bonheur sans fin, le cœur inondé de toutes les joies 
célestes, je vous prendrai par la main et vous introduirai dans 
réternelle patrie. — J'entends dire que mon frère Charles, détenu 
— 184 - 
à la capitale, a courageusement confessé sa foi. Vraiment quelle 
grâce! quelle protection ! comment assez en remercier Dieu? Ma 
mère, je loue votre bonheur. Séparée de vous depuis quatre ans, 
j'ai bien souffert de ne plus pouvoir vous communiquer tous les 
sentiments de mon cœur ; mais cela même est un ordre de Dieu. 
Il nous a donnés à vous, il nous retire, tout cela est réglé par sa 
Providence, et s'en émouvoir trop serait pour des chrétiens une 
faiblesse digne de risée. Dans l'éternité, nous relierons les rap- 
ports de mère à fille et les rendrons entièrement parfaits ; j'ose dix 
mille fois l'espérer. 
« Ma belle-sœur, ne vous attristez pas trop. Mon frère vien- 
drait-il à mourir, on peut dire que vous avez vraiment rencontré 
un époux. Je vous félicite par avance d'être la femme d'un mar- 
tyr. Dans ce monde unis par les liens du sang ou du mariage, 
dans l'éternité placés sur un même rang, mère, fils, frère, sœurs, 
époux, si nous parvenons à jouir de la joie éternelle, ne sera-ce 
pas bien beau? Après ma mort, veuillez ne pas rompre les rela- 
tions avec la famille de mon mari, mais faire comme quand j'y 
étais. 
A mon arrivée chez mon mari, j'obtins facilement ce qui 
était l'objet de toutes mes inquiétudes, et le souci de toutes mes 
journées. Je me trouvai avec lui à la neuvième heure ; à la 
dixième, tous deux nous finies serment de garder la virginité, et, 
pendant quatre ans, nous avons vécu comme frère et sœur. Dans 
cet intervalle, ayant eu quelques tentations, une dizaine de fois, 
peu s'en fallut que tout ne fût perdu ; mais, par les mérites du 
Précieux Sang, que nous invoquions ensemble, nous avons évité 
les embûches du démon. Je vous dis ceci dans la crainte que vous 
ne vous tracassiez à mon sujet. 
« Veuillez recevoir ce chiffon de papier avec joie, comme si 
vous receviez ma personne. — Avant d'avoir encore rien fait, 
vous envoyer ainsi mes pensées et mon écriture, c'est bien léger 
de ma part, mais je désire parla dissiper les inquiétudes de ma 
mère, veuillez y trouver quelque consolation. — Pendant que le 
P. Jacques Tsiou existait, il me recommanda de noter en détail 
les persécutions subies par toute la famille; c'est pour cela qu'ar- 
rivée ici, j'ai envoyé quelques papiers par l'occasion de Jean ; 
que sont-ils devenus (i;? Je vous le répète, réprimez toute 
espèce de chagrin et de trouble, pensez que ce monde est vain et 
trompeur. J'aurais mille choses à ajouter, mais je ne puis tout 
(1) on n'a pu retrouver aucune trace de ces documents. 
— 185 — 
écrire, je m'arrête ici. Année sin-iou, le 27 de la neuvième lune 
(3 novembre 1801). 
« Votre fille, Niou-hei. » 
Augustin Niou ayant été condamné et exécuté comme rebelle, 
legouvernement, ainsi qu'il estd'usageenpareilcas, donna presque 
immédiatement des ordres pour qu'on mît à mort ses deux fils 
aines par la strangulation. Le 6 de la dixième lune, un manda- 
rin, attacbé au tribunal du Keum-pou, était député de la capitale 
pour exécuter cette sentence, et le 9 de cette même lune (14 no- 
vembre), Jean Niou Tsiong-sien-i et son frère Jean Niou Moun- 
Isiel-i furent étranglés dans la prison de Tsien-tsiou. 
En même temps, et probablement par la même sentence, les 
membres survivants de sa famille étaient condamnés à l'exil. 
Matbieu et Luthgarde réclamèrent : « Suivant les lois, dirent-ils, 
les chrétiens doivent être mis à mort ; nous demandons à être 
exécutés promptement. » Ce zèle fut-il indiscret? Nous n'osons 
le penser. Sans doute les lois de l'Eglise ne permettent pas aux- 
confesseurs de provoquer les juges; elles portaient même autre- 
fois des peines sévères contre ceux qui agissaient ainsi. Mais nos 
néophytes prisonniers ignoraient ces sages règlements, et, dans la 
simplicité de leur foi, ils ne suivirent que l'élan de leur cœur. 
L'histoire des martyrs de la primitive Eglise offre plusieurs 
exemples d'un zèle semblable, inspiré ou du moins approuvé par 
Dieu lui-même, et que l'Eglise, toujours éclairée par l'Esprit- 
Saint, a su discerner des écarts de l'orgueil et de la passion. 
Les juges n'eurent d'abord aucun égard à ces réclamations, et 
nos quatre confesseurs, frustrés dans leurs espérances du martyre, 
prirent à regret le chemin de l'exil. Mais h peine avaient-ils fait 
quelques lieues que l'ordre vint de les ramener à la prison, pour 
être jugés de nouveau. Nous ignorons ce qui motiva ce nouvel 
ordre; un point cependant semble hors de doute. Si la première 
sentence avait été rendue en vertu des dispositions légales contre 
les enfants des rebelles, il est évident que ce nouveau jugement 
ne peut avoir eu d'autre cause que leur persistance, comme chré- 
tiens, dans la profession de la religion de Jésus-Christ, et la 
gloire de leur martyre reste parfaitement intacte. 
Laissons Luthgarde nous raconter elle-même ces divers événe- 
ments, dans une longue lettre, écrite de sa prison à ses deux 
sœurs, c'est-à-dire à sa propre sœur et à sa belle-sœur, femme de 
Charles Ni, lequel était alors en prison, à la capitale. Cette lettre 
— 186 — 
est plutôt, à proprement parler, un journal de ses émotions, de 
ses pensées, de ses craintes, de ses souvenirs, de ses espérances; 
c'est une série de fragments écrits? la dérobée, malgré la surveil- 
lancejalouse desgeôliers. La voici tout entière, d'après les copies 
précieusement conservées dans diverses familles chrétiennes. 
Jamais la foi, la chasteté, la simplicité, l'amour de Jésus-Christ, 
n'ont parlé un plus beau langage ; et quand on se souvient que la 
jeune fille qui écrit ainsi n'avait pu recevoir qu'une instruction 
religieuse très-limitée, qu'elle n'avait pu participer que deux ou 
trois fois aux sacrements, on admire d'autant plus l'action directe 
de l'Esprit-Saint sur cette-belle âme. on sent avec bonheur que 
lui seul a pu créer dans ce cœur virginal des sentiments d'une 
aussi exquise délicatesse, et mettre sous la plume de cette jeune 
néophyte des paroles qui rappellent les plus touchants récits de 
la primitive Église. 
« A mes deux sœurs. 
« Je prends la plume et ne vois rien à dire. Mon pauvre frère 
est-il mort ou en vie? J'avais eu indirectement de ses nouvelles, 
dans les premiers jours de la neuvième lune, mais depuis, ayant 
été prise moi-même, je suis assise enfermée sans qu'aucune nou- 
velle puisse me parvenir. La pensée de mon frère m'oppresse et 
me serre le cœur. S'il a signé sa sentence, tout doit être fini main- 
tenant, mais avant sa mort il ne peut entrer en possession du 
bonheur. Et cependant, quelle position pour toute la famille! 
Comment ma mère et ma belle-sœur pourront-elles y résister? Il 
me semble qu'il ne doit plus leur rester un seul battement de 
pouls. Quand je songe à cela, ce n'est qu'inquiétudes et anxiétés, 
et quelles paroles pourraient rendre ce que je ressens ! Comment 
aurez-vous supporté tous les embarras du décès? et puis, si le 
dénouement n'a pas encore eu lieu, comment Charles pourra-t-il 
tenir dans cette prison si froide? Qu'il soit mort ou en vie, les en- 
trailles de ma mère ne peuvent qu'en être également desséchées! 
« Pour moi, mes péchés sont si lourds, l'horizon qui m'entoure 
est si sombre que je ne sais comment tout rendre par écrit, et ne 
trouve rien à dire. Me voilà parvenue sur le terrain de la mort, et 
je ne sais quels termes employer, et toutefois je veux vous dire 
quelques mots de ce qui s'est passé, et vous faire mes adieux de 
ce monde pour l'éternité. Cette année, quand déjà j'avais les 
entrailles déchirées par suite de tant de calamités sans remède, 
je dus encore me voir séparée de ce qui restait de ma famille. Dès 
— 187 — 
lors aucun désir de vivre ne resta dans mon cœur, et je ne pensai 
plus qu'à donner ma vie pour Dieu pendant que Toccasion était 
belle. Je pris en moi-même cette résolution, et, méditant celte 
grande affaire, je m'efforçais de m'y bien préparer. 
« Tout à coup, au moment où on y pensait le moins, de nom- 
breux satellites entrent et je suis prise ; c'est pendant que je m'in- 
quiétais sur le manque d'occasion, que tout arrive au gré de mes 
désirs ; grâces à Dieu pour ce bienfait ! J'étais contente et joyeuse, 
mais en même temps préoccupée et troublée. Les satellites me 
pressent, des cris de douleur à faire trembler ciel et terre se font 
entendre autour de moi ; il faut quitter pour toujours ma mère, 
ma belle-mère, mes frères et sœurs, mes amis, mes voisins, ma 
patrie ; et la nature n'étant pas entièrement éteinte en moi, je 
fais ces adieux au milieu du trouble, et les yeux baignés de lar- 
mes; puis, me retournant, un seul désir me reste, celui d'une 
bonne mort. 
« Je fus d'abord enfermée au lieu nommé Siou-kap-t'ieng ; puis, 
moins d'une heure après, transférée dans une autre prison, où je 
rencontrai ma belle-mère, ma tante et deux de mes beaux-frères. 
De part et d'autre on se regarde, c'étaient des larmes et pas 
une parole, peu à peu la nuit se fait. C'était le 15 de la neuvième 
lune, sous un ciel d'automne clair et serein. La lune était dans 
son plein et toute brillante, et sa clarté se réfléchissait contre la 
fenêtre ; on pouvait voir ce que chacun de nous pensait et sen- 
tait. Tantôt couchés, tantôt assis, ce que nous demandons en 
silence, ce que nous désirons, c'est la grâce du martyre. Bientôt 
nos cœurs débordent, chacun prend la parole, et tous les cinq, 
comme d'une seule voix, nous nous promettons d'être martyrs 
pour Dieu, nous formons une résolution solide comme le fer et la 
pierre. Cette confidence mutuelle ayant montré que nos désirs 
étaient les mêmes, notre affection devient plus entière, notre inti- 
mité plus complète, et naturellement tout regret et toute idée 
d'affliction s'oublient. Plus on avance, plus les bienfaits et les 
grâces de Dieu s'accumulent; la joie spirituelle augmente dans 
nos âmes, nous devenons insouciants à toutes les affaires, aucune 
préoccupation ne semble rester. 
« Et toutefois, mes pensées et affections se reportaient sans 
cesse sur Jean, mon mari, enfermé dans une autre prison de la 
même ville. Comment aurais-je pu l'oublier un instant? Quand 
j'étais encore à la maison, je lui avais écrit : « Quel bonheur si 
« nous pouvions mourir ensemble et le même jour! » mais l'occa- 
sion n'étant pas sûre, je tardai quelque peu h lui envoyer ce 
- i88 — 
papier, et je n'avais pu encore le lui faire parvenir, quand les 
relations furent sévèrement interdites, et toute voie de commu- 
nication coupée. Néanmoins l'objet de mes prières secrètes, mon 
désir, mon espérance étaient toujours que nous pussions mourir 
ensemble, le même jour, martyrs pour Dieu. Qui aurait pu devi- 
ner les desseins adorables du souverain Maître? Le 9 delà dixième 
lune, on nous enleva mon beau-frère, appelé Jean, je ne savais 
dans quelle intention. « Où va-t-il donc? demandais-je. — 
C'est Tordre du mandarin, répondit le geôlier; on va le conduire 
à la grande prison, et l'enfermer avec son frère. » J'étais comme 
coupée en deux, comme percée de mille glaives. on l'emmena. 
«Que la volonté de Dieu soit faite, lui dis-je, allez et soyez avec lui; 
ne nous oublions pas. » Puis je lui recommandai instamment: 
« Dites à Jean que mon désir est de mourir avec lui, le même 
jour. » Par deux et trois fois je répétai cette recommandation ; 
puis, nous lâchant la main, je me retournai. 
« Nous restions quatre, tout déconcertés, et n'ayant d'appui 
qu'en la protection du Seigneur. Un quart d'heure ne s'était pas 
écoulé que la nouvelle de leur mort nous arriva. Le coup porté 
aux sentiments de la nature n'eut chez moi que le second rang ; 
le bonheur de Jean me remplissait de joie. Je sentis toutefois 
quelque anxiété dans le fond de monâme. — mon Dieu, qu'est-il 
devenu ? me disais-je ; était-il bien préparé à une mort aussi sou- 
daine? Dix mille glaives .semblaient me déchirer le cœur, et je ne 
savais où tourner mes pensées. Une heure environ se passa ainsi, 
et je sentis le calme renaître un peu. « Ce genre de mort même 
ne serait-il pas une faveur de Dieu? Après tout, il avait bien 
quelques mérites ; se pourrait-il que Dieu si bon, si miséricor- 
dieux, l'eût rejeté?» Mon cœur était moinsagité, mais mes pensées 
se reportaient sanscessesur lui. J'interrogeai un de nos parents 
qui me dit : « Soyez tranquille, à l'avance il avait bien pris sa 
« détermination. » Enfin, une lettre arriva de la maison; elle 
«portait : « on a trouvé dans les habits de Jean, un billet 
« adressé à sa sœur (c'est ainsi qu'il m'appelait toujours); ce billet 
(( était ainsi conçu : Je vous encourage, vous exhorte et vous 
« console; revoyons-nous au royaume des cieux. » Alors seule- 
ment toutes mes inquiétudes furent dissipées. Au fait, quand je 
pense à toute sa conduite, il n'y a rien à regretter ; il avait dépouillé 
l'esprit du siècle, et on pouvait le dire un véritable chrétien. Son 
assiduité, sa ferveur, sa droiture, lui avaient acquis l'estime 
générale. 
« Quand nous avons réalisé ensemble ce que je désirais depuis 
— 189 — 
nombre d'années, il m'a découvert le fond de son cœur, et m'a 
dit avoir eu, lui aussi, ce même désir dès avant notre mariage. 
Notre union a donc été une grâce spéciale de Dieu qui approuvait 
la réalisation de nos projets, et c'est pourquoi tous les deux nous 
désirions reconnaître ce bienfait si grand, en donnant notre vie 
pour la foi de Jésus-Christ. Nous nous étions mutuellement pro- 
mis que quand serait venu le jour où on nous remettrait en main 
l'administration de la maison et des biens, nous en ferions trois 
ou quatre parts, l'une pour les pauvres, une autre très-large pour 
les frères cadets, afin qu'ils pussent bien soigner nos parents, et 
si les jours devenaient plus heureux, nous devions nous séparer 
et, avec le reste, vivre chacun en particulier. Enfin nous nous 
étions engagés à ne jamais violer cet accord. 
« L'an passé, c'était à la douzième lune, une tentation des plus 
violentes se fit sentir; mon cœur tremblait, semblable à quelqu'un 
qui marcherait sur la glace prête à se rompre, ou sur le bord d'un 
abîme. Je demandai instamment, les yeux levés au ciel, la grâce 
de la victoire, et, par le secours de Dieu, à grand'peine , à 
grand'peine nous avons triomphé, et nous nous sommes conservés 
enfants. Notre confiance mutuelle en est devenue solide comme 
le fer et la pierre, notre amour et noire fidélité inébranlables 
comme une montagne. 
« Depuis cette promesse de vivre en frère et sœur, quatre ans 
s'étaient écoulés, quand, cette année, il fut pris au printemps. 
Pendant les quatre saisons, il ne put pas une seule fois changei* 
d'habits. Emprisonné pendant huit mois, il ne fut déchargé de sa 
cangue qu'au moment de mourir. — Ne viendra-t-il pas à renon- 
cer à Dieu? pensais-je jour et nuit avec inquiétude; et j'espérais 
pour l'encourager aller le rejoindre et mourir avec lui. Qui l'aurait 
pu penser? qui aurait pu savoir qu'il prendrait le devant? C'est 
encore un plus grand bienfait de Dieu. Ici-bas, de quelque côté 
que je me tourne, je ne vois rien qui puisse désormais captiver 
mes affections et me préoccuper. Qu'une pensée s'élève dans 
mon esprit, c'est vers Dieu ; qu'un soupir s'élève dans mon cœur, 
c'est vers le ciel. 
« Le 13 de la dixième lune, je fus par sentence du tribunal mise 
au rang des esclaves de préfecture, et condamnée à un exil loin- 
tain à la ville de Piek-tong. Je me présentai devant le mandarin et 
lui fis mille réclamations : « Nous tous qui honorons le Dieu du 
« ciel, d'après la loi du royaume, nous devons mourir ; je veux, 
« moi aussi, mourir pour Dieu, comme les autres personnes de ma 
« maison. » Il me chasse aussitôt et m'ordonne de sortir. Je 
— 190 — 
m'approche davantage, je m'assieds devant lui et lui dis : « Vous qui 
recevez un payement du gouverneur, comment ne suivez-vous pas 
les ordres du roi?» et mille autres choses, mais il ne fait pas même 
semblant de m'entendre et me fait jeter dehors par ses satellites. 
N'ayantplus aucune ressource, jememetsep route; le longdu che- 
min je redoublais mes instantes prières à Dieu, et nous avions fait à 
peine cent lys, que j'étais rappelée et arrêtée de nouveau. C'est là 
une faveur insigne, une grâce au-dessus de toutes les grâces. Com- 
ment pourrais-je jamais en avoir assez de reconnaissance? Même 
après ma mort, veuillez encore remercier Dieu de ce bienfait (1). 
« Nous avions passé par quatre villages, je pensais aux quatre 
quartiers que Jésus traversa pour aller au Calvaire, et je me 
disais : « Serait-ce une petite ressemblance que Dieu veut me 
donner avec ce divin Sauveur? » Je revis les satellites avec une 
joie indicible, et comme si j'eusse rencontré mes propres parents. 
a Au premier interrogatoire qui suivit, je déclarai vouloir 
mourir en honorant Dieu ; de suite on dépêcha vers le roi, et, la 
réponse arrivant, on me fit comparaître de nouveau devant le juge 
criminel; ma sentence fut portée, je la signai. Le juge me fit don- 
ner la bastonnade sur les jambes, on me passa la cangue, et on 
me remit en prison. Mes chairs étaient tout écorchées, le sang en 
coulait ; à peine le temps d'un repas se fut-il écoulé, que je ne 
souffrais plus; ce sont grâces sur grâces, toutes inespérées; qua- 
tre ou cinq jours après, tout était guéri : qui l'eût pu penser? 
« Depuis ce supplice, une vingtaine de jours se sont écoulés, et 
je n'ai plus senti la moindre douleur. Les autres disent que je suis 
dans les souffrances ; l'expression est non-seulement inexacte, 
mais directement contraire à la vérité; moi je dis que je suis 
dans la paix et le bien-être. Quel homme pourrait être, dans sa 
propre maison, aussi tranquille et aussi heureux que je suis ici! 
Quand j'y réfléchis, j'en suis même troublée et dans la crainte; 
serait-ce que Dieu ne veut pas de moi? serait-ce que je ne pour- 
rais supporter des tortures violentes? J'en tremble et suis remplie 
de confusion. Depuis qu'on a dépêché au roi, plus de vingt jours 
se sont passés et pas de nouvelles ; bien plus, certains bruits rap- 
portent qu'il y aurait chance de vie ; je n'ai d'espoir qu'en l'aide 
du Seigneur, qui, j'en suis sûre, ne voudra pas me rejeter entière- 
ment. Que la réponse vienne donc bien vite, bien vite; je n'espère 
que la mort. En attendant, assise et sans occupations pour me 
(1) Les deux phrases suivantes manquent dans quelques exemplaires de 
cette lettre. 
— 191 — 
distraire, c'est à peine si je puis tromper l'œil des gardiens, et sai- 
sir à la dérobée quelques instants pour vous faire mes adieux pour 
l'éternité, sur une feuille, de papier que vous recevrez comme la 
représentation de mon propre visage, et qui, j'espère, vous por- 
tera quelque consolation. Mais il y a tant de choses à dire, et 
devant le taire à la hâte, je parle à tort et à travers, et sans suite. 
Si vous me suivez par la pensée, lisez ces lignes comme si vous 
me voyiez présente et sous vos yeux. 
« En nous quittant, nous nous étions donné rendez-vous à 
l'année suivante, et de cela voilà quatre ans entiers. Qui Teiit 
jamais pensé, môme en songe? Mais peut-on jamais rien dire à 
l'avance des choses de ce monde? Une séparation de quatre ans 
nous a paru difficile, que sera-ce d'une séparation sans retour 
ici -bas? et combien n'aurez-vous pas le cœur affligé, à l'occasion 
d'une petite sœur bonne à rien ? Toutefois, ma sœur aînée ayant 
le cœur grand comme la mer, et étant sage et prudente, ne saura- 
t-elle pas bien tout supporter? Oui, vous saurez le faire avec 
calme, et je dépose toutes mes inquiétudes. Malgré cela, quand je 
songe à vous, chère sœur, je ne puis ne pas me préoccuper d'inu- 
tiles pensées. L'amour des proches est une chose si naturelle 
qu'on ne peut s'en dépouiller qu'avec la vie. « Pourtant, medis-je, 
si j'avais un peu de ferveur, est-ce queje me fatiguerais d'inquié- 
tudes inutiles?» et je me reproche toutes ces pensées. Votre cœur 
souffrira beaucoup à mon sujet, sans doute; mais enfin, si j'ai le 
bonheur d'être martyre, y a-t-il de quoi s'attrister? Ne vous affli- 
gez donc pas, mais félicitez-vous. 
« En pensant à la douleur et à l'affliction qui vont vous acca- 
bler, ma mère et mes sœurs, je vous adresse ces derniers vœux 
comme mon testament. De grâce, ne les rejetez pas. Quand vous 
apprendrez la nouvelle de ma mort, j'ose l'espérer dix mille fois, 
ne vous désolez pas trop. Moi, vile et misérable fille, moi, sœur 
stupide et sans aucuns bons sentiments, si je puis devenir l'en- 
fant du grand Dieu, prendre part au bonheur des justes, devenir 
l'amie de tous les saints du ciel, jouir d'une félicité parfaite et 
participer au sacré banquet, quelle gloire ne sera-ce pas? Vou- 
drait-on l'obtenir de soi-même que ce serait chose impossible. 
Qu'une fille ou une sœur devienne seulement l'objet des bonnes 
grâces du prince, on s'en félicite à bon droit; mais si une enfant 
devient l'objet de l'amour du grand Roi du ciel et de la terre, en 
quels termes ne devra-t-on pas s'en féliciter? on se dispute pour 
obtenir la faveur du roi ; la recevoir sans l'avoir briguée, n'est-ce 
pas un bienfait plus grand encore? 
- 192 — 
« De tout l'univers, je suis la plus grande pécheresse. Vis-à-vis 
du monde, je n'ai plus le moyen d'effacer jamais le titre honteux 
d'esclave de la préfecture de Piek-tong : vis-à-vis de Dieu, j'ai 
cent fois par mes péchés renié ce divin Maître et ses bienfaits ; 
toutefois si, finissant bien, je venais à être martyre, en un instant 
tous mes péchés seront effacés, et j'entrerai dans le sein de dix 
mille bonheurs ; y a-t-il là de quoi s'affliger? Entre le titre de 
sœur d'une esclave de préfecture et celui desœur d'une martyre, 
lequel vous sourit le plus? Et vous, ma mère, si on vous appelle 
mère d'une martyre, que penserez-vous de ce titre? Si moi je 
parviens à être martyre, ne sera-ce pas un incomparable prodige? 
Pour les autres saints, c'est chose convenable et bien méritée ; 
mais qu'un honneur si élevé soit accordé à une misérable créature 
telle que je suis, y a-t-il rien de plus capable de confondre? 
« Regardez ma mort comme une vraie vie, et ma vie comme 
une véritable mort. Ne vous affligez pas de ma perte, mais affli- 
gez-vous de la perte de Dieu dans le passé, et craignez de le perdre 
de nouveau. Gardez toute espèce de regret pour pleurer le passé, 
et efforcez-vous de l'effacer et de le racheter. Appuyées sur la 
sainte Mère et mettant votre cœur en paix, efforcez-vous de deve- 
nir le trône du Seigneur. Si vous vous soumettez paisiblement à 
cet ordre de Dieu , vous suivrez par là son intention qui est de vous 
purifier par la douleur, et lui-même vous chérira et vous conso- 
lera. Vous avez là une belle occasion d'obtenir ses grâces les plus 
précieuses et d'acquérir des mérites. Si, au contraire, vous 
affligeant inutilement, vous en veniez à offenser ce même Dieu, y 
aurait-il rien de plus déplorable? 
« En toutes choses donc, soumettez-vous à sa providence, et 
d'un cœur calme profitez de votre affliction pour satisfaire entiè- 
rement à sa justice. Livrez-vous à la pratique du bien et à l'ac- 
quisition des mérites; quelque léger que soit un défaut, évitez-le 
comme un grand péché, et regrettez-le de même ; pour la pratique 
du bien, au contraire, quelque petit qu'il paraisse, ne négligez 
pas l'occasion de le faire. Appuyez-vous entièrement sur le secours 
de Dieu, demandez souvent la grâce d'une bonne mort; efforcez- 
vous toujours de produire des actes d'amour fervent. N'auriez- 
vous aucun amour, aucune contrition, efforcez-vous de les faire 
naître; quand on les demande instamment, Dieu les donne. Si 
vous vous êtes relâchées quelques instants, réveillez-vous aussitôt; 
et si vous cherchez Dieu avec ardeur, peu à peu vous vous rap- 
procherez de lui. Si Dieu, comblant mes désirs, me fait jouir de 
sa présence, et que frères et sœurs, mère et filles, nous nous ren- 
~ 198 — 
contrions tous auprès de lui, ne sera-ce pas bien beau? Cbacune 
devons, indulgente pour les autres, doit s'examiner sévèrement 
elle-même, et tendre toujours à la concorde; par là ma mère 
deviendra, dans ses vieux jours, tout unie à la volonté divine, 
et mes sœurs deviendront des filles aimantes et soumises. 
« Ma belle-sœur, si mon frère est mis à mort, ne vous affligez 
pas trop, sans aucun profit; mais, d'un cœur calme, remerciez 
Dieu de ce bienfait. Il vous soutiendra d'en haut et vous aidera 
au milieu des difficultés. Appliquez-vous à la contrition, faites 
tous vos efforts, et employez toutes les facultés de votre àme à 
suivre les traces de mon frère. 
« Ici, ma tante est avec son fils, le seul enfant qu'elle ait eu. 
Ils désirent donner leur vie pour Dieu avec nous, ils ont subi les 
mêmes supplices et sont aussi détenus, ils sont parfaitement rési- 
gnés et calmes. Prenez modèle sur eux, et, imitant notre bonne 
mère la vierge Marie et tous les saints, ne mettez pas vos affec- 
tions sur des choses inutiles. Ma belle-sœur et mon beau-frère 
sont aussi dans une position bien difficile àsupporter, mais, pour 
avancerdans la vertu et acquérir des mérites, de telles occasions 
sont excellentes; et jusqu'à présent ils ont montré une patience 
admirable. Mais s'il est bon de bien commencer, il est meilleur 
encore de bien finir ; soyez donc toujours sur vos gardes, ne per- 
dez pas les mérites passés, Eussiez-vous des douleurs extrêmes, 
acceptez-les de grand cœur; pensez à l'ordre de Dieu, et ayez 
foi en la rétribution avenir. Si vous repoussez tous les mouve- 
ments trop vifs delà nature, le-i choses même douloureuses per- 
dront ce qu'elles ont tle pénible. Il me semble qu'il serait bien 
avantageux de tenir toujours notre cœur dans cette disposition. 
Toutes les vertus sont bonnes à demander, mais la foi, l'espérance 
et la chanté sont les principales ; si elles sont réellement dans 
l'âme, les autres vertus suivent tout naturellement. 
« Gomment se trouve maintenant mon beau-frère? Quand je 
pense à la position de ma sœur, j'en ai l'âme bien affligée. Quoique 
vous ne puissiez pas être en parfaite concorde, tâchez de suivre 
tout doucement ses désirs pour tout ce qui n'est pas péché, et de 
ne pas perdre au moins la bonne harmonie. Jean eimoi, mariés 
depuis cinq ans et ayant vécu quatre ans ensemble, nous n'avons 
pas eu un seul instant de désaccord ; avec toutes les personnes de 
la maison je n'ai jamais eu aucun mécontentement. 
« J'aurais encore mille choses à dire, mais au dehors c'est un 
tapage affreux et je ne puis écrire qu'à grand'peine, aussi ne le 
ferai-je pas séparément à ma mère. Je voudrais du moins vous 
l'église 1)K CORÉE. 13 
— 194 — 
écrire la dix-millième partie de ce qui s'est passé depuis quatre 
ans, mais chaque fois que Ton crie pour faire comparaître quel- 
qu'un des prisonniers, il me semble toujours que c'est moi qu'on 
appelle, et je cesse d'écrire; puis, recommençant, je cesse encore. 
Mes phrases sont sans suite et peut-être incompréhensibles, mais 
pensant vous faire plaisir par quelques lignes de ma main, je 
tâche de saisir les moments et de dire quelques mots. Par l'infi- 
nie bonté de Dieu, si, ne me rejetant pas entièrement, il m'ac- 
corde la grâce du martyre, et que mon frère aussi l'ait obtenue, 
vous aurez deux enfants qui vous précéderont ; se pourrait-il que 
nous ne vous conduisions pas à bon port? Quoique je meure, 
pourrais-je oublier ma mère et mes sœurs? Si j'obtiens 
l'objet de mesdésirs, un jour je vous reverrai; maisn'ayant aucun 
mérite, il ne faut pas parler trop haut avant d'avoir fait une 
bonne mort. 
« Ma belle-sœur, si mon frère vient à mourir, veuillez ne pas 
écouter seulement la nature et vous affliger trop. Les époux ne 
formant plus qu'un seul être, qu'une des parties monte au ciel, il 
y conduira facilement l'autre; ne soyez donc pas lâche pour le 
bien, n'attristez pas votre cœur inutilement pourfairede la peine 
à Dieu et à mon frère. Tong-oan-i étant le seul rejeton du sang 
de mon frère, il est plus précieux que tout autre; soignez donc 
bien son corps et son âme, et quand il sera grand, mariez-le et 
tâchez de faire de lui et de sa femme de saints époux. 
« Pour moi, pendant vingt ans de vie, n'ayant passé aucun 
jour sans faiblesses, et n'ayant de plus jamais rempli mes devoirs 
de fdle, me voilà sur le point de partir sans laisser aucune trace de 
piété filiale ; ma sœur, soignez d'autant plus ma mère, et faites 
encore à ma place ce que j'aurais dû faire. La piété envers le corps 
est bonne, mais celle envers le cœur est encore meilleure. Ayant 
vécu, moi aussi, près de mon beau-père et de ma belle-mère, j'ai 
vu que ce qui les satisfait davantage, c'est d'entrer dans toutes 
leurs vues et sentiments. Si, étant pauvre, vous ne pouvez trai- 
ter ma mère entièrement selon vos désirs, entrez du moins dans 
toutes ses intentions et consolez-la bien; réveillez souvent son 
intelligence obscurcie, et si par hasard elle avait quelque petit 
tort, ne vous contentez pas de lui adresser quelques bonnes paro- 
les, faites-le encore d'un air gai et serein. Si elle est dans la tris- 
tesse, déguisez bien la vôtre, faites même l'enfant avec elle, et, 
par quelque parole agréable ou plaisante, forcez-la à se remettre. 
Après la mort de mon frère aîné, mes jeunes frères n'ont d'appui 
qu'en vous; cumulez la charge de frère et de sœur aînée, élevez- 
- 195 - 
les dans la vertu, lâchez de les établir, de conserver la laniille 
et d'en faire de fervents chrétiens. 
«Simon frère vient à être martyr, et que moi aussi, parla 
grâce de Dieu, je fasse une bonne mort, j'ose espérer vous retrou- 
ver dans l'autre vie. Surtout, aidez ma mère à bien passer le reste 
de ses années et à obtenir la grâce d'une bonne mort, alin que 
mère et enfants, frères et sœurs, époux et épouses, nous puissions 
nous rencontrer dans la joie; je vous le recommande mille fois. 
Je sais bien que vous n'agirez pas avec insouciance, mais en i)en- 
sant à mes recommandations, vous le ferez deux fois mieux. Celui 
qui a ses parents ne doit pas se laisser aller à la tristesse ei se 
livrera sa propre affliction, pensez-y bien. Je ne dis pas cela par 
méfiance de votre bonne volonté, mais parce que je sais que vous 
êtes trop portée à vous abandonner au chagrin. 
« Pour Jean, ou l'appelle mon époux et moi je l'appelle mon 
fidèle ami : s'il a pu parvenir au royaume du ciel, je pense qu'il 
ne m'oubliera pas. Ici-bas, il avait tant d'égards et de bonté pour 
moi ; habitant au séjour du bonheur, mes cris, du milieu des crain - 
tes et de la douleur, ne pourront sortir de son oreille, et il n'ou- 
bliera pas nos promesses; non, notre amitié ne saurait être rom- 
pue. Oh! quand donc, sortant de cette prison, pourrai-je rencon- 
trer notre grand Roi et Père commun, la reinedu ciel, mes parents 
bien-aiinés et mon fidèle ami Jean, pour jouir avec eux de la joie! 
Mais n'étant que péché et n'ayant aucun mérite, j'ose bien espé- 
rer, il est vrai ; mais mes désirs pourront-ils être comblés de sitôt? 
" Ici, il y a bien des personnes plongées dans l'aftliction, com- 
ment tout exprimer? Ma belle-sœur élevée dans l'abondance 
et l'opulence, après avoir perdu ses parents, ses frères et tous 
ses biens, a été obligée encore de quitter la grande maison ; elle 
s'est retirée dans une cabane en ruines avec une de ses tantes, 
et sa grand'mère accablée de vieillesse. Mariée récemment, elle 
n'avait pas encore été conduite à la maison de son mari, et on 
dit que son beau-père ne veut plus la recevoir, à cause des mal- 
heurs de sa famille. Quelle déplorable position! quels termes 
pourraient la dépeindre! Mes beaux-frères, âgés de neuf, six et 
trois ans, sont tous trois envoyés séparément en exil dans les îles 
Heuk-san-to, Sin-tsi-to et Ke-tsiei ; comment supporter un si 
affreux spectacle? Ma belle-mère, ma tante et Mathieu, le cousin 
germain de mon mari, n'ont avec moi qu'un cœur et une pensée, 
Ils ont été, eux aussi, mis à la question, et ont eu à subir de cruelles 
tortures. Ils sont emprisonnés ici; j'espère que tous tinirontbien. 
« Ma sœur aînée, parmi cinq frères et sœurs que nous sommes, 
— 196 — 
me chérit entre tous d'une affection toute particulière, par la rai- 
son peut-être, dit-elle, qu'elle m'a portée et élevée dans ses bras. 
Certes il en est bien de même de ma part, et je lui ai voué une 
bien vive affection, mais raison de plus pour ne pas vous affliger 
de ma mort. Si, parla grâce de Dieu, j'ai le bonheur de parvenir 
au royaume du ciel, quand, après avoir assidûment acquis des 
mérites, vous ferez une bonne mort, je veux moi-même vous y 
attirer et vous conduire par la main. Ayant pris la plume pour 
vous faire des adieux éternels, je ne voudrais rien omettre de ce 
que j'ai à dire, et toutefois, ne pouvant écrire toutce queje pense, 
je suis obligée d'abréger. J'espère vivement que vous pratiquerez 
le bien et recueillerez des mérites ; conservez votre corps en 
bonne santé et votre âme toute pure, afin de pouvoir monter au 
ciel, afin que nous jouissions ensemble des joies éternelles. Après 
ma mort, je le demanderai instamment et sans cesse. Mais si par 
hasard mes vœux n'étaient pas comblés, si j'étais condamnée à 
vivre, ah ! ce serait une chose terrible! Mais non ; j'ai confiance 
en mon doux sauveur Jésus-Christ. 
« Après mon arrestation, craignant que mon procès ne fût de 
suite terminé, j'ai adressé quelques lignes à ma mère ; lisez-les, 
et après avoir aussi pris lecture de cette lettre-ci, veuillez l'en- 
voyer aux autres membres de la famille, pour qu'en les lisant, ils 
se figurent encore une fois me voir moi-même. Voilà une bien 
longue lettre et bien des paroles. N'ayant moi-même aucune 
vertu, j'ai eu l'audace d'exhorter les autres ; vraiment ne suis-je 
pas comme ces bonshommes de bois placés sur le bord des che- 
mins, qui enseignent la route, sans faire jamais eux-mêmes un 
seul pas? Toutefois, comme il est dit que les paroles d'un mou- 
rant sont droites, peut-être les miennes ne seront-elles pas trop 
fautives; lisez-les avec indulgence. 
« NiOU-HEI. » 
Nous ne trouvons pas la date de cette lettre, mais, d'après les 
faits qui y sont mentionnés, elle a dû être écrite à la onzième lune 
de cette année sin-iou. 
Luthgarde et les autres confesseurs, rappelés en prison, lors- 
qu'ils étaient déjà sur le chemin de l'exil, eurent à subir de nou- 
veau* interrogatoires, dont les détails ne nous ont pas été conser- 
vés. on rapporte seulement qu'après leur condamnation à mort, 
on leur brisa les doigts des pieds sans qu'ils en ressentissent 
aucune douleur. 
— 107 — 
Arriva enfin le jour du triomphe. Pendantle trajet de la prison 
au lieu du supplice, Mathieu prêchait au peuple avec beaucoup 
de ferveur; Luthgarde de son côté ranimait et exhortait ses deux 
compagnes, sa belle-mère surtout, que le souvenir de ses trois 
petits enfants exilés plongeait dans le trouble et la désolation. 
Notre vierge héroïque sut lui rendre la confiance en Dieu, lui 
redonner du courage, détacher son cœur des affections terrestres, 
et tourner ses pensées vers le ciel dont les portes allaient s'ouvrir. 
Le bourreau voulut les dépouiller, suivant l'usage; mais Luth- 
garde le repoussa par quelques paroles pleines de pudeur et de 
dignité, puis elle ôta elle-même son vêtement de dessus, ne permit 
pas qu'on lui liât les mains, et, la première, présenta avec calme 
sa tête h la hache. Les trois autres eurent aussi la tête tranchée. 
C'était le 28 de la douzième lune (31 janvier 1802). Luthgarde 
avait alors vingt ans ; Mathieu était âgé de quinze à dix-huit 
ans, il n'avait pas encore été marié; la femme et la belle-sœur 
d'Augustin pouvaient avoir de trente-cinq à quarante ans. Les 
trois jeunes enfants, exilés séparément dans des îles éloignées, y 
moururent sans laisser d'autre postérité qu'une fille qui, dit-on, 
vivait encore il y a quelques années. La ruine de cette famille fut 
donc complète, et il n'y a pas à s'étonner si aujourd'hui il n'en 
reste pas un seul membre chrétien. 
CHAPITRE IV 
Martyre d'Alexandre Hoang. — Sa lettre à l'évêque de Péidng. — Lettre du 
roi de Corée à l'empereur de Chine, et réponse de l'empereur. 
Le â9 de la oeuvième lune, onze jours après l'exécution d'Au- 
gustin Niou et de ses comj)agnons, Alexandre Hoang Sa-ieng-i, 
que nous avons eu souvent déjà roccasion de citer, était arrêté 
sur le territoire de Tsiei-lsien, et amené prisonnier à la capitale. 
Alexandre Hoang, malgré sa jeunesse, passait alors, et avec 
raison, pour l'un des chefs les plus influents de la chrétienté de 
Corée. Sa naissance aussi bien que son mérite personnel, ses 
rares (alents aussi bien que ses vertus, lui avaient acquis la con- 
sidération générale. Il appartenait à une des grandes familles du 
parti Nam-in, distinguée dans le pays par sa noblesse et par les 
hautes fonctions que plusieurs de ses membres avaient souvent 
remplies. Doué des plus belles qualités du corps et de l'esprit, il 
se fit dès l'enfance remarquer entre tous ses compagnons par ses 
rapides progrès dans les lettres et les sciences. A 1 âge de dix- 
sept ans, il fut couronné aux examens publics et obtint le grade 
de licencié (Isin-sa). Le roi, ayant entendu parler de ses talents 
extraordinaires, se le fit présenter, l'enlrelint quelque temps, le 
traita avec une bienveillance remarquable, jusqu'à lui serrer le 
poignet en signe d'amitié, et lui dit en le quittant: « Lorsque 
vous aurez vingt ans, revenez promptement me voir, je veux à 
tout prix vous avoir à mon service. » 
C'était là une insigne faveur, dans ce pays surtout où les rois 
nevoient aucune société, n'ont de rapports qu'avec leur famille, 
et avec les ministres pour les affaires de l'Etat, et ne se permet- 
tent jamais aucune de ces familiarités, même dignes et réservées, 
que nos usages comportent. Aussi Alexandre dut-il toujours 
depuis porter un cordon de soie autour du poignet, pour signifier 
qu'il n'était plus permis au commun des hommes de loucher 
inconsidérément cette main honorée de l'attouchement de la main 
royale. 
Tout lui présageait donc un brillant avenir, lorsqu'il fut marié 
à la fille d'un des Tieng de Ma-tsai, cette famille célèbre dont 
nous avons raconté l'histoire, et entendit pour la première fois 
parler de la religion chrétienne. Il l'embrassa aussitôt avec 
— 199 — 
ardeur, ne voulut plus connaître d'autre science que celle du 
saint, répudia le siècle et ses plaisirs dangereux, et, comprenant 
qu'il devait communiquer aux autres la lumière que lui-même 
avait reçue, devint un catéchiste zélé. 
Ses parents et amis païens l'accablèrent de reproches et de 
mauvais traitements, sans pouvoir ébranler sa constance. Animé 
qu'il était d'une ambition plus haute, la faveur et les ])romesses 
du roi ne lui faisaient plus aucune impression. Quand celui-ci 
apprit la conversion d'Alexandre, il en fut affligé, mais ne l'in- 
quiéta nullement, tant il avait d'estime pour ses rares qualités; 
peut-être même fut-il touché devoir dans un jeune homme ce 
mépris héroïque des grandeurs de la terre. Alexandre avait une 
àme digne de servir un plus grand maître. Admis ii la réception 
des sacrements, il ne mit plus de bornes à sa ferveur, et travailla 
de tout son pouvoir à seconder le prêtre dans l'exercice de son 
ministère, et dans toutes sortes d'autres bonnes œuvres. 
En 1798 etl799,il vint demeurer à la capitale, dansle quar- 
tier nommé Ai-o-kai. Là, il s'occupait à enseigner les lettres à 
quelques jeunes gens chrétiens, et à transcrire deslivres de piété. 
Il logea souvent chez lui le P. Tsiou, soit pour le cacher, soit pour 
faire recevoir les sacrements à d'autres fidèles. Dénoncé nom- 
mément dès les premiers jours de la persécution, il se rappela le 
conseil du Sauveur : « Lorsqu'on vous persécutera dans une ville, 
fuyez dans une autre, » et prit ses mesures en conséquence. Pour 
ne pasêtre reconnu, il coupa tout d'abord sa longue et bellebarbe, 
ornement viril assez rare en Corée, et dont naturellement les pos- 
sesseurs sont très-jaloux ; il revêtit des habits de deuil, dont la 
forme est parfaitement propre à déguiser les personnes, puis, 
comprenant rinsuffisance de ces précautions, ({uitta la capitale, 
vers le 15 de la deuxième lune. 
Il séjourna quelque temps dans le district de Niei-tsien, pro- 
vince de Kieng-sang, puis sur les limites de la province de 
Kang-ouen, et enfin finit par se fixer dans une fabrique de pote- 
ries, au village de Pai-ron, district de Tsiei-tsien. Tous les ouvriers 
étaient chrétiens. on prépara pour le recevoir une espèce de 
chambre souterraine, dont les avenues étaient couvertes par tous 
les grands vases de terre quel'on fabriquait dans l'établissement. 
Les chrétiens du village eux-mêmes ignorèrent longtemps sa pré- 
sence ; le maître de maison était seul du secret, avec sa femme et 
la mère de Grégoire Han, qui venait souvent le voir. Alexandre 
avait près de lui deux hommes de confiance: Pierre Kim Han- 
pin-i et Thomas Hoang Sim~i, lesquels allaient sans cesse de 
— 200 — 
côté et d'autre s'enquérir des nouvelles, le tenaient au courant de 
la marche de la persécution, et lui rapportaient les principaux 
événements qui intéressaient la chrétienté. 
Pierre Kim, natif du district de Hong-tsiou, dans le Nai-po, 
avait été, pendant son séjour à la capitale, enrôlé comme soldat, 
d'où le nom de Kim Po-siou, sous lequel il est quelquefois dési- 
gné. A la huitième lune, il tomba une première fois entre les mains 
des satellites, mais réussit à s'évader. 
Thomas Hoang était du village de Liong-mari, district de 
Tek-san, dans le Nai-po. Descendu d'une famille honnête et 
marié à la sœur de François M Po-hien-i, martyr en 1799, 
Thomas paraît s'être consacré entièrement au service du prêtre. 
Il fit plusieurs fois le voyage de Péking, et s'acquitta toujours avec 
prudence et fidélité des diverses commissions dont il fut chargé 
par le P. Tsiou. 
C'est dans sa retraite de Pai-ron qu'Alexandre Hoang composa 
une longue lettre adressée à l'évêcjue de Péking. Ce document, 
précieux à tous égards, a été heureusement conservé. Alexandre 
y raconte d'abord, dans tous ses détails, l'histoire des premiers 
martyrs de celte persécution. Ses informations sont généralement 
exactes. Sur un certain nombre de points cependant, il avoue lui- 
môme n'avoir pas eu des renseignements suffisants ; et plusieurs 
fois, en rédigeant cette histoire, nous avons dû, après examen 
et comparaison d'autres documents, rejeter des faits qu'il avait 
avancés trop légèrement sur un simple ouï-dire. Dans la seconde 
partie de sa lettre, il expose le triste état de la chrétienté, et fait 
un éloquent appel à l'évêque, pour qu'il prenne leur sort en pitié, 
et s'efforce de faire sortir l'Église coréenne de ses ruines. Nous 
en citons ici un long fragment, qui fera connaître la position 
physique et morale des chrétiens, vers la fin de la persécution. 
« Le prêtre ayant été dénoncé par un traître, dès son entrée 
dans le pays, et le feu roi ayant connu sa présence, il fallait sans 
cesse être sur ses gardes, et prendre les i)lus grandes précautions. 
De là, beaucoup ne purent prendre part aux sacrements, et parmi 
ceux qui les reçurent, la moitié étaient des femmes. Parmi les 
chrétiens de la province et le peuple de la capitale, un grand 
nombre, quoique très-fervents, n'y furent pas admis. Tous avaient 
supporté de grandes souffrances, et espéré bien des années dans 
le secret ; mais depuis qu'ils ont vu le prêtre devenu la proie des 
méchants, et sa tête publiquement exposée, toutes les souffrances 
et tous les efforts de dix années se trouvent en un instant devenus 
inutiles. Corps et âmes, tout est sur le penchant de la ruine; 
— 201 — 
pendant la vie et an moment de la mort, les voilà sans aucun 
soutien; aussi leur cœur faiblit, leurs idées sont toutes boulever- 
sées, et ils ne savent plus que devenir. Nousleur disons bien, pour 
les consoler, que le prêtre étant venu dans le seul but de sauver 
les âmes, désirait sans doute se répandre partout et les sauver 
toutes, mais que de grands empêchements s'étant rencontrés, il 
a dû comprimer son affection pour eux, et ne pas la laisser se 
produire au dehors; que maintenant (ju'il a été martyrisé et se 
trouve près de Dieu, sa protection devra avoir plus de force que 
lorsqu'il était sur la terre ; que nous devons avoir pleine confiance 
en Dieu, esi»érer plus que par le passé dans sa miséricorde infi- 
nie, et ne pas nous laisser aller à des tentations de désespoir. 
Quelques-uns nous croient, d'autres sont dans le doute ; les uns 
sont rebutés, les autres semblent un peu consolés; jamais en 
aucun temps se trouva-t-il une aussi terrible position? 
« En Europe, les anciennes persécutions ont bien pu être plus 
violentes que celle de Corée, mais les prêtres s'y étant succédé 
sans interruption, la religion n'a pas pu être anéantie, et les âmes 
ont toujours trouvé leur salut. Ici, en Corée, la situation est toute 
différente, et nous ne pouvons avoir le même espoir. Que de fai- 
bles agneaux perdent leurberger, il reste des moyens de les nour- 
rir et de les élever ; qu'un enfant à la mamelle perde sa mère, il y a 
encore espoir de le voir survivre ; pour nous, nous avons beau y 
réfléchir, vraiment aucun espoir de vie ne nous reste. Nés dans 
un pays reculé, et heureusement devenus les enfants de Dieu, 
nous avions la ferme pensée de consacrer toutes nos forces h faire 
glorifier son saint nom, nous voulions essayer par là de payer 
du moins la dix-millième partie de ses bienfaits; qui aurait pu 
penser qu'à mi-route nous tomberions dans un aussi triste état? 
« Nous avons bien entendu dire que le sang versé des martyrs 
est une semence de chrétiens, mais notre royaume a malheureu- 
sement pour voisin, à l'est, le Japon qui, par ses cruelles exécu- 
tions, a anéanti la religion, et les projets de notre gouvernement 
sont de le prendre pour modèle. Comment ne serions-nous pas 
dans l'alarme? Il est vrai qu'en Corée, les hommes étant naturel- 
lement faibles, et la législation moins rigide, on ne voudra pas y 
aller aussi violemment qu'au Japon ; mais aujourd'hui, parmi 
nous, il ne reste pour ainsi dire plus aucun homme capable et 
ferme. Les ignorants, les gens de basse condition, les femmes et 
les enfants peuvent bien y être encore au nombre de plusieurs 
milliers, mais personne pour les diriger, personne pour les ins- 
truire, comment pourraient-ils se conserver longtemps? N'y eût- 
202 
il plus de persécution, qu'avant dix ans, la chrétienté sera d'elle- 
même réduite à néant (1). Quelle douleur! Mais tant que nous 
serons en vie, comment pourrions-nous voir ainsi la ruine com- 
plète de la Religion? 
« Ayant échappé aux malheurs de cette année, nous en som- 
mes encore tout émus et tremblants, et tout en rendant grâces à 
Dieu pour le bienfait qui nous a conservé la vie, nous sommes 
attristés de n'avoir pas, comme nos frères, été jugés dignes du 
martyre. Au moins, pendant ce reste de notre existence, nous 
désirons vraiment supporter toutes les peines et braver toutes les 
diflicultés pour servir la cause de Dieu, mais non-seulement nos 
expédients sont à bout, nos ressources aussi sont épuisées. Faut- 
il donc ([ue notre désolation nous accompagne dans la tombe! Au 
milieu de tous ces malheurs, qui aura pitié de nous? qui nous 
consolera? Nous voudrions bien aller déposer nos pleurs et nos 
demandes aux pieds de votre bonté, mais empêchés par la dis- 
tance, nous ne pouvons faire que des vœux et rien déplus. Quelle 
tristesse! quelle angoisse! que deviendrons-nous? 
« Quand nous apprîmes que le prêtre s'était livré, outre le sai- 
sissement et la douleur causés par un aussi triste événement, 
nous avons conçu encore un sujet de crainte. Lorsqu'on connaîtra 
à Péking tout ce qui vient de se passer, ne sera-ce pas une cause 
d'abandon pour notre Église? S'il en était ainsi, aucune espérance 
ne resterait pour la religion en Corée. C'est ce danger imminent, 
et non point notre péril personnel, qui fait jour et nuit le sujet de 
nos craintes et inquiétudes. Si, par bonheur, on ne fait pas de 
perquisitions ultérieures, nous autres étant encore en vie, et 
Jean (2 aussi ayant été conservé, comme vous resterez sans doute 
chargé de la Corée, nous ferons tous nos efforts pour rétablir 
les relations avec vous, et par là avoir part aux bienfaits de 
Dieu; daignez donc écouter nos paroles et y refléchir profondé- 
ment. 
« La Corée est le plus pauvre des royaumes du monde, et les 
chrétiens y sont les plus pauvres de tous. Parmi eux, c'est à 
;i) Le gouvernement coréen comprenait parfaitement la vérité de ces con- 
sidérations; aussi, comme le fait remarquer Alexandre dans un autre endroit 
de cette lettre, chercha-t-il toujours à mettre à mort les chrétiens de haute 
classe, les hommes qui s'étaient livrés à l'élude des lettres ou de la philo- 
sophie, tous ceux, en un mot, qui auraient pu diriger les affaires en l'absence 
du prêtre. Quant aux iatnorants et aux gens du peuple, au contraire, la lac- 
tique éiait de les laisser de côté, autant ([ue possible, ou bien, si on les 
arrêtait, de les traiter en général avec beaucoup moins de rigueur. 
(2) Probablement Jean T'soi. 
— son — 
peine aujourd'hui si l'on peut compter dix familles qui n'aient 
pas à souffrir de la faim et du froid. En 1794, quand on reçut le 
prêtre, on ne put rien préparera l'avance. Ce ne fut qu'après son 
arrivée qu'on disposa à la hâte les choses les plus nécessaires, et 
encore d'une manière bien mesquine et bien incomplète. Cela 
provient en partie sans doute de notre inhabileté et ignorance des 
affaires, mais la cause en tut aussi dans notre pauvreté; nos for- 
ces ne purent y suffire. Plus tard le nombre des chrétiens ayant 
augmenté, on fut moins h la gène, toutefois nous ne pûmes arran- 
ger les choses convenablement. 
« Après la persécution de cette année, tous sont entièrement 
ruinés. Ceux-là même qui ont voulu par l'apostasie éviter la 
mort, sont sortis des prisons nus et spoliés, ne conservant que le 
souffle delà vie. Notre pauvreté est donc plus grande encore 
qu'en 1794, et eussions-nous même quelque bon expédient, nous 
ne pourrions le mettre à exécution. Malgré tous les désastres de 
la chrétienté, si nous avions quelques ressources, il semble que 
nous pourrions maintenant essayer quelque chose. Voici pourquoi. 
Depuis 1795, il y avait deux causes continuelles de persécution : 
l'une, que le feu roi, soupçonnant et craignant le prêtre, voulait 
absolument le trouver; l'autre était la haine qui poussait les 
No-ron à anéantir les Nam-in. Or, d'un côté, le prêtre ayant été 
saisi, et, de l'autre côté, les Nam-in, i)0ursuivis par les No-ron, 
ayant vu périr tous leurs hommes les plus remarquables, on peut 
désormais espérer un peu de calme. Il est vrai que la loi sur les 
cinq maisons solidaires l'une de l'autre dure encore, mais elle 
n'est exécutée que dans les quartiers où se trouvaient les chré- 
tiens; dans les autres endroits, elle n'existe que de nom, tout y 
est tranquille, et on peut aller s'y établir. 
« Pour ce qui concerne les routes, dans les provinces de Kieng- 
kei, T'sieng-tsieng et ïsien-la oii il y avait beaucoup de chré- 
tiens, et dans celles de Rieng-sang et Kang-ouen oii les chré- 
tiens fugitifs se sont retirés depuis quelques années, les voyageurs 
sont, à chaque instant, soumis à des perquisitions. Mais dans 
les provinces de Hoang-hai et P'ieng-an, oii il n'y avait pas de 
chrétiens avant la persécution, etoù depuis nul n'a cherché refuge, 
on ne parle de rien, et les soupçons ne sont pas éveillés. A Pien- 
men même, sur la frontière de la Chine, quoiqu'on exerce encore 
maintenant une assez rigoureuse surveillance, dans un ou deux 
ans, tout sera passé, et on pourra risquer quelque tentative. Nous 
devrons aussi changer notre manière d'agir. Jusqu'ici on s'était 
surtout efforcé de répandre la religion parmi les païens, et de la 
— 204 — 
rendre libre; maintenant que c'est devenu impossible, il faut 
tâcher de la conserver par la prudence. Il faut s'appliquer à raf- 
fermir tous ceux qui pratiquaient le christianisme, à bien ins- 
truire ceux qui ne faisaient que commencer, et quant aux autres, 
prier Dieu en secret pour leur conversion, et attendre en silence. 
Par là, on pourra se conserver sans inquiétude. 
« En 1795, les chrétiens, joyeux de l'arrivée du prêtre et se 
félicitant de leur bonheur, n'ont pas su craindre et n'ont pas pris 
de précautions suffisantes. Mais maintenant, instruits par l'expé- 
rience et se servant du passé comme d'un miroir, ils prendront 
toutes les précautions convenables, et il n'y a pas de raison pour 
que la persécution s'élève de nouveau. Nous ne pouvons atten- 
dre la mort sans rien faire, mais rien ne se peut qu'avec des 
ressources. Il est difticile de croire que l'existence et la ruine de 
la religion dans un royaume, la vie et la mort des âmes, dépen- 
dent du Mammon d'iniquité, et cependant faute de ressources, la 
chrétienté de Corée va être anéantie, et lésâmes sont condamnées 
à la mort. 
»( C'est pourquoi nous osons vous en prier, et nous espé- 
rons que vous voudrez bien implorer des secours dans tous les 
royaumes de l'Europe pour nous, quoique nous ne soyons que 
de misérables pécheurs, afin de soutenir notre Église persé- 
cutée, et de nous procurer le moyen de sauver nos âmes. De 
notre côté, nous nous disposerons, formerons nos plans, et 
après avoir tout préparé sûrement, nous vous demanderons le 
bienfait d'une seconde vie ; de grâce, ayez pitié de nous. Nous 
savons qu'il y a une sorte d'imprudence à faire une pareille 
demande. Néanmoins, considérant que sans votre secours, nous 
sommes condamnés à une mort éternelle, nous osons mainte- 
nant ouvrir la bouche, et si, après avoir demandé, nous n'ob- 
tenons rien, nous n'emporterons pas du moins dans la tombe 
le regret de n'avoir rien essayé. Isolés et sans aucun appui comme 
nous sommes, nous vous en conjurons avec instance, daignez, à 
l'exemple du Dieu tout bon et tout miséricordieux, penser à des 
enfants pauvres, misérables et faibles, et ranimer nos espérances 
en comblant nos vœux. Quel plus grand bien pour l'Église? quel 
j)lus grand bien pour nous, que de nous ouvrir le chemin d'une 
seconde vie? 
« De notre côté, nous tâcherons d'y répondre ; mais il ne s'agit 
pas de choses réalisables en quelques jours ou en quelques mois. 
Rien ne peut se faire en moins de deux ou trois ans. L'entrée d'un 
prêtre en Corée rencontre deux grandes difficultés, les cheveux 
— 205 — 
et le langage (1). Les cheveux peuvent croître assez facilement, 
mais le langage ne se change pas aussi vite. Si le prêtre pouvait 
bien parler, la plus grande difficulté disparaîtrait. Dans notre 
humble pensée, il serait bon d'envoyer à l'avance un Coréen à 
Péking, pour enseigner la langue coréenne aux prêtres que vous 
auriez désignés. Si vous le permettiez, nous conviendrions secrè- 
tement d'un signe et nous nous disposerions pour le passage, soit 
de l'hiver, soit du printemps, selon qu'il vous serait plus commode. 
Il serait aussi très-avantageux ({u'un chrétien Chinois fervent et 
lidèle vînt s'établir secrètement à Pien-men. Il ouvrirait une 
auberge pour défrayer les voyageurs, et nos communications en 
deviendraient beaucoup plus faciles. » 
Vient ensuite l'exposition détaillée de divers plans qu'Alexan- 
dre, dans sa cachette solitaire, avait imaginés pour faire obtenir 
la liberté de la religion à ses frères persécutés. Le premier eût été 
de faire écrire par le Pape à l'Empereur de Chine, pour lui 
donner ordre de laisser les chrétiens en paix, et de recevoir les 
missionnaires. La foi naïve du néophyte ne pouvait s'imaginer 
qu'un potentat, quel qu'il fût, même paien, osât refuser d'écou- 
ter la voix du souverain Pontife, vicaire de Dieu sur la terre. 
La liberté de la religion une fois accordée en Chine, elle devait 
tout naturellement, par contre-coup, l'être aussi en Corée; et si 
le gouvernement coréen faisait des difficultés, il serait facile à 
l'Empereur chinois de l'y contraindre par la force des armes. 
Enfin, dans le cas oii ce plan eût rencontré des obstacles insurmon- 
tables, Alexandre proposait à l'évêque de-Példng de faire a])pel 
aux nations chrétiennes de l'Europe, de les supplier d'envoyer 
une armée de soixante ou soixante-dix mille hommes pour con- 
quérir la Corée, et s'il était impossible de réunir tant de troupes, 
d'essayer au moins avec sept ou huit mille, chiffre qui, dans son 
opinion, eût été suffisant à la rigueur. La lettre se termine 
ainsi : 
« Pour nous, les jours sont comme des années. Nous voudrions 
faire quelque chose, mais cela nous est actuellement impossible ; 
nous ne pouvons qu'espérer. Nous désirons ardemment que vous 
ayez pitié de nous, et veniez à notre aide sans retard. Après la 
violente persécution de cette année, peu de chrétiens ont échappé, 
(1) on sait que les Chinois se rasent la tête, excepté le sommet, et portent 
la queue. Mais les Coréens n'ont jamais voulu admettre cette réforme, intro- 
duite par les empereurs tarlares Mandchoux. Ils conservent tous leurs che- 
veux et les nouent sur la tête, comme le pratiquaient, il y a quelques années, 
les insurgés de Chine, pour se distinguer des impériaux. 
— 206 — 
et tous doivent se tenir cachés, et laisser croire qu'ils sont entiè- 
rement anéantis. C'est le seul moyen de conserver ici les restes 
de la chrétienté. Les uns se sont faits marchands ambulants, 
les autres, forcés d'éraigrer, se trouvent sur les routes ; nous 
demandons dispense des jeûnes et abstinences pour tous ceux 
qui sont en voyage. 
«An de Jésus-Christ 1801, 29 octobre, le lendemain de la fête 
des apôtres saint Simon et saint Jude, nous pécheurs Thomas et 
autres, vous saluons de nouveau en envoyant ces détails. » 
Cette lettre était écrite sur une pièce de soie, avec de l'encre 
sympathique, qu'on ne pouvait lire sans connaître le secret. 
Thomas Hoang voulut s'adjoindre, pour la porter à Péking, un 
chrétien de la province de P'ieng-an, nommé Ok Tsien-hei, qui 
avait, lui aussi, fait le voyage de Chine plusieurs fois pour les 
lettres et commissions du P. Tsiou. Il y avait encore été pendant 
l'hiver de 1800 à 1801, et ayant appris, à son retour, que la 
persécution venait d'éclater avec violence, était retourné de suite 
à Pien-men, sur la frontière chinoise, pour tâcher d'informer 
les chrétiens de Chine du véritable état des choses. 
Thomas réussit à trouver Ok Tsien-hei, l'amena à Alexandre 
pour se concerter avec lui, et tous deux promirent de partir à 
la fin de l'année, avec l'ambassade annuelle, pour remettre la 
lettre entre les mains de l'évêque de Péking. Mais la Providence 
en avait décidé autrement, et la lettre ne devait pas arriver à sa 
destination. Elle était datée du 27 octobre; le 2 novembre, 
Thomas Hoang fut arrêté. 
Effrayé outre mesure de se voir en prison, s'imaginant que, 
lui saisi, aucun chrétien ne pouvait échapper, espérant peut- 
être, par des aveux, faire cesser la persécution, il découvrit le 
lieu ou Alexandre était caché. Nombre de chrétiens préten- 
dent qu'il avait reçu d'Alexandre lui-même l'ordre de le dénon- 
cer, si les choses en venaient à l'extrémité. Les satellites arrivés 
en toute hâte à Pai-ron, ne pouvaient trouver celui qu'ils cher- 
chaient ; enfin le bruit sourd que rendaient les grands vases de 
terre, quand on marcha sur la cave, attira leurs soupçons et il 
fut rencontré. Alexandre les vit arrivera lui sans s'effrayer. Il 
ordonna de ne pas toucher la main que le roi avait jadis serrée, 
et où se trouvait le cordon signe de la faveur royale, et cet ordre 
fut respecté. on le conduisit, chargé de fers, à la capitale, et la 
fameuse lettre fut trouvée sur lui, roulée dans ses vêtements. 
Nous ignorons comment les juges purent en prendre lecture. Une 
tradition rapporte qu'un chrétien, menacé de mort, s'offrit à en 
— 207 — 
donner la clef, ce qui fui accepté; mais ce fait est loin d'èlre 
prouvé. Quoi qu'il en soit, la lettre fut lue, et jeta l'épouvante 
il la cour. Le complot dappelerles Européens dans le pays, au 
secours des chrétiens, était évident; on en avait en main la 
preuve authentique, il en fallait dix fois moins, avec un gouver- 
nement aussi soupçonneux et aussi jaloux des étrangers que le 
gouvernement coréen, pour faire traiter les prisonniers en crimi- 
nels d'État. 
En même temps, et probablement sur les indications fournies 
par Thomas Hoang, les deux autres associés d'Alexandre, Ok 
Tsien-hei et Pierre Kim Han-pin-i furent saisis et jetés dans la 
même prison. on leur adjoignit bientôt un cinquième chrétien, 
de la classe des interprètes, nommé Hien Kiei-heum-i, ou Hien 
Sa~si-ou, le père du catéchiste Charles Hien, décapité pour la 
foi en 1846. 
Hien Kiei-heum-i s'était d'abord réfugié en province, mais 
toute sa parenté s'étant trouvée compromise, et exposée à de 
continuelles vexations à cause de sa fuite, on lui écrivit de se 
livrer, ce qu'il fît. on l'accusait de s'être rendu à bord d'un 
navire européen qui, en 1799, avait, pendant quelques jours, 
mouillé en rade de ïong-nai, et d'avoir rapporté qu'un seul 
navire comme celui-là pourrait facilement détruire plus de cent 
navires de guerre coréens ; ce qui, aux yeux des juges, prouvait 
manifestement sa participation au complot. H fut donc à tort 
ou à raison impliqué dans le procès d'Alexandre. Tous ces accusés 
eurent des tortures extraordinaires à supporter, et tous le firent 
en héros. La pensée de renier leur foi ne leur vint pas un seul 
instant, et ils furent bientôt condamnés. 
'Voici le texte officiel de la sentence de Thomas Hoang, celles 
de ses compagnons sont analogues. 
« Le 24 de la dixième lune, tribunal du Keum-pou. 
(( Le coupable Hoang Sira-i, être vil et méprisable, perdu 
dans la mauvaise religion, a parcouru la capitale et les provinces, 
a consacré toutes ses forces et s'est beaucoup remué pour la secte 
impie et ignoble. Ayant été secrètement dans un pays étranger, 
il a reçu un nom dans l'Église des Européens. H a fait divers 
voyages pour Tsiou Moun-mo (le P. Tsiou), et a transmis ses 
lettres. Dans tout ce que les adeptes de la mauvaise religion ont 
tramé, il n'est rien qu'il n'ait su à l'avance. H s'est lié à la vie, .à 
la mort, avec Sa-ieng-i (Alexandre Hoang), puis ayant appris que 
ceiui-ci, pour se dérober à la justice, était allé à Tsiei-tsien, il 
est allé k dessein l'y trouver ; ils ont partagé le même oreiller, et. 
— 208 — 
pendant la nuit, il a lu de ses yeux son affreuse lettre, qui, par 
son atrocité, n'a rien d'égal sous le ciel dans les temps anciens ou 
modernes. La plume se refuse à en écrire les horreurs, car jamais 
rien de semblable n'a été vu ni entendu. Il a comploté impudem- 
ment avec lui, et s'est engagé à envoyer cette lettre aux étrangers, 
pour faire venir les grands vaisseaux, et mettre le royaume en 
péril. Mais ses noirs desseins ont été découverts. C'est un rebelle, 
un scélérat. Qu'il soit conduit dehors de la porte de l'Ouest ; qu'il 
soit coupé en six, et décapité. » 
Le 24 de la dixième lune (29 novembre), Thomas, qui avait 
signé la lettre, fut décapité et coupé en six morceaux, selon la 
sentence. Pierre Rim Han-pin-i, l'accompagna au supplice, mais 
fut seulement décapité. Thomas avait alors quarante-cinq ans, 
et Pierre trente-huit ans. Le 5 de la onzième lune (10 décembre, 
vint le tour de leurs trois compagnons. Alexandre Hoang con- 
damné comme auteur de la lettre, monstre dénaturé, coupable de 
lèse-majesté divine et humaine, fut décapité et coupé en six. Les 
deux autres eurent simplement la tète tranchée, comme les cri- 
minels ordinaires. Alexandre n'était âgé que de vingt-sept ans; 
Ok Tsien-hei avait environ trente-cin([ ans, et Hien Kiei-heum-i 
trente-neuf. En môme temps la maison et les biens d'Alexandre 
furent confisqués, sa mère exilée à l'île Ke-tsiei, sa femme à 
Tsiei-tsiou Quelpaert) et son fils Kieng-hen-i à l'île Tsiou-tsa- 
to, oîi il vivait encore, il y a quelques années. 
Quelques jours plus tard on fit le procès à deuxchrétiens de 
Pai-ron, qui, pour avoir caché dans leur maison Alexandre Hoang, 
avaient été saisis et emprisonnés avec lui. L'un fut condamné à 
l'exil, sans doute après apostasie; l'autre, nommé Kim Koui- 
long-i, montra plus de courage. Né dans le district du Nai-po, il 
avait, afin de pratiquer librement sa religion, quitté ses biens, sa 
famille, son pays, et s'était retiré à Pai-ron, où il gagnait sa vie 
en fabriquant des poteries. Après de longues tortures, le juge lui 
promit sa liberté s'il voulait apostasier ; mais il s'y refusa cons- 
tamment, et déclara vouloir mourir avec les autres chrétiens. 
Il fut, dit-on, envoyé à la ville de Hong-tsiou, son propre 
district, où il eut la tête tranchée, le 30 de la douzième lune 
(2 février 1802). 
Ainsi se termina cette affaire, malheureusement trop célèbre, 
et dont les suites ontété si f;\cheuses. Que les projets enfantés par 
l'imagination oxaltée d'Alexandre Hoang fussent chimériques, 
surtout à cette époque, c'est évident. Qu'ils fussent imprudents. 
— 209 — 
dangereux, nous le reconnaissons volontiers. Que les passions 
politiques, les irritations du Nani-in vaincu contre les No-ron 
vainqueurs aient été pour quelque chose dans cet appel à l'inter- 
vention étrangèriî, c'est probable. Mais qu'au fond, ses inten- 
tions fussent droites, qu'il eût principalement en vue la délivrance 
des chrétiens, le triomphe de l'Evangile sur le paganisme, de Dieu 
sur l'enfer, cela nous semble hors de doute. 
Du reste, qu'on le juge comme on voudra, la lettre où il expose 
ses plans, est un fait personnel à lui et aux trois compagnons de 
sa retraite. Aucun des chrétiens d'alors ne l'a connue, ni n'a pu 
la connaître, puisque les dates prouvent qu'elle était à peine rédi- 
gée, quand ses auteurs furent saisis. Le gouvernement coréen 
prétendit voir dans ce document la preuve manifeste d'une cons- 
piration générale des chrétiens. Il lit publier partout qu'ils avaient 
déjà ramassé l'argent nécessaire, et enrôlé un grand nombre de 
soldats. Mais les faits démentent ces accusations. Les faibles 
sommes recueillies par les chrétiens n'étaient nullement destinées 
à seconder l'invasion étrangère, puisqu'elles suffisaient à peine 
pour faire face aux dépenses du prêtre et de ses employés, puisque, 
dans sa lettre même, Alexandre constate, à plusieurs reprises, la 
pauvretéetledénuementdeses coreligionnaires. L'inculpation d'a- 
voir levé des troupes est encore plus ridicule, puisque Alexandre, 
caché dans son souterrain, n'avait pu avoir ni le temps, ni les 
moyens déformer même une bande de dix personnes. Or, c'est 
dans sa retraite, au temps même où il rédigea sa lettre, qu'il 
songea à implorer l'appui des Européens, et la preuve en est 
que, jamais auparavant, aucun chrétien n'avait entendu parler 
d'une intervention à main armée. Ils y pensaient si peu, qu'à 
l'époque du procès, et jusque dans ces derniers temps, ils étaient 
unanimes à ne voir dansées imputations qu'une calomnie odieuse, 
inventée par les juges. Les missionnaires européens eux-mêmes 
n'ont pu savoir ce qu'il en était , qu'après avoir obtenu , à 
grand'peine, une copie authentique de la lettre. 
Quoiqu'il en soit, l'effet produit fut déplorable. Aux deux causes 
de persécution jusque-là existantes, et que nous avons expliquées 
plus haut, savoir : la haine instinctive des païens contre le chris- 
tianisme et les rancunes acharnées des partis politiques, vint dès 
lors s'enjoindre une troisième, aussi puissante que les autres : le 
sentiment de l'indépendance nationale. on a toujours affecté 
depuis de regarder les chrétiens comme les ennemis naturels du 
pays et de la dynastie. Cette opinion, habilement entretenue par 
les ennemis de la religion, a été le prétexte, sinon la cause, de 
l'église de CORÉE. 14 
— 210 — 
persécutions et de vexations sans nombre; el maliieureusennent, 
de nos jours, diverses interventions avortées n'ont servi qu'à 
confirmer les craintes jalouses du gouvernement, et à faire couler, 
plus abondants que jamais, les flots de sang chrétien. 
Pendant que le tribunal suprême instruisait le procès d'Alexan- 
dre Hoang et de ses compagnons, arriva l'époque du départ de l'am- 
bassade annuellepourPéking.Les événements qui venaient d'avoir 
lieu étaient trop considérables, les exécutions de grands personnages 
avaient été trop nombreuses, pour qu'il fût possible de les pa»ser 
entièrement sous silence. Il fallait aussi mentionner et excuser la 
sentence de mort portée et exécutée contre un sujet chinois, à 
rinsu de l'Empereur. Les artifices et les mensonges habituels de 
la diplomatie vinrent en aide à la régente, pour donner aux faits 
la couleur voulue. Voici le texte de la lettre écrite au nom du 
jeune roi, et datée de la sixième année de Kia-king, le 20 de la 
dixième lune (25 novembre 1801) (1). 
« Le roi de Tchao-hien (Corée, expose respectueusement à Sa 
Majesté Impériale, l'origine et la fin des troubles, que le petit 
royaume (2" a eu le malheur d'éprouver de la part d'une secte de 
brigands, dont il a fait justice en les mettant à mort. 
(f Sa Majesté Impériale sait que depuis le jour où les débris 
de l'armée de-; Yn (3) ont passé à l'Orient, le petit royaume 
s'est toujours distingué par son exactitude à remplir tout ce 
que prescrivent les rites, la justice et la loyauté, et en géné- 
ral par sa fidélité aux devoirs. C'est une justice que lui a 
toujours rendue la cour du Milieu (la cour de Chine). Ce royaume, 
qui a toujours conservé la pureté de ses mœurs, n'estime rien tant 
que la doctrine des lou (la doctrine des lettrés). Tous les livres 
(1) Celte lellre ayant été écrite en chinois, les noms propres de per- 
sonnes ou de lieux s'y trouvent avec la prononciation chinoise, très-diffé- 
rente de la prononciation coréenne, a ce point que plusieurs noms sont tout 
à fait méconnaissables. Nous avons mis entre parenthèses la prononciation 
coréenne pour les plus importants. 
(2) « Petit royaume » signifie ici « mon royaume. » la politesse voulant 
qu'un inférieur appelle petit tout ce qui le regarde, lorsqu'il parle à son 
supérieur. 
(3) Ky-sse (Kei-tsa), que les historiens chinois et coréens regardent comme 
le fondateur ou le législateur de la Corée, avait été exilé par son neveu l'em- 
pereur Tcheou-ouang, le Néron de la Chine, qui ne voyait en cet oncle sage 
qu'un censeur de ses crimes. Mais Ou-ouang ayant délivré l'empire de sou 
tyran et mis fin à la dynastie des Yn, rappela Ky-sse de l'exil, rétablit roi 
de Corée, où le nouveau souverain se rendit, l'an 11^2 avant Jésus-Christ, 
avec le reste des troupes qui avaient servi la djnastie des Yn. C'est à ce 
trait d'histoire que fait ici allusion le roi de Corée. 
I 
— i>41 — 
autres que ceux de Tcliou-clia, de Ming ou de Lo (4) n'ont 
jamais été admis par les lettrés et les mandarins de ce royaume ; 
à plus forte raison, n'ont-ils jamais eu cours parmi eux. Il n'est 
pas jusqu'aux femmes et aux enfants des carrefours el des chau- 
mières, qui ne soient familiers avec les cinq devoirs fondamen- 
taux et les trois grands câbles, appuis de la société (2), et qui n'en 
fassent la règle ordinaire de leur conduite. Toute autre doctrine 
est étrangère au petit royaume et Terreur n'y a jamais pénétré. 
« Mais depuis environ une dizaine d'années, il a paru une 
secte de monstres, de barbares et d'infâmes, qui s'affichent pour 
les sectateurs d'une doctrine, qu'ils disent apportée d'Europe, 
qui blasphèment contre le ciel, n'affectent que du mépris pour 
les sages, se révoltent contre leur prince, étouffent tout sentiment 
de piété filiale, abolissent les sacrifices des ancêtres, et brûlent 
leurs tablettes ; qui, prêchant un paradis et un enfer, fascinent 
et entraînent h leur suite le peuple ignorant et imbécile; qui, par 
le moyen d'un baptême, effacent les atrocités de leur secte; 
qui recèlent des livres de corruption, et avec des sortilèges sem- 
blables à ceux des Fou-tchan (bonzes, [sectateurs de Fo), ras- 
semblant des femmes de toutes parts, vivent comme les brutes et 
les oiseaux de basse-cour. Les uns se disent pères spirituels 
(prêtres), d'autres se donnent pour dévoués à la religion (chré- 
tiens). Ils changent leurs noms pour se donner des titres et des 
surnoms à l'exemple des brigands Pe-ling et Houang-kin (3). Ils 
s'adonnent à la divination, répandent en forcenés l'erreur et le 
trouble depuis la capitale jusqu'aux provinces Tchung-sing et 
Tsuen-lo (Tsiong-tsieng et Tsien-la). Leur doctrine se communique 
avec la rapidité du feu, leurs sectateurs se multiplient d'une 
manière effrayante. 
« Défunt Kung-huen-ouang (le roi précédent, Tieng-tsong- 
tai-oang), ayant pris une connaissance exacte de tous ces désor- 
dres, et prévoyant les suites, donna les ordres les plus sévères, 
(l) Les livres de Tchou-cha, de Ming, de Lo, signifient la doctrine de 
Confucius. Tchou-cha est l'endroit où enseigna ce philosophe; Ming el Lo 
sont la pairie de deux commentateurs célèbres de sa doctrine, Tchung-tse et 
Tcheou-tse, sous la dynastie des Sung. 
(■2) Les cinq devoirs fondamentaux sont ceux : 1° du prince et des sujets; 
2" du père et des enfants; 3" de laîné et des cadets; 4° du mari et de la 
femme; o° des vieillards el des jeunes gens. — Les trois grands câbles 
sont : rautorité du prince, celle du père el celle du mari. 
(3) Houang-kin est le nom d'une secte de révoltés qui parut sous la dynastie 
des Han; Pe-ling, le nom d'une société secrète qui a troulilé la CJiine jusque 
dans les derniers temps. 
— 21^ — 
et prit les mesures les plus efficaces pour arrêter le cours du mal. 
En Tannée sin-liay de Kien-long (1791), Yn-tchl-tchung et 
Tsiuen-chang-ien (Paul loun Tsi-tsiong-i et Jacques Rouen 
Siang-ien-i), avec d'autres, ayant supprimé les sacrifices et 
détruit tous les objets qui y étaient destinés, furent tous punis de 
mort. Tout jeune encore, je reçus l'inauguration pour lui suc- 
céder (1). Ces brigands corrompus, étouffant tout sentiment 
d'égards et de bienséance, se dirent que l'instant était favorable. 
Dès lors, entre eux une correspondance plus active et plus suivie, 
une union plus étroite ; bientôt c'est un torrent qui déborde, un 
incendie qui ravage tout. Leurs complices croissent tous les jours 
en nombre de la même manière qu'un bourgeon, qui, sortant 
d'un arbre, en donne lui-même plusieurs autres, lesquels, pro- 
duisant de la même manière, en très-peu de temps se multiplient 
à l'infini. 
« A la troisième lune de celte année, on a intercepté à Han- 
tchung, ville du premier ordre, les lettres de ces brigands cor- 
rupteurs, de même que les livres de leur doctrine perverse : c'est 
d'après ces pièces qu'on a entamé leur procès. 
« Alors j'assemblai, pour délibérer sur cette affaire, les grands 
de Y-tchung 'Ei-tsieng, Conseil des ministres), les mandarins de 
Y Rin-fou, Sse Rien-fou, Sse Rien-yuen (le Reum-pou et les autres 
tribunaux). on commença par l'examen des livres. Il conste qu'ils 
ont été composés par Ting-io-tchnng (Augustin Tieng Iak-tsiong) ; 
or, selon la déposition de celui-ci, Ly-tcbung-liieun (Pierre Ni 
Seng-houn-i;, de retour d'une ambassade à la suite de son père 
Ly-tung-yu, avait rapporté des livres qui renfermaient une doc- 
trine d'Europe ; il avait reçu ces livres des Européens dePéking, 
avec lesquels il s'était lié pendant son séjour en cette capitale. Il 
communiqua d'abord ces livres à Ly-niée (Ni Piek-i), ensuite à 
Yn-tchi-tcbung, son frère, à Ting-io-tsuen, Ting-io-yung, Ly- 
kia-bouen et autres (Tieng Iak-tsien, Tieng Iak-iong, Ni Ka- 
hoan-i.j Ils étudiaient ces livres, les discutaient ensemble et en 
faisaient la règle de leur conduite. Par suite, ils renoncent à leurs 
propres parents pour se faire une secte et des disciples, pensant par 
ce moyen cbanger les mœurs de ce royaume ; mais les lois étant 
très-strictes et sévères, leur dépit s'exhale en murmures, ils mau- 
dissent, blasphèment, résistent en face, ne méditent rien moins 
qu'une réTolte. Il y a déjà du temps que Ly-niée est mort, mais 
(1) Dans l'original, il n'y a pas : Je reçus, etc. Le roi, comme inférieur, ne 
parle de lui-même qu"à la troisième personne : Celui qui régit, etc. 
— "213 — 
les dépositions de Ting-io-tsueii, Ting-io-yiing', Ly-kia-liouen, 
Ting-io-tchung, Ly-tchung-hieun, s'accordent toutes parfaitement. 
« Cependant Ly-kia-houen étant fort habile dans la littérature 
et les arts libéraux (1), avait obtenu un mandarinat du second 
ordre ; aussi ces sectaires le prenaient-ils pour leur appui et lui 
étaient-ils soumis en tout. Il mit en langage vulgaire les livres 
corrupteurs qu'avait apportés Ly-tchung-hieun, et était à la tète 
de tous pour les répandre au loin. Ting-io-tchung avait pour prin- 
cipaux complices Hung-io-ming , King-ting-tchouun , Tsoui- 
tchang-hicn , Ly-si-yng, Hung-py-tcheou , ïsoui-py-kung et 
autres (François-Xavier Hong Kio-man-i, Sabas Tsi Tsiang- 
hong-i, Paul loun Tsi-tsiong-i, Thomas T'soi Pil-kong-i, etc..) 
Toutes leurs dépositions sont claires et s'accordent. Outre ces 
hommes de lettres et de grande famille , quelques centaines 
et plus d'un rang inférieur, parmi les marchands elle simple 
peuple, s'étaient réunis au parti. Tous se plient et se replient, 
s'entrelacent ensemble comme le serpent, et se nouent comme une 
corde. D'un autre côté, les femmes séduites et entraînées dans 
le parti, ont à leur tête Kiang-ouan-chou, mère de Hung-py-ne. 
Dernières exécutions. — Résumé. 
A l'occasion des procès moitié politiques, moitié religieux, 
d'Augustin Mou et d'Alexandre Hoang, les ennemis de la religion 
et du parti Nam-in, peu satisfaits que plusieurs personnages 
imi»ortants eussent été seulement exilés, et que les familles des 
martyrs n'eussent pas été entièrement anéanties, résolurent de 
faire une nouvelle tentative. |l 
Ils présentèrent donc une requête à la régente, demandant 
que l'on appelât de nouveau en jugement tous ces exilés, que l'on 
poursuivît les femmes et les enfants des grandes familles dont les 
chefs seuls avaient été mis h mort, et finalement que l'on confis- 
quât les maisons et les biens de tous les condamnés sans excep- 
tion. Le gouvernement ne fit pas d'abord de réponse. Sans se 
rebuter, les pétitionnaires, parmi lesquels plusieurs personnes 
honorées des plus hautes charges publiques, s'assemblèrent un 
grand nombre de fois pour s'entendre sur les meilleurs moyens 
d'arriver à leur but, et de forcer la main à la régente et à ses 
ministres. Mais un obstacle imprévu les arrêta tout à coup. Le 
jeune roi, âgé seulement de douze à treize ans, et qui n'avait pas 
encore de part dans l'administration du royaume, fut informé de 
leurs projets. Il se plaignit amèrement de ce que tous les grands 
du royaume, au lieu de chercher à sauver la vie de ses sujets, ne 
cessaient de comploter leur mort ; puis il fit, comme roi, défense 
absolue de revenir sur les jugements déjà rendus, et de faire 
désormais de nouvelles démarches pour obtenir leur révision. 
Cet acte éclatant déconcerta les auteurs de la requête, et sauva 
d'une ruine complète les débris de plusieurs grandes familles, 
qui jusqu'à ce jour conservent une vive reconnaissance pour la 
générosité royale. 
C'était dans le courant de la onzième lune, le jour même, dit- 
on, du martyre d'Alexandre Hoang. Après cet acte de vigoureuse 
initiative de la part du jeune roi, la persécution ne pouvait plus 
guère continuer officiellement. Aussi la régente donna-t-elle, bien 
à contre-cœur, l'ordre de ne plus faire de nouvelles poursuites, et 
le tribunal extraordinaire fut dissous. En même temps les minis- 
_ 221 
des préparèrent, sous forme de proclamation ou d'instruction au 
peuple, un compte rendu de la persécution el une apologie de 
leur conduite. 
Voici cette pièce, qui fut promulguée le !22 de la douzième 
lune (25 janvier 1802) : 
« Instruction contre la mauvaise religion, rédigée par le Tai- 
tiei-hak (maître des cérémonies et grand sacrificateur) Ni Man- 
siou sur l'ordre du gouvernement. 
« Ainsi parle le Roi : Par la protection secrète dont le ciel 
et nos glorieux ancêtres entourent notre royaume, la racine du 
mal ayant été arrachée, et ses principaux chefs enfin terrassés, 
nous le faisons savoir h toute la cour et à notre peuple. C'est un 
bien dont les huit provinces doivent se féliciter ; c'est pour toutes 
les générations futures le développement assuré des principes 
naturels et sociaux. Le royaume concédé à Kei-tsa (1) jouissait 
d'une très-grande paix, depuis quatre cents ans, dans toute l'éten- 
due de son territoire de deux mille lys et plus. Son peuple se 
compose de lettrés, de cultivateurs, d'artisans et de marchands; 
ses livres classiques sont le Si-tsien et le Se-tsien (2), puis les 
livres de civilité, de rites et de musique. Ce que l'on présente à 
l'étude et à l'imitation du peuple, sont les enseignements de lo, 
Sioun, Ou, Tang, Moun-oang, Koung-fou-tse (Confucius), Meng- 
tse, Tsiang-tsa et Tsiou-tsa (3). Les fondements de sa morale 
sont les relations de roi à sujet, de père à fils, d'époux à épouse, 
de vieillard à jeune homme et des amis entre eux. 
« Pendant la longue succession des rois de notre royaume, les 
vertus de Tsiou-namet So-namse firent particulièrement remar- 
quer, les principaux fondements des vertus et de la morale .furent 
en honneur, et par le moyen d'une foule d'homme sages et célè- 
bres, on fit ressortir le sens des livres sacrés, et on se transmit 
(!) Voir, plus haut la lettre du roi de Corée à l'Empereur de Cliino, (troi- 
sième note, p. 210. 
(2) Ce sont deux ouvrages historiques, en vers et en prose, arrangés en 
forme de Morale en action. 
(3) L'empereur lo ne donna pas l'empire en héritage à ses propres enfants, 
mais à Sioun, à cause de sa vertu éminente. Ou fut aussi appelé au trône 
pour sa vertu. Tang et Moun-oang sont des empereurs également célèbres ; 
ce dernier, toutefois, ne régna pas réellement, car il refusa par conscience, 
dit-on, de prendre le royaume d'autrui; mais son tils, Mou-oang, moins scru- 
puleux, étant devenu enîpereur, suivit l'usage de ce pays en donnant à son 
père le titre honorifique d'empereur. Tsiang-tsa et Tsiou-tsa sont des lettrés 
de grande réputation qui ont beaucoup complété la partie des Rites, et dont 
le* institutions sont en usage jusqu'à ce jour en Corée. 
2'2:î 
les sentiments de mille saints. Qu'il fut grand notre feu roi, pen- 
dant les vingt-quatre années de son règne éclatant ! N'ayant en 
pensée que la droite doctrine, il protégea la morale et s'attacha 
à la religion des lettrés ; il mit au grand jour les écrits de Tsiou- 
tsa : il resta fidèle à l'Empereur, et lepoussa les barbares ; il mit 
en pratique les principes si grands du livre Printemps et 
Automne (1). Pour faire fleurir dans tout le royaume la piété 
filiale, il la pratiqua lui-même, et répandant au dehors tout ce 
dont son cœur était richement imbu, les quatre mers se tournè- 
rent au bien. Partout sur ses pas surgissaient la paix et l'har- 
monie; partout où il apparaissait, d'admirables effets se faisaient 
sentir. Qui aurait pu prévoir que du fond de l'Occident un air 
corrompu et empoisonné, secrètement introduit dans ce royaume 
civilisé, aurait pu venir souiller la pureté de son territoire? 
« Ce qu'adorent les sectateurs de cette religion perverse, ce 
sont des serpents génies et des bœufs génies, et ils avaient infecté 
presque la moitié du monde. Ils parlent d'un enfer et d'un paradis. 
Ceux qu'ils appellent pères spirituels et évêques, ils les révèrent 
plus même qu'on ne faisait autrefois les Si-tong (2). Ce qu'ils 
nomment les dix commandements et les sept vertus capitales 
sont des mensonges analogues à ceux de ces livres qui prétendent 
enseigner l'art des prophéties et des sorcelleries. L'amour de 
la vie et l'horreur de la mort sont des sentiments naturels à 
l'homme, et, toutefois, ils regardent le sabre et la scie comme 
une couche délicieuse. Rendre grâces aux parents pour la vie que 
l'on a reçue d'eux, est une loi tracée par le ciel lui-même; mal- 
gré cela ils ne voient dans l'offrande des sacrifices qu'une chose 
vaine et futile. Les esprits de leurs ancêtres pourraient-ils ne pas 
mourir d'inanition (3)? 
« Enfin, le désordre de leurs mœurs est quelque chose de plus 
honteux encore. Des familles déchues et quelques nobles de 
rebut, conservant rancune contre le gouvernement, se sont liés 
avec des bandes de gens perdus, et grâce à un certain appareil 
extérieur, ont semé leur venin parmi la foule ; ils ont appelé à 
(1) L'un des livres de Confucius. 
(2) Avant rinvenlion des tablettes, pour offrir les sacrifices aux parents, 
on faisait venir un enfant, petit-fils du défunt, et on lui offrait le sacrifice. 
Cet enfant, en qui était supposé venir l'esprit des ancêtres, prenait le nom 
de Si-tons. Le texte signifie par conséquent : Ils les révèrent plus que les 
tablettes des ancêtres. 
(3) Le double but de ces sacrifices aux parents est de leur payer le bien- 
fait de lexislencc que Ton a reçue d'eux, et de nourrir leurs âmes d»- la 
fumée des offrandes. 
— ±2?> — 
eux des gens de la classe marchande ; ils se sont recrutés parmi 
les cultivateurs et parmi lesjemmcs; puis détruisant et trou- 
blant l'ordre des difl'érentes classes de la société, ont corromj)u 
tous les usages. Parle moyen de deux ou trois caractères chinois, 
ils se donnent à chacun un nom secret pour se reconnaître (1). 
Avec quelques feuilles de peintures déshonnêtes, ils ornent en 
secret leurs trous et lanières. Au milieu de la profondeur de la 
nuit, et dans les appartements dérobés, se pressant têtes sur tètes, 
ils récitent leurs livres et font la prédication ; et quelquefois 
aussi, paraissant au grand jour, ils agitentl'éventail au milieu de 
la foule assemblée. Ils se sont ainsi multipliés, bien plus que la 
bande du rebelle Kang-i-tsien-i, dissipée dernièrement. Qu'un 
jour quelque chose éclate, comment pourrait-cc n'être pas plus 
grave que l'affaire des troubles de Hoang-lsi (2)? 
« Seng-houn-i suivant Tambassade de Péking, acheta et 
apportâtes livres dépravés et, allant au temple des Européens, 
devint le disciple de cette race étrangère. Iak-tsiong (Augustin 
Tieng), avec toute sa maison, avec son frère aine et son frère 
cadet, fut pris de la contagion. T'siel-sin-i '^Jean T'soi), reste bâtard 
du rebelle Hei (3), s'y fit une réputation de savoir et de connais- 
sances, Nak-min-i ^Luc Hong), qui jouissait d'une dignité élevée à 
la cour, se fit général delà milice, et abjurant les bienfaits du roi, 
refusa jusqu'à la fin de changer ses idées perverses. Plus corrompu 
encore que T'siang-hien et Pil-kong-i, renversant le temple de 
ses ancêtres, et détruisant les relations naturelles, il surpassa 
aussi la malice invétérée de Tsi-tsioung-hi et de Sang-ien-i. 
« Hélas ! même dans une famille brillante par sa fidélité, c'est 
Ken-sioun-i (4) qui abandonne les rites reçus, étudie les livres 
dépravés, se fait toucher le front (baptiser), reçoit un nom 
inconnu, détourne le sens des livres sacrés pour en confirmer une 
fausse doctrine, et finalement s'obstine à vouloir courber la tête 
sous le glaive de la loi. 
«Ka-hoan-i, couvert des nombreux bienfaits de deux rois, a 
déshonoré par son imprudence sa dignité du deuxième degré ; 
quoiqu'il eût la réputation de grand lettré, son mesquin talent 
(1) Le nom de baptême. 
(2) Ces deux dernières phrases font allusion à quelques troubles partiels 
causés par la misère dans les années précédentes, mais de peu d'imporlancj 
poliliquc, puisqu'il n'y avait ni chefs influents ni complot sérieux. 
(3) Ceci est une injure purement gratuite, car Jean T'soi n'appartenait ni de 
près ni de loin à la famille de Hei. 
(i) Il s'agit ici de Josaphat Kim, lequel, ainsi que nous l'avons remarqué 
était de l'une des principales fiimiilesdu parti Nu-ron, alors au |jouvoir. 
— 224 — 
finit par ne produire que de iionteux et déslionnêtes pamphlets. 
Du reste ses yeux de guêpe et sa voix de loup ne pouvaient long- 
temps lui permettre de cacher la corruption et la méchanceté de 
son naturel. Le véritable chef était le fils de sa sœur, le rebelle 
Ni Seng-houn-i qui, pour propager et répandre le mal, unit ses 
efforts à ceux de son ami Piek-i. Toute cette race de vrais bar- 
bares sont ses disciples. 
« Le méprisable Tsou-tsiang (Louis de Gonzague Ni), avec 
toute sa bande, faisait jouer sa langue comme une clarinette et 
protégeait secrètement les affreux projets de Ka-hoan-i. Il se 
montra au public et se fit remarquer de tous, et, quoique le roi, 
par une indulgence aussi large que le ciel et la terre, ait différé 
son supplice en lui pardonnant, il avait bien vu par sa perspica- 
cité, aussi lucide que le soleil et la lune, le fond caché sous cet 
extérieur fourbe et sournois. En ce même temps Tsiou Moun-mo 
(le P. Tsiou) se présenta, pour appuyer la doctrine des Européens. 
Ayant d'abord pendant quelques années fait parvenir de ses nou- 
velles sur les frontières du Nord, il vint du Kiang-nan (province 
de Chine) à dix mille lys d'ici, et trompa la surveillance de la 
douane à Pien-men. Ce fut une guêpe venimeuse entrée dans la 
manche. Lesindividus Hoan (Sabas Tsi) et II (Paulloun lou-ir-i) 
lui prêtaient main forte de Tavant; derrière lui, Siai (Thomas 
Hoangj et Hei (Ok Tsien-hei) étaient ses commissionnaires; Oan- 
siou-ki Colombe Kang), femme naturellement fourbe et corrom- 
pue, devint la maîtresse de sa demeure, et on acheta In-kir-i 
(Matthias T'soi) pour le faire livrer à la mort à la place du chef 
delà mauvaise religion. Le rebelle Ni In, voulant se frayer la 
route au trône, se fit du rebelle Im (1) un rempart au dehors, 
et, dépouillant en quelque sorte la grossière enveloppe du corps, 
il savait, quoique caché dans les montagnes, communiquer avec 
les gens restés à sa maison, et, de sa retraite de Kang-hoa, sur 
les bords de la mer, s'entendait secrètement avec les rebelles 
restés à Tinlérieur, et connaissait Tétat des choses. 
« Quand les affreux projets de ces méchants commencèrent h 
se dévoiler, on osa bien dire par une fausse allusion aux annales 
de Chine, que les innocents calomniés étaient plus nombreux que 
dans l'affaire du complot sous la dynastie Tsong (2). Les rebelles, 
(1 j Cet individu était un païen compromis dans l'affaire du prince exilé. 
(2) Sous cette dynastie, il y eut en Cliine une lentalive de révolte, com- 
primée avec une barbarie sans exemple, et dont le souvenir s'est conservé 
dans la mémoire du peuple, à cause du grand nombre des victimes dont 
l'innocence fut plus tard reconnue. 
— 225 - 
profitant tout d'abord du moment où nous montions sur le trône 
dans un âge tendre, purent se remuer, et, depuis le décès du feu 
roi, leur audace ne fit qu'augmenter. Hélas! un germe de trouble 
existait, tout le monde désignait du doigt le danger, et bientôt 
la révolte arriva ii un tel point, que tout ne tenait plus qu'à un 
fil. C'est effrayant! Un être comme Sa-ieng-i (Alexandre Hoang) 
au cœur de tigre, à la figure et à l'œil de chacal et de fouine, 
appuyé sur la réputation qu'il avait eue dans l'art magique et la 
sorcellerie, osa bien prendre la fuite, et, pour essayer de sauver 
sa petite existence, eut Faudacede prendre un morceau de soie et 
d'y écrire le détail de trois affreux stratagèmes. Vraiment! com- 
ment a-t-il bien pu avoir la pensée d'ouvrir les portes des trois 
cents districts de ce royaume tout dévoué à la belle religion des 
lettrés, pour les livrer à des brigands étrangers? Comment a-t-il 
bien pu appeler de quatre-vingt mille lys, les navires de l'Occident, 
et convenir du jour pour faire invasion dans ce pays ? Sa haine et 
sa rébellion sont cent fois au-dessus de celles de Iak-tsiong. 
^( Les rapports avec l'étranger se faisaient d'accord avec 
Hoang Sim-i ; Hien Kiei-heun-i semait l'agitation dans la pro- 
vince de Tsien-la ; Hang-kem-i faisait ses préparatifs, se met- 
tait en action, et semait des milliers de taëls; tous les bataillons 
de la mauvaise secte étaient donc organisés et fixés, c'était une 
affaire conclue pour en finir sur un seul champ de bataille. on 
peut voir par là les bases et l'étendue de cet horrible complot. 
En vérité, les quatre fameux rebelles, Koal, len, In, et Liang, 
n'auraient jamais pu concevoir de telles pensées; les conspi- 
rateurs Oun, Hai, Ha, et Kong n'auraient pu agir de la sorte ; et 
toi, un être vivant entre le eiel et la terre, comment as-tu bien 
pu vouloir de telles choses? Depuis toutes les anciennes dynasties 
Tang-koun, Kei-tsa, Sin-la, Korie, jusqu'aujourd'hui, jamais 
on n'entendit parler de telles atrocités. 
« Mais notre clémente et sainte régente, n'ayant d'autres pen- 
sées que celles du feu roi, ne cherchant sa tranquillité que dans 
celle de tout le royaume, devina leur complot, et semblable en 
cela à la reine Nie-oa-si (en chinois, Niù-ouà-sy), qui eut le 
mérite de radouber la voûte du ciel (1), elle sut déjouer leur 
^ (1) Dans les anciennes histoires de la Chine, il est dit que la reine Nie-oa-si 
s'éiant battue avec Kong-koung, cette dernière saisit un des piliers du ciel, 
le renversa et fit ainsi un trou à la voûte céleste. Les eaux coulant par ce 
trou, l'inondation menaçait tout l'univers. Heureusement, Nie-oa-si sut 
trouver une pierre précieuse, parvint à la fixer à la voûte pour boucher le 
trou fatal, et rendit ainsi à l'humanité un service dont toutes les races de 
l'extrême Orient la remercient de génération en génération. 
L'iOlISK DK CORiS. lit 
— 22ti — 
malice. Elle lance le blâme et donne ses ordres avec une impo- 
sante majesté. Son administration rappellele règne de la reine Ma, 
qui fut digne d'être assimilée au grand empereur lo (1). Mettant 
à mort et punissant avec équité, elle fait briller les vrais principes 
aux yeux de toutes les races futures. Répandant d'une main la 
pluie et la rosée, de l'autre lançant la gelée blanche et les neiges, 
elle place le gouvernement sur le terrain de la doctrine et de la 
véritable justice. Gravement inquiète, et voyant le danger de la 
position, elle émet des vues lucides comme le soleil et les étoiles. 
C'est pourquoi, à la troisième lune de cette année (2), elle donna 
ses ordres au tribunal Keum-pou, commanda de faire siéger une 
chambre extraordinaire pour juger cette affaire, et par là tout 
fut arrêté. 
« Déjà Tsi-tsiong-i, Siang-ien-i, In-kir-i, lou-ir-i, et Hoang 
avaient, depuis plusieurs années, subi la sévérité de la loi; mais, 
dès lors, l'épouse et la belle-fille du prince rebelle In périssent 
par le poison ; Ka-hoan-i et T'siebsin-i meurent sous les coups; 
Tsiou Moun-mo subit le supplice de l'exécution militaire, pour 
frapper tous les regards ; Seng-houn-i, Iak-tsiong, etc., etc., en un 
mot, tous les principaux chefs de cette ligue insensée, sont 
condamnés et mis à mort. A la huitième lune (3), Sa-ieng-i 
fut pris et traité selon la loi, avec Hang-kem-i, Tsi-hen-i, Hoang 
Sim-i, Tsien-hei et leurs complices. Ceux qui avaient infatué le 
peuple, furent envoyés dans leurs provinces respectives pour y 
être exécutés. Les ministres et dignitaires du palais unissant 
leurs efforts, et tous d'une voix répétant que pour détruire le 
mal, il fallait le prendre par sa base et sa racine, ordre fut donné, 
sur leurs pressantes sollicitations, de dépouiller le ministre T'sai 
de toutes ses dignités (4). C'est ainsi que pour n'avoir pas lâché 
le til céleste et avoir tenu aux principes naturels, l'empereur 
Ha-ou-si élevant l'énorme marmite, les mauvais esprits ne 
purent s'évader; c'est ainsi que pour avoir été très-éclairé sur la 
doctrine du ciel, l'empereur Hen-ouen-si s'avançant sur un char 
(1) Il s"aglt ici de l'empereur T'a-yu ; c'est-à-dire Yu le Grand, celui qui, en 
creusant des canaux, livra à Tagricullure une immense étendue de terrain 
auparavant couverte de marais. 
(2) Cette date est inexacte; l'édit de persécution est daté du 11 de la pre- 
mière lune. 
(3) Cette date aussi est inexacte. Est-ce de propos délibéré ? et dans quel 
but? nous l'ignorons. 
(4) Ce ministre, jadis accusé de rébellion, était mort depuis un certain 
temps quand cet ordre posthume fut rendu contre sa mémoire. 
— ^227 — 
raystérieux, dissipa toutes les vapeurs sombres el malignes dont 
son ennemi l'entourait (1). 
« Tous ces reins turbulents ayant été domptés, et tous ces 
gosiers de désordre ayant été coupés, les fondements du mal ont 
disparu, et toute Tliorrible secte a été anéantie. Femmes ou 
lettrés, grands ou petits, tous les vils agents de la bande ont 
reçu le salaire de leurs crimes. Mais sans la protection des génies 
du ciel et de la terre et des génies de nos ancêtres, le royaume 
eùt-il pu rester sur pied jusqu'aujourd'hui ? Pour moi, j'ai tou- 
jours entendu dire que le ciel matériel s'appelle ciel, et celui qui 
le gouverne, empereur, et en tout j'adhère à la pure doctrine 
orthodoxe. Mais ces affreux rebelles parlent faussement de ceci et 
de cela, et induisent en erreur sur toute espèce de questions. 
« Bien plus, leur doctrine est très-fourbe, très-ariificieuse et 
très-peu profonde; leurs actes sont très-imprudents et très- 
corrompus ; toutes leurs paroles sont vaines et futiles. Ce qu'ils 
disent des esprits, n'est qu'un ramassis de la lie de Siek-si (doc- 
trine de Fo), et le mélange qu'ils en font est tout semblable au 
langage des sorciers. Quant aux livres par lesquels ils trompent 
le peuple, détruisent les rapports naturels et tous les principes, 
sous le règne des dynasties les plus florissantes, on eût pu seu- 
lement les livrer au feu ou à l'eau, mais pour ceux qui désormais 
en adopteraient un seul article, on doit savoir qu'ils sont bien au- 
dessous des chiens et des pourceaux. Ils portent leur aveuglement 
jusqu'à vouloir mourir, comment ne serait-ce pas opposé au sens 
commun? Le tout bien considéré pendant nombre d'années, il 
nous paraît certain qu'ils ont au fond du cœur quelque autre 
but caché. A l'extérieur, ils s'appuient sur la magie, et à l'inté- 
rieur, couvent d'affreux projets. D'abord, ils mettent en avant le 
mot de religion sublime, et secrètement ils ourdissent une trame 
qui s'élèverait jusqu'au ciel. Finalement, ils regardent rois et 
parents comme des ennemis ; ils veulent réaliser librement leurs 
complots qui tournent à la ruine générale. 
« Étant père du peuple, comment pourrions-nous ne pas des- 
cendre de notre char, et avoir l'envie de pleurer? Vous, notre 
peuple, sachez comprendre le but de nos prières, et quel est 
notre dessein en ouvrant le filet pour vous laisser échapper. Vous 
tous, écoutez attentivement notre voix, afin que tous, revenus au 
bien, s'efforcent de pratiquer la vertu; que le sujet pense à la 
fidélité, le fils à la piété filiale, que la femme s'applique au 
(1) Allusion à quelques légendes ridicules de Thistoire chinoise. 
— 228 — 
tissage, que Thomme adonné à la cullure des champs pense 
en même temps à honorer le roi et à être utile au peuple ; qu'il 
aime ses parents et respecte ses supérieurs ; selon les livres Tso- 
tsa et Pou-ei. Les rites consistent surtout dans les sacrifices, que 
vos vases donc et vos habits soient conformes à ceux de nos éta- 
blissements publics d'instruction. Ne perdez pas la vertu que 
nous avons reçue du ciel ; ne vous éloignez pas de tout ce qui a 
constamment été en usage parmi nous. La curiosité est, ce nous 
semble, une manie qui aveugle les siècles modernes ; on s'agite 
pour scruter les noms et les choses, puis on en vient à vouloir 
tourner le dos aux anciens lettrés, et on se dispute. Entraîné par 
l'exemple, on s'engoue de tout ce qui est extraordinaire, et on 
répand des choses étranges. Tout ceci ne décèle que des langues 
bien légères. D'abord on en vient à des actes singuliers qui 
inclinent vers le mal, puis dans deux ou trois tours, comment ne 
tomberait-on pas dans la superstition? Cet état est bien effrayant. 
on doit donc rejeter tout ce qui n'est pas dans les règles des six 
beaux arts et dans la doctrine de Confucius; là, seulement, se 
trouve le véritable fondement des cinq relations naturelles et 
des rites et cérémonies légitimes. C'est par là qu'on connaît 
le ciel et la terre, et qu'on éclaire la volonté des hommes ; 
c'est par là qu'on fait briller la vraie doctrine et relève l'autorité 
des rois. 
(( A partir de ce jour, 22 de la douzième lune, le tonnerre et la 
pluie commencent à avoir produit leurs effets sur le peuple; une 
grande paix revient au ciel et sur la terre, c'est un heureux évé- 
nement comme on n'en vit pas dans toute l'antiquité. Le plus 
grand des attributs étant de donner et de conserver la vie, il eiil 
fallu pardonner le tout, mais en vérité, avec cette mauvaise doc- 
trine, ne trouvant aucun moyen de faire changer ses sectateurs, 
il faut absolument les frapper de mort, pour détruire les germes 
de leur folie. Hélas! si quelque chose se transmettait dans les 
familles, la loi serait encore là. Nous espérons qu'il n'en sera pas 
besoin. Un nouvel air commence à souffler; c'est signe que le ciel 
nous redevient favorable. Un fondement solide pour dix mille 
ans a été de nouveau placé, les esprits se sont renouvelés, et les 
destinées du royaume apparaissent maintenant inébranlables 
comme les rochers et les montagnes. Les paroles du roi devant être 
brèves, pourquoi s'étendre davantage? Le fond de la mer s'étant 
éclairci, nous espérons que le changement en bien continuera de 
plus en plus, tel est le but des instructions que nous présentons, 
et nous pensons que chacun saura les comprendre. » 
— 229 — 
Que le lecteur nous pardonne d'avoir cité tout au long ce 
fatras indigeste et stupide. Telle qu'elle est, cette pièce est une 
des plus importantes de notre histoire, non-seulement parce que 
les Coréens y voient un chef-d'œuvre de style, et une réfutation 
sans réplique de la religion chrétienne, mais, ce qui est beaucoup 
plus grave , parce qu'elle est devenue loi fondamentale de 
l'État, parce qu'elle a fixé la législation contre les chrétiens, et 
qu'il est presque impossible, sans une révolution complète à l'in- 
térieur, ou sans une pression extérieure suffisante, qu'elle soit 
jamais rapportée. Cette loi de proscription est appliquée avec plus 
ou moins de rigueur selon les circonstances, mais elle existe tou- 
jours, et chacune des persécutions que nous aurons à raconter 
a été motivée par elle. De plus, les Coréens, comme tous les 
Asiatiques, ou, pour parler plus juste, comme tous les peuples 
païens d'autrefois et d'aujourd'hui, confondant invinciblement 
ce qui est de l'ordre politique et ce qui est de l'ordre religieux, 
la croyance que le christianisme est par essence hostile à l'état, 
aussi bien qu'à la religion nationale, est devenue un article de 
foi. C'est ce préjugé, maintenant enraciné, qui s'oppose le plus à 
la propagation de l'Evangile. 
Nous ne perdrons pas le temps à réfuter les accusations de toute 
nature accumulées ici contre les chrétiens, mais il est bon de 
constater la ressemblance ou plutôt l'identité des calomnies, que 
tous les persécuteurs , depuis les empereurs païens de Rome 
jusqu'aux princes de la Chine, du Tong-king, ou de la Corée, ont 
toujours mises en avant pour justifier leur cruauté. Toujours il 
est question de magie, de sorcellerie, de mystères cachés, de 
débauche, de violation des lois de la nature, etc.... Et cependant 
la régente de Corée et ses ministres ne songeaient certes guère à 
copier les décrets de Néron ou de Dioclétien ; mais, comme ceux- 
ci, ils écrivaient sous la dictée du même esprit de mensonge, qui 
de tout temps s'est servi, et de tout temps se servira des mêmes 
armes contre Dieu et son Eglise. 
La proclamation officielle fut envoyée à tous les gouverneurs 
de province, de façon a être publiée le jour du nouvel an ; et en 
même temps ordre fut donné aux tribunaux d'exécuter immédia- 
tement les sentences déjà rendues, de terminer en toute hâte, 
avant la fin de Tannée, les procès de chrétiens encore pendants, 
et de ne plus commencer de nouvelles poursuites. En consé- 
quence, deux exécutions eurent lieu coup sur coup, à la capitale ; 
l'une le 26 de la douzième lune (29 janvier 1 802) ; l'autre deux 
— 230 - 
jours après. Cette dernière est celle de Luthgarde Ni, de ses 
belles-sœurs et de son cousin Mathieu. Nous l'avons racontée 
plus haut. Disons maintenant quelques mots de la première dans 
laquelle, d'après le témoignage de témoins oculaires, huit chré- 
tiens obtinrent la palme du martyre. 
Le chef de cette glorieuse troupe fut Charles Ni Kieng-to, 
frère aîné de Luthgarde. Né à la capitale en l'année 1780, il 
était, à la douzième ou quinzième génération, le principal des- 
cendant d'un fils naturel du roi Tai-tso, fondateur de la dynastie 
aujourd'hui régnante. Sa famille anoblie sous le nom de Kieng- 
hieng-koun ne comptait plus, depuis plusieurs générations, parmi 
les princes; elle avait néanmoins conservé un rang très-distingué 
dans le royaume, et se trouvait à la tête du parti Nam-in. 
D'un caractère doux, généreux et grave, Charles, dès l'enfance, 
n'avait pas de conversations légères. 11 se fit de bonne heure 
remarquer par des talents naturels peu communs, et par ses pro- 
grès dans les lettres. A l'âge de dix-sept ans, il fut marié selon 
sa condition, et trois mois après, son père étant venu à mourir, 
il se trouva, en qualité d'aîné, à la tête d'une riche et nombreuse 
famille. Il lui était difficile, à l'occasion de la mort de son père, 
de ne pas participer aux superstitions si nombreuses en pareil 
cas, surtout parmi les nobles ; toutefois, à force de prudence et de 
fermeté, il réussit à se conserver pur de toute coopération illi- 
cite. Déjà depuis longtemps, pour se tenir éloigné du siècle, et 
éviter les tentations journalières qui ne peuvent manquer d'as- 
saillir un jeune homme dans sa haute position, il affectait d'être 
bossu, et demandait instamment à Dieu de lui envoyer cette 
infirmité. Il ne marchait jamais qu'en se courbant, et ayant l'air 
de se traîner à grand'peine. Peu à peu l'épine dorsale, dérangée, 
se courba en avant, ses jambes s'affaiblirent, et il devint telle- 
ment infirme, que plus tard on fut obligé de le porter au tribunal 
pour y subir les interrogatoires. 
Chef d'une grande maison, il s'appliquait à la conduire conve- 
nablement, y réglait tout, instruisait ses subordonnés, et ne lais- 
sait rien voir que de conforme à la gravité chrétienne. Une sortait 
jamais pour aller visiter ses parents et amis, et ne se mêlait en 
rien aux conversations et amusements futiles. Une vie aussi 
modeste et aussi retirée ne pouvait manquer de lui attirer bien 
des blâmes et des réprimandes ; il les recevait humblement, mais 
ne changeait rien à ses résolutions. Ce fut bien pis encore, lors 
du^^mariage de sa sœur Luthgarde avec Jean Niou ; une véritable 
tempête de murmures et de protestations s'éleva contre lui, mais 
— 231 - 
décidé à tout pour son propre salut et celui des siens, il laissa 
passer Torage sans se troubler. 
Arrêté en 1801, il semble avoir eu d'abord quelques instants 
de faiblesse, mais bientôt sa foi reprit le dessus, sa résolution 
devint ferme et ne se démentit plus jusqu'au jour du supplice. 
Nous ne connaissons pas les détails de son procès. Il ne fut accusé 
ni de conspiration ni de révolte, mais condamné purement et 
simplement comme chrétien. Voici la lettre qu'il écrivit à sa mère 
la veille de sa mort. 
« Moi, votre tils, je vous écris aujourd'hui pour la dernière 
fois. Quoique je sois le plus grand des pécheurs, le Seigneur, par 
un bienfait extraordinaire, daigne m'appeler à lui d'une manière 
toute spéciale. Je devrais être rempli de contrition et d'amour, je 
devrais essayer, par ma mort, de payer quelque peu cette faveur; 
mais la masse des péchés de toute ma vie, atteignant jusqu'au 
ciel, mon cœur, semblable au bois et à la pierre, ne laisse pas 
encore couler de larmes pour cette grâce insigne. J'ai beau con- 
sidérer l'infinie bonté de Dieu, comment pourrais-je n'être pas 
honteux, et ne pas craindre ses terribles punitions? Toutefois, 
quand je réfléchis, je me dis : Mes péchés, il est vrai, sont sans 
bornes, mais la miséricorde de Dieu est aussi sans limites. Si de 
sa main clémente il veut bien m'attirer, devrais-je mourir dix 
raille fois, qu'ai-je à regretter et sur quoi peuvent porter mes 
inquiétudes? 
« Faible comme je suis, ne pouvant prendre une détermination 
courageuse, je me disais souvent : Si par une grâce spéciale de Dieu 
la mort me devenait inévitable, quel bonheur ce serait pour moi ! 
Et voilà qu'aujourd'hui Dieu me sert selon mes désirs; n'est-ce pas 
le plus grand des bienfaits? Tant que j'ai été dans ce monde, je 
crains de n'avoir ])as su remplir mes devoirs de fils et de ne pas 
vous avoir témoigné toute la soumission que je devais; c'est là le 
sujet de ma peine et de mes regrets. Ne vous séparez pas les uns 
des autres, et j'espère vous revoir sous peu pour toujours, dans 
le ciel. Je n'oublierai pas mon tils Koui-pir-i ; cher enfant, sois bien 
obéissant, reste avec tous les autres sans jamais t'éloigner d'eux, 
et quand il en sera temps, viens me retrouver. J'aurais bien des 
choses à dire, mais je ne puis le faire longuement. Surtout ne 
vous contristez pas trop, et après avoir conservé ici-bas le corps 
et l'âme en bon état, réunissons-nous pour toujours. 
« Année sin-iou, le 25 de la douzième lune, 
« Charles Ni. » 
— 232 — 
Le lendemain, le martyr eut la tête tranchée au lieu ordinaire 
des exécutions. Il était âgé de vingt-deux ans. 
Un des compagnons de Charles Ni fut le catéchiste Son Kieng- 
ioun-i. D'une famille honnête de la capitale, il se convertit dès 
avant l'entrée du prêtre. Ayant été ensuite établi catéchiste, il 
s'acquitta de ses fonctions avec beaucoup d'assiduité et de zèle. 
Il avait acheté une énorme maison, dont le devant était disposé 
en cabaret, et où il vendait du vin à quantité de païens. Effica- 
cement protégé par ces dehors bruyants, il réunissait à l'arrière 
un très-grand nombre de chrétiens pour les instruire et les exhor- 
ter. Dénoncé, dès le commencement de la persécution, il prit 
d'abord la fuite ; mais toute sa famille ayant été saisie à sa place, 
il crut devoir se livrer lui-même pour les faire relâcher. Il eut, 
dit-on, à souffrir des tortures affreuses, mais, soutenu de la grâce, 
il sortit victorieux de toutes les épreuves, et reçut la couronne à 
l'âge de quarante-deux ans. 
Simon Kim Païk-sim-i, né, lui aussi, d'une famille honnête de 
la capitale, montra le même courage et la même persévérance. 
Ayant été quel((ue temps serviteur dans une maison que le prêtre 
habitait, il sut profiter de cette heureuse occasion pour s'affer- 
mir dans la foi, et s'exercer à la pratique des vertus. Recherché 
dès le printemps de 1801, il se sauva et resta longtemps caché, 
puis ayant appris que son père était retenu captif comme caution, 
il alla se présenter de lui-même, et confessa hardiment Jésus- 
Christ. Le juge qui avait reçu secrètement de l'argent pour le 
relâcher, l'envoya passer trois jours dans sa famille, pensant par 
là ébranler sa constance. Quand Simon revint, il lui dit : « Eh! 
bien, as-tu changé maintenant? — Oui, répondit le confesseur. 
— Très-bien, reprit le juge; désormais donc, tu ne suivras plus 
cette mauvaise secte. — J'ai bien changé, repartit Simon, mais 
c'est en prenant une résolution ferme de pratiquer mieux que par 
le passé, en me convertissant plus complètement à la loi de Dieu. » 
Le juge fut stupéfait de cette réponse, et Simon, ne voulant 
entendre parler d'aucune concession, même la plus légère, fut 
condamné à mort et exécuté avec les précédents. 
Le quatrième de ces généreux confesseurs fut Antoine Hong, 
plus connu sous le nom d'An-tang. Nous n'avons pu retrouver 
aucun détail sur le lieu de son origine, sur sa parenté, ni sur les 
circonstances de sa vie. on sait seulement qu'il habita, pendant 
quelque temps, la maison voisine du palais, et eut de fréquents 
rapports avec le P. Tsiou. 
Venait ensuite une femme chrétienne nommée Sie-rai. La prin- 
— 233 — 
cipale accusation portée contre elle, était d'avoir confectionné un 
habit de deuil à Alexandre Hoang, pour l'aider à se soustraire 
aux perquisitions. Les trois autres compagnons de ces cinq mar- 
tyrs sont restés inconnus. 
Philippe et Jacques, les deux beaux-lils d'Antoine Hong, aux- 
quels divers témoignages joignent aussi sa femme, le suivirent 
de près au supplice; on ne sait pas quel jour. on ignore égale- 
ment la date précise du martyre des trois autres chrétiens : Pien 
Tenk-siong-i, le teinturier Kim Kieng-sie, et Pak, dont le fils 
Pak Mieng-koang-i, fut martyrisé à son tour en 1839. on sait 
seulement qu'ils souffrirent à la capitale, vers cette époque. 
En vertu des ordres du gouvernement, un certain nombre 
d'exécutions eurent lieu également dans les provinces, pendant 
les derniers jours de cette année. 
A Tsieng-tsiou, nous avons à citer le martyre de François Kim 
Sa-tsip-i. Né au village de Pépang-kotsi, district de Tek-san, 
d'une famille honnête, François s'était adonné aux lettres, et avait 
acquis en peu de temps des connaissances suffisantes pour con- 
courir honorablement aux examens publics. Mais à peine eut-il 
été converti à la foi chrétienne, qu'il laissa de côté les sciences 
humaines, pour ne plus s'occuper que d'études religieuses. La 
prière et la lecture faisaient ses délices. Une conduite exemplaire, 
jointe à sa prudence naturelle et à ses rares talents, lui procura 
bientôt beaucoup de réputation et d'autorité dans le voisinage. Il 
profitait de son influence pour répandre la religion, exhortant les 
faibles, expliquant la doctrine aux ignorants, et ses paroles 
étaient d'autant mieux accueillies, qu'il était le premier à les 
mettre en pratique. Il faisait volontiers l'aumône. Se procurait-il 
un habillement neuf, il donnait de suite au plus pauvre celui qu'il 
dépouillait. Il secourait avec sollicitude les nécessiteux de son 
village, et s'il entendait dire qu'une femme en couches ou quel- 
que pauvre infirme ne pouvaient se procurer les petits soulage- 
ments nécessaires, il les lui envoyait sur-le-champ, en sorte que 
tous les malheureux et les délaissés le regardaient comme un 
père. Non moins dévoué envers ses parents, il ne manqua jamais 
de remplir minutieusenent ses devoirs envers eux, et à leur mort, 
observa strictement l'abstinence pendant tout le temps du deuil, 
c'est-à-dire deux ans entiers. Habile en calligraphie, il copiait 
beaucoup de livres de religion, et donnait gratis les plus néces- 
s aires aux chrétiens qui n'avaient pas le moyen d'en acheter. 
C'est ainsi que par une vie toute pleine de bonnes œuvres, 
— 234 — 
François travaillait à obtenir la grâce de Dieu. A la persécution, 
beaucoup de livres copiés de sa main ayant été saisis, il fut tout 
d'abord signalé aux mandarins. Deux traîtres, feignant d'être 
attirés par sa réputation, vinrent examiner sa maison sous pré- 
texte d'acheter quelques livres, et bientôt après, amenèrent les 
satellites pour le prendre. François fut d'abord conduit à sa 
propre ville de Tek-san. Le juge lui promit de le mettre immédia- 
tement en liberté, s'il voulait apostasier; mais il répondit : «Moi 
qui sers le grand Dieu du ciel, comment pourrais-je le renier? » Le 
mandarin lui infligea quelques tortures, le dégrada au rang de 
satellite, et le renvoya h la prison. Cité de nouveau, François 
montra la même constance sous les coups, et fut condamné à 
l'avilissant office de fustigateur; mais il ne se laissa pas ébranler 
et écrivit à ses enfants : « Appuyé sur l'assistance de Dieu et de 
(( sa sainte Mère, tâchez de passer votre vie chrétiennement, et 
<( n'ayez pas la pensée de me revoir. » C'est que son parti était 
pris, et son sacrifice déjà consommé dans son cœur. 
A la dixième lune, transféré au tribunal criminel de Hai-mi, il 
reçut quatre-vingt-dix coups de la planche à voleurs. Les supplices 
ne pouvant vaincre sa constance, il fut, à la douzième lune, ren- 
voyé à Tsieng-tsiou, chef-lieu militaire de la province. Ce voyage 
fut pour lui une cruelle torture. Par un froid rigoureux, chargé 
d'une lourde cangue, et alors que ses blessures n'étaient pas 
encore fermées, il dut parcourir à pied l'espace de 480 lys. Ses 
cheveux blancs étaient épars sur ses épaules, le sang coulait de ses 
plaies, mouillait ses habits et les collait sur la peau, en sorte que 
chaque pas, chaque mouvement, lui causaient des souffrances 
aiguës. Cet horrible voyage dura trois jours, pendant lesquels la 
résignation et le calme de François ne le quittèrent pas un seul 
instant. 11 fut de suite condamné à mort, et le 22 de la douzième 
lune (2o janvier), après avoir été donné en spectacle sur le mar- 
ché et frappé de quatre-vingt-un coups de planche, il rendit dou- 
cement son âme à Dieu. Jusqu'à la fin, disaient des témoins ocu- 
laires, sa foi, son espérance et sa charité parurent des plus vives, 
et son cœur ferme comme le fer et la pierre. 11 était âgé de 
cinquante-huit ans. 
Avec lui fut aussi exécutée une chrétienne nommée Colombe, 
épouse d'un noble du nom de Ni, qui habitait à Piel-am, district 
de Tek-san ; nous n'avons sur sa vie et sa mort absolument 
aucun détail digne de foi. 
Cinq jours après, au district de Po-tsien, ce fut le tour de Léon 
Hong, qui, arrêté avec son père François-Xavier Hong Kio-man-i, 
— 23H — 
le 1 i de la deuxième lune, avait été renvoyé à la prison de Po-tsien, 
pendant que son père était gardé à la capitale. D'un caractère 
doux et tranquille, Léon avait passé sa jeunesse dans ce district, 
ne rêvant pour l'avenir ([iie les grandeurs humaines, dont sa 
naissance et sa position lui frayaient la route. Mais à peine eut-il 
connu notre sainte religion, qu'il l'embrassa avez zèle, et oublia 
fie suite toute autre ambition que celle de servir Dieu et de pro- 
pager sa loi. La piété filiale lui faisait un devoir de commencer 
par son père, qui, bien qu'instruit du christianisme, hésitait à 
l'embrasser. Léon sutéclaircir ses doutes, fixer ses irrésolutions, 
ît parvint à l'affermir solidement dans la foi. Son zèle se porta 
ensuite sur les autres membres de sa famille qu'il instruisait 
issidùment, sur les chrétiens tièdes qu'il excitait avec une 
patiente énergie, et sur les païens dont il convertit un grand 
nombre. Son humilité surtout était admirable; il ne parlait de lui- 
même que dans les ternies les plus modestes, et se plaisait à 
relever les qualités, les talents, et les bonnes actions des autres. 
\ussi était-il estimé et aimé de tous. 
Emprisonné d'abord avec son père, puis ramené à sa ville 
natale, il eut à subir de fréquentes tortures, mais la pensée de la 
glorieuse mort de ce père que lui-même avait converti, et le 
lésir de marcher sur ses traces, le soutinrent merveilleusement, 
3t son courage fit plus d'une fois l'admiration des satellites. Dix 
mois de détention, au milieu de toutes sortes de souffrances et 
l'épreuves, ne purent en rien ébranler sa foi ; et il mérita enfin 
l'être condamné à mort, pour Jésus-Christ. Il avait quarante- 
quatre ans, lorsqu'il fut décapité, h Po-tsien, le 27 delà douzième 
iine (30 janvier 1802). Après sa mort, pendant plusieurs jours, 
[ine vive lumière environna son corps, qui conservait toutes les 
ipparences de la vie. Les satellites et une grande foule de païens 
furent témoins de ce prodige. 
Le même jour, à lang-keun, où avait déjà coulé le sang de 
tant de chrétiens, eut lieu le martyre de Sébastien Kouen Siang- 
moun-i, second fils de François-Xavier Kouen, et devenu par 
Adoption fils et héritier d'Ambroise Kouen. Le nom qu'il portait, 
la réputation que ses talents et ses bonnes qualités lui avaient 
léjà acquise, sa ferveur à pratiquer la religion, étaient des causes 
ie proscription plus que suffisantes. Il fut donc pris, et incarcéré 
l'abord dans la prison de lang-keun, où il souffrit des tourments 
il atroces, que son cœur faiblit un instant, et laissa échapper une 
parole d'apostasie. Mais transféré devant les tribunaux de la capi- 
tale, il se rétracta, et au milieu des tortures qui ne lui furent 
— 236 — 
pas épargnées, confessa de nouveau la religion chrétienne. Après 
environ dix mois de détention, il fut condamné à mort et renvoyé 
à lang-keun pour y être exécuté. Le 27 de la douzième lune 
(30 janvier), sa tête tombait sous le sabre ; il était alors dans la 
trente-troisième année de son âge. 
Le même jour encore, dansja grande ville de T'siong-tsiou, 
autrefois capitale de la province de T'siong-t'sieng, la foi de 
Jésus-Christ eut de nouveaux témoins. 
Le premier était un noble nommé Ni Kei-ien-i, qui avait été 
exilé, après apostasie, à la fin de Tannée précédente. Rappelé de 
son exil, il subit avec plus de courage de nouveaux interroga- 
toires, et eut le bonheur, cette fois, d'être condamné à mort. 11 
fut décapité à l'âge de soixante-trois ans. 
Trois autres confesseurs,'"que Ni Kei-ien-i avait lui-même con- 
vertis et instruits des vérités de la religion, l'accompagnaient au 
supplice; c'étaient Ni Pou-tsioun-i, Ni Siek-tsiong-i, et une femme 
nommée Ni Aki-nien-i. 
Ni Pou-tsioun-i, prétorien de cette même ville, homme d'une 
certaine éducation, d'une grande facilité de parole et d'un exté- 
rieur avantageux, s'était toujours montré très-attaché à sa foi, et 
fidèle à en observer les pratiques. Ni Siek-tsiong-i était fils du 
précédent et, comme lui, fervent chrétien. Bien qu'il exerçât le 
métier de marchand, métier très-dangereux dans ce pays pour la 
conscience, il savait mettre avant tout les intérêts de son âme, et 
s'occupait de gagner le ciel, bien plus (}ue de gagner des richesses 
périssables. Le père et le fils avaient été arrêtés à des époques 
différentes, mais leur constance fut la même dans les supplices, 
et ils firent l'étonnement des païens qui ne connaissaient pas 
encore les prodiges qu'opère la grâce divine dans le cœur des 
fidèles. Ils furent décapités ensemble. Le premier avait soixante- 
huit ans, et le second vingt-neuf ans. 
Ni Aki-nien-i, fille de prétorien, fut mariée dans cette même 
classe, et perdit son mari après en avoir eu deux fils. Quoique 
ceux-ci refusassent de pratiquer la religion, la veuve chrétienne 
n'en fut pas moins un modèle d'assiduité à ses devoirs et à ses exer- 
cices de piété. Jamais, dit-on, la moindre froideur ou la moindre 
paresse ne se fit sentir chez elle ; aussi Dieu daigna-t-il récom- 
penser sa noble persévérance. Il permit qu'elle fût arrêtée comme 
chrétienne et que, dans d'horribles supplices, son calme et son 
courage fissent l'honneur de la religion. Elle eut la tête tranchée, 
avec les autres martyrs que nous venons de nommer, le 27 de la 
douzième lune (30 janvier). 
i 
— 237 — 
Enfin , à Koang-tsiou, province de Kieng-kei, nous avons à 
signaler deux martyrs. Le premier est Ou Teii-oun-i, sur lequel 
lous n'avons pas de détails. Sa sentence d'ailleurs très-claire, 
[lous montre un homme décidé, qui prit souvent soin de la sépul- 
ture des martyrs, et, en diverses circonstances, reprocha publi- 
quement et éncrgiquement aux apostats leur lâche faiblesse. Il 
fut décapité le 28 delà douzième lune (31 janvier 1802), à l'âge 
le cinquante ans. 
Le second est Thomas Han Tek-ouen-i. Né d'une famille noble 
lu district de Sioun-ouen, province de Kieng-kei, il avait émigré 
;ur le territoire de Koang-tsiou. C'était un homme austère, dévoué, 
issidu à la prière et aux lectures pieuses. Il aimait à réunir les 
;hrétiens pour les instruire et les exhorter, et alors, disent les 
Mémoires du temps, ses paroles étaient fermes et tranchantes 
îomme son cœur lui-même. Sa principale application était de se 
îonformer en tout à la volonté de Dieu, et il le faisait avec une 
ionstance invariable. Saisi en 1801 par les satellites de Koang- 
siou, il fut traduit devant le juge, qui voulait à tout prix obtenir 
le lui des dénonciations. Thomas refusa d'en faire aucune, et sup- 
)orta les tortures avec une sainte joie, sans changer de visage. 
)Oumis, quelque temps après, à de nouveaux supplices, il dit au 
nandarin : « Si vous deviez donner des récompenses à ceux que 
e désignerais, je le ferais aussitôt, mais, loin de là, vous les feriez 
aisir, leur presseriez le cou jusqu'à les étrangler, et à mesure 
[u'ils viendraient, vous leur trancheriez la tête; je ne puis donc 
'ous dénoncer personne. » Sa sentence de mort fut envoyée à la 
apitale et confirmée au nom du roi. Il se rendit joyeusement au 
ieu du supplice, soutint lui-même le billot sur lequel il posait la 
ête, et, regardant le bourreau fixement, lui dit : « Coupez-moi la 
êted'un seul coup. » Celui-ci, saisi de crainte et tout tremblant, 
rappa à faux, et la tête ne tomba qu'au troisième coup. C'était 
e 30 de la douzième lune (2 février 1802). Thomas était dans la 
inquante-deuxième année de son âge. 
En terminant l'histoire de cette affreuse persécution de 1801, 
nentionnons encore quelques autres martyrs qui n'ont pas été 
ndiqués dans notre récit, parce que le lieu ou la date de leur 
ixécution n'ont pas été retrouvés. Ces noms sont à tout jamais 
glorieux dans ciel, et il serait injuste de les laisser tomber, ici- 
)as, dans un complet oubli. 
Le premier est Mathias Pai, chrétien zélé, qui employa toutes 
les forces et toutes ses ressources pour le bien général, et rendit 
— '23H — 
à l'église de Corée d'importants services. Il était frère cadet de 
François Pai, martyrisé en 4799. Depuis le jour de sa conversion 
le grand désir de Mathias avait été de faire à tout prix péné- 
trer des prêtres en Corée. En conséquence, il s'offrit à faire 
le périlleux voyage de Péking, y alla en effet plusieurs fois, y 
reçut les sacrements et, selon toute probabilité, fit partie de la 
troupe qui introduisit le P. Tsiou. La droiture de Mathias, son 
dévouement, sa ferveur, lui avaient concilié l'estime générale, et 
les chrétiens aimaient à suivre ses avis. La persécution ayant 
éclaté, il se cacha, continuant toujours à exhorter ses frères, à 
célébrer le courage des martyrs, à publier, comme un exemple et 
un encouragement, le récit de fleurs souffrances. Lui-même se 
préparait au combat, en supportant avec joie les peines de la vie, 
en renonçant à tous les plaisirs, et en vivant avec sa femme dans 
une continence absolue. 
Il fut arrêté, et montra un grand courage dans les tourments. 
Quatre ou cinq mois de supplices continuels ne purent l'ébranler, 
et le juge, désespérant de venir à bout de son prisonnier par les 
voies ordinaires, essaya d'un moyen plus perfide. Il mit en jeu la 
famille de Mathias, et quelques-uns de ses compagnons de capti- 
vité, chrétiens indignes qui avaient renoncé à leur foi. Dieu, qu 
voulait purifier son martyr de tout levain d'orgueil, permit que, 
cédant un instant à la voix de la nature et aux obsessions de ses* 
amis, Mathias laissât échapper une parole d'apostasie. on le mit 
immédiatement en liberté. Mais il avait à peine passé le seuil de 
la prison, que la foi et la grâce reprirent le dessus; il rentra sur- 
le-champ, versant des lai-mes, poussant des gémissements sur le 
crime qu'il venait de commettre, et invoquant à haute voix les 
saints noms de Jésus et de Marie. — « Es-tu fou ?» cria le juge, « il 
n'y a qu'une minute que tu as renoncé à tout cela. — Oui,» dit 
Mathias, a j'étais fou de prononcer une telle parole, mais mainte- 
nant la raison m'est revenue, et dussé-je mourir, je professe 
hautement la foi de mon Dieu. » Il fut aussitôt condamné à mort, 
et étranglé dans la prison. Il avait alors trente-trois ans. 
Un chrétien du district de Po-rieng, dont le nom même est 
inconnu, s'était rendu à la capitale pour acheter des images 
religieuses. Il fut pris, conduit en prison, et mis à la torture. 
Comme il persistait, après une longue détention et des supplices 
répétés, à montrer une fermeté peu commune, il fut condamné 
à mort. on envoya des satellites qui lui dirent de se passer la 
corde au cou ; il refusa de le faire lui-même, et fut étranglé par 
eux. Dieu permit qu'un prisonnier chrétien se trouvât dans la 
- 239 — 
chambre voisine, ei eiilendîl irès-distinclemenl loul ce qui se 
passa entre la victime et les bourreaux. C'est ce chrétien qui, 
sorti de prison, a raconté à sa famille ce fait édifiant. 
Un autre martyr, Jean Ni Ik-oun-i, appelé aussi Mieng-ho, mon- 
tra le même courage, et mourut d'une manière moins glorieuse 
peut-être aux yeux des hommes, mais non moins méritoire devant 
Dieu. Descendu d'une noble famille du parti Nam-in, Ni Ik-oun-i 
était gouverneur de la province de Kieng-kei avant et pendant 
la persécution de 1801. Ayant embrassé la religion, il travailla 
à réprimer son caractère trop vif, et à régler toutes ses actions 
d'après les exemples de Jésiis-Christ et des saints. Il se mortifiait 
continuellement dans ses repas, ne fréquentait plus les sociétés 
mondaines, et vivait seul dans un appartement retiré. Le 
dimanche seulement, il sortait pour aller se joindre à quelques 
chrétiens, et se livrer en leur compagnie à la prière, à des lec- 
tures et conversations pieuses. Son père, alarmé du danger 
qu'une telle conduite faisait courir à toute la famille, ne négligea 
rien pour lui faire abandonner la foi, mais sans succès. Le péril 
devenait de plus en plus imminent, et la haute position de sa 
maison ne permettait pas à Jean de s'y soustraire par la fuite. 
Il attendait donc avec résignation les ordres de la Providence, 
quand son père, aveuglé par la peur et par la colère, lui ordonna 
de prendre du poison. Jean refusa de le faire; mais plusieurs per- 
sonnes s'étant réunies à son père, on le saisit violemment, et on par- 
vint à le lui faire avaler de force. Il en mourut après quelques heures. 
A la ville de Niei-tsiou, on signale une jeune veuve nommée 
Ni, de la branche de Oan-san, fervente chrétienne, qui fut prise 
et exécutée avec un de ses parents. 
Au district de Piek-tieng, province de T'siong-t'sieng, un 
noble nommé T'soi, plus connu des chrétiens sous le nom de 
T'soi-pan, après s'être séparé, pour devenir chrétien, d'une con- 
cubine qu'il aimait tendrement, et avoir donné, pendant plusieurs 
années, l'exemple d'une fervente exactitude à tous ses devoirs, fut 
pris et décapité. 
Thomas Kim, natif du district de Tek-san, qui avait accom- 
pagné le P. Tsiou dans ses courses, comme conducteur de son 
cheval, eut aussi la tête tranchée. 
Paul loun, de Tsiour-oul, district de Tek-san, et Thomas Han 
de Olkou-tsi, district de Tien-t'sien, furent tous deux martyrisés 
à la ville de Hong-tsiou. 
A Rong-tsiou, furent exécutés un homme et une femme, de la 
famille Ouen. 
— 240 — 
Enfin, Sin Koang-sie, natif de Han-té, au district de Tieng-sa, 
émigré près de Tsien-tsiou, fut traduit devant le tribunal de cette 
ville, et y eut la tête tranchée, en compagnie de Ni Kouk-i et de 
deux ou trois autres confesseurs. 
Cette liste des victimes de la persécution de 1801, quelque longue 
qu'elle soit, est loin d'être complète. L'homme le plus à même 
de bien connaître les événements, Tieng Iak-iong, porte à deux 
cents au moins le nombre des martyrs. Alexandre Hoang assure 
que, dès la fin d'octobre, les païens estimaient à trois cents les 
exécutions qui avaient eu lieu, dans la capitale seulement. Jamais 
pareille boucherie n'avait ensanglanté les tribunaux du pays. 
Malheureusement beaucoup d'écrits originaux ont disparu. Les 
missionnaires européens, arrivés trente ans plus tard, eurent, en 
entrant en Corée, autre chose à faire d'abord que de recueillir les 
anciennes traditions au sujet des martyrs ; et quand, longtemps 
après, Mgr Berneux, devenu vicaire apostolique, s'occupa le pre- 
mier de réunir tous les documents authentiques, un grand nombre 
de témoins oculaires de la persécution étaient morts, et avaient 
emporté avec eux dans la tombe des souvenirs à jamais perdus. 
Nous avons donc à regretter bien des détails édifiants, bien des 
exemples de charité héroïque, qui ne seront connus et glorifiés 
que dans le ciel. Nous avons à regretter surtout l'impossibilité oîi 
l'on se trouve maintenant de constater d'une manière juridique un 
grand nombre de miracles, dont il ne reste plus qu'un vague sou- 
venir. Dans le cours du récit, nous avons noté ceux seulement 
qui ont un certain caractère d'authenticité ; mais, s'il faut en croire 
la tradition générale. Dieu en fit beaucoup d'autres pour glorifier 
les confesseurs, et protéger leur précieuses reliques. Un fait 
hors de doute, c'est que les païens, aussi bien que les chrétiens, 
croient encore aujourd'hui à la fréquence et à la réalité des 
prodiges qui eurent lieu à cette époque. 
Les païens, aussi bien que les chrétiens, remarquèrent également 
la punition frappante de quelques-uns des persécuteurs. Le 
ministre Hong Nak-an-i, ennemi acharné des chrétiens, toujours 
le premier à élever la voix contre eux, fut, on ne sait pourquoi, 
exilé àl'ile de Quelpaert, où il mourut après vingt ans de déten- 
tion. 
Le frère de l'apostat Pierre Seng-houn-i, nommé Ni Tsi-houn-i, 
qui avait été, lui aussi, très-hostile à la religion, mourut en exil 
à l'île deKe-tsiei. 
— 241 — 
ïsieng Tsiou-seng-i, mandarin de lang-keun, qui faisait ses 
barbares délices de tourmenter et massacrer les chrétiens, devint 
aveugle, perdit son fils unique, et vit, avant de mourir, sa maison 
entièrement ruinée. on dit que les débris de cette famille végè- 
tent encore aujourd'hui, dans la plus grande misère, au district 
de T'siong-tsiou, abhorrés des païens eux-mêmes qui les montrent 
au doigt, comme une race maudite du ciel. 
Pierre Ni Seng-hoa raconte dans ses mémoires, comme un fait 
connu de tous, Thistoire d'un malheureux apostat qui, d'accord 
avec les satellites, vexait, dénonçait, pillait les chrétiens. Envoyé 
plus tard en exil pour quelque crime, il se pendit de désespoir; 
son corps, brîilé par accident, resta sans sépulture ; sa famille 
perdit tout ce qu'elle possédait, et ses descendants sont mainte- 
nant réduits à la mendicité. 
Dans le Nai-po, un traître, nommé Tsio Hoa-tsin-i, qui par ses 
délations, avait causé la mort de plusieurs chrétiens, continua après 
la persécution sa vie de scélératesse et de brigandages, jusqu'à ce 
que, poursuivi par les tribunaux, il se fit à lui-même justice en 
se suicidant. 
Un autre, du nom de Rang Tong-ok-i, s'étant rendu coupable de 
divers crimes, fut envoyé en exil, où, par son insolence, sa mau- 
vaise foi et ses escroqueries, il exaspéra tellement les gens du pays, 
qu'ils mirent le feu à sa maison, et le brûlèrent vif. Ses parents 
étant venus chercher son cadavre pour l'ensevelir, le déposèrent, 
pendant la nuit, près d'une rivière vis-à-vis de l'auberge. Une pluie 
abondante survint inopinément, la rivière déborda, et le cadavre 
fut emporté sans qu'on piit en retrouver aucun vestige; punition 
redoutable dans ce pays, où, de même qu'en Chine, la privation de 
sépulture est considérée comme une peine plus terrible que la mort. 
Des faits analogues eurent lieu dans d'autres provinces, mais 
ceux-là suffisent pour prouver qu'en Corée aussi bien qu'ailleurs, 
Dieu punit presque toujours, dès ce monde, les ennemis de son 
Christ et de son Eglise. 
D'après les ordres précis du gouvernement, les exécutions san- 
glantes cessèrent avec l'année sin-iou ; la proclamation royale 
fut affichée dans toute la Corée, pour les fêtes du nouvel an, et, les 
prisons étant vides de chrétiens, les bourreaux purent se reposer 
quelque temps. Le succès des persécuteurs semblait assuré. Leurs 
rancunes politiques et leurs haines religieuses étaient également 
satisfaites, et la double campagne entreprise par eux aboutissait 
enfin à une double victoire. 
l'église de CORÉE. 16 
- 242 — 
Politiquement parlant, le résultat obtenu était complet. Le 
parti des Nam-in écrasé, presque anéanti, n'a jamais pu se 
remettre du coup porté alors. Il n'a plus dans le pays qu'un 
souffle de vie, et son influence a entièrement disparu. Le parti des 
No-ron n'a cessé de se maintenir au pouvoir; il augmente et se for- 
tifie chaque jour, et il n'y a plus de rivaux pour lui disputer l'om- 
nipotence. 
Sous le rapport religieux, la régente et ses adhérents crurent 
également à un triomphe définitif. Le seul prêtre qu'il y eiit en 
Corée avait été tué ; tous les chefs des chrétiens, tous les hommes 
influents parmi eux avaient disparu. Les néophytes survivants, 
plongés dans la misère, déshonorés aux yeux de leurs concitoyens, 
mis au ban de la loi, ne pouvaient donner le moindre ombrage 
au pouvoir le plus jaloux, et certainement, si la religion de Jésus- 
Christ était l'œuvre de l'homme, elle aurait dû alors périr en 
Corée. Mais Dieu est plus puissant que les gouvernements, il se 
plaît à tirer le bien du mal, et l'acharnement des persécuteurs eut, 
pour le christianisme, des résultats que ses ennemis ne pré- 
voyaient guère. Lesédits, les proclamations, firent connaître l'Evan- 
gile dans les coins les plus reculés du royaume, d'une manière 
plus rapide et plus universelle, qu'aucune prédication n'eût pu le 
faire, si active et si zélée qu'on la suppose. Le courage des mar- 
tyrs en face delà mort, dans les districts où il y avait des chrétiens, 
dans les autres endroits, la patience des exilés, furent une révé- 
lation pour ce peuple idolâtre et plongé dans la matière. Le fait 
plusieurs fois cité dans les actes officiels, d'hommes recomman- 
dables par leur science, leur vertu, leur position sociale, qui 
avaient tout sacrifié pour suivre la nouvelle doctrine, ce fait, 
même, disons-nous, devint une éloquente apologie. Enfin, la per- 
sécution eut un dernier résultat plus précieux encore aux yeux de 
la foi. Le ciel se peupla de nouveaux élus, l'église de Corée eut 
devant Dieu une légion de puissants intercesseurs, et si plus 
tard, malgré tous les obstacles, la jparole {des missionnaires fut 
féconde en fruits du salut, c'est grâce aux prières des martyrs. 
LIVRE TV 
llepiiis la fin de la persécution île 1801, jusqu'à l'érection 
de la Corée en vicariat apostolique. 
1803-18»!. 
CHAPITRE I. 
§ l«^— Étal déplorable de la chrélienlé. — Lettre des chrétiens de Corée 
a l'évêque de Péking. — Leur lettre au Souverain Pontife, 
— Nouveaux martvrs. 
Le dernier jour de r.'iniiée sin-iou avait encore été ensanglanté 
par le supplice de plusieurs chrétiens ; avec Tannée im-sioul 
(dSO'â), commença pour FÉglise de Corée une ère de tranquillité 
relative, qui permit aux néophytes de respirer un peu. Ce n'était 
pas la paix, encore moins était-ce la liberté, mais la violence de 
la persécution était diminuée, les juges et les bourreaux avaient, 
pour un temps, cessé de fonctionner. 
Il serait difficile d'exposer complètement l'état de désorganisa- 
tion, de misère et de ruine, dans lequel se trouvait la chrétienté 
au lendemain de la persécution. Tous les hommes éminents, 
capables de diriger, d'exhorter, de ranimer leurs frères, avaient 
été mis à mort. Dans beaucoup de grandes familles, il ne restait 
que des femmes et des enfants. Les pauvres, les gens du peuple, 
que la rage des ennemis de la religion avait dédaigné de pour- 
suivre, demeuraient isolés, sans relations entre eux, au milieu de 
païens hostiles, qui, forts de la loi et de l'opinion publique, ne 
leur épargnaient aucune vexation, et les traitaient en esclaves. Le 
très-grand nombre des apostats qui n'avaient renié la foi que de 
bouche et la conservaient encore dans leur cœur, tremblaient de 
reprendre leurs pratiques religieuses, et se bornaient à répéter en 
secret quelques timides prières. Presque tous les objets de piété, 
presque tous les livres avaient été détruits, et le peu qui en restait 
était enfoui sous terre, ou caché dans des trous de murailles. Beau- 
coup de néophytes, encore peu affermis dans la foi, privés de toute 
— 244 — 
instruction, de tout appui moral, se décourageaient, et finissaient 
souvent par abandonner une religion qui était pour eux la cause 
de tant de maux. 
Le sort de ceux qui avaient été exilés par les tribunaux, ou qui 
avaient volontairement émigré dans les parties les plus sauvages 
des provinces éloignées, était plus triste encore. Nous ne pouvons 
mieux l'exposer qu'en donnant le récit que nous a laissé de ses 
épreuves Pierre Sin Tai-po, ce courageux chrétien qui fit inutile- 
ment tant d'efforts pour approcher du P. Tsiou et recevoir les 
sacrements (1), et qui, plus tard, obtint, comme nous le verrons, la 
couronne du martyre. on y trouvera, trait pour trait, le tableau 
des souffrances de milliers d'autres chrétiens, à cette même 
époque, et dans les mêmes circonstances. 
« La persécution était enfin apaisée, il est vrai, mais nous 
étions isolés et nous avions perdu les livres de prières. Quel 
moyen de pratiquer? J'apprends par hasard que les survivants de 
quelques familles de martyrs habitent dans le district de Niong-in, 
je fais tous mes efforts pour les découvrir, et enfin je les rencontre. 
Il n'y avait que des femmes déjà avancées en âge, et quelques 
jeunes gens à peine sortis de 1 enfance; en tout, trois maisons 
liées par la parenté. Ils étaient sans appui et sans ressources, 
osant à peine ouvrir la bouche avec les étrangers, et ne respirant 
plus de frayeur quand on commençait à parler de religion. Ils 
avaient bien quelques volumes de prières et l'explication des 
Évangiles, mais le tout caché avec le plus grand soin. Quand je 
demandai à les voir, on me coupa la parole, en agitant les mains 
en signe de silence; je ne voulus point insister. Toutefois, ces 
pauvres femmes étaient dans une grande joie, en apprenant de 
leurs enfants la présence d'un chrétien, et les convenances ne leur 
permettant pas de me voir, elles voulaient à tout le moins con- 
verser avec moi (2). Je leur parlai un peu des derniers événe- 
ments, de l'état de la religion, et de notre position commune, dans 
laquelle nous ne pourrions ni servir Dieu ni sauver notre âme. 
Elles étaient vivement touchées; quelques-unes même versaient 
des larmes, et témoignaient le désir que nous nous missions en 
rapports fréquents, pour nous soutenir les uns les autres. 
« Je demeurais à quarante lys de là (quatre lieues), et depuis ce 
temps, tous les huit ou dix jours, nous nous fîmes des visites réci- 
(1) Voir plus haut, p. 77 et 78. 
(2) En pareil cas, pour satisfaire aux exigences de l'étiquette et conserver 
le décorum, on se place dans des chambres voisines, et on communique à 
travers une grille ou une toile, à peu près comme font les religieuses cloitrées. 
— 245 — 
proques. Bientôt notre affection mutuelle fut aussi vive et aussi sin- 
cère, que si nous eussions été des membres d'une même famille. 
Nous commençâmes à reprendre la lecture de nos livres, et à faire les 
exercices des dimanches et fêtes. Ces personnes avaient reçu les 
sacrements du prêtre, et quand j'entendis des détails sur lui et ses 
exhortations, il me semblait le voir lui-même. La joie et le bon- 
heur se répandirent dans mon âme ; c'était comme si j'avais trouvé 
un trésor. J'aimais tous ces chrétiens comme des anges, mais, de 
part et d'autre, nous habitions parmi les païens, et de tous côtés 
leurs yeux étaient sans cesse ouverts sur nous. Je devais faire les 
quarante lys, de nuit et en secret, pour les éviter. Peu après les 
païens voisins voulurent savoir mon nom, puis le lieu où j'habi- 
tais, et avec qui j'étais en relation. Tout ceci nous déplaisait, et 
nous con'^ùmes le plan d'émigrer tous ensemble, et d'aller quel- 
que part former un petit village séparé. Pour moi, je n'avais que 
mon fils et ma fille ; mais nos cinq familles réunies faisaient un 
nombre de plus de quarante personnes, et chacun n'ayant pour 
toute fortune que des dettes, la vente des maisons ne devait pas, 
les dettes une fois payées, fournir seulement le viatique néces- 
saire au voyage, car le lieu que j'avais en vue était dans le fond 
des montagnes de la province de Kang-ouen, où se trouvaient à 
peine des traces d'hommes. Néanmoins, que la chose dût réussir 
ou non, l'émigration fut décidée. 
« Deux familles avaient leurs maisons entièrement vides, igno- 
rant le matin ce qu'elles mangeraient le soir. Les trois autres 
vendirent leurs maisons avec le mobilier, et en retirèrent à peine 
cent nhiangs (environ deux cents francs), sur lesquels il fallait payer 
beaucoup de dettes. Quand on voulut fixer le jour du départ, chacun 
dans les cinq familles, prétendait partir le premier, et n'avait 
qu'une pensée : sortir de cet enfer pour aller chercher un paradis. 
on se disputait au point d'en venir à des paroles de mésintelli- 
gence et de discorde. Grand Dieu ! quelle peine j'eus pour leur 
faire entendre raison ! Pour moi, je confiai mon fils et ma fille à la 
charge de mon neveu, et on décida que le départ d'une des familles 
serait remis à quelque temps. Mais sans parler des enfants, il y 
avait cinq femmes qu'on ne pouvait absolument pas retarder, et 
qui, soit à raison de leur âge, soit parce qu'elles n'avaient jamais 
eu l'habitude de marcher, ne pouvaient aller à pied. J'achetai 
donc à grand'peine deux chevaux, puis encore un troisième, ce 
qui épuisa notre petit fonds, et n'ayant plus de ressources, j'allai 
trouver deux amis riches du village, qui voulurent bien faire pré- 
parer cinq litières, et prêter deux chevaux. Nous partîmes dans 
— 246 — 
cet équipage. Les chevaux étaient bons, et les valets remplissaient 
bien leur office; et toutefois la première journée se fit difficile- 
ment. Notre tournure était fort suspecte. Ce n'était pas un cor- 
tège de nobles, ni de roturiers ; mais surtout les chevaux étaient 
accoutrés d'une manière bizarre. Dès le second jour il fallut chan- 
ger de système. Nous laissâmes les cinq litières, et les femmes, 
s'affublant de jupes sur la tète en guise de mantelets, durent aller 
à cheval. La tournure de notre caravane était devenue à peu près 
celle des gens ordinaires de la province, ou plutôt des monta- 
gnards, et toutefois, les passants et les aubergistes disaient toujours 
que nous étions de la capitale. Quelques-uns même répétaient avec 
un sourire méchant : « Voilà certainement des familles de chré- 
tiens. » Nous craignions à chaque instant d'être reconnus et arrêtés. 
« Après huit jours de marche très-pénible, nous arrivâmes enfin 
au but désiré. Nouvel embarras! pas de maison, et aucune con- 
naissance. Nous parvînmes à emprunter une masure pour loger 
tout le monde, et, cinq chevaux devenant embarrassants, je vendis 
de suite le mien pour nous procurer des vivres, et acheter une 
cabane où les jambes pouvaient à peine s'étendre. Nous devions 
renvoyer les deux chevaux d'emprunt; mais, faute d'argent, il 
nous fallut les garder un mois, et leur nourriture consomma 
presque le prix d'un,cheval. Toutefois, on parvint à les renvoyer, 
et, au retour, on amena la famille restée en arrière. Sans que nous 
le sussions, le temps de la culture passait, et l'hiver étant venu, 
les neiges s'accumulèrent et firent disparaître tous les che- 
mins (1). Dans les environs, aucune connaissance; impossible 
même de communiquer avec nos voisins, et nous étions plus de 
([uarante exposés à mourir de faim. Un cheval qui nous restait 
avait rongé et presque'dévoré son énorme auge en bois; les enfants 
criaient sans cesse, demandant à manger; les grandes personnes 
elles-mêmes s'inquiétaient et s'impatientaient. Nous n'avions 
presque plus de provisions ; l'avenir se présentait chaque jour plus 
sombre, et nous succombions à la tentation de murmurer, de 
détester notre foi qui était la cause de ces épouvantables souf- 
frances, de nous maudire nous-mêmes pour avoir cru en Dieu. 
« Enfin, par un prodige de la miséricorde divine, nous sur- 
'{) Dans la province de Kang-ouen, les neiges tombent avec une abon- 
dance effrayante. >'on-seulemeni les roules sont interceptées, mais souvent 
on ne peut avoir de rapports entre maisons d'un mêine village. Ceux qui 
n'ont pas de provisions meurent de faim ; si Ton ne prenait de continuelles 
précautions, les habitations seraient ensevelies sous la neige, et on y périrait 
étouffé. 
- 247 — 
vécûmes sans pouvoir dire commcnl. L'hiver se passa, et les 
neiges une fois fondues, il devint possible de circuler et de fran- 
chir la montai^ne. Appi'cnant ({u'un riche bachelier nommé T'soi, 
vivait à environ soixante-dix lys de nous, je me rendis chez lui, 
y restai deux jours, et lui ayant fait le tableau de Thorrible misère 
où se trouvaient nos familles, je pus, par son entremise, obtenir 
une vingtaine d'hectolitres de riz non épluché. Pour diminuer le 
prix de transport, j'allai prier les habitants du pays qui s'y prê- 
tèrent avec beaucoup de complaisance, de m'éplucher ce riz; 
puis j'en vendis une partie et lis transporter le reste en deux ou 
trois jours. Tout ce^grain était payable à une époque fixée. Ayant 
ainsi terminé cette affaire, j'essayai de nouveau de consoler tout 
notre monde, et alors seulement je fus écouté; la joie et la charité 
fraternelle reparurent. Nos différents emprunts s'élevaient déjà 
à plus de cent nhiangs, mais je n'avais pas le courage d'y faire 
allusion ; car, quand je parlais d'être sur nos gardes et d'épargner 
les vivres, tous les visages prenaient un air sombre et désolé. » 
Tel était le sort de presque tous les chrétiens qui avaient cher- 
ché un refuge dans les montagnes et les forêts, surtout au nord- 
est du royaume. Mêmes fatigues, mêmes misères, et aussi, hâtons- 
nous de le dire, même protection de Dieu. Le sort des exilés était 
encore plus déplorable, car ils étaient privés de leur liberté, 
placés sous la surveillance d'une police ombrageuse, et quelquefois 
même séparés violemment de ceux de leurs proches qui les avaient 
suivis pour leur adoucir un peu les souffrances de l'exil. Et cepen- 
dant, dans les desseins de la Providence, ces exilés, ces réfugiés 
étaient, sans le savoir peut-être, des apôtres. Leurs maisons sont 
devenues des villages, leurs familles sont devenues des chré- 
tientés nombreuses et florissantes, et ont fait connaître l'Évangile 
dans les coins les plus reculés de la Corée. 
Nous n'avons presque point de détails sur les années qui sui- 
virent la persécution. Le gouvernement laissait les néophytes à 
peu près tranquilles, bien convaincu que c'en était fait de leur 
religion, et que la nouvelle secte, noyée dans le sang, s'éteindrait 
d'elle-même en peu de temps. on cite cependant quelques arres- 
tations dans les provinces. En i 804, Tsio Siouk-i, l'un des parents 
de Justin Tsio, fut saisi dans le district de Nie-tsien. En 1805, 
d'autres chrétiens furent emprisonnés à Hai-mi. Ces derniers 
furent rehâchés quelque temps après, on ne sait trop comment. 
Mais Tsio Siouk-i, conduit au tribunal de Lang-keun, fut con- 
damné à mort. Dans les tourments, il avait eu d'abord la faiblesse 
— 248 — 
d'apostasier et de dénoncer Jean Ni le-tsin-i, cousin de Pierre 
Sin, dont nous venons de parler. Jean Ni fut saisi sur cette 
dénonciation, mais Pierre, qui craignait le même sort, accourut à 
la capitale, et fit tant par ses démarches, par des présents don- 
nés à propos, qu'il parvint à obtenir l'élargissement de Jean ; Dieu 
le permettant ainsi, sans doute, pour le plus grand bien de la 
chrétienté, à qui Jean devait bientôt rendre d'importants services. 
Avant de quitter la prison, Jean pardonna à Tsio Siouk-i, et réussit 
à lui inspirer un vif regret de sa faute, et à lui rendre le courage 
de mourir pour la foi. on raconte que lorsque Siouk-i se rendait 
au lieu du supplice, Jean Ni se trouva sur son chemin, et d'un 
coup d'œil lui montra le ciel ; le martyr répondit par signe qu'il 
le comprenait. Il fut décapité à lang-keun. 
Cette exécution isolée n'ayant pas eu d'autres suites, les chrétiens 
commencèrent peu à peu à sortir de leur stupeur, et à reprendre 
leurs pratiques religieuses. Pendant bien longtemps, ils n'avaient 
osé ni se réunir, ni même se parler, et c'est à peine s'ils se 
saluaient de loin en se rencontrant dans les rues ou dans les che- 
mins. Ils se mirent alors à renouer des relations, à se chercher, 
à se compter, à se réunir; c'était une fête pour eux quand ils ren- 
contraient un frère qu'ils avaient cru mort ou en exil ; quand des 
parents, des connaissances qui s'étaient perdus de vue au milieu 
des désastres de la persécution, se retrouvaient de nouveau. on 
se consolait mutuellement; on se racontait les scènes d'horreur 
ou d'édification dont on avait été témoin ; on s'aidait à retrouver 
quelques livres, quelques objets de religion ; on s'encourageait à 
reprendre les anciennes pratiques avec une ferveur nouvelle. 
Tous savaient tirer de leur pauvreté quelques secours pour ceux 
de leurs frères qui étaient dans un dénûment absolu ; les veuves, 
les orphelins, étaient recueillis, et jamais, on peut le dire, la 
charité fraternelle ne fut plus grande que dans ces temps malheu- 
reux. Les vieillards qui en ont été témoins assurent qu'alors tous 
les biens étaient réellement mis en commun. Les plus instruits 
parmi les néophytes se faisaient un devoir d'enseigner les prières, 
les vérités fondamentales de la religion aux ignorants de leurs 
familles ou du voisinage. Enfin, quelques-uns plus dévoués, pro- 
fitant de l'influence que leur science, leur caractère, ou leur 
réputation leur avaient acquise, obéissaient à l'impulsion de la 
grâce divine, en se dévouant entièrement à l'œuvre difficile de la 
réorganisation de l'Église coréenne. 
Parmi ces derniers, nous devons citer d'abord Jean Rouen Kei- 
in-i, neveu du martyr Âmbroise Rouen. Il s'était caché pendant 
— 249 — 
la persécution, mais sans quitter la capitale, aidant secrètement 
les prisonniers de son argent et, autant qu'il le pouvait, s'occu- 
pant nuit et jour de leurs affaires et de celles de leurs familles. 
La persécution terminée, il lutta de toutes ses forces contre le 
découragement général, allant de côté et d'autre exhorter les 
chrétiens, secouer leur apathie, dissiper leurs craintes, et les rame- 
ner à leurs exercices de piété. 
Dans la province de Nai-po, Maur T'soi Sing-tok-i, de la 
famille des T'soi de Tarai-kol, homme instruit, fervent et résolu, 
exerça le même ministère de charité. Non content de rétablir les 
communications entre les chrétiens des divers villages, il multi- 
plia de sa propre main les copies de livres de religion, afin de 
procurer à tous le moyen de s'instruire, et contribua plus que 
tout autre à remettre sur pied cette importante chrétienté. 
Signalons encore, comme ayant pris une part active à ce 
mouvement de rénovation : Jean Ni le-tsin-i, son cousin Pierre 
Sin Tai-po, Hong ou Song-i, fils de Luc Nak-min-i, et Jean Tieng 
Iak-iong, qui avait eu la faiblesse, d'apostasier pendant la persé- 
cution, mais qui, touché d'un sincère repentir, travaillait à expier 
son crime en se dévouant de toutes ses forces à l'œuvre commune. 
Leurs efforts ne furent pas inutiles. Non-seulement les chré- 
tientés se reformèrent peu à peu, non-seulement le très-grand 
nombre des apostats vinrent à résipiscence, mais la propagation 
de l'Évangile reprit une nouvelle vigueur; les conversions de 
païens recommencèrent, et de nouveaux fidèles comblèrent 
bientôt, et au delà, les vides faits par la persécution. 
Ce premier pas une fois fait, la grande pensée, le principal 
désir de tous, fut d'obtenir de Péking un nouveau pasteur. Ceux 
qui avaient eu autrefois le bonheur de participer aux sacrements, 
se rappelaient la force que i'àme y puise, et les consolations qu'elle 
y éprouve. Ceux qui n'avaient jamais pu jouir de cette faveur, 
pressés d'une sainte jalousie, voulaient, à leur tour, obtenir le 
pardon de leurs péchés, et prendre place au banquet du Seigneur. 
Tous, en un mot, sentaient vivement le besoin d'un prêtre, et 
appelaient son arrivée de tous leur vœux. L'entreprise présentait 
de grandes difficultés. Jean Ni s'offrit pour courir les chances et 
subir les fatigues du voyage de Péking. Il se résolut à déguiser 
son rang de noble, et à se mêler aux marchands ou aux valets qui 
accompagnaient l'ambassade, malgré toutes les avanies et tous 
les mauvais traitements auxquels il devait s'attendre en consé- 
quence. Rendus plus prudents par les désastres et les trahisons 
des années précédentes, les principaux chrétiens s'arrangèrent de 
— 250 — 
façon à cacher le plan et les détails de cette nouvelle tentative à 
la majorité des néophytes. Mais il fallait de l'argent, et l'argent 
manquait. on essaya d'abord de s'en procurer en plaçant quelques 
fonds dans une entreprise commerciale qui promettait de larges 
bénéfices ; mais cette entreprise manqua, et les avances furent 
perdues. on fit appel à la générosité des chrétiens de la capitale 
et des provinces, et, enfin, après des retards interminables, tout 
fut prêt pour envoyer des lettres à l'évêque de Péking, vers la fin 
de 1811 (1). 
Outre les chrétiens influents nommés plus haut, on cite comme 
ayant pris une grande part à cette affaire : Justin Tsio Tong- 
siem-i, qui y contribua du fond de son exil, et Thomas Han, du 
district de Mien-tsien dans le Nai-po, qui fournit une assistance 
matérielle relativement considérable. 
Deux lettres furent donc rédigées, l'une à l'évêque de Péking, 
pour lui raconter tout ce qui s'était passé, et le supplier d'envoyer 
un prêtre au secours de ses enfants de la Corée, et l'autre au 
souverain Pontife. on croit que ce fut Jean Rouen qui les écrivit 
au nom de tous les chrétiens. Elles sont signées : François et 
autres..., probablement un nom d'emprunt, pour dérouter les 
recherches des mandarins dans le cas oîi ces lettres eussent été 
saisies en route. 
Chargé de ces dépêches, Jean Ni, accompagné d'un autre chré- 
lien dont nous ne connaissons pas le nom, se mit en route à la 
suite de l'ambassade, et arriva heureusement à Péking. Mais il 
ne savait où trouver les chrétiens, et n'osait adresser de questions 
à personne. Se souvenant alors que le mode de préparation du 
tabac avait été introduit en Chine par les missionnaires, et que 
dans le commencement, c'étaient des chrétiens qui en faisaient le 
commerce, il se mit en quête d'un marchand de tabac. La Provi- 
dence permit qu'il rencontrât une de ces boutiques, sur la porte 
de laquelle n'étaient peints aucuns caractères superstitieux. Il y 
entra avec confiance, et après une courte conversation, découvrit 
que le marchand était chrétien. Il se fit reconnaître lui-même 
comme tel, et demanda à être conduit près de l'évêque. 
;1) Mgr Daveluy penche à croire qu'il y a là une erreur, et que les lettres 
écrites vers la fin de l'année kieng-o (1810-1811) arrivèrent à Péking au com- 
mencement de 1811. En cela, il se trompe, car non-seulement toutes les 
copies existantes de ces lettres sont datées de l'année sin-ou (1811-1812) 
mais l'arrivée des deux néophytes de Corée, n'est mentionnée que dans la 
lettre écrite en décembre 1812 par M. Hichenel, lazariste français, à M. Chau- 
mont, supérieur du séminaire des Missions-Étrangères. Une lettre de l'année 
précédente, du même au même, n'en parle pas. 
I 
— 251 — 
Mi^r (1(3 Govéa était mort le 6 juillet 1808. IMusieurs années 
auparavant, Mgr Joachim de Souza-Saraiva avait été sacré évêque 
de Tii)ase, m ^)arfi6u6-, et coadjuteur de Péking; mais la per- 
sécution étant survenue en 180o, il l'ut impossible d'obtenir pour 
lui la permission de se rendre à cette cai)itale. Aussi, (|uoi(iu'il fût 
devenu évêfjue titulaire de Péking par la mort de Mgr de Govéa, 
il ne })ut jamais pénétrer dans sa ville épiscopale, et mourut à 
Macao, le 6 janvier 1818. D'un autre côté, Mgr Pires, lazariste 
portugais, missionnaire à Péking, (]ui avait été sacré évè({ue de 
Nanking par Mgr de Govéa, ne put jamais non })lus, à cause des 
persécutions, se rendre°dans sa ville épiscopale de Nanking. Il 
fut obligé de rester à Péking, où il exerçait les fonctions épisco- 
pales, et dont il reçut du Saint-Siège l'administration, après la 
mort de Mgr de Souza-Saraiva. Mgr Pires vécut jusqu'au 2 no- 
vembre 1839. C'est lui qui, dans la suite de cette histoire, est 
désigné souvent sous le titre d'évêque de Péking. C'est à lui que 
notre courrier fut conduit, et qu'il remit les lettres suivantes : 
Lettre des chrétiens de Corée à l'évêque de Péking. 
(( Moi François, et autres chrétiens de Corée, quoique nous 
ne soyons que de misérables pécheurs, néanmoins le cœur brisé 
de douleur, le front en terre devant le trône épiscopal, nous pré- 
sentons avec respect notre écrit au maître de la religion. 
« L'énormité de nos péchés est à son comble; nous avons perdu 
la sainte grâce du Seigneur. désolation ! ô douleur! nos crimes 
sont la cause de la mort de notre Père spirituel ! La tristesse et 
l'affliction ont dispersé les uns, éteint ou affaibli dans les autres tout 
sentiment de religion. Il y a déjà onze ans que nous avons perdu 
tous ceux dont le zèle et les talents étaient de quelque ressource. 
La rigueur avec laquelle nous sommes sans cesse surveillés, nous 
a empêchés de vous faire parvenir plus tôt nos humbles supplica- 
tions. Tout ce qu'on dit des saints de l'antiquité qui soupiraient 
tant après la venue du Messie, tout ce que la sainte tradition 
nous enseigne de la bonté avec laquelle Notre Sauveur veut bien 
condescendre aux vœux ardents de ses saints; tout cela nous 
prouve assez que, comme dans l'économie animale, il existe un 
rapport exact et infaillible entre l'aspiration et la respiration, de 
même, une prière fervente, qui part du fond du cœur, est un 
moyen sûr de toucher le Seigneur et d'en être exaucé. 
<< En réfléchissant sur l'énormité de nos péchés qui est parvenue 
à son comble, nous reconnaissons humblement qu'ils ont fermé la 
— 252 — 
porte aux effets de la miséricorde de Dieu, qu'ils en ont arrêté le 
cours. Sa justice a éclaté d'une manière si épouvantable, que 
nous sommes devenus semblables à un enfant qui, surpris par la 
foudre, est saisi de frayeur et ne peut trouver où se cacher, sem- 
blables à un troupeau attaqué, qui, privé de son pasteur, fuit, 
s'égare, reste sans ressources et sans aucun moyen de salut. Eh ! 
quelle peut être la cause de nos désastres, sinon nos iniquités? 
Notre cœur est cruellement serré, notre esprit est abattu par la 
violence de notre douleur ; elle a pénétré jusqu'au fond de nos 
entrailles, elle nous a fait verser des larmes de sang. Néanmoins, 
quelque énormes que soient nos péchés, la miséricorde de Dieu 
est infiniment plus grande. Oh ! si le Seigneur daignait suspendre 
les coups de sa justice, nous supporter encore, nous attendre à 
pénitence! Oh! s'il lui plaisait de nous prêter une main secourable 
pour nous aider à sortir de l'état déplorable auquel nous sommes 
réduits. C'est ce que nous lui demandons jour et nuit, sans pouvoir 
contenir nos larmes et nos sanglots. Si nous désirons échapper à 
une mort prochaine, c'est uniquement pour avoir le bonheur d'as- 
sister au saint sacrifice et de confesser nos péchés ; dussions-nous 
mourir aussitôt après, nous serions satisfaits et transportés de joie. 
« D'ailleurs, lorsque nous pensons que la sainte Mère de Dieu 
daigna autrefois se rendre propice à un pécheur qui avait signé 
son apostasie de son sang, et que nous nous rappelons la conver- 
sion éclatante du prince impie qui fut miraculeusement touché 
par la présence du Saint-Sacrement (1), quelque grands pécheurs 
que nous soyons, nous espérons aussi que la Mère de miséricorde 
apaisera peu à peu la colère de Dieu, et tempérera les effets de 
sa justice, en sorte que nous puissions participer au bienfait des 
sept Sacrements, et trouver un asile assuré dans les cinq plaies du 
Sauveur. Prosternés aux pieds de notre pasteur, qui est revêtu de 
l'autorité de Dieu même, nous espérons que, réfléchissant sur le 
redoutable emploi dont il est chargé, il se laissera toucher par la 
douleur dont la vue de nos péchés nous pénètre et nous accable, 
et q«e, par un effet extraordinaire de compassion, il nous procu- 
rera au plus tôt le secours du saint ministère. Nous nous confions 
pour cela en la sainte grâce de la Rédemption, commune à tout 
le genre humain ; nous l'espérons par le saint nom de Dieu et la 
gloire des martyrs de notre royaume. Ainsi soit-il. » 
(1) Allusion à la conversion de saint Théophile et à celle de saint Guil- 
laume, duc d'Aquitaine, lesquelles sont racontées dans une Vie des Saints, 
traduite du chinois en coréen. 
— 2B3 — 
Vient ensuite une relation abrégée de tout ce qui était arrivé 
depuis la mort du roi en 1800, et une courte notice sur chacun 
des principaux martyrs. Après quoi, la lettre continue ainsi : 
« Il y en a encore un grand nombre d'autres qui, s'efforçant 
de correspondre à la grâce du Seigneur, ont, par son secours, 
également consommé leurs mérites par le martyre. Leurs familles 
ont recueilli ce qui les concerne. Quand un missionnaire vien- 
dra en Orient, on pourra faire un recueil de tout, à commencer 
par Paul Ing-tchi-tchung (Paul loun Tsi-tsiong-i, martyrisé en 
1791). 
« Jésus-Christ a dit : « Mon Père, vous avez caché ces choses 
aux sages et aux prudents du siècle, et vous les avez révélées 
aux petits {St. Matth. xi, 25). » Cette sainte parole doit s'accom- 
plir à la lettre, de génération en génération. Elle se vérifie main- 
tenant dans notre patrie. Parmi les grandes et nobles familles 
depuis longtemps célèbres, parmi les descendants des manda- 
rins, ou ceux qui sont actuellement en charge, on trouve un 
certain nombre d'hommes bien disposés en faveur de la religion ; 
mais ils sont retenus par le désir de parvenir, de s'avancer dans 
le monde, ou par la crainte de s'exposer à la raillerie. Parmi les 
riches, c'est la soif de l'or qui étouffe la voix de la conscience. 
Ceux qui se tournent du côté de la religion et cherchent la justice, 
sont de ces personnes que la pauvreté et la misère accablent, qui 
manquent de toutes ressources. D'ailleurs, suivant les mœurs du 
pays, presque tous les genres de commerce et d'associations sont 
remplis de superstitions ou d'injustices. Les chrétiens qui vou- 
draient s'y livrer pour gagner leur vie en sont par là même exclus. 
Aussi les chrétiens riches sont devenus pauvres ; les pauvres sont 
réduits à mendier, à]|errer de tous côtés sans trouver d'asile, ils 
ont toutes les peines du monde à subsister. Cependant on ne les 
entend ni murmurer ni se plaindre. Ils sont contents d'errer et de 
souffrir, pour pouvoir observer la religion. N'est-ce pas une 
faveur toute particulière du Seigneur qui nous anime et nous sou- 
tient ? Nous en sommes indubitablement redevables à la protec- 
tion des anges, des saints et de toute l'Eglise qui intercèdent 
pour nous. 
« Ceux d'entre nous qui avaient des talents pour les affaires 
sont tous morts dans la grande persécution. Ceux qui ont échappé 
aux supplices, et ceux qui se sont cachés, sont saisis de frayeur ; 
la terreur a comme paralysé leurs âmes. Ayant perdu tout 
leur patrimoine et tout ce qu'ils possédaient, ils n'ont plus de 
ressource que dans la mendicité. Il n'en est pas un qui puisse 
— 2o4 — 
se suffire à lui-même. D'ailleurs, tant de souffrances ont fait 
changer de disposition à plusieurs qui sont devenus craintifs et 
soupçonneux. Mais dix ans se sont écoulés depuis cette violente 
tempête ; les circonstances ont changé, et la crise est moins 
violente. Peu à peu les esprits peuvent se ranimer, les choses 
reprendre leur cours. Si nous avions la grâce des sacrements, la 
religion pourrait bientôt briller d'un nouveau lustre. Mais nous 
n'avons plus d'hommes de talents ; il ne nous reste guère que des 
hommes simples et grossiers. Nous formons bien des désirs, mais 
nous n'avons aucun moyen à notre disposition ; quand même on 
rencontrerait quelqu'un qui pût traiter les affaires, nos maisons 
étant vides, nos bourses sans argent, ne sachant où tendre la main, 
que pourrions-nous faire, sinon pleurer, gémir et nous affliger? 
« C'est la raison pour laquelle, depuis dix ans, nous n'avons 
envoyé personne à Péking. En vain nous élevions la tête, nous 
nous levions sur la pointe de nos pieds ; en vain nous regar- 
dions vers le nord, nous pleurions, et nous poussions des cris. 
Nous n'aurions point été arrêtés par la difficulté des routes ; le 
danger pour nos vies ne nous eût point effrayés ; mais nous ne 
pouvions ramasser quelques centaines de taëls pour le viatique 
des députés. Dans le commencement on avait construit des corps 
de garde de tous côtés pour surveiller le pays. Les sentinelles 
étaient aussi près l'une de l'autre que les arbres dans une forêt. Les 
plus petits villages, sur les frontières, étaient gardés comme des 
villes en temps de guerre. Depuis quelque temps, on s'est relâché 
de cette sévérité ; l'état des choses permettait d'agir : mais d'un 
côté notre indigence nous laissait sans ressource ; d'un autre, 
étant dispersés au loin, nous ne pouvions nous réunir et suivre 
notre désir. Le cœur navré de douleur et rempli d'amertume, 
nous ne pouvions que gémir sans savoir que faire. 
« Tout le royaume a pris part à la grande persécution ; elle 
faisait la matière de toutes les conversations. L'excellente doctrine 
et les bons exemples des chrétiens remplissaient tous les yeux et 
toutes les oreilles; leurs discours pathétiques touchaient tous les 
cœurs. on s'étonnait de voir combien la religion est supérieure à 
la science du monde ; on admirait la charité des chrétiens ; pres- 
que tous les cœurs en étaient attendris. on condamne comme 
injuste la mort de ceux qui ne sont plus ; on a compassion de 
ceux qui restent. Non, la lumière du ciel ne peut s'éteindre, le cri 
de la conscience ne s'étouffe point. Ce sentiment est commun à 
tous les hommes ; mais, faute des secours que procurent les sacre- 
ments, rien dans l'intérieur n'excite et n'anime la volonté. Bafoués. 
— 2fî5 — 
vilipendés, ayant sans cesse devant les'yeux la mort et les tour- 
ments, nous sommes à rextérieur sous l'oppression. Le cœur est 
toujours le même, mais on craint de se déterminer imprudem- 
ment; on désire entendre, mais personne n'indique ce qu'il 
faut faire; c'est vraiment un état digne de compassion. Toutefois 
l'occasion présente est favorable ; vous ne refuserez pas de nous 
procurer un si grand bien. 
« Nous avons entendu dire qu'en 1804, il y a eu une violente 
persécution à Péking; que l'entrée des églises avait été interdite 
très-rigoureusement ; que beaucoup de chrétiens avaient été 
mis à mort, et les missionnaires européens emprisonnés. Cette 
nouvelle a répandu parmi nous la plus grande consternation, et 
nous a causé la douleur la plus amère. Jusqu'à présent, nous 
n'avons pu nous assurer de la vérité de ces bruits ; cela nous met 
dans la plus grande inquiétude. Nous vous supplions de nous 
éclaircir sur ce point ; ce sera pour nous une grande consolation. 
L'église de Péking étant elle-même très-rigoureusement surveil- 
lée, et nos affaires extérieures exigeant! le plus grand secret, nous 
vous prions de nous indiquer ce qu'il îy a de mieux à faire dans 
les circonstances présentes. Nous implorons le secours du Sei- 
gneur, et nous vous conjurons de penser à trouver un moyen 
efficace pour nous tirer de l'état affreux où nous nous trouvons. 
« Depuis la grande persécution, tout ce qui concerne la reli- 
gion, ses lois et sa doctrine, est connu dans tout le royaume. En 
vain voudrait-on cacher ou dissimuler les lois qui défendent de 
sacrifier aux ancêtres et aux idoles. Celles qui prescrivent les 
jeûnes et les abstinences font aussi reconnaître les chrétiens. Or 
quant au premier commandement de Dieu et à ce que la religion 
prescrit rigoureusement, dût-il en coûter la vie, il n'est jamais 
permis de l'enfreindre. II n'en est pas de même des lois qui pres- 
crivent les jeûnes et les abstinences; nous avons vu qu'on en dis- 
pense souvent. Pourrait-on accorder une dispense générale aux 
voyageurs et aux domestiques ? 
« Les livres et objets de dévotion qui ont été portés aux tribu- 
naux inférieurs, ont été la proie des flammes. Ce qui était au 
tribunal King-fou (Keum-pou), a été mis sous clef pour être con- 
servé, lien a été de même des écrits du missionnaire et d'Alexandre 
(Hoang) dont nous avons parlé ; tout cela est dans le palais du 
roi. Les chrétiens n'ont pu conserver intact presque aucun des 
livres de religion. on ne retrouve aujourd'hui que des lam- 
beaux ou des feuilles séparées. Les images du père, ses livres, son 
calice, tout a disparu. II ne reste de ses livres que deux petits 
— 2S6 — 
volumes qui sont entre les mains d'une chrétienne. Les livres 
imprimés en Chine, que nous avons vus, sont en grand format, et 
pour cela difficiles à cacher. Si vous les faisiez imprimer en petit 
format, vous pourriez nous les envoyer plus facilement, et il 
nous serait plus aisé de les cacher. Nous vous prions d'avoir 
égard à cette demande. 
« Maintenant que nous n'avons aucun moyen de recevoir les 
sacrements, c'est une chose bien fâcheuse pour nous de manquer 
de secours à l'article de la mort. Si nous pouvions avoir des 
choses saintes, auxquelles fussent attachées des indulgences plé- 
nières, elles serviraient à nous animer et à fortifier en nous la foi, 
l'espérance et la charité. 
« Comme, depuis dix ans, nous n'avons pu avoir aucune com- 
munication avec vous, nous ignorons le nom du souverain Pontife ; 
depuis combien d'années il gouverne l'Église; nous ignorons 
également ce qui regarde les prêtres de l'église de Péking; com- 
bien il y en a, outre l'évéque ; quels sont les progrès de la reli- 
gion en Chine ; combien il y a de royaumes en Orient où la religion 
est prêchée et exercée publiquement. Nous vous prions de nous 
donner quelques détails sur ces différents points. 
« Personne d'entre nous, qui avons survécu à la persécution, 
n'est bien instruit des affaires qui furent traitées secrètement en 
l'année kang-chen (1800). Simon King et Yu-tsien-si (1) nous 
écrivirent, il est vrai, de leur prison ; mais ils ne nous dirent que 
des choses générales, et n'osèrent entrer dans aucun détail. Ils 
nous apprirent qu'au bout de dix ans il devait venir un grand vais- 
seau; que les nombreux sectaires de Nanking causaient de grands 
troubles. Ils nous donnèrent l'assurance que des prêtres de l'église 
de Péking avaient résolu de venir en Orient pour travailler au 
salut de nos âmes. Mais, la grande persécution nous a empêchés 
d'aller recevoir ces missionnaires ; nous en avons ressenti la dou- 
leur la plus amère, et nous sommes inconsolables d'ignorer ce 
qu'ils sont devenus. Si le Seigneur les a conservés sains et saufs, 
lorsqu'ils verront les députés que nous envoyons à Péking, ils 
penseront sans doute à accomplir leur promesse. Nous les en 
prions avec les plus vives instances ; nous les désirons avec autant 
d'ardeur qu'un enfant soupire après la mamelle. Prosternés en 
terre, nous implorons surtout la miséricorde et la bonté infinie de 
(1) C'étaient les deux derniers courriers envoyés en Chine par le P. Tsiou. 
Ils furent saisis à leur retour de Péking, et l'on trouva sur eux la réponse de 
l'évéque. 
— 257 — 
Dieu, qui est notre unique appui. Nous espérons de la vertu et du 
zèle des pères, que les paroles du salut nous parviendront avec la 
rapidité de l'étoile filante, et nous rendront à tous la vie. Si Ton 
réparait la boutique qui était près de la porte d'une des maisons 
que les Européens ont à Péking, il nous serait plus aisé de com- 
muniquer avec l'église de Péking. Nous demandons humblement 
qu'on veuille bien nous procurer cette commodité. 
« L'année sin-iou (1801), après que le prêtre et un grand 
nombre de chrétiens eurent été^mis à mort, notre gouvernement en 
informa l'empereur de Chine. L'église de Péking en aura sans 
doute appris quelque chose. Depuis ce temps, il est arrivé plu- 
sieurs fois que quelques-uns de nos compatriotes, feignant d'être 
chrétiens, sont allés pour espionner. Ce sont des apostats, des 
traîtres à la religion, qui prétendent par ce moyen faire preuve 
de loyauté, pour obtenir quelque récompense. Nous espérons que 
vous aurez découvert leur malice, et que vous n'en aurez pas 
été dupes. Si la communication entre vous et nous est entravée, 
ne serait-il pas à propos de convenir d'une maison chrélienna de 
la ville, dans laquelle serait le rendez-vous? 
« Notre roi est très-grièvement malade; la vie semble être 
usée en lui, et les remèdes n'ont aucun effet. Nous prions notre 
propre église (l'église de Péking) de demander à Dieu qu'il le pro- 
tège et lui rende la santé. 
(( En écrivant au Souverain-Pontife, nous avons grandement 
passé les bornes de notre condition. Forcés par les circonstances 
fâcheuses oii nous nous trouvons, nous n'avons pu faire autrement. 
Nous vous prions de traduire notre lettre et de la lui faire parvenir. 
C'est un léger témoignage de l'affection que, dans notre petitesse, 
nous présentons à celui qui sur la terre est le vicaire de Dieu et 
la cause de notre bonheur. Nous souhaitons que notre affaire lui 
soit communiquée et fidèlement détaillée, dans l'espoir qu'il sera 
touché de compassion pour nous. 
« Nous aurions encore à dire une infinité de choses que nous 
ne pouvons mettre sur la soie. Le porteur pourra, jusqu'à un cer- 
tain point, y suppléer. 
« Nous vous supplions de penser à nous, de prendre au plus tôt 
un parti, et de nous donner votre bénédiction, par le saint nom 
de Dieu. et les mérites de la Rédemption. Ainsi soit-il. 
« Le 3 de la onzième lune de l'année sin-ou (18 décembre 1811). 
Dans leur lettre au pape, les néophytes exposent leur triste 
situation, et sollicitent des secours spirituels, d'une manière plus 
énergique encore. 
l'église de CORÉE. 17 
— 258 — 
Lettre des chrétiens de Corée au souverain Pontife. 
« François et les autres chrétiens de Corée prosternés en terre, 
nous frappant la poitrine, offrons cette lettre au Chef de toute 
l'Église, père très-haut et très-grand. 
« C'est avec la plus grande instance, la plus vive ardeur que 
nous supplions Votre Sainteté d'avoir compassion de nous, de 
nous donner des preuves de la miséricorde qui remplit son cœur, 
et de nous accorder le plus promptement possible les bienfaits 
de la rédemption. Nous habitons un petit royaume, et avons eu 
le bonheur de recevoir la sainte doctrine, d'abord par les livres, et 
dix ans plus tard, par la prédication et la participation aux sept 
Sacrements. Sept ans après, il s'éleva une persécution, le mis- 
sionnaire qui nous était arrivé fut mis à mort avec un grand 
nombre de chrétiens, et tous les autres, accablés d'affliction et 
de crainte, se sont dispersés peu à peu. Ils ne peuvent se réunir 
pour les exercices de religion, chacun se cache. Il ne nous reste 
d'espérance que dans la très-grande miséricorde divine, et la 
grande compassion de Votre Sainteté , qui voudra bien nous 
secourir et nous délivrer sans retard;! c'est l'objet de nos prières 
et de nos gémissements. Depuis dix ans, nous sommes accablés de 
peines et d'afflictions ; beaucoup sont morts de vieillesse ou de 
diverses maladies, nous n'en savons pas le nombre; ceux qui 
restent ignorent quand ils pourront recevoir la sainte instruction. 
Ils désirent cette grâce, comme dans une soif brillante on désire 
de quoi se désaltérer ; ils l'appellent, comme dans un temps de 
sécheresse, on appelle la pluie. Mais le ciel est très-élevé, on 
ne peut l'atteindre; la mer est très-vaste, et il n'y a pas de 
pont au moyen duquel nous puissions aller chercher du secours. 
Nous avons lu quelque chose des livres saints. La sainte religion 
a été prêchée dans tout le monde ; il n'y a que dans notre royaume 
oriental, qu'elle ait été annoncée sans missionnaire et seulement 
par les livres. Cependant plusieurs centaines de martyrs ont 
donné leur vie pour Dieu, avant et après l'arrivée du mission- 
naire, et les convertis, actuellement existants, ne sont pas moins 
de dix mille. 
« Nous, pauvres pécheurs, ne pouvons exprimer à Votre Sain- 
teté avec quelle sincérité, avec quelle ardeur nous désirons rece- 
voir son assistance. Mais notre royaume est petit, éloigné, situé 
dans un coin de la mer, il ne vient ni vaisseaux ni voitures au 
moyen desquels nous puissions recevoir vos instructions et vos 
ordres, et quelle est la cause d'une telle privation, sinon notre 
— i>59 — 
peu de ferveur et l'énormité de nos péchés? C'est poiîrquoi 
maintenant, nous frappant la poitrine avec une crainte profonde et 
une douleur sincère, nous prions très-humblement le grand Dieu 
qui s'est incarné, qui est mort en croix, qui a plus de sollicitude 
pour les pécheurs que pour les justes, et Votre Sainteté qui tient 
la place de Dieu, qui a soin de tout le monde, et délivre véritable- 
ment les pécheurs. Nous avons été rachetés, nous avons quitté les 
ténèbres ; mais le monde afflige nos corps ; le péché, la malice 
oppriment nos âmes. Nous n'avons pas de moyen de recevoir le 
bienfait du baptême (1) et de la confession ; nous ne pouvons 
participer au sacritice du très-saint Corps de Jésus-Christ ; notre 
désir est grand, mais quand sera-t-il rempli? Nos larmes et nos 
gémissements, nos afflictions sont de peu de valeur, mais nous 
considérons que la miséricorde de Votre Sainteté est sans bornes 
et sans mesure, qu'en conséquence elle aura compassion des 
ouailles de ce royaume qui ont perdu leur pasteur, et qu'elle 
nous enverra des missionnaires, le plus tôt possible, afin que les 
bienfaits et les mérites du sauveur Jésus soient annoncés, que 
nos âmes soient secourues et délivrées, et que le saint nom de 
Dieu soit glorifié partout et toujours. 
« i° Anciennement, nous n'avions rien entendu dire de ce qui 
appartient aux autres nations, mais, depuis quelques années, à 
l'occasion de la propagation de la sainte Religion, nous avons eu 
connaissance des choses d'Europe. Nous avons beaucoup de plai- 
sir à en parler entre nous. Tout notre royaume admire la science 
des Européens dans les mathématiques, et l'habileté de leurs 
artistes. D'ailleurs, depuis quelque temps la population avait aug- 
menté, et en conséquence la pauvreté, la famine, et la misère. 
Excepté quelques docteurs entêtés , ennemis de la religion ; 
excepté quelques prosélytes de Fo également opiniâtres, tout 
le monde, fatigué de tant de calamités, gémissait et désirait être 
instruit de la sainte Loi. Cependant par l'effet de la faiblesse 
naturelle, et le défaut de moyens, la religion n'avait pas fait 
beaucoup de progrès, lorsque tout à coup s'éleva la grande 
persécution. Tous les plus instruits et les plus vertueux furent 
mis à mort. L'affliction que les autres en ressentent fait voir que 
leurs sentiments n'ont pas changé, mais la prohibition légale, les 
tourments, la mort dont ils sont menacés, et dont ils ont vu de 
terribles exemples, les effrayent. S'il paraissait un homme de 
courage pour les animer, il semble certain qu'ils s'empresseraient 
(1) Il est évidemment question ici du baptême solennel. 
— 260 — 
de pratiquer la religion ; ils s'y porteraient avec ardeur, comme 
les eaux qui, descendant des montagnes, se précipitent dans 
les vallées, 
« 2° Notre royaume, limitrophe de l'empire de Chine dont il 
est tributaire, est situé à l'extrémité du monde ; il a des mœurs par- 
ticulières auxquelles il est très-attaché. La sortie et l'entrée sont 
strictement défendues, surtout depuis la persécution ; les senti- 
nelles veillent avec cent fois plus d'attention qu'auparavant. 
Nous avons appris d'ailleurs qu'il y a aussi une persécution à 
Péking. Si donc on veut délivrer nos âmes, il faut nous envoyer 
le remède par mer, il n'y a pas d'autre voie sur laquelle on puisse 
compter. Notre royaume n'est abordable par terre que vers le 
Nord, les trois autres côtés sont entourés par la mer. De nos 
rivages à la province de Chang-tong en Chine, il n'y a pas cent 
lieues, de sorte que quand le vent souffle de cette partie, nous 
pourrions quasi entendre le chant du coq. La partie méridionale 
de notre royaume n'est éloignée de la province de Nanking que de 
quelque mille lys (quelques centaines de lieues), et par consé- 
quent de trois cents ou quatre cents lieues seulement de Macao, 
où la sainte religion est publique. Si de Macao l'on expédiait un 
vaisseau qui passât entre la province de Nanking et l'île de 
Liéou-kiéou, prenant au nord, en peu de jours il pourrait arriver 
à notre côte méridionale. De là à notre capitale, il n'y a pas plus 
de dix lieues. Quoique cette mer occidentale soit peu profonde, 
les petits navires peuvent y passer ; nous ne pouvons donc atten- 
dre de secours que de ce côté ; c'est pourquoi nous supplions 
humblement Votre Sainteté de s'occuper promptement de l'objet 
de notre demande, 
« 3° Lorsque de gros temps obligent quelques navires étran- 
gers à toucher nos côtes, on ne leur permet pas d'y demeurer. 
on a soin de ne pas les laisser seuls ; on veille continuellement 
sur eux ; et on les force à partir le plus promptement possible. 
C'est pourquoi il faudrait que sur le vaisseau que nous deman- 
dons, il y eût un homme prudent, capable, expérimenté, sachant 
bien écrire les caractères chinois, afin que nous puissions, par 
ce moyen, nous entendre avec lui. En outre, il convient que 
le Souverain-Pontife et le Pioi (1), envoient des présents et des 
lettres pleines d'honnêteté à notre roi. Ils feront bien de dire dans 
ces lettres, que leur unique intention est qu'on n'adore qu'un seul 
Dieu, que la sainte religion soit annoncée, que tous les hommes 
(1) Le roi de Portugal de qui dépend Macao. 
— 261 — 
soient libres, que les royaumes se conservent, et que la paix règne 
parmi les peuples. 11 faudrait aussi expliquer très-clairement la 
doctrine du christianisme, et persuader avec toute sincérité et 
de la meilleure manière possible, que les prêtres ne cherchent point 
à conquérir le royaume, mais qu'ils viennent uniquement pour 
exercer la charité. Peut-être que, par ce moyen, nos compatriotes 
ouvriraient les yeux, sentiraient leurs soupçons se dissiper, et 
verraient la vérité. Ils savent depuis longtemps que les Européens 
excellent dans les arts, les sciences, la prudence et les autres 
talents. Ils n'ont garde de se mesurer avec eux, ou de les offenser. 
Ils savent très-bien que les prédicateurs européens parcourent 
tout le monde, sans qu'aucun d'eux pense à s'emparer des royau- 
mes étrangers. Mais notre petit royaume est rempli de soupçons 
et (le crainte. Il ne pourra se déterminer de lui-même; certaine- 
ment il enverra à Péking, pour avertir l'empereur et recevoir ses 
ordres, afin de s'assurer la protection dudit empereur, et afin d'évi- 
ter d'être puni. Or, comment l'empereur pourrait-il obliger notre 
gouvernement à ne pas recevoir quelqu'un qui vient le compli- 
menter et lui faire des présents? Notre roi et ses ministres n'au- 
ront donc rien à craindre, et ne manqueront pas de faire bon 
accueil à cet envoyé. 
« 4° Dans la mer méridionale de la Corée, qui est près de la 
province de Nanking et non éloignée de Macao, on rencontre 
beaucoup d'îles, qui n'appartiennent à personne, et qui sont cul- 
tivables et habitables. Notre royaume n'a de communication 
avec d'autres contrées, ni par terre, ni par mer (i); c'est pourquoi 
nous sommes grossiers et faibles. Ayant peu de talents et de con- 
naissances, nous n'entreprenons point de naviguer dans les pays 
éloignés. C'est même une malédiction proverbiale parmi nous, 
que de dire h quelqu'un : « Va en mer. » on pourrait donc envoyer 
un navire de Macao pour examiner ces îles abandonnées, et s'éta- 
blir dans quelques-unes de celles qui sont les plus convenables ; 
ou, si l'on y trouve quelques habitants, les convertir, et les faire 
chrétiens. Par ce moyen nous pourrions arriver peut-être à 
sortir de notre triste position ; mais c'est là un remède déses- 
péré, parce qu'il demande beaucoup trop de temps. Le meilleur 
est de nous expédier un vaisseau directement et promptement. 
« 5° on a dans ce royaume bien peu de capacité, bien peu 
(1) La Chine n'est pas exceptée, parce que les communications entre elle 
et la Corée sont très-limitées. Elles se bornent, comme nous l'avons vu, à 
quelques ambassades oflicicllcs, cl à une ou deux foires par an, sur la fron- 
tière, lors du passage des ambassadeurs. 
— 262 — 
d'intelligence. Nous sommes bien éloignés d'avoir les talents des 
autres peuples ; les choses les plus nécessaires pour se procurer 
la subsistance, tels que les instruments d'agriculture et de tis- 
sage, ne valent rien ; notre pauvreté est extraordinaire. Ni les 
nobles, ni le peuple n'ont de ressources assurées qui puissent 
leur procurer de quoi se nourrir et se vêtir lorsque, par suite des 
sécheresses ou des inondations, survient une année de famine. 
Quant aux chrétiens, à cause de la persécution, ils courent en 
confusion tantôt à l'orient, tantôt à l'occident; ils ne peuvent 
demeurer en paix nulle part, ni profiter des ressources telles 
quelles qu'ils auraient d'ailleurs pour subsister. Aussi, sont-ils 
presque tous réduits à l'état de mendicité. Ordinairement l'âme 
gouverne le corps, et le corps aide l'âme; cette corrélation est 
naturelle. Mais maintenant, nos corps manquent des moyens néces- 
saires pour conserver la vie, nos âmes manquent des remèdes 
indispensables pour ranimer les vertus. Ceux qui étaient instruits 
et avaient le don de la parole, sont tous morts dans la persécution, 
et il ne s'en est pas converti d'autres capables de les remplacer. 
Il n'y a plus que des femmes, des enfants, et des hommes si igno- 
rants qu'ils ne savent pas distinguer les deux lettres lou et you (1). 
Quelque grand que soit le nombre des chrétiens, ils ne sont 
pas suffisamment instruits; ils savent qu'il y a un Dieu, une âme, 
une récompense et un châtiment ; pour les autres articles de reli- 
gion, ils ne les connaissent guère; ils ne peuvent ni les enseigner, 
ni les expliquer. D'ailleurs, ils sont retenus par la crainte de la 
persécution et le respect humain. Tourmentés par la faim et le 
froid, accablés de travaux, ils ne peuvent s'aider les uns les autres; 
ils sont dispersés comme des brebis qui ont perdu leur pasteur, 
ils ont fui de tous côtés, ils ne peuvent se réunir pour les exercices 
de la religion, mais tous espèrent que le Seigneur aura pitié d'eux 
et ne les abandonnera pas. 
«■6'' Nous avons entendu dire qu'en règle générale quand il y 
a plus de mille chrétiens dans un endroit, on doit y envoyer un 
prêtre, et que quand il y en a plus de dix mille, on doit y envoyer 
un évéque. 11 est vrai que nous sommes peu instruits de la reli- 
gion ; nous savons seulement jeûner et réciter des prières, et, en 
vérité, nous sommes indignes d'être appelés chrétiens. Cependant 
nous sommes plus de dix mille qui connaissons Dieu, et nous 
n'avons pas encore obtenu d'être gouvernés par un êvêque. Nous 
(1) expression proverbiale pour signifier une grande ignorance, car il est 
très-facile fie distinguer ces deux lettres Tune de l'autre. 
— 263 — 
sommes accablés de douleur, en pensant que l'objet de notre 
espérance est si éloigné ; nous demandons avec la plus grande 
instance par la miséricorde de Jésus-Christ, que Votre Sainteté 
nous envoie le plus promptement possible un maître spirituel pour 
délivrer nos âmes. 
« 7° Il n'y avait pas vingt ans que nous étions convertis à la 
foi ; et il n'y avait pas sept ans que le missionnaire était arrivé, 
lorsque s'éleva la grande persécution. Dans celles qui précédèrent, 
nous avions eu peu de martyrs. Mais celle qui commença en 1801 
fit beaucoup de bruit, et la sainte religion parut avec plus d'éclat. 
Il y eut alors plus de cent martyrs (1), près de quatre cents exilés. 
Le bienfait spirituel des Sacrements et l'augmentation de la grâce 
divine leur avaient donné la force. Quant aux prisonniers peu 
instruits, et qui avaient peu récité les prières, comme c'étaient des 
gens grossiers du peuple, on jugea que peu importait qu'ils 
fussent ou ne fussent pas chrétiens, et on les mit en liberté. Ils 
sortirent comme les poissons les uns après les autres ; on n'en 
sait pas le nombre. on ignore aussi le nombre de ceux qui n'ayant 
pas eu de relations personnelles avec le missionnaire, et n'ayant 
pas été dénoncés, prirent la fuite, se cachèrent, et sont encore 
errants, sans maison, sans famille. Ayez pitié de tant d'âmes 
qui, privées de tout moyen de salut n'ont que la mort à attendre. 
Si en Europe on n'a pas compassion de nous, si on ne nous envoie 
pas du secours, et si nous n'en pouvons attendre de Péking, nous 
tombons dans le désespoir, et tout sera fini. Si le secours tarde 
un jour, nous souffrons un jour; s'il tarde deux jours, nous souf- 
frons deux jours ; si nous ne voyons arriver un vaisseau d'Europe, 
il en sera du précepte de Jésus-Christ, d'enseigner et de baptiser 
toutes les nations, il en sera des paroles du saint Évangile sur 
l'amour du prochain et le zèle du salut des âmes, il en sera de 
tout cela comme d'un vieux chapeau et d'une guenille inutile. 
Nous perdrons toute espérance, ainsi que l'homme qui, tombé 
dans l'eau, fait d'abord des efforts pour ne passe noyer, dans la 
confiance qu'on viendra à son secours, et enfin se voit tromper 
dans son attente. Nous supplions Votre Sainteté de nous par- 
donner ces cris inconvenants, ces paroles désordonnées, cet 
égarement que nous occasionne la vue du péril. Comme ceux qui 
(1) Nous avons vu plus haut que le nombre réel fut beaucoup plus consi- 
dérable, et s'éleva à deux cents au moins. Dans Tétat de dispersion et d'iso- 
lement auquel étaient réduits les chrétiens, on s'explique tacilement que les 
auteurs de cette lettre n'aient pas pu connaître alors le ciiitïre exact. 
— 264 — 
tombent dans l'eau ou dans le feu, nous ne sommes plus maîtres 
de nous-mêmes et nous perdons la tête. 
« 8° L'état de persécution permanente nous oblige d'écrire 
cette lettre sur de la soie, afin que le porteur puisse la cacher dans 
ses vêtements. Le danger de perdre la vie est, pour lui, de dix 
mille contre un. C'est pourquoi nous ne pouvons envoyer à 
Votre Sainteté des livres volumineux. Nous envoyons seulement 
les actes du martyre du missionnaire, de la catéchiste Colombe, 
et de quelques autres, environ dix en tout; avec les noms et sur- 
noms de quarante-cinq qui se sont le plus distingués. Leurs 
actes remplissent plusieurs volumes que nous prendrons hum- 
blement la liberté de vous faire parvenir h la première occasion ; 
car nos concitoyens martyrs, quoique d'un pauvre royaume étran- 
ger, ont eu le bonheur d'être admis dans la sainte religion, leurs 
noms et leurs mérites sont écrits dans le livre de ceux qui sont 
morts pour la justice. Ils sont véritablement agréables à Dieu ; 
ils sont aimés de la sainte Vierge, et des saints anges; ils ne 
seront pas moins agréables à Votre Sainteté qu'ils le sont à Dieu. 
Par les mérites de nos martyrs, nous espérons recevoir au plus tôt 
le secours spirituel que nous demandons avec mille et dix mille 
larmes de sang. 
« Le 24 de la dixième lune de l'année sin-ou (9 décem- 
bre 1811). » 
En lisant ces lettres des chrétiens de Corée, l'histoire de 
leurs maityrs, l'exposé des souffrances des néophytes, leurs 
instantes supplications pour obtenir un pasteur, l'évêque et les 
quelques missionnaires qui étaient encore avec lui, versèrent 
d'abondantes larmes. Malheureusement il était impossible de 
satisfaire à ces ardents désirs des Coréens, et de leur envoyer un 
prêtre. L'église de Péking elle-même, privée à la suite de la Révo- 
lution fi'ancaise, de presque tout secours d'Europe, en butte à la 
persécution qui renversait les églises, massacrait ou exilait les 
missionnaires et les prêtres indigènes, et venait de détruire le 
séminaire, l'église de Péking, disons-nous, pouvait à peine se suf- 
fire ; et l'évêque, le cœur brisé, dut renvoyer Jean Ni le-tsin-i, 
sans même lui faire aucune promesse pour l'avenir. 
Le voyage toutefois eut un heureux résultat. Les rapports avec 
la Chine étaient rétablis , et des précautions prises pour les 
rendre désormais plus réguliers et plus faciles; cela seul était 
un encouragement et une espérance pour les pauvres fidèles de 
Corée, qu'un isolement absolu aurait réduits au désespoir. Jean 
— 265 — 
Ni emporta à son retour, un cfrand nombre de chapelets, mé- 
dailles, images et autres objets de religion, que Ton dut vendre à 
très-haut prix, pour couvrir les frais du voyage, et payer les 
dettes contractées à cet effet. Il fut même impossible de faire pré- 
sent de quehiues-uns de ces objets à ceux qui avaient d'avance 
contribué aux dépenses de l'expédition, et rhomme étant toujours 
homme, plusieurs eurent la faiblesse de se trouver offensés de ne 
pas recevoir cette petite récompense qu'ils avaient bien méritée, et 
se laissèrent aller à de fâcheux murmures et à des querelles 
regrettables. 
L'évêque de Péking envoya en Europe la lettre adressée au 
souverain Pontife par les Coréens, et le pape la reçut dans sa pri- 
son de Fontainebleau. Qui nous dira les sentiments douloureux 
qui déchirèrent son cœur en lisant ce touchant appel de ses enfants 
les plus lointains et les ])lus abandonnés, et en se voyant dans 
l'impossibilité de leur venir en aide? Le domaine de Saint-Pierre 
venait d'être confisqué ; le clergé de France commençait à peine à se 
recruter, et les nombreux vides faits par les échafauds, les pontons, 
et l'exil, étaient loin d'être comblés ; presque partout, les ordres 
religieux avaient été anéantis ; l'œuvre rédemptrice de la Propa- 
gation de la Foi n'existait pas encore; à peine si de loin en loin 
surgissait quelque vocation de missionnaire ; en un mot, dans le 
monde entier, l'Église subissait le terrible contre-coup de la Pié- 
volution, et semblait menacée même dans son existence. Que pou- 
vait faire le Vicaire de Jésus-Christ, que de prier, d'en appeler à 
Dieu, et, du fond de sa prison, de verser des gémissements dans 
le cœur de Jésus crucifié et délaissé. 11 est écrit que la prière de 
celui qui s'humilie, pénètre le ciel ; bien plus encore la prière de 
celui qui est écrasé par le malheur, ((ui souffre persécution pour 
la justice. Aussi Dieu exauca-t-il la prière de son Pontife. 11 mul- 
tiplia ses grâces aux néophytes de la Corée, pour que leur Église, 
formée jadis et agrandie sans le secours des j)rêtres, pût se 
reconstituer et se développer seule, sans appui extérieur, par l'in- 
fluence directe du Saint-Esprit. 11 fit plus, et pour rendre mani- 
feste à tous que la propagation de l'Évangile dans ce pays est son 
œuvre, et que cette auivre est indestructible, il permit, comme nous 
le verrons bientôt, que de nouveaux orages vinssent l'affermir au 
lieu de l'ébranler. 
Les deux ou trois années qui suivirent l'envoi des lettres h 
l'évêque de Péking et au souverain Pontife, furent comparative- 
ment assez tranquilles. 11 n'y eut pas de persécution générale, 
— S266 — 
Cependant, comme les lois de proscription contre les chrétiens 
n'avaient pas été rapportées, le sort des néophytes restait livré à 
l'arbitraire des autorités locales, et il y eut quelques martyrs 
dans les diverses provinces. Dieu voulait rappeler aux fidèles que 
le repos dont ils avaient joui depuis dix ans, n'était qu'une trêve, 
qu'ils devaient se considérer comme une armée en pays ennemi, 
toujours exposée et harcelée, et se tenir prêts en conséquence. 
En 1812, à Hong-tsiou, eut lieu le martyre de Paul Psi le-sam-i. 
Exilé pour la foi en 1802, il venait d'obtenir sa grâce et de ren- 
trer dans son jiays natal, lorsque, pour des causes que nous igno- 
rons, le mandarin lit saisir (pielques-uns de ses parents. Ceux-ci 
le dénoncèrent, et l'un d'eux même conduisit les satellites au vil- 
lage de Kai-tsi-ki, district de Keum-san, province de Tsien-la, ofi 
Paul s'était réfugié ; c'était la troisième fois qu'il tombait entre les 
mains des persécuteurs. Sa volonté tint ferme dans les supplices; 
il répondit avec courage aux diverses interrogations du mandarin, 
et celui-ci, voyant qu'il ne pouvait le faire apostasier, le condamna 
à mort. on n'a conservé aucun détail sur les diverses tortures 
qu'il eut à subir pendant six mois qu'il fut en prison à Hong- 
tsiou. Plusieurs fois des païens de ses amis l'engagèrent à se con- 
server la vie })ar quelques paroles de soumission et de complais- 
ance ; mais il répondit constamment qu'il était décidé à mourir 
pour Dieu. A la fin, un jour de marché, pendant la onzième lune, 
le mandarin résolut de se débarrasser de lui, et commanda à deux 
vigoureux fustigateurs de le frapper avec le bâton triangulaire. 
Après une longue bastonnade, Paul demeurant étendu sans mou- 
vement, le mandarin dit de voir s'il était encore en vie; les bour- 
reaux répondirent qu'il était presque mort. Mais soudain, à la 
grande surprise de tous, Paul se releva, s'assit convenablement 
sur les talons, ainsi qu'il est d'usage pour une cérémonie solen- 
nelle, et demanda de l'eau qu'on lui apporta de suite. Puis, 
comme il n'était encore que catéchumène, il fit un grand signe de 
croix, et se versa l'eau sur la tête pour se conférer le baptême (1). 
Après quoi, tournant les yeux vers le mandarin stupéfait, il lui 
dit : «Je suis un grand pécheur, et si vous m.e battez seulement 
« comme vous l'avez fait, ma mort est encore bien éloignée; si 
(1) Il est inutile do faire remarquer ici que ce prétendu baptême était nul, 
et qu'on ne peut se baptiser soi-même. Mais Paul était dans la bonne foi. 11 
ne pouvait manifester d'une manière plus vive son désir du sacrement, et 
l'Eglise nous enseigne (jue, dans le cas d'impossibilité absolue, le désir seul 
suffit. A plus forte raison, quand au baptême de désir se joint le baptême 
de San 2. 
I 
— 267 - 
« vous voulez que je meure, frappez ici, » et de sa main il mon- 
trait un point sur le côté du corps. Deux coups donnés comme il 
Pavait indiqués, furent suffisants, et il rendit le dernier soupir. Il 
était âgé alors d'environ quarante-trois ans. 

on raconte qu'au moment où il consommait son martyre, trois 
jeunes gens, passant non loin de là, virent une lumière brillante 
(jui s'élevait jusqu'au ciel. Ils se disaient entre eux : « Qu'est-ce 
donc que cela? Ce n'est pourtant pas du feu. C'est singulier ! » et 
ils continuèrent leur route. L'un d'eux, qui était chrétien, de 
retour chez lui, apprit, trois jours après, la nouvelle de la mort de 
Paul, et, calculant le jour et l'heure, il reconnut que l'apparition 
de cette lumière coïncidait exactement avec le martyre, et dans sa 
joie, il se mit à louer Dieu de ce prodige. Les parents et amis 
païens de Paul retirèrent son corps pour lui rendre les honneurs 
de la sépulture ; mais ils furent bien étonnés de voir que ce corps 
flagellé et déchiré n'avait aucune trace de blessures, et semblait 
au contraire tout rayonnant. L'un d'entre eux, frappé de cette 
circonstance si étrange, se convertit, et devint dès lors un fervent 
chrétien. Un témoin oculaire de la lumière qui apparut au moment 
du martyre de Paul, vit encore aujourd'hui, ainsi que plusieurs 
autres personnes qui en entendirent parler le jour même, et l'on 
a reçu tout dernièrement le témoignage d'un païen dont le 
père et la mère avaient vu le corps intact quand on lui donna la 
sépulture. Le nom de le-sa-mi est longtemps resté proverbial parmi 
les satellites de Hong-tsiou. Ils disaient aux chrétiens dans les sup- 
plices : « Il faut supporter les coups comme le-sa-mi ; » et après la 
mort des confesseurs, ne voyant pas de lumière extraordinaire, 
ils répétaient : « Celui-ci, sans doute, ne vaut pas le-sa-mi. » 
L'année suivante (1813), nous trouvons, dans la ville de Kong- 
tsiou, trois nouveaux martyrs. 
Le premier est Paul Hoang, qui avait eu la gloire de confesser 
une première fois le nom de Jésus-Christ, en 1794. on assure que 
même auparavant, il avait déjà subi une rude persécution dans sa 
propre maison. Son père, ennemi acharné du nom chrétien, alla 
dit-on, jusqu'à lui mettre des charbons ardents entre les doigts, 
et sur les parties du corps les plus sensibles, sans pouvoir obtenir 
son apostasie. Paul Hoang fut arrêté dans le district de Po-rieng, 
le 15 de la quatrième lune, et conduit au tribunal de Hai-mi. 
Beaucoup d'autres chrétiens furent pris à cette même époque et 
emprisonnés avec lui. Interrogé par le mandarin sur son maître de 
religion et sur ses complices, il répondit : « Celui-qui m'a enseigné 
la religion est mort, et ceux que vous appelez mes complices, sont 
— 268 — 
tous ici avec moi. » Peu satisfait de cette réponse, le mandarin le 
pressa de dénoncer les chrétiens qu'il connaissait, et lui fit subir, 
par trois fois, le supplice de Técartement des os des jambes et de 
la puncture des bâtons. Dans cette horrible torture, il tint ferme 
et confessa généreusement sa foi. Il fut donc déposé à la prison, 
et, après quelques mois de souffrances, fut, à la huitième lune, 
transporté au tribunal du gouverneur à Kong-tsiou. Dans les pri- 
sons de Kong-tsiou , il rencontra plusieurs autres chrétiens, 
entre lesquels Pierre Ouen et Mathias Tsiang. 
Pierre Ouen était du village de Tek-meri, au district de Kiel- 
sieng. Il vivait de son travail dans une poterie païenne de ce 
pays, lorsqu'il se convertit avec son frère aîné. Afin de pouvoir 
pratiquer plus librement la religion, les deux frères émigrèrent 
d'abord au district de Hong-tsiou, dans une autre fabrique païenne 
où ils furent saisis par le mandarin et mis à la torture. Puis ayant 
été relâchés, ils se réfugièrent à Eu-sil, district de len-san, dans 
une fabrique chrétienne. La persécution ayant éclaté, et les chré- 
tiens de cette fabrique ayant été dénoncés, les deux frères s'en- 
fuirent au district deTsin-tsaen. Là, ils furent arrêtés de nouveau, 
conduits à la préfecture de len-san, et après un premier interro- 
gatoire, envoyés au juge criminel de Kong-tsiou. L'aîné eut la fai- 
blesse d'apostasier et fut condamné à l'exil ; mais Pierre Ouen, 
traduit devant le gouverneur, souffrit de cruelles tortures dans 
trois interrogatoii'es, sans faiblir un seul instant, et mourut glo- 
rieusement en prison, la nuit qui suivit la dernière question, 
environ quinze jours après son arrivée à Kong-tsiou, dans les 
premiers jours de la dixième lune. 
Mathias Tsiang Tai-ouen-i, était aussi du village de Tek-meri. 
Ses parents étaient très-pauvres, et, lorsqu'il les perdit, étant 
encore païen, il entra d'abord comme domestique ou homme de 
peine dans différentes maisons; puis, lassé de sa misère, finit par 
se joindre h une troupe de comédiens ambulants. Mais ayant eu 
le bonheur d'embrasser la religion, il quitta de suite sa vie licen- 
cieuse, renonça à ses mauvaises habitudes, particulièrement à 
l'ivrognerie, et alla travailler àfla fabrique chrétienne de Sol-tei, 
au district de Keum-san, oti il pratiqua pendant quelque temps 
avec beaucoup de ferveur. Il était ensuite tombé dans le relâche- 
ment, il avait même pris une concubine sans cesser toutefois entiè- 
rement ses pratiques religieuses, lorsque sa femme légitime étant 
venue à mourir, il se maria avec sa concubine, et se remit avec 
zèle à l'exercice de la prière quotidienne, faisant une sévère et 
continuelle ])énitence de ses égarements passés. Il fut pris, vers la 
— 2G9 — 
huitième lune, à Eu-sil, district de len-san, où il avait lui, et con- 
duit à Kong-tsiou. 11 supporta courageusement de violents sup- 
plices, et quoi({ue les tortures de la faim et de la soif, lui eussent 
arraché, un instant, quelques signes d'apostasie, il se rétracta 
presque aussitôt, grâce aux exhortations de ses compagnons de 
captivité, et redevint plus ferme que jamais. 
Réuni dans la prison à Paul Hoang, il partagea les mômes 
souffrances, et tous deux méritèrent d'être ensemble condamnés à 
mort. Quand ils se rendirent au supplice, la foule les poursuivait 
de sarcasmes et de plaisanteries grossières; mais Matliias, sans 
changer de couleur, et sans perdre son calme, leur répondit à 
haute voix : « Vous ne devriez pas rire, mais bien plutôt pleurer, 
car c'est votre sort et non pas le nôtre qui est réellement misé- 
rable. » Tous deux furent décapités ensemble, le 19 de la dixième 
lune de cette année kiei-iou, 1813. Paul avait cinquante-neuf ans. 
A ces trois noms, il faut ajouter celui d'un autre confesseur de 
la foi, auquel Dieu n'accorda pas la palme du martyre. loun Saing, 
ouen de famille noble, (jui commençait à peine à pratiquer la reli- 
gion, et n'avait encore appris que l'Angelus, fut aussi arrêté k la 
même époque, au district de len-san, et transféré à Kong-tsiou. 
Aucun supplice ne put lui arracher une parole d'apostasie, et il 
aurait dû partager le sort des précédents ; mais comme il s'était 
fait un nom par une piété filiale tout à fait extraordinaire, le 
gouverneur dut, d'après les usages du pays, diminuer sa peine, et 
le condamna seulement à l'exil dans une province du Nord. Il y 
resta jusqu'en 1832; à son retour il s'instruisit à fond de la vraie 
doctrine, et la pratiqua fidèlement jusqu'à sa mort. 
Tous les autres chrétiens prisonniers ayant été relâchés ou 
exilés, cette affaire n'eut pas d'autres suites. 
Le peu de succès du précédent voyage de Péking avait affligé 
les chrétiens, sans leur ôter l'espérance, et les principaux d'entre 
eux voulaient, à l'ambassade suivante, faire une nouvelle tenta- 
tive. Mais, plusieurs personnes qui avaient contribué à la pre- 
mière, refusèrent cette fois leur concours, et la difticulté de se 
procurer des fonds occasionna un retard considérable. Toutefois, 
en frappant à de nouvelles portes, tant à la capitale que dans les 
provinces, on parvint à recueillir de quoi subvenir aux frais d'une 
seconde expédition, et Jean Ni le-tsin-i, s'exposa de nouveau aux 
fatigues et aux périls de cette longue route. Il partit à la fin de 
l'année 1813, et cette fois encore, par une protection spéciale de 
Dieu, il arriva sans accident à Péking. Mais les désirs de la 
— 270 — 
chrétienté coréenne ne purent être satisfaits. L'évêque de Péking 
était toujours dans les mêmes embarras qu'auparavant, et non- 
seulement il ne put pas envoyer de prêtre, mais il n'osa pas mêmfl 
en promettre un pour plus tard. 
Depuis son retour de ce voyage, Jean Ni le-tsin-i ne paraîi 
plus d'une manière saillante dans l'histoire de la chrétienté. I 
avait eu l'honneur de renouer les relations avec l'église d( 
Chine. Là, semble-t-il, s'est bornée sa mission, et désormaii 
il n'aidera plus ses frères que par ses exem})les et ses exhorta- 
tions. Dieu, pour augmenter sa vertu, permit qu'il fût cruel- 
lement éprouvé en 1815, où il perdit coup sur coup, dans l'es- 
pace de trois mois, sa mère, sa femme, son frère, sa i»elle-sœui 
et un neveu. Il mourut tranquillement en 1830, à Eug-i, districi 
de lang-tsi. 
Jean Kouen Kei-in-i qui avait, lui aussi, fait tant de démarches, 
pris tant de soins, et subi tant de fatigues pour procurer de nou- 
veaux prêtres à la Corée, fut vivement affecté de l'insuccès d( 
ce second voyage. « C'est de ma faute, disait-il souvent ; je suis 
un trop grand pécheur, je ne puis attirer les regards favorables 
de Dieu, et il refuse d'écouter mes continuelles prières. » II étai] 
allé s'établir dans les montagnes, pour pouvoir plus libremenj 
s'occuper des affaires de la chrétienté. Quelque temps après II 
retour de Jean Ni, il dit à ceux qui étaient près de lui : « Je ne 
suis pas loin de ma dernière heure. » En effet, il tomba bientôj 
gravement malade, et mourut à la troisième lune de l'annéj 
kap-sioul (1814), à l'âge de quarante-sept ans. 
Cette même année, Pie Kim Tsin-ou termina son orageuse car 
rière. Né à Sol-moi, au district de Mien-t'sien, d'une famille honJ 
nête, il s'était livré passionnément aux superstitions, à la magiej 
et à la géoscopie. Il avait environ cinquante ans quand il entendij 
parler de la religion chrétienne pour la première fois ; mais soi 
cœur, uniquement désireux des honneurs, des richesses et des plail 
sirs de ce monde, resta alors sourd à la voix de la grâce. Ayanl 
obtenu une petite fonction près du gouverneur de la province, il 
résista encore longtemps aux sollicitations de son propre fils. A h 
fin cependant, son âme fut gagnée à Jésus-Christ ; il donna ss 
démission, rompit avec ses amis païens, et se mit à pratiquer avec 
ferveur. Traduit une première fois devant les tribunaux, en 1791, 
il confessa courageusement la foi. Ayant échappé alors, on m 
sait trop comment, il fut successivement repris et relâché quatre 
ou cinq fois, et eut à subir des interrogatoires et des tortures 
Hong-tsiou, à Tsien-tsiou et à Kong-tsiou. on croit que pendant 
— 271 — 
la grande persécution, il n'évita la mort qu'en prononçant la 
formule d'apostasie. 
Envoyé en exil à cette époque, il fut, peu après son retour, 
arrêté de nouveau en 1805, et conduit à la préfecture de Hai-mi, 
oii, cette fois, il se conduisit en véritable chrétien. Il ne fut 
pas condamné à mort, mais les affaires traînant en longueur, 
il resta en prison, sans jugement, pour un terme indéfini. Son 
caractère grave et digne lui attira le respect et l'estime des pré- 
toriens et des geôliers, et il pratiquait sa religion au su de tout 
le monde. Enfin, après dix ans de réclusion supportée avec une 
patience exemplaire, il mourut à l'âge de soixante-seize ans, le 
20 de la dixième lune. on ne sait pas au juste s'il succomba de 
maladie, de faim, ou sous les coups ; mais les longues persécutions 
qui avaient précédé sa mort, ont rendu son souvenir cher à toute 
la chrétienté. Parmi ses descendants nous compterons plusieurs 
martyrs, entre autres le premier prêtre coréen André Kim. 
Mentionnons aussi la fin édifiante de Siméon lou Koun-mieng-i, 
noble de province, originaire de So-iak-kol, au district de Mien- 
t'sien. Son caractère était naturellement doux et bon. Il parlait 
peu, et n'avait jamais à la bouche de paroles inutiles et mondaines ; 
aussi l'appelait-on l'excellent homme, ou, encore, le fils pieux, à 
cause de sa belle conduite envers ses parents et des soins assidus 
qu'il leur prodiguait. Après leur mort, aux jours marqués pour les 
sacrifices, il redoublait de zèle, et tous les voisins disaient : « Il 
n'y a personne pour remplir, comme lui, les devoirs de la piété 
filiale. )) Ayant émigré à Hoang-mo-sil, district de Teksan, il y fut 
instruit de la religion et l'embrassa, à l'âge de cinquante-neuf ans. 
Depuis ce jour, il abandonna les superstitions païennes, et ne 
sut plus que servir et honorer Dieu. Baptisé par Louis de Gon- 
zague Ni ïan-oueni, qui faisait alors l'office de prêtre au Nai-po, 
il se montra toujours le modèle de ses frères, partageant tous ses 
revenus avec les pauvres et les malheureux. Il donna la liberté 
à ses esclaves, et fit sa principale occupation d'instruire et d'ex- 
horter les nombreux chrétiens qui venaient chez lui. Il fut pris 
à la cinquième lune de l'année sin-iou (1801), et mis plusieurs 
fois à la torture, qu'il supporta avec constance. Plus tard, il 
eut la faiblesse de déclarer où étaient ses livres de religion ; mais 
il ne voulut jamais dénoncer aucun chrétien, et refusa jusqu'à 
la fin de donner le moindre signe d'apostasie. Condamné à l'exil 
dans une province éloignée, il resta fidèle à ses exercices, témoi- 
gnant seulement le regret de n'avoir plus aucun livre de religion. 
Enfin, après de longues souffrances courageusement endurées, il 
— ^n — 
mourut en faisant sa prière, à genoux, assis sur ses talons, à la 
grande surprise et admiration des habitants du lieu. Il avait 
quatre-vingt-deux ans. 
Telle est Fhistoire des treize années qui suivirent la première 
persécution générale. Dans cet intervalle, l'Église de Corée s'est 
reformée; les fidèles presque anéantis, se sont relevés; ils ont 
recommencé à s'instruire, à s'organiser ; ils ont donné au ciel de 
nouveaux martyrs ; ils ont renoué les relations avec le clergé 
de Chine, et avec le Saint-Siège ; enfin ils ont conquis de nou- 
veaux frères et solidement établi l'Évangile dans des provinces oii 
il était auparavant inconnu, dans le Kang-ouen, et surtout dans 
le Kieng-siang. Cette dernière province, l'une des plus riches du 
pays, souvent nommée par les indigènes la base et le fondement 
du royaume, est en même temps le foyer des superstitions anti- 
ques, nées du mélange du culte des ancêtres et des pratiques de 
la doctrine de Fo. Dans les desseins de Dieu, le temps était venu 
pour ces chrétientés nouvelles de recevoir le baptême de sang; 
aussi, tandis qu'en 1801, la persécution avait eu pour théâtre les 
trois provinces de Kieng-kei, T'siong-t'sieng et Tsien-la, qui étaient 
alors les principaux centres des chrétiens, cette fois nous allons voir 
la violence de l'orage tomber tout spécialement sur les néophytes 
du Kang-ouen et du Kieng-siang. 
CHAPITRE II. 
Persécution de I8I0. — Les martyrs de Tai-kou et de Ûuen-tsioii. 
Les disettes sont assez fréquentes en Corée, et comme ce pays, 
obstiné dans ses vieilles traditions d'isolement absolu, n'a presque 
aucune relation commerciale avec les autres peuples, et ne peut, 
par conséquent, recevoir aucun secours du dehors, elles y sont 
très-meurtrières, surtout parmi les païens. Nous disons : surtout 
parmi les païens, car soit par la protection spéciale de Dieu, soit 
à cause de la charité plus grande qui règne entre les chrétiens, 
c'est un fait avéré que, toute proportion gardée, ces derniers 
meurent de faim en beaucoup moins grand nombre que leurs 
compatriotes idolâtres. Or, la récolte de 1814 ayant manqué à 
peu près complètement, une famine épouvantable, telle que de 
mémoire d'homme on n'en avait jamais vu, désola toutes les pro- 
vinces du royaume. Le peu de grain que l'on avait recueilli fut 
consommé pendant l'hiver, et, au printemps, le pays entier pré- 
senta un spectacle affreux. Beaucoup périssaient chez eux dans 
les tortures de la faim , et grand nombre aussi tombaient et 
expiraient sur les routes où le besoin les avait fait s'aventurer. 
Au milieu de tant de maux, un misérable traître nommé Tsien 
Tsi-sou-i, se mit dans l'esprit de vivre aux dépens des chrétiens. 
S'en allant de village en village, dans la province de Kieng- 
siang, il mendiait de l'argent, des habits et des vivres. Les lidèles 
lui donnèrent aussi longtemps qu'ils le purent, et probablement 
beaucoup, eu égard à leur misère. Mais bientôt toute ressource 
ayant été épuisée, les aumônes diminuèrent, et peu satisfait de 
ce qu'il recevait, Tsien Tsi-sou-i conçut le dessein de dénoncer les 
chrétiens, tant par vengeance, que pour pouvoir les piller impu- 
nément, et s'approprier sans obstacle leur petit avoir. Il savait 
très-bien que la famine donne plus de force à tous les mauvais 
instincts, et se sentait sûr à l'avance de trouver de l'appui chez 
les satellites dont la cupidité ne manquerait pas d'être excitée par 
l'appât d'un pillage considérable et impuni. Il alla donc faire sa 
dénonciation, qui fut reçue avec beaucoup de joie par le man- 
darin et ses gens, et comme tous connaissent l'usage des chrétiens 
de revenir chez eux pour célébrer les grandes fêtes, on décida 
l'église de CORÉE. 18 
— 274 — 
que le premier coup serait frappé inopinément le jour de Pâques, 
qui tombait cette année le 22 de la deuxième lune. 
Ce jour arrivé, alors que les chrétiens réunis chantaient ensem- 
ble à haute voix les prières habituelles, le traître se mit à la tête 
des satellites, et ils envahirent tout à coup le village de Morai- 
san, au district de T'sieng-song. Les chrétiens qui ne s'atten- 
daient nullement à la persécution furent étrangement surpris, et, 
croyant d'abord avoir affaire à des brigands, commencèrent, sous 
la conduite de Joseph Ko, homme agile et vigoureux, à repousser 
la force par la force ; mais aussitôt qu'ils surent que ces hommes 
étaient des satellites envoyés officiellement par le mandarin, toute 
résistance cessa, et Joseph Ko lui-même, devenu doux comme 
un agneau, se laissa saisir le premier. Un grand nombre de chré- 
tiens furent pris dans cette expédition, et conduits au tribunal de 
Kieng-tsiou d'où dépendait leur district. Quelques jours après, 
d'autres satellites tombèrent à l'improviste sur le village de Me- 
rou-san, district de Tsin-po, et firent de nombreux prisonniers, 
qu'on déposa à la préfecture criminelle d'An-tong. 
Ces tristes nouvelles se répandirent bientôt de tous côtés. 
La terreur se mit parmi les chrétiens, et comme il arrive toujours 
dans de semblables circonstances, les uns prirent la fuite, et cher- 
chèrent un asile dans d'autres provinces ; les autres n'ayant pas le 
moyen de fuir, demeuraient dans leurs villages, attendant dans 
des transes continuelles l'heure de leur arrestation, passant le 
jour dans les forêts ou sur les montagnes, revenant furtivement 
chez eux pendant la nuit pour préparer quelque nourriture, et 
regagnant de suite les retraites des bêtes fauves, moins redoutables 
à leurs yeux que les satellites des mandarins. De tous côtés, 
des saisies nombreuses furent faites, et bientôt les prisons regor- 
gèrent de chrétiens. 
A Kieng-tsiou, les supplices et la faim amenèrent l'apostasie 
de beaucoup de néophytes qui furent, en conséquence, relâchés 
immédiatement. Mais leurs compagnons montrèrent plus de cou- 
rage, et confessèrent hardiment le nom de Jésus-Christ. La tradi- 
tion rapporte que sept d'entre eux, consumés par la faim, ou tués 
par les tortures, expirèrent en prison dans le cours de la troi- 
sième lune, avant qu'on eût pu les transférer à un tribunal supé- 
rieur. C'étaient : Paul Pak, père de Pak T'sioun-t'sieng-i ; Jean 
Pak Koan-sie, son cousin germain, lequel, veuf et nouvellement 
converti, ne fut baptisé que pendant la persécution ; Ko-san 
Kim Sie-pang, oncle maternel de Paul, ainsi appelé parce qu'il 
venait du district de Ko-san ; Kim Sa-ir-i de la province de Kieng- 
— 575 - 
siang ; et trois autres dont les noms ne nous ont pas été conservés. 
Cependant, comme il n'y a ni témoins oculaires, ni documents 
écrits, concernant ce qui s'est passé alors dans cette partie reculée 
de la province de Kicng-siang-, nous n'osons rien affirmer positi- 
vement. Les prisonniers qui, constants dans leur confession de 
foi, survécurent à la faim et aux toi'tures, furent bientôt envoyés 
à la grande ville de Tai-kou, chef lieu de la province. C'étaient 
André Sie avec sa femme Barbe T'soi, et son beau-fils François 
T'soi le-ok-i ; Alexis Kim Si-ou-i ; Pierre Ko et son frère cadet 
Joseph Ko; et enfin Agathe-Madeleine Kim. Disons quelques mots 
de chacun d'eux. 
Nous ne savons rien sur André Sie, grand-père maternel des 
Pak de San-kol, sinon qu'après avoir supporté les supplices 
avec une constance inébranlable , il mourut en prison avant 
l'exécution de la sentence capitale portée contre lui. Sa femme 
Barbe Tsoi, plus connue des chrétiens sous le nom de veuve Sie, 
était, dit-on, originaire de Hannai-tsang-pel, district de Hong- 
tsiou. Elle avait un extérieur agréable, un caractère doux et 
patient, et se faisait remarquer par une vertu peu commune. 
Convertie dès avant 1801, elle perdit son premier mari et épousa 
en secondes noces André Sie. Prise le jour de Pâques, elle eut, au 
moment même de son arrestation, à supporter de violentes tortu- 
res ; ce qu'elle fit courageusement. Un peu plus tard, elle fut si 
horriblement maltraitée par les coups du bâton triangulaire , 
que, de retour à la prison, elle semblait taiblir dans sa résolution, 
et pencher vers l'apostasie. Son beau-fils François T'soi vint alors à 
son aide, la consolant, l'exhortant à ne pas manquer une si belle 
occasion, lui parlant avec émotion du bonheur qu'ils auraient de 
donner ensemble leur vie pour Dieu. Il fit si bien que toute tenta- 
tion disparut, et qu'à dater de ce jour elle demeura ferme au milieu 
des diverses tortures. on la transféra à Tai-kou avec les autres 
confesseurs. 
François T'soi le-ok-i, connu de plusieurs sous le nom de 
Tsin-kang-i, son nom d'enfance, était beau-fils des époux ci-dessus. 
Natif de Tarai-kolau district de Hong-tsiou, il se convertit avec 
sa mère, et vint habiter dès lors dans les montagnes de Mou-sieng- 
san. Lorsqu'il apprit le séjour du P. Tsiou à la capitale, il s'y rendit 
avec sa mère et sa sœur ; sa mère put participer aux Sacrements, 
et recevoir l'Extrême-Onction à l'heure de la mort. Sa sœur resta 
ensuite à Séoul, chez Augustin Tieng, tandis que lui se retira en 
province. Il avait d'abord eu l'intention de vivre dans le célibat, 
mais l'exemple de son cousin germain, et les exhortations de 
— 276 — 
quelques autres parents le firent changer d'avis, et il se maria à 
la fille (l'André Sie. Depuis, il ^regretta souvent de n'avoir pas 
persisté dans son premier projet, ce qui ne l'empêchait nullement 
de vivre en très-bonne intelligence avec sa femme et toute sa 
famille. Lors de son arrestation, il dit à ses compagnons de tout 
rejeter sur lui dans les interrogatoires que le mandarin allait 
leur faire subir, et fut, en conséquence, torturé plus violem- 
ment que les autres ; mais toujours humble et ferme, il ne se 
démentit pas un instant. Conduit à Tai-kou, il eut à supporter 
coup sur coup des supplices si atroces que plusieurs fois il en 
perdit connaissance, sans que sa ferveur et son courage fussent 
ébranlés. Il avait été condamné à mort, mais avant le jour marqué 
pour l'exécution, il mourut en prison sous les coups, ou des suites 
de ses blessures, pendant la cinquième lune de l'année eul-hai 
(1815). Il était âgé d'un peu plus de trente ans. 
Alexis Kim Si-ou-i ou Si-ou-tsai, de la branche des Kim de 
Nien-san, était d'une famille noble du district de T'sieng-iang. 
Il avait un caractère bon et patient, et pratiquait la religion avec 
une ferveur remarquable, mais ayant tout le côté droit paralysé, 
il vivait très-pauvrement et n'avait pu se marier. Il allait de côté et 
d'autre chez les chrétiens qui le soutenaient de leurs aumônes. 
Assez instruit et plein d'adresse, comme il ne pouvait écrire de la 
main droite, il se servait de la gauche pour copier des livres, et 
se procurer ainsi quelques ressources. Non content d'expliquer les 
vérités de la religion aux chrétiens toutes les fois qu'il le pouvait, 
il instruisit et convertit beaucoup de païens ; aussi jouissait-il 
dans le pays d'une grande réputation de piété et de science. 11 
avait suivi les chrétiens àMorai-san, et fut témoin de l'arrestation 
opérée le jour de Pâques, mais n'ayant pas été pris lui-même, il 
se mita pleurer. « Qu'as-tu donc à pleurer, lui dirent les satellites ? 
— Moi aussi, je suis chrétien, répondit-il, mais parce que je suis 
estropié, vous ne voulez pas m'emmener. C'est ce qui me fait 
verser des larmes. — Oh ! reprirent les satellites, si tel est ton désir, 
viens aussi avec nous. « Et aussitôt il les suivit d'un air joyeux. 
Traduit devant le tribunal de Kieng-tsiou, il eut, malgré son 
état de maladie, de fréquents supplices à endurer, et sa constance 
fit l'admiration des juges. Transféré à Tai-kou, il fut cité 
d'abord devant le juge criminel, puis devant le gouverneur qui lui 
dit : « on prétend que tu adores Jésus; mais ce Jésus, qu'est-ce 
autre chose qu'un homme mort sous les coups de ceux qui l'ont 
crucifié? Or, quelle raison pour adorer un homme tué par d'autres, 
et qu'y a-t-il de si beau dans sa mort?» Alexis répondit : «Pendant 
— '277 — 
une inondation de neuf années, le roi Ha-oii-si ne cessa de parcou- 
rir le pays, et de l'aire de nombreuses tentatives pour sauver son 
peuple, et, par trois lois, venant à passer vis-à-vis de la porte de son 
palais, il refusa d'y entrer. iNiera-t-on que cette conduite fut 
admirable? Aussi ce roi, qui, après tout, n'avait en vue que le 
salut matériel de ses sujets, est-il resté célèbre dans tous les âges. 
Notre Seigneur Jésus-Christ a souffert et il est mort, lui, pour 
sauver les âmes de tous les hommes de toutes les parties de l'uni- 
vers. Mériterait-il le nom d'homme celui qui ne servirait pas un 
tel bienfaiteur? Donc, vous aussi, gouverneur, vous devez remer- 
cier et adorer Jésus, et embrasser sa religion. » Le gouverneur 
confus, outré de colère, commanda de lui imposer silence en lui 
brisant la mâchoire, et lit redoubler les tortures. 
Alexis, fidèle dans la confession de son Dieu, fut condamné à 
mort, signa sa sentence, et revint en prison attendre tranquille- 
ment le jour du supplice. Ne pouvant pas, comme les autres pri- 
sonniers, faire des souliers de paille, il fut bientôt sans ressources, 
et comme il n'avait rien à donner à la femme qui apportait la 
nourriture, celle-ci lui en fit des reproches, et le laissa manquer 
de tout. Affaibli par les supplices et dévoré par la faim, il mourut 
dans la prison, environ deux mois après son arrivée à ïai-kou, à 
la cinquième ou sixième lune de cette année 1815. Il avait trente- 
quatre ans. Son infirmité, son adresse, ses talents, son courage à 
défendre l'Evangile devant les juges, et surtout son état de virginité 
l'ont rendu cher aux chrétiens de ce pays, et ils citent encore 
son nom, comme une des gloires de leur Eglise. 
Les deux frères Joseph Ko le-pin-i, et Pierre Ko Sieng-ir-i, 
étaient du village de Piel-am, district de ïek-san. Instruits de la 
religion par leurs parents, ils la pratiquèrent dès l'enfance ; mais 
Pierre avait le caractère assez violent, et tout le monde le crai- 
gnait, tandis que son frère était généralement aimé pour son bon 
naturel. Tous deux, au reste, se faisaient également remarquer 
par une piété filiale peu commune, et pendant huit mois que dura 
la maladie de leur père, tous les jours ils priaient pour lui avec 
beaucoup de ferveur. Leur bonne harmonie, leur assiduité à la 
lecture et à l'exhortation, édifiaient tous les chrétiens. Pierre Ko, 
arrêté une première fois en 1801 h. Tsie-kouri-kol, au district de 
Ko-san, et conduit à Tsien-siou, après avoir d'abord confessé cou- 
rageusement sa foi, succomba à la tentation de se conserver la 
vie, apostasia et fut mis en liberté. Depuis il regrettait vivement 
sa faute et répétait souvent : «11 me huit un coup de sabre pour 
faire pénitence de cet énorme crime. » Dans la suite, il émigra 
— 278 — 
avec son frère à Morai-san, où ils furent pris tous les deux le jour 
de Pâques, comme nous l'avons rapporté. Inébranlables dans les 
supplices, ils furent envoyés ensemble à Tai-kou, et méritèrent 
par leur constance d'être condamnés à mort pour Jésus-Christ. 
Agathe-Madeleine Kim, belle-sœur de Paul Pak dont nous 
avons parlé, était née à Eun-tsai, district de Siang-tsiou, pro- 
vince de Kieng-siang. Après sa conversion, elle se réfugia à 
Morai-san, oîi elle fut arrêtée en compagnie des autres chrétiens, 
et subit, à plusieurs reprises, avec un courage remarquable, les 
interrogatoires et les tortures. « Ignorante que tu es, lui disait le 
mandarin, pourquoi veux-tu donc mourir? — Il n'est personne, 
répondit-elle, si vil et si ignorant qu'il soit, qui puisse méconnaître 
les bienfaits du Dieu créateur, et oser le renier. » Sa constance ne 
s'étant point démentie, elle fut transférée au tribunal de Tai-kou, 
avec les autres confesseurs. 
En résumé, parmi les chrétiens saisis à Morai-san le jour de 
Pâques, et conduits au tribunal de Kieng-tsiou, si beaucoup nous 
ont affligés par leur faiblesse, nous avons eu la consolation devoir 
un certain nombre de fidèles serviteurs de Jésus-Christ. Plusieurs 
ont déjà terminé leur carrière de souffrance, et il n'en reste à 
Tai-kou que quatre, tous condamnés à mort, mais ne sachant à 
quel moment on exécutera leur sentence. De nouveaux compa- 
gnons vont leur être adjoints. 

on n'a pas oublié que peu de jours après la capture des néo- 
phytes de Morai-san, ceux de Me-rou-san avaient été arrêtés à 
leur tour, et traînés devant le mandarin d'An-tong. Leur histoire 
offre un spectacle analogue. A côté de nombreuses et déplorables 
apostasies, nous rencontrons également de courageux confesseurs, 
dont la constance semble rehaussée par la chute de leurs frères. 
C'est d'abord Kim Mieng-siouk-i, natif du district de Hong- 
tsiou, converti dès avant 1801. Sa pauvreté l'avait forcé alors 
d'émigrer au district de len-pong, près des chrétiens ; mais ceux- 
ci ayant été pris et conduits à la capitale pendant la grande per- 
sécution, Mieng-siouk-i s'enfuit au district de Tsin-po. C'est là 
(|u'il vivait en 1815. Sa femme était morte depuis longtemps, et 
il n'avait avec lui que son fils Tsiang-pok-i, âgé de dix-neuf ans, non 
encore marié, et une fille à peine parvenue à l'âge nubile. Pleins de 
ferveur, le père et le fils se plaisaient à faire beaucoup d'aumônes, 
et à pratiquer toutes sortes de bonnes œuvres. A l'arrivée des 
satellites, les trois membres de cette famille furent trouvés ensemble 
et conduits à An-fong. Peu après, la jeune fille fut ravie par un 
— 270 — 
prétorien, et jamais depuis on n'a pu savoir ce qu'elle était deve- 
nue. Mieng-siou-ki et son fils subirent avec joie les tortures, et 
leur foi ne se démentit pas un seul instant. Consumés en peu de 
temps par la faim et les supplices, ils moururent tous deux, 
dans cette même prison d'An-tong , vers la troisième lune de 
Tannée 1815. Mieng-siouk-i avait alors cinquante-un ans. Ces 
deux confesseurs n'ayant été baptisés que pendant la persécution, 
leur nom de baptême est inconnu. C'était dès lors un usage chez 
les chrétiens de baptiser, au moment des persécutions, à peu près 
tous les catéchumènes, afin de ne pas les laisser exposés à mourir 
sans ce sacrement ; et nous voyons que dans cette même année 
1815, le catéchiste Ambroise Kim dont nous parlerons plus loin, 
donna le baptême k tous ceux qui le demandèrent, qu'ils fussent 
ou non instruits des vérités de la religion. 
Nous devons citer aussi les deux frères T'soi, André et Martin. 
André T'soi, avait été arrêté le premier, au district de Tsin-po, 
par les satellites de cette ville. 11 resta un mois dans celte prison et 
y subit quatre ou cinq fois le supplice de la question, sans man- 
quer à la iidélité qu'il devait à Dieu. Transféré ensuite devant le 
juge criminel d'An-tong, il fit preuve de la même constance et, 
après des tortures atroces, fut reporté presque mourant à la pri- 
son parles geôliers. C'est alors que son frère cadet Martin, qui 
par dévotion avait fait vœu de chasteté, apprit son arrestation, et 
vint le trouver ])our le consoler et le servir. André était censé 
recevoir de la })réfecture une ration de dix poignées de riz par 
jour ; mais à cause de la disette, tout était soustrait par les satel- 
lites et les geôliers, et presque rien ne lui parvenait. Martin, pour 
conserver la vie à son frère aîné, se présenta devant le mandarin, 
lui fit connaître les fraudes dont son frère était victime, et obtint 
que la ration désignée lui fût remise exactement. Les satellites, 
furieux de se voir ainsi frustrés de leurs profits illicites, dirent à 
Martin : « Tu nous as volés, malheureux coquin ; à cause de toi, 
nous n'y tiendrons pas ; mais ne serais-tu pas chrétien aussi par ha- 
sard?»Martin ré})ondit affirmativement ; les satellites se dirent alors 
entre eux : «Puisqu'il est chrétien, pourquoi ne pas nous défaire 
de lui? Nous ne risquons rien. » Et ils se mirent à le frapper avec les 
pieds d'une manière atroce, et pendant fort longtemps. Ceci se 
passait le soir, pendant la troisième lune ; vers la fin de la nuit, 
Martin expira. 11 était âgé de cinquante-six ans. André, resté à la 
prison, y supporta avec un courage admiral)le des souffrances et 
des privations sans nombre, et y mourut de faim, vers la onzième 
lune de cette même année. 
— 280 - 

on assure également qu'un chrétien, nommé Pak, fut, à cette 
époque, arrêté avec sa femme dans ce même district de Tsin-po, 
que tous deux confessèrent résolument la foi, sans se laisser 
ébranler par les supplices, et de tribunal en tribunal arrivèrent 
jusqu'à celui de Tai-kou, où ils moururent en prison. Mais nous 
ne savons rien de leur vie, ni des circonstances de leur mort. 
Faisons connaître maintenant les principaux confesseurs qui 
d'An-tong furent envoyés à Tai-kou rejoindre leurs frères de 
Kieng-tsiou, et eurent plus tard l'honneur de partager leur 
triomphe. Ce sont : Anne Ni, François Kim, Jacques Kim et 
André Kim. 
Anne M, était du village de Nop-heun-moi, au district de 
Tek-san. Elle descendait d'une famille noble, et nous aurons à 
parler plus tard de son père Ni-Sieng-sam-i, mort en 1827, dans 
la prison de Tsien-tsiou. Douée des plus belles qualités du corps 
et de l'esprit, elle pratiquait la religion avec une ferveur peu 
commune, et avait résolu de garder la virginité. Mais bientôt le 
fait fut remarqué des païens ; ils se plaignirent, et sa famille ne 
pouvant plus tenir contre les mille vexations qu'on suscitait à 
son sujet, elle se résolut à fuir et k se retirer dans une maison 
éloignée, où vivaient quelques vierges réunies en une espèce de 
petite communauté. Un batelier chrétien, du nom de Pak, se 
chargea de l'y conduire. Mais quand elle fut en son pouvoir, il 
lui fit violence, et, comme il n'était pas marié, l'épousa de force. 
Malgré sa désolation, Anne se résigna. Elle eut de ce mariage un 
enfant qu'elle nomma Tsiong-ak-i, et peu d'années après, étant 
devenue veuve, elle continua à remplir fidèlement tous ses 
devoirs. Arrêtée par les satellites de Tsin-po, en 1815, elle fut 
mise à la question dans cette ville, puis, grâce à sa constance, 
envoyée au tribunal supérieur de Tai-kou. Là, après de nouvelles 
tortures courageusement supportées, elle fut condamnée à mort. 

on s'étonnera peut-être qu'Anne ait ainsi consenti à vivre avec 
un pauvre batelier. Mais outre que nous ne connaissons pas tous 
les détails de cet enlèvement, nous ferons remarquer qu'il y a 
dans ce pays un proverbe odieux, fondé sur les mœurs, et passé 
dans les usages nationaux, portant que toute femme qui n'est pas 
sous puissance de mari ou de parents appartient au premier occu- 
pant. Or, Anne ayant quitté la maison paternelle, se trouvait dans 
ce cas ; le batelier l'avait réduite en sa possession, et un procès 
n'eût abouti à rien. 11 eût fallu, pour échapper à cet homme, subir 
force mauvais traitements, s'exposer peut-être à la mort; et 
puis, sortie de là, où aller? En chemin elle fût devenue la 
— 281 — 
proie de qiiohiue autre l)an(lit. Elle pensa doue qu'après avoir 
perdu son honneur et sa virginité, le mieux pour elle était de se 
taire, et de contracter mariage avec ce chrétien, puisqu'elle le 
pouvait licitement. Du reste,^ en Corée, comme dans tous les 
pays non chrétiens, où l'avilissement et le mépris de la femme 
sont, pour ainsi dire, de droit naturel, les femmes elles-mêmes 
partagent l'opinion générale. Elles ne se croient ni droits, ni res- 
ponsabilité, et dans des cas analogues à celui-ci, elles se regardent 
réellement comme enchaînées, et ne conçoivent j)as la possibilité 
de se délivrer. Les exemples en sont nombreux. Inutile d'ajouter 
que ces usages et ces idées n'ont plus guère cours parmi les 
fidèles, et l'on a vu un certain nombre de veuves chrétiennes, 
enlevées par des païens, Ijraver même la mort, et réussir, par 
leur résistance acharnée, à se soustraire aux ravisseurs. 
François Kim Kieng-sie était né d'une famille honnête et riche, 
au village de le-sa-ol, district de Niei-san. Dès sa jeunesse, il 
s'appliqua à l'étude des lettres, et son père, André Kim Koang- 
ouk-i, fervent chrétien, lui donna lui-même une instruction très- 
solide. André ayant été pris à la persécution de 1801, profita 
de toutes les occasions pour recommander à sa famille de suivre 
ses traces, de s'exercer à la charité envers Dieu et le prochain, de 
vivre en bonne harmonie entre eux et avec les voisins, et de servir 
Dieu et sauver leur âme par la pratique de la mortification ; après 
quoi il fut décapité, comme nous l'avons vu j)lus haut. La ferveur 
de François ne fit qu'augmenter dès lors de jour en jour. Animé 
d'une sainte émulation pour suivre l'exemple de son père, et 
méprisant toutes les choses temporelles, il abandonna ses biens 
et se retira dans les montagnes ll-ouel-san, au village de Koteun- 
tsiang-i, district de leng-iang, province de Rieng-siang. Arrivé 
là, il vécut de racines et de glands, et depuis ce temps garda une 
perpétuelle continence. Chaque année, pendant le carême, il 
observait un jeûne rigoureux, et se livrait à toutes les pratiques 
de mortification. 11 fit tant d'efforts pour dompter son caractère 
naturellement emporté, qu'il devint bientôt un modèle de douceur 
et de patience. 
A la troisième lune de l'année 1815, le traître Tsien Tsi-sou-i, 
accompagné des satellites d'An-tong, vint inopinément l'arrêter. 
François se trouvait alors sur la montagne à travailler ; les satel- 
lites lui ayant crié de descendre, il dit à son fils Moun-ak-i : 
« Pour moi, je dois me rendre, c'est l'ordre de Dieu ; mais toi, ne 
viens pas avec moi. Veille sur toute la famille, et surtout prends 
bien soin de ta grand'mère. » Puis il descendit tout joyeux, traita 
— 282 — 
généreusement les satellites et le traître lui-même, fit ses adieux 
à sa mère en la suppliant de ne pas trop s'affliger et la consolant 
par de bonnes et douces paroles. Ensuite, s'adressant à sa femme, 
il lui recommanda d'être bien soumise à sa mère et de la bien soi- 
gner, de bien instruire ses enfants, et enfin de marcher sur ses 
traces. Après quoi, il suivit les satellites d'un air gai et souriant, 
Arrivé à la ville d'An-tong, il y subit un premier interrogatoire, et 
peu de jours après, tut conduit à Tai-kou. Sa courageuse persé- 
vérance dans les supplices déconcerta les juges, et il fut bientôt 
condamné à mort. 
Jacques Kim Hoa-tsioun-i, sur lequel il nous reste peu de docu- 
ments, était d'une famille de Souta-ni, district de Tsieng-iang. 
D'un caractère doux et résigné, il savait cependant montrer une 
grande énergie quand il s'agissait du service de Dieu et du salut 
de son âme, et, fidèle observateur des règles de l'Eglise, se faisait 
remarquer par son assiduité à la prière et aux lectures pieuses. 
Arrêté, on ne sait en quel lieu, en 1813, il fut conduit à la préfec- 
ture d' An-long, où résistant à toutes les sollicitations et à toutes 
les promesses des mandarins, aussi bien qu'aux violents supplices 
qu'on lui infligea, il mérita d'être envoyé à Tai-kou, et comdamné 
à mort. 
Enfin, André Kim Kiei-ouen-i, nommé aussi Tsiong-han-i, était 
du village de Sol-moi, au district do Mien-t'sien, et fils de Pie Kim, 
dont nous avons raconlé la vie. Docile aux instructions de ses 
parents, il apprit, dès l'enfance, h servir et honorer Dieu. Les per- 
sécutions continuelles auxquelles son père fut en butte pendant 
plus de vingt ans, formèrent son jeune cœur à l'école du malheur, 
et le détachant de tout ce qu'il y a de séduisant dans le monde, 
fortifièrent sa foi, développèrent les germes de vertu qu'il avait 
reçus du ciel, et le préparèrent aux dures épreuves qui lui étaient 
réservées. André dont la famille était ainsi poursuivie et pro- 
scrite, se vit bientôt obligé de (juitter ses parents, ses amis, et les 
tombeaux de ses pères. Il alla donc s'établir dans un pays inconnu, 
tout au fond des montagnes, à Ou-lien-pat, district d'An-tong, 
province de Kieng-siang. Là, il resta caché pendant dix-sei)t ans, 
uniquement adonné aux œuvres de charité, assidu à la prière, 
aux lectures pieuses et, à tous ses devoirs. En carême, il jeûnait 
habituellement tous les jours, sans parler des autres mortifica- 
tions ordinaires qu'il s'imposait. Sa nourriture habituelle était du 
millet cuit assai.sonné de sel, et (juand il ne pouvait s'en procurer, 
il se contentait de feuilles d'arbres, de glands, de racines ou 
légumes sauvages, sans jamais se donner la peine de rechercher 
— 283 — 
quelque nourrilurc plus solide cl plus agréable au goût. Toujours 
égal h lui-même, toujours rempli d'une sainte joie au milieu des 
peines de la vie, il avait pour principale occupation, pendant le 
jour, de transcrire des livres de religion, afin d'en répandre par- 
tout des copies, et le soir, il se livrait à Tinstruction des chrétiens 
avec un si grand zèle que souvent il prolongeait ses entretiens 
au delà du milieu de la nuit. Jaloux aussi de répandre la foi 
parmi les infidèles, il en instruisit et convertit un grand nombre, 
autant par refficacité de ses prières et de ses exemples ([ue par 
la force de ses paroles 
Tel était André, quand il fut arrêté par les satellites d'An-tong, 
le 23 de la quatrième lune, et conduit devant le mandarin de cette 
ville. Celui-ci s'efforça d'abord d'obtenir de lui une parole d'apos- 
tasie; mais, n'y ayant pas réussi, il le fit mettre en prison, puis, 
deux jours après, sur l'ordre du gouverneur, lui fit administrer 
la bastonnade sur les jambes, et l'expédia à Tai-kou. André arri- 
vait h la porte de ce tribunal, quand il rencontra une chrétienne 
qui en sortait, et s'en allait seule et libre. Étonné à cette vue, 
il lui demanda de quoi il s'agissait; elle lui répondit qu'elle 
venait d'apostasier pour éviter la mort. C'était Agathe-Madeleine 
Kim que nous avons vue si ferme dans les supplices au tribunal 
de Kieng-tsiou, et qui, arrivée à Tai-kou, vaincue enlîn par la vio- 
lence des tourments, avait eu la faiblesse de renier sa foi. André 
lui dit en soupirant : « Vous perdez là une belle occasion, et qu'at- 
lendez-vous donc pour ne vouloir pas mourir maintenant? Vous 
vous en allez, mais combien d'années avez-vous donc à vivre? w — 
Elle répondit : « Je suis libre, il est vrai, mais comment savoir si 
je ne mourrai pas aujourd'hui ou demain? — S'il en est ainsi, 
reprit André, ne vaut-il pas mille fois mieux faire maintenant une 
bonne mort? » Puis il continua à l'exhorter par des paroles éner- 
giques, si bien que touchée de la grâce, elle ouvrit les yeux, et 
rentra immédiatement avec lui. En vain les satellites l'insultent, 
la frappent, la repoussent, et font tous leurs efforts pour rem])ê- 
cher de pénétrer jusqu'au mandarin. Agathe saisissant un bon 
moment, se glisse, arrive devant lui et et s'assied. Celui-ci la 
reconnaît et lui dit : « Je t'avais relâchée, pourquoi reviens-tu 
donc encore ? » Elle répond : « Tout à l'heure, trop faible pour 
supporter les supplices, j'ai renié mon Dieu, mais en cela j'ai 
commis un crime énorme, je m'en repens et je reviens devant 
vous. Faites-moi mourir si vous voulez, mais je suis maintenant 
plus chrétienne que jamais. » Le mandarin la traita de folle et la fit 
chasser, mais elle parvint à revenir près de lui, et rétracta de 
- 284 — 
nouveau, à haute voix, son apostasie. Le mandarin, irrité, la fit 
lier et battre d'une manière si atroce que, les chairs tombant en 
lambeaux, tous les os furent bientôt mis à nu. Agathe ayant perdu 
connaissance, fut transportée à la prison et mourut en y entrant. 
C'était au commencement de la cinquième lune. Elle avait près 
de cinquante ans. 
Interrogé à son tour, André répondit avec calme et fermeté. 
En vain le mandarin le fit mettre à la question et fustiger cruel- 
lement, la constance du martyr ne se démentit pas, et le juge, 
voyant qu'il y perdait son temps et sa peine, envoya une dépêche 
au gouvernement. La réponse fut qu'il fallait, à tout prix, obtenir 
sa soumission, et sur son refus, on le fustigea pour la troisième fois. 
Toujours inébranlable, il fut enfin condamné à mort, et prit la 
place d'Agathe à qui ses paroles venaient de faire cueillir la palme ; 
ainsi fut complété de nouveau le nombre primitif de sept. Ces géné- 
reux confesseurs, tous sous le poids d'une sentence capitale, atten- 
daient chaque jour le moment de leur exécution. Mais Dieu, dans 
ses secrets desseins, permit qu'il y eût, nous ne savons à quelle 
occasion, un sursis indéfini, et ils commencèrent dès lors, dans la 
l)rison, un nouveau genre de vie. on ne les mit plus à la torture 
puisque leur sentence était définitive, mais ils curent à sup- 
porter en échange les privations, la faim, et des vexations de tout 
genre. Pendant près de deux ans encore, nous les admirerons 
dans cette vie mourante, dans ce long martyre de tous les jours. 
Les arrestations en masse ne semblent pas s'être renouvelées 
après la cinquième lune de cette année. La plupart avaient eu 
lieu dans la grande province de Kieng-siang, premier foyer de 
l'incendie, mais les dénonciations arrachées par les supplices aux 
malheureux chrétiens furent cause qu'on saisit aussi beaucoup 
de personnes dans la province de T'siong-t'sieng, et quelques-unes 
même dans la province de Kang-oucn. Si maintenant nous consi- 
dérons que, outre les chrétiens relâchés presque immédiatement 
par suite d'apostasie, ou morts dans les diverses prisons de la 
province de Kieng-siang, il y en eut à la fois plus de cent incar- 
cérés à Tai-kou sa métropole, il sera facile de conclure que le 
nombre des arrestations porté à plus de deux cents par les docu- 
ments de l'époque, est loin d'être exagéré. Les lettres qu'André 
Kim écrivit de sa prison, ainsi qu'une autre relation d'un témoin 
oculaire, nous donnent l'assurance bien consolante qu'une grande 
partie des prisonniers resta fidèle à Jésus-Christ jusqu'à la mort. 
Plusieurs d'entre eux sont signalés aussi comme ayant fait avec 
— ^285 — 
talent et courage rapologic des principaux ailiclcs de notre sainte 
religion, devant lesdilïérenls tribunaux. I.a plupart périrent misé- 
rablement dans les prisons, au milieu des horreurs de la faim, ce 
qui se conçoit facilement quand on connaît le régime des prisons de 
ces pays. Certaines rations sont, il est vrai, assignées par la })réfec- 
ture à ceux des prisonniers qui n'ont aucune ressource ; mais elles 
passent par beaucoup de mains; chacun en soustrait quelque partie 
à son gré, et ce qui j)arvient au pauvre patient se réiluit à (juel- 
ques grains de riz insuffisants pour soutenir son existence. A plus 
forte raison, pendant une famine aussi épouvantable et aussi 
générale que celle de 1815, les employés subalternes, satellites, 
prétoriens, geôliers, fustigateurs et autres, durent-ils voler à peu 
près tous les vivres donnés pour les chrétiens, et cela en toute 
impunité, car les chrétiens étaient regardés par les idolâtres comme 
des êtres dégradés et indignes de faire partie de la race humaine. 
Beaucoup de néophytes, pris dans la province de T'siong-t'sieng, 
furent renvoyés pour être définitivement jugés et punis dans leur 
propre préfecture ou province. Des témoins de Fépoque assurent 
qu'une vingtaine, au moins, de ces infortunés, après s'être traînés 
péniblement sur les chemins pendant quelques jours, périrent 
de faim ou des suites de leurs blessures, les uns sur le bord 
des routes où les conducteurs les abandonnaient, les autres dans 
les auberges où le défaut d'argent ne leur permettait pas de se 
rien procurer. Enfin, grand nombre d'autres cédant à la tentation, 
rachetèrent leur vie par une honteuse défection. Ces apostats 
furent ou relâchés purement et simplement, ou envoyés en exil 
dans les diverses provinces du royaume ; en sorte que, vers le 
milieu de l'été, il ne restait que peu de confesseurs dans les pri- 
sons de Tai-kou. 
Outre ceux dont nous avons déjà parlé, nous pouvons encore 
citer An T'siem-tsi, quelquefois nommé ïsi-riong-i, natif du 
district de Po-eun. Ayant été condamné à mort avec les autres, 
il mourut en prison, de faim ou de la peste, avant d'avoir pu subir 
sa sentence. Il était âgé d'environ cinquante ans. 
Ni loun-tsip-i, de Ken-sa-ma-kol, n'étant encore que caté- 
chumène, fut pris à Ou-lien-pat avec André Kim, et sans avoir 
apostasie, mourut, dit-on, de faim et d'épuisement. 
Daii« ces mêmes prisons de Tai-kou, d'autres encore gagnèrent 
le ciel par le même genre de martyre, mais leurs noms, oubliés 
des hommes, ne sont plus connus que de Dieu. 
A Ouen-tsiou, capitale de la province de Kang-ouen, celui qui 
— 286 — 
confessa le plus glorieusement le nom de Jésus-Christ, fut Simon 
Kim. Voici, sur sa vie et ses souffrances, les quelques détails qui 
nous restent aujourd'hui. 
Simon Kim le-saing-i, d'autres disent le-sieng-i, était d'une 
famille honnête du district de Sie-san, province de T'siong-t'sieng. 
Il avait un caractère noble et courageux, et possédait une fortune 
considérable. Ayant été instruit de la religion avant l'arrivée 
du P. Tsiou, il abandonna presque aussitôt tous ses biens et ses 
esclaves, quitta son pays, ses parents, ses amis, et se retira avec 
son frère cadet Thaddée, au district de Ko-san, dans la province 
de Tsien-la. C'est là qu'il eut des rapports avec le prêtre, près 
duquel il séjourna plusieurs fois. A la persécution de 1801, il fut 
signalé comme un des principaux chefs des chrétiens, et de nom- 
breux satellites furent lancés à sa poursuite. Ils circulèrent dans 
toutes les directions, portant avec eux son signalement, et pen- 
dant plus d'un an que durèrent les recherches, il serait difficile 
de rapporter toutes les privations et souffrances que Simon eut à 
endurer pour se dérober à leurs perquisitions. Sa femme avait été 
arrêtée, et elle ne fut relâchée qu'un an après, à force d'argent. 
Pour se mettre mieux à l'abri, et subvenir à son existence, 
Simon }»rit le parti de se faire marchand ambulant, et s'étant à cet 
effet associé à des païens, il eut le courage, au plus fort de la per- 
sécution, de leur prêcher l'évangile ; il réussit même à en convertir 
quelques-uns. Mais ne pouvant trouver, dans cette position, le 
temps et la liberté de se livrer aux pratiques de piété, il l'aban- 
donna bientôt, et se retira à Me-rou-san, dans la province de 
Rieng-siang, pour s'adonner à la culture. Il y fut suivi par quel- 
ques-uns de ses prosélytes qui, émigrant avec leurs familles, y 
formèrent avec lui un petit village chrétien. Le zèle de Simon lui 
fit encore opérer quelques conversions dans le voisinage; mais, 
forcé d'émigrer de nouveau à plusieurs reprises, il alla enfin s'éta- 
blir dans le district d'Oul-sin, province de Kang-ouen. La persé- 
cution s'étant élevée dans la province de Kieng-siang, il fut 
dénoncé à An-tong, par un chrétien qui avait été domestique chez 
lui, et les satellites de cette ville vinrent le saisir, emportant en 
même temps tout ce qu'ils purent de ses effets. C'était à la qua- 
trième lune de l'année 1813. 
Simon, arrivé à la prison, y trouva beaucoup de chrétiens pri- 
sonniers, qui, dans ce temps de famine, souffraient horriblement 
de la faim. Il eut la pensée de réclamer auprès du mandarin les 
nombreux effets que les satellites avaient pillés. Celui-ci, soitj 
compassion, soit pour épargner les fonds de la préfecture, fit! 
— i>87 — 
rapporter ce qu'on put trouver, et Simon distribua le tout aux 
prisonniers, soulageant ainsi pour un temps leur cruelle position. 
Après plusieurs interrogatoires clans lesquels il ne voulut à aucun 
prix faire sa soumission, il fut transféré, à la cinipiième lune, au 
tribunal de Ouen-tsiou, capitale de sa province, avec son frère 
Tliaddée. Ils s'y trouvèrent réunis avec six ou sept autres chré- 
tiens pris sans doute avec eux, ou dans les environs. C'était la 
première fois que des chrétiens se trouvaient captifs dans cette 
ville, et qu'ils étaient cités devant ses tribunaux. Simon s'y mon- 
tra ferme et résolu. Il résista à tous les supplices qui lui furent 
infligés, aussi bien (\nii toutes les sollicitations par les(iuellcs on 
essaya de le faire fléchir, et lit beaucoup d'honneur au nom chré- 
tien par une noble et franche confession de foi. 11 ne se laissa pas 
même ébranler par la déplorable défection de son frère Tliaddée, 
qu'il vit partir pour l'exil en récompense de sa lâcheté. L'ardeur 
de sa foi et sa patience dans les tourments tirent l'admiration de 
tous. Il fut enlin condamné à mort, et signa sa sentence selon 
l'usage. Cette sentence, envoyée au roi pour recevoir sa conlirma- 
tion, fut en effet approuvée; mais quand la réponse arriva, Simon 
était gravement malade des suites de ses blessures jointes à une 
violente dyssenterie. on sursit à l'exécution, et peu de jours après, 
Simon, sans avoir pu recevoir le glorieux coup de sabre qu'il 
désirait, mourut dans la prison de Ouen-tsiou, le 5 de la onzième 
lune 1815, après huit mois de détention, à l'âge de plus de 
cinquante ans. 
Nous ne savons rien autre chose de la persécution dans la pro- 
vince de Kang-ouen. Dans les documents de réj)oque, que nous 
avons pu retrouver, il n'est nulle part question du sort des com- 
pagnons de captivité de Simon Kim. Espérons qu'ils auront jus- 
qu'à la fin imité son courage et sa patience. 
Revenons maintenant aux généreux confesseurs qui, réunis 
dans la prison de Tai-kou, attendaient chaque jour, le moment 
qui devait mettre un terme à leurs souffrances. Pendant leur longue 
captivité, ils furent, non-seulement pour leurs frères dans la foi, 
mais pour les païens eux-mêmes un sujet d'admiration. Délaissés 
sans ressources dans le cachot, le jour ils s'occupaient presque 
tous de la confection de souliers de paille pour subvenir à leur sub- 
sistance, et Dieu permit qu'ils n'eussent plus trop à souffrir de 
la faim ; la nuit ils allumaient une lampe, et vaquaient tous 
ensemble à la lecture de livres pieux, et à la récitation de leurs 
prières qu'ils disaient en commun et à haute voix. Les habi- 
— 288 — 
tants de la ville qui les entendaient en étaient tout surpris. Un 
grand nombre vinrent contempler de leurs propres yeux ce spec- 
tacle étrange, et s'en retournèrent stupéfaits. La joie, la tran- 
quillité, la concorde de ces prétendus coupables, poursuivis par 
la justice humaine, étaient pour ces païens une merveille incom- 
préhensible. Pas une dispute, pas une parole grossière, pas un 
mot d'impatience. » Est-ce donc là, se disaient-ils, le repaire des 
criminels? » La prison se trouvait en effet changée en une école 
de vertus; elle présentait le spectacle d'une famille admirablement 
unie, et réglée dans tous ses actes et toutes ses paroles. 
Des prétoriens et satellites se présentèrent souvent pour savoir 
ce qu'était la religion chrétienne. Us envoyèrent les plus instruits 
et les plus habiles d'entre eu.\, pour entamer des discussions sur 
les points fondamentaux de la nouvelle doctrine. André, le plus 
capable des sept prisonniers, acceptait avec joie ces occasions. Il 
développait à ses antagonistes les principaux articles de la foi, 
leur exposait la beauté des commandements de Dieu ; puis répon- 
dant à leurs questions captieuses, il les suivait article par article, 
réfutait tous leurs arguments, éclaircissait en détail chaque ma- 
tière, de telle sorte qu'en se retirant ils se disaient entre eux : 
« Vraiment, il n'y a pas de lettré, quelque savant qu'il soit, qui 
puisse lui tenir tête, et sa parole peut être comparée à celle des 
plus fameux orateurs. » André par le fait n'avait qu'une instruction 
incomplète, mais accoutumé à discourir avec les chrétiens des 
choses de la religion, il pouvait facilement mettre à bout, en 
pareille matière, la faconde de n'importe quel prétorien. D'ail- 
leurs, la grâce le soutenait toujours dans ces controverses qui ne 
manquaient pas d'une certaine importance, car les rapports des 
prétoriens circulaient ensuite dans la ville et dans toute la pro- 
vince. 
Le traître Tsien-tsi-sou-i, fut aussi incarcéré vers cette époque, 
pour quelque grave méfait. Le gouverneur avait ordonné de le 
laisser mourir de faim, mais les prisonniers chrétiens lui sauvè- 
rent la vie, en lui donnant tous les jours une part de leur petite 
ration. Plus tard, lorsqu'il fut délivré, et jeté presque nu hors de 
la prison, ils lui donnèrent des habits pour se couvrir, montrant 
ainsi à tous les païens comment la vraie charité sait se venger. 
Le séjour des confesseurs dans la prison servit donc beaucoup 
à faire connaître la religion dans cette grande ville de Tai-kou, 
et si les fruits se font attendre, nous avons néanmoins la ferme 
confiance qu'ils ne laisseront pas de se produire un jour. Il paraît 
que dans le cours de cette année et de la suivante, on leur fit subir 
— 289 — 
encore deux ou trois interrogatoires dont le détail nous est inconnu. 
Comme ils persistaient tous dans leur ferme résolution de mourir 
pour la foi, on dépêcha de nouveau au roi. Cette fois encore, la 
réponse se fit beaucoup attendre, et Ton voit dans les lettres 
d'André Kim que lui et tous ses compagnons attribuaient ce retard 
à leurs péchés, et tremblaient de ne pas obtenir la couronne du 
martyre. 
Nous citons ici quelques-unes de ces lettres qui méritent d'être 
conservées. Elles sont une preuve de plus de Faction merveilleuse 
du Saint-Esprit sur les âmes des néophytes ; car il est impossible 
d'expliquer autrement que par l'efficacité de la grâce divine, com- 
ment des hommes païens hier, n'ayant reçu de sacrement que le 
baptême, vivant au milieu des idolâtres, ^sans prêtre, sans sacri- 
fice, presque sans instruction religieuse, ont pu ainsi parler le 
langage surnaturel de la résignation chrétienne et de l'amour divin . 
La première lettre d'André est adressée à son frère aine. 
« Je commence, en mettant de côté toutes les formules habituel- 
les. Au moment ou je m'y attendais le moins, j'ai été arrêté par 
les satellites d'An-tong. Dans le premier interrogatoire, le juge 
criminel de cette ville voulut, à tout prix, me faire apostasier, 
mais. Dieu aidant, je tins ferme jusqu'à la fin, et je fus mis en prison, 
Après dix jours de détention, il me fit donner une volée de coups 
sur les jambes, et conduire en toute hâte à la prison criminelle de 
Tai-kou. Là, le mandarin essaya par mille moyens tentateurs d'ob- 
tenir ma soumission, mais n'ayant pu y réussir, il me fit admi- 
nistrer une nouvelle bastonnade sur les jambes, et dépêcha au 
gouverneur pour l'avertir de l'état des choses. La réponse fut 
qu'on devait me forcer à apostasier, et je reçus encore une volée 
de coups. 
« Dans cette province, plus de cent personnes, hommes, femmes 
et enfants, avaient été arrêtées. De ce nombre, les uns moururent 
de faim, soit dans la prison de leur propre ville, soit le long des 
chemins en se rendant au chef-lieu de la province ; les autres 
eurent la faiblesse de faire leur soumission, et aujourd'hui nous 
restons treize seulement. Tout ceci est un ordre de la Providence 
et un bienfait dont nous devons la remercier ; mais le corps étant 
si faible, il est difficile de tout supporter d'un cœur joyeux ; 
chaque instant est plus triste que je ne saurais l'exprimer. Pour 
moi pauvre pécheur, n'ayant rien qui puisse me faire mériter la 
faveur du martyre, je compte uniquement sur le secours de 
tous les chrétiens ; priez et demandez sans cesse, et j'ai confiance 
que mes désirs pourront être comblés. » 
l'église de CORÉE. 19 
— 290 — 
Dans une seconde lettre, André dit à son frère : 
« Sans autre préambule, je vous écris deux mots à la hâte. 
Depuis bien longtemps, à cause de la dislance, toute communi- 
cation avec vous était interrompue; je n'avais "eu qu'indirecte- 
ment de vos nouvelles, et pendant cette année de famine, mes 
inquiétudes devenaient de jour en jour plus graves. Contre tout 
espoir, je reçois enfin de votre écriture; il me semble être avec 
vous tête-à-tête, est-ce un songe? est-ce une réalité? Les senti- 
ments de joie et de tristesse se pressent à la fois dans mon cœur; 
l'ai la poitrine oppressée, des larmes coulent de mes yeux. 
Quand je perdis mon père, je ne pus Tassister à ses derniers 
moments; j'en conservais un profond regret et je me disais: 
pourrais-je du moins assister à l'anniversaire de sa mort ! Ce 
désir ne peut maintenant se réaliser, j'en suis d'autant plus 
affligé. D'un autre côté, je suis heureux d'apprendre que pendant 
cette affreuse année, vous vous portez comme à l'ordinaire, et 
que toute la famille est en paix. La nouvelle de la mort de ma 
belle-sœur, au commencement du printemps, est bien fâcheuse 
il est vrai ; mais nul ne peut éviter de mourir. Le point principal, 
le seul important, est de faire une bonne mort ; car, dans ce 
monde, pourquoi l'homme est-il né? Sa grande affaire, c'est de 
servir Dieu, sauver son âme et obtenir le royaume du ciel. Si Ton 
ne remplit pas ces grands devoirs et qu'on perde le temps inutile- 
ment, à quoi bon la vie? 
« Après être venu au monde sans y penser, si l'homme s'en 
retourne de même, mieux vaudrait pour lui n'être i)as né, et il 
se trouve dans une condition pire que celle de la iu'ute même; 
car quand l'animal meurt, il retourne dans le néant. Pour 
l'homme, il n'en est pas ainsi, s'il ne sauve pas son âme, elle 
tombe dans la mort éternelle. La mort ! ce mot est effrayant î 
mais si le corps, qui doit nécessairement mourir, s'effraie de la 
mort, combien l'âme, qui est faite pour vivre toujours, ne doit- 
elle pas la redouter? Que l'on entre une fois en enfer, jamais on 
n'en peut sortir ; on y vit sans vivre véritablement, on y meurt 
sans pouvoir mourir ; y aurait-on passé des milliers d'années, 
c'est toujours comme le commencement. Hélas! hélas! ne pouvoir 
jamais entrevoir la clarté du ciel et du jour ! toujours être plongé 
dans un gouffre ténébreux ! quand on y pense cela fait frémir. Mais 
aussi quand on pense aux souffrances de l'enfer, les peines et les 
î^ouffrances de ce monde ne sont plus qu'une ombre. on ne 
regarde plus comme pénibles les maladies et les infortunes d'ici- 
bas Bien plus, si l'on sait en profiter, elles servent au salut. Le 
— 291 — 
corps trouve bien de quoi se conserver la vie, comment Tâme 
ne pourrait-elle pas aussi le faire ? Les choses de ce monde ne 
sont en elles-mêmes ni bonnes ni mauvaises; en use-t-Oïi bien? 
elles sont bonnes; en nse-t-on mal? elles sont mauvaises. Elles 
sont semblables à une échelle qui sert également pour monter 
et pour descendre, et chacune peut nous servir à éviter le jjéché 
et acquérir des mérites. En tout agissez avec joie et pour Jésus, 
et vous êtes un élu. Mais puisque tout dépend de la bonne ou 
mauvaise volonté, auriez-vous même des difficultés énormes, 
Supportez-les avec patience pour Jésus, et elles opèrent le salut 
de Fâme et font obtenir le royaume du ciel. C'est pourquoi en tra- 
versant ce monde de douleurs et de tribulation, ne cherchez que 
la gloire de Dieu. Démolissez les montagnes de l'orgueil, de la 
concupiscence et de la colère ; marchez en volant au bonheur éternel. 
« Pour moi entré dans ce lieu de souffrances depuis déjà un an, 
et })ar un bienfait très-spécial, ayant conservé ma santé, je 
remercie Dieu de cette faveur. Je suis sur la route du martyre, 
j'ose presque espérer ce dernier bienfait, mais je suis trop indigne 
de le recevoir. Les choses traînent en longueur, et aucune déci- 
sion n'arrive; j'en suis tout effrayé. Le corps en est plus à l'aise, 
mais l'âme en devient d'autant plus malade, et dans ce corps 
vivant l'âme est comme morte. Si je ne puis obtenir cette faveur 
signalée, comment désormais résister aux trois terribles ennemis? 
Quand le corps est faible, l'âme devient plus forte ; et si l'âme 
est faible, le corps reprend le dessus. Le temps ne revient pas 
deux fois ; si je perds l'occasion présente, à tout jamais je ne 
pourrai la retrouver.; et plus je réfléchis à l'état des choses, plus 
je crains de manquer le bon moment. Espérer sans fondement 
serait folie; aussi, avant tout, j'espère en une grâce toute gratuite 
de Dieu, en second lieu, je compte sur les prières de tous les chré- 
tiens. Priez donc et priez de tout cœur et de toutes vos forces ; 
priez tous les jours, pour que je porte du fruit, et ne devienne 
pas comme les arbres des forêts. 
« J'avais une première fois reçu quelques objets, mais sans 
aucune lettre, et j'ignorais par qui c'était envoyé ; cette fois en 
lisant votre billet, j'ai tout compris. Ce qui m'est arrivé par 
cette seconde occasion, me sera fort utile dans les grands froids. 
Mille et mille remercimcnts. Au milieu de la gêne générale, je me 
trouve ainsi à charge à bien des personnes. Dieu veuille que j'ar- 
rive au but que mes soupirs appellent si ardemment! » 
Enfin André Kim écrivit aux chrétiens Ni et lou, pour leur 
recommander sa femme. 
— 292 — 
« Le temps passe vite, voilà plus d'un an que nous ne nous 
sommes rencontrés, et de part et d'autre notre peine est sans 
doute égale. Par occasion j'ai appris de vos nouvelles ; Dieu soit 
béni de ce qu'en ce terrible hiver, vous avez pu survivre à tant 
de privations. Pour moi, j'ai maintenant à supporter l'emprison- 
nement pour la foi. C'est, il est vrai, une belle position, mais mal- 
heureusement je n'ai encore que le beau nom de martyr, et à 
cause de mes péchés, tout est resté à un simple commencement ; 
le dénouement ne vient pas, et les choses traînent en longueur. 
Je suis comme les arbres de la forêt qui ne portent aucun fruit ; 
si tout en reste là, de quoi cela me servira-t-il ? Le temps est 
un trésor; qu'on le perde une fois, jamais il ne peut se retrouver. 
Si je ne fais pas mes efforts en ce moment-ci, quel temps atten- 
drais-je donc pour les faire? Même dans les affaires du monde, 
si on manque l'occasion favorable, il est difficile de la retrouver ; 
à plus forte raison, dans l'affaire du salut de l'âme. 
« Pour moi, en embrassant la religion, je n'ai pas eu d'autre 
but que le service de Dieu et le salut de mon âme ; la position 
où je me trouve aujourd'hui n'a donc rien que de bien naturel, et 
mon cœur ne s'en rebute pas trop. Mais en apprenant la triste 
situation de ma femme, je m'afflige et me désole. on assure que 
pendant les rigueurs de l'hiver, elle n'a pas un endroit où se reti- 
rer, et quoique, dans le village où elle se trouve, tous soient nos 
parents ou connaissances, à cause de mon état présent, personne 
ne veut la secourir. Chacun prétexte la crainte de se compro- 
mettre, et elle est réduite à chercher ailleurs un refuge. Com- 
ment la dureté et l'insensibilité peuvent-elles être portées à 
ce point? Nous autres chrétiens, dès que nous embrassons la reli- 
gion, nous quittons notre pays pour servir Dieu et sauver notre 
âme, et nous nous retirons au loin dans des lieux où nous ne 
connaissons personne. Nous faisons pour notre salut tous les 
sacrifices; nous considérons tout, adversité ou prospérité, comme 
l'ordre de Dieu ; mais si toutes les peines qui nous viennent de la 
part des hommes sont un ordre de Dieu, si la joie ou la douleur, 
tout devient moyen de salut quand nous en usons bien, n'est-ce 
pas une meilleure œuvre encore de soulager ceux qui sont seuls 
et sans appui? 
« Prenez donc soin de ma femme, qui n'a aucun lieu pour 
s'abriter. Si vous la recevez dans votre maison, si vous la regardez 
comme une parente et tâchez de conserver son corps et son âme, 
vous travaillerez par là à votre propre salut ; aussi je vous la 
recommande avec confiance. Je le fais d'autant plus librement 
— 293 — 
que votre propre fille est prisonnière avec nous, et, quoique j'ignore 
combien d'années nous devons partager les mêmes souffrances, 
tant que je vivrai, je ne cesserai de la soutenir de tout mon 
pouvoir; de cette manière, il y aura compensation. Avec la cha- 
rité, que ne ferons-nous pas ? Dieu lui-même a voulu fonder ce 
monde sur la charité ; si l'amour mutuel en disparaissait, comment 
le monde se conserverait-il ? L'Église ne forme qu'un seul corps, 
le ciel et la terre ne forment qu'un seul ensemble, le monde lui- 
même ne forme qu'un seul tout. Qu'est-ce qui n'est pas fondé sur 
l'union et l'amour? Dans un corps il y a beaucoup de membres, 
quel est le membre qu'on n'aime pas, quel est celui qu'on voudrait 
rejeter? on ne vit que par l'aide qu'on se donne mutuellement ; 
le corps doit aider l'àme, et l'âme le corps ; il n'y a pas d'autre 
moyen de se conserver la vie. Quoique chaque homme soit un être 
à part, la tête de l'église c'est Dieu, le cou c'est la Sainte Vierge 
Marie, les membres ce sont nous tous ; quand même on ne bles- 
serait pas la tête directement, blesser les membres c'est blesser 
la tête, et de même, aimer les membres c'est aimer la tête. 
D'après cela, si on aime Dieu, on aimera les hommes, et si on 
aime les hommes, on aimera Dieu aussi » 
André et ses compagnons passèrent ainsi environ vingt mois en 
prison, s'excitant à la ferveur et à la patience, épurant leur vertu 
dans le creuset des tribulations. Pendant ce temps, Anne Ni eut la 
douleur de voir périr dans ses bras son fils Tsiong-ak-i, mais elle 
dut en être bien consolée par la pensée de son heureux sort. En 
effet, ce jeune enfant, non encore parvenu à l'âge déraison, avait 
suivi, à la prison, sa mère le seul soutien qui lui restait sur la terre. 
Il supporta avec elle les horreurs de la faim, partagea toutes les 
privations et souffrances de ces affreux cachots, et la précéda de 
quelques jours au ciel. Son nom de baptême nous est inconnu, 
A la fin, de nouveaux ordres arrivèrent de la cour, et l'exécution 
des confesseurs fut décidée. on ne sait pas au juste ce qui se 
passa au moment de leur martyre. Voici d'après une notice 
rédigée à cette époque, ce qu'on a-pu recueillir des personnes de 
la ville qui en ont été témoins. Lorsqu'ils furent arrivés au lieu 
du supplice, André Kim, qui avait toujours été considéré comme 
leur chef, dut passer le premier. Le bourreau, novice dans son 
métier, se sentit alors sans force et comme paralysé ; la tête du 
martyr ne tomba qu'au dixième coup. Tous les assistants furent 
stupéfaits du calme avec lequel André supporta ce supplice sans 
nom. Témoin de cet affreux spectacle, Joseph Ko dit au bourreau : 
« Fais attention et tranche-moi la tête d'un seul coup. » Son vœu 
— 294 — 
fut satisfait , et d'un seul coup la tête tomba ; puis, les trois 
autres hommes furent décapités. Après quoi, le mandarin s'adres- 
sant lui-même aux deux femmes, voulut encore essayer de les 
ébranler et leur dit : « Ces hommes viennent d'être mis à mort, 
mais vous autres femmes, pourquoi voulez-vous mourir? Com- 
parée à la leur, votre faute est légère. Allons, il est temps encore, 
dites seulement un mot, et je vous fais mettre en liberté. « Anne 
répondit : « Comment pouvez-vous à ce point méconnaître les 
principes? D'après vous, les hommes doivent honorer Dieu leur 
père suprême, et les femmes ne devraient pas l'honorer ! De nom- 
breuses paroles sont inutiles. J'attends seulement que vous me 
traitiez selon les lois. » Puis toutes deux, comme d'une seule 
voix, s'écrièrent : « Quand Jésus et Marie nous appellent et nous 
invitent à monter de suite au ciel avec eux, comment pourrions- 
nous apostasier, et, pour conserver cette vie passagère, perdre la 
vraie vie et le bonheur éternel?» Aussitôt l'ordre fut donné, et elles 
eurent aussi la tête tranchée. « D'où l'on peut voir, ajoute l'au- 
teur de la notice, que quoique appartenant au sexe faible, elles 
surent montrer une fermeté toute virile, et, par l'offrande de 
leur vie, rendre un témoignage éclatant à la gloire de Dieu. » 
Ainsi se consomma le long martyre de ces illustres confesseurs. 
C'était le l^"" de la onzième lune de l'année pieng-tso (i816), 
à Tai-kou, capitale de la province de Rieng-siang. François Rim 
avait cinquante-deux ans ; Anne Ni, trente-cinq ans ; et Barbe 
T'soi, quarante ans. on ignore l'âge des autres. 
Par ordre du mandarin, les corps furent soigneusement ense- 
velis dans le voisinage du lieu de l'exécution, et recouverts d'une 
couche de terre assez légère ; chacun avait son inscription. Les 
parents des martyrs et autres chrétiens habitant loin de là, s'en- 
tendirent ensemble pour les faire transporter dans un endroit à 
part, et le 4 de la troisième lune de l'année suivante, une dizaine 
d'entre eux se rendirent sur les lieux. on voulait faire la transla- 
tion sur la chute du jour, et on craignait d'être vu par les habi- 
tants du voisinage. En ce moment, par un effet particulier de la 
protection de Dieu, un nuage noir couvrit le côté de la ville où 
étaient les corps. Le ciel semblait abaissé, et le brouillard était si 
épais que, bien que les lampes donnassent une lumière suffisante 
aux travailleurs, les personnes qui demeuraient tout près de là 
ne pouvaient les voir. on découvrit les corps. Celui de Barbe 
T'soi avait été enlevé et dévoré par quelque animal. Les six autres 
étaient entiers, nullement corrompus, et semblaient n'être sans 
vie que depuis quelques instants. Le peu d'odeur qui s'en exhala, 
— 295 — 
au moment où les fosses s'ouvrirent, oisparut aussitôt que les 
corj)s furent sortis de terre. Les vêtements eux-mêmes étaient 
bien conservés, et sans humidité. Tous les chrétiens en furent 
dans l'admiration. on transporta ces précieux restes dans un lieu 
plus convenable, et ils sont enterrés dans quatre fosses seule- 
ment. 
L'exécution de ces sept martyrs dans la i,n'ande ville de Tai- 
kou, la seconde peut-être du royaume, eut, dans les provinces 
voisines, un immense retentissement, et ne contribua pas peu à 
faire connaître le nom de Jésus-Christ à beaucoup d'idolâtres. 
C'est ici le lieu de remarquer plusieurs différences importantes 
entre cette persécution de 1815, et la grande persécution 
de 1801. La persécution de 1801 avait été générale; on avait 
poursuivi les chrétiens partout où ils existaient en plus ou moins 
grand nombre ; celle de 1815, comme nous l'avons déjji dit, éclata 
avec beaucoup plus de violence sur les chrétientés nouvellement 
formées des provinces de Kang-ouen et de Kieng-siang. Dans la 
première persécution, les passions politiques, les rivalités de partis 
avaient joué un rôle considérable; cette fois, il n'en est plus 
question, et les néophytes ne sont emprisonnés que comme chré- 
tiens, mis h mort que comme chrétiens. La première persécution 
avait commencé par un décret solennel, et s'était terminée par 
une proclamation royale annonçant à tous que l'œuvre était 
terminée; cette fois il n'y eut pas besoin de nouveaux édits, 
car les lois antérieures contre la religion étaient et sont toujours 
en vigueur. 11 n'y eut pas non plus de terme officiel, car elle 
continua et continue encore, diminuant ou augmentant d'inten- 
sité, suivant les caprices des mandarins, les circonstances locales, 
et les passions populaires. 
Enfin, en 1801, nous ne voyons que quelques femmes chré- 
tiennes saisies, et encore dans les familles les plus éminentes et, 
par là même, les plus compromises aux yeux du gouvernement. 
La plupart des autres femmes ne furent ni arrêtées, ni poursui- 
vies; elles n'eurent à supporter que le contre-coup de la persécu 
tion ; elles furent ruinées par la confiscation elle pillage, mais 
purent se retirer presque toutes avec leurs enfants, dans d'autres 
lieux. En 1815, les satellites, livrés à eux-mêmes, firent sou- 
vent main basse indistinctement sur tout ce qu'ils rencontraient, 
et, ])roportion gardée, le nombre des femmes emprisonnées et 
mises à mort, semble beaucoup plus considérable. Ce fait montre 
bien l'influence directe de l'enfer, car rien n'est plus contraire à 
— 296 — 
l'esprit et aux usages de ce pays, où les femmes ne sont presque 
jamais compromises dans les procès, où même elles peuvent se 
livrer impunément à beaucoup de violences, d'injustices, et d'autres 
abus qui seraient fortement punis s'ils étaient commis par des 
hommes. Mais, dès qu'il s'agit des chrétiens, il n'y a plus ni lois, 
ni coutumes, ni usages ; c'est une race maudite, tout est permis 
contre eux, et c'est servir l'État que de contribuer à leur complète 
extermination. 
CHAPITRE m. 
Aouvcaux voyages à Pckiiig. — Martyre de Pierre Tsio et de sa femme 
Thérèse, en 1810 — Persécution de 1H27 : les confesseurs de Tsien-tsiou. 
Au milieu des angoisses et des dangers de la persécution, les 
chrétiens de Corée sentaient plus vivement que jamais la néces- 
sité d'obtenir des prêtres, et multipliaient les tentatives pour arri- 
ver à ce but si désiré. En voyant les sacrifices qu'ils s'imposèrent, 
les efforts qu'ils ne cessèrent de renouveler, efforts et sacrifices si 
longtemps inutiles, nous ne pouvons mieux les comparer qu'aux 
juifs iidèles appelant de tous leurs vœux la venue du Messie, et 
trouvant dans cette attente, l'unique consolation aux maux qui 
accablaient leur patrie. Comme eux, les néophytes coréens com- 
prenaient que le salut ne pouvait leur venir que de l'envoyé de 
Dieu. Bien que peu instruits, ils connaissaient assez la religion 
pour savoir que les sacrements institués par Jésus-Christ sont 
nécessaires pour former et maintenir de véritables chrétiens ; 
et cela seul nous explique leur invincible persévérance à réclamer 
des pasteurs, que le malheur des temps ne permettait pas de leur 
envoyer. Vers la fin de 1816, on parvint à préparer une nouvelle 
députation à l'évêque de Péking, et Paul Tieng, porteur des sup- 
plications et des vœux de ses frères, se chargea, pour la première 
fois, de cet office d'ambassadeur qu'il devait ensuite si fréquem- 
ment remplir. Déjà nous avons eu à citer quelques-uns de ces 
chrétiens courageux qui, au péril de leur vie, avant l'arrivée du 
P. Tsiou en Corée, pendant son séjour, et après son martyre, 
entretinrent ou renouèrent les communications avec l'église de 
Chine ; mais aucun d'entre eux n'est resté aussi populaire que 
Paul Tieng, qui, pour le salut de tous, se dévoua à cette œuvre 
avec un zèle et une énergie indomptable. Voici quelques détails 
sur son histoire. 
Né en 1795, Paul descendait d'une des plus illustres familles 
de la Corée, et ses ancêtres avaient souvent été honorés des 
grandes dignités du royaume. Mais son plus beau titre de noblesse 
était d'être le fils du célèbre Augustin Tieng Iak-tsiong, et le 
frère cadet de Charles Tieng, qui avaient tous les deux, en 1801, 
souffert la mort pour rendre témoignage à Jésus-Christ. A cette 
298 — 
I 
époque, la femme et les enfants cF Augustin avaient été empri- 
sonnés. Mis plus tard en liberté, ils furent reconduits à Ma-tsaï| 
par un païen, parent éloigné d'Augustin. Là, abandonnés sans 
ressources, sans nourriture, ils furent secourus par un homme I 
du peuple, auquel, plus tard, Paul put payer sa dette de recon- 
naissance. Lors de la mort de son père et de son frère, Paul était 
âgé seulement de six ou sept ans; son jeune âge l'avait fait épar- 
gner, ou plutôt Dieu le réservait pour l'exécution de ses des- 
seins. Baptisé dans son enfance par le P. Tsiou, et couvert, 
pour ainsi dire, du sang des martyrs, il persista avec sa mère 
et ses sœurs dans la pratique fidèle de ses devoirs religieux. 
Mais la famille Tieng que la persécution avait proscrite et ruinée, 
et dont plusieurs membres étaient encore en exil, tremblait au 
seul nom du Christianisme , et ne pouvait leur pardonner la 
pensée de vouloir continuer de semblables exercices. Elle fit 
donc tous ses efforts pour empêcher Paul et les siens de vaquer 
désormais au service de Dieu. Roj)roches amers, menaces, mépris, 
dérisions , mauvais traitements même , tout fut mis en jeu. 
Paul tint bon toutefois contre ces indignes menées, et persé- 
véra envers et contre tous. 11 fallait que le malheur et les contra- 
dictions vinssent éprouver et fortilier cette âme d'élite dont 
toute la vie devait se passer dans les peines et les sacrifices. 
Cependant, il ne restait plus dans la maison aucun livre 
religieux, et Paul ne put ac([uérir qu'une instruction bien super- 
ficielle, par les explications orales de son excellente mère. Toute 
communication avec les chrétiens lui étant strictement interdite, 
il gémissait en silence, songeait aux moyens de s'instruire, et sur- 
tout, priait avec ferveur. Arrivé à l'adolescence, il eût pu, mal- 
gré la ruine de sa maison, trouver facilement quelque parti 
honorable, h tout le moins parmi les familles qui avaient été pros- 
crites comme la sienne ; et les belles (pialités de l'esprit et du 
corps dont il était doué, l'eussent mis h même de subvenir aisé- 
ment à ses besoins, tout en pourvoyant au salut de son âme. Mais 
son grand cœur était loin de songer au mariage; ses nobles pen- 
chants le portaient plus haut ; sa seule pensée, sa seule ambition 
était de travailler à l'introduction des prêtres, et, en se sauvant 
lui-même, de procurer, quoi (ju'il en dût coûter, le salut de ses 
frères dans la foi. 
Ne pouvant supporter plus longtemps les vexations de sa famille, 
il prit la résolution de s'évader, et laissant momentanément à la 
garde de Dieu sa mère et sa sœur, il se retira chez deux pauvres 
chrétiens, près desquels il mena quelque temps une vie excessi- 
— 299 — 
vcniont pénible. Sans aunine ressource, sans habits, souvent 
même sans riz, comme ses généreux hôtes, il lit de rapides 
et sérieux progrès dans la pratique de la morlilication chré- 
tienne. Il voulut ensuite aller trouver au lieu de son exil, à 
Aloii-san, Justin Tsio Tong-siem-i, dont il avait bien des fois 
entendu vanter le grand cœur, les talents et les vertus, afin d'étu- 
dier un peu auprès de lui les lettres chinoises, dont la connais- 
sance était nécessaire pour l'exécution de ses ])rojets. 11 ne s'agissait 
de rien moins que d'une distance de mille lys, et la dernière 
partie de la route devait se faire à travers des pays presque 
déserts. Paul n'avait pas encore vingt ans; il n'avait jamais 
voyagé ; il était seul, sans amis, sans argent, sans guide. Les 
ditticultés, les dangers de cette entreprise auraient effrayé un 
cœur moins résolu que'-le sien. Mais sa vigueur physique extraor- 
dinaire semblait lui permettre de tout oser, et comptant sur le 
secours de Dieu, il partit à l'aventure. Après des fatigues et des 
souffrances indicibles, il arriva heureusement à la ville de Mou- 
san. Généreusement reçu par le noble exilé, qu'il était venu 
ii'ouver de si loin, il resta près de lui pendant plusieurs mois, se 
livrant sans relâche à l'étude de la religion et des lettres chi- 
noises. Puis, encouragé par lui dans ses grands desseins, il 
revint et se mit de suite en relation avec les chrétiens de la capi- 
tale, pour obtenir les moyens de faire le voyage de Péking. 11 
trouva de l'écho dans tous les cœurs, et les préparatifs furent 
terminés pour la fin de l'année 1816. 
Malgré son extrême jeunesse, Paul était déjà un homme mûr, 
prudent , et capable de réussir dans tout ce qu'il entrepren- 
drait. Comme son prédécesseur Jean Ni le-tsin-i, il dut cacher ses 
titres de noblesse , et se mettant au service des interprètes, 
comme simple valet , il partit à pied , et fit heureusement le 
voyage, aller et retour. Les détails de son expédition ne nous sont 
pas connus ; mais, cette fois encore, l'Église de Corée n'obtint ni 
j)rètre, ni promesse positive pour l'avenir. Néanmoins, la voie 
était ouverte à Paul ; il s'était, par la réception des Sacrements, 
confirmé dans sa résolution ; il avait soigneusement étudié le 
chemin, et nous le verrons, pendant de longues années, renou- 
veler ses tentatives, et poursuivre obstinément la réalisation de 
ce projet, qu'il considérait'^comme sa vocation spéciale. 
Souvent, dans la suite, Paul racontait la protection toute 
particulière de Dieu, dont il fut l'objet à son retour du premier 
voyage. Son pied-à-terre, à la capitale, était chez Pierre Tsio 
Siouk-i, et c'est là qu'il devait se rendre en arrivant. Ayant pris 
— 300 — 
des bêtes de somme à la ville d'Ei-tsiou, sur la frontière de Corée, 
pour porter son bagage, il devait arriver à Séoul en un nombre 
de jours déterminé. Le hasard, ou plutôt la Providence, voulut 
qu'un de ces animaux fût blessé à la jambe, ce qui retarda d'un 
jour sa marche et son arrivée. Bien lui en fut, car, en dehors des 
portes, il rencontra des chrétiens postés pour l'avertir que Pierre 
Tsio et toute sa famille avaient été arrêtés la veille par les satel- 
lites. S'il fût venu au jour marqué, il eût été infailliblement la 
proie des persécuteurs ; ses dépèches et tous ses effets eussent été 
saisis avec lui, et, il eût, selon toute probabilité, partagé le sort 
de ces confesseurs dont nous devons maintenant parler. 
Pierre Tsio Mieng-siou, plus connu sous son nom légal dej 
Siouk-i, naquit au district de lang-keun. Il était de la noblei 
famille des Tsio, et proche parent du célèbre Justin Tsio, que Paul ( 
Tieng visita dans son exil. Jeune encore quand éclata la grandel 
persécution de 1801, Pierre se retira avec ses parents dans la j 
famille de sa mère qui habitait la province de Kang-ouen, et y| 
vécut plusieurs années. En grandissant, il fit paraître des talents] 
remarquables, un caractère bon et complaisant, et une gravité | 
au-dessus de son âge. Mais le manque d'instruction suivie et de] 
communication avec les autres chrétiens, les craintes continuellesi 
qui ne cessaient d'assaillir les néophytes et de paralyser leuri 
bonne volonté, avaient affaibli sa foi, et lui faisaient négliger ses 
pratiques habituelles. Heureusement, son mariage ayant été 
conclu avec Thérèse Kouen, les exhortations de cette fervente 
épouse le réveillèrent, et firent de lui un excellent chrétien. 
Thérèse Kouen était la fille d'un des premiers et des plus zélés 
propagateurs de la religion en Corée, François-Xavier Kouen 
11-sin-i. Née au district de lang-keun, elle reçut dès l'enfance 
le bienfait de l'instruction religieuse. A l'âge de sept ans, elle 
perdit sa mère et, deux ans plus tard, vit périr son père à la per- 
sécution de 1791. Les germes de vertu, déposés dans son 
cœur, étaient déjà si développés, qu'elle sut dès-lors modérer la 
violence des impressions de la nature, en supportant pour 
Dieu cette double perte. Thérèse était la plus âgée de quatre 
enfants que la mort de Xavier laissait orphelins. Ils vécurent 
ensemble, se soutenant mutuellement ; et, la douceur, la com- 
plaisance, la charité de Thérèse contribuèrent beaucoup à con- 
server entre eux une paix sans nuage. Avec l'âge, ses belles 
qualités du cœur et de l'esprit, jointes à une rare beauté, la 
firent remarquer de tous ; mais, elle-même, méprisant ces avan- 
ages temporels, pensait dès lors, dans la ferveur de son amour 
— 301 — 
pour Dieu, à lui consacrer sa virginité ; et sa résolution s'affermit 
encore quand elle eut le bonheur de recevoir les sacrements de la 
main du P. Tsiou. ïliérèse était âgée de dix-huit ans, quand, 
par suite de la grande persécution, ses frères furent envoyés en 
exil et sa famille entièrement ruinée. Toutefois elle ne laissa 
échapper aucune plainte, et, n'ayant plus d'appui en ce monde, 
elle se retira à la capitale avec un de ses neveux, toujours décidée 
à refuser le mariage. Bientôt ses parents la voyant sans ressources, 
et craignant les clameurs des païens si elle restait seule, lui 
firent considérer les dangers de cet état dans les tristes circon- 
stances où elle se trouvait, et, à la fin, elle se rendit à leurs obser- 
vations bien qu'à contre-cœur. 
J:llle fut donc, à l'âge de vingt et un ans, donnée k Pierre Tsio, 
qu'elle savait être un chrétien assez tiède. Les usages du pays 
ne lui permettant pas de parler tout d'abord librement à son 
mari, elle prépara un écrit où elle faisait ressortir la beauté 
de la virginité, et l'exhortait à garder avec elle la continence. 
Elle lui remit ce papier, aussitôt qu'ils furent seuls dans la 
chambre nuptiale; chose extraordinaire, Pierre, subitement 
changé, accéda à ses désirs, et ils se promirent de vivre comme 
frère et sœur. Thérèse vit là, et avec raison, une preuve manifeste 
du secours de Dieu, et ne cessa de l'en remercier. Les deux époux 
vivant ensemble dans une harmonie parfaite, la foi de Pierre fut 
bientôt ranimée par l'insigne vertu et les paroles pénétrantes 
de sa pieuse épouse, et en peu de temps, il devint un tout autre 
homme. 
Lorsque la tranquillité fut complètement rétablie, il transporta 
sa famille à la capitale, où il continua de se livrer à toutes sortes 
de bonnes œuvres. Leur pauvreté était grande, et souvent ils man- 
quaient du nécessaire. Tous deux néanmoins supportaient avec 
joie les privations ; et, à force d'économie, ils trouvaient encore 
moyen de faire l'aumône à de plus pauvres qu'eux. Pierre, tout 
appliqué à la prière et aux méditations, versait souvent des larmes 
abondantes au souvenir de ses péchés. Voyait-il quelque chrétien 
dans la tiédeur, il en était sensiblement affligé, et s'empressait de 
le réveiller par des exhortations que Dieu rendait presque toujours 
efficaces. Il instruisit et convertit beaucoup de païens, et, par son 
zèle à baptiser les enfants en danger de mort, procura le salut 
éternel à un grand nombre de ces pauvres créatures. Chrétiens et 
païens se faisaient un plaisir de l'entendre, et se présentaient 
sans cesse en foule pour profiter de ses leçons. Ne se mêlant 
jamais à aucune des affaires du monde, il n'avait d'application 
— 302 — 
que pour les choses de la religion, et son but principal était de 
rendre possible Tintroduction d'un prêtre en Corée. Il y travailla 
longtemps de toutes ses forces, et quand Paul Tieng dut faire le 
voyage de Péking, il se chargea de presque tous les préparatifs. 
Il serait difficile de redire les peines et les ennuis qu'il eut alors 
à supporter, sans jamais faire paraître la moindre impatience ou 
le moindre découragement. 
Thérèse, de son côté, n'était pas moins assidue à faire tout le 
bien qui était en son pouvoir. Jalouse avant tout de son avance- 
ment spirituel, elle s'efforçait de se le procurer par divers exer- 
cices de mortification; elle jeûnait habituellement deux fois par 
semaine, et mêlait très-souvent à son riz, en secret, de la cendre 
ou de la poussière. Presque toujours maladive, elle supportait 
ses douleurs avec joie, s'unissant à Jésus-Christ souffrant et cru- 
cifié, et s'appliquant à l'oraison avec tant de ferveur, qu'elle en 
oubliait tous les besoins du corps, et souvent ne pensait ni à man- 
ger ni à dormir. Plus d'une fois les gens de la maison durent la 
rappeler à elle-même. Elle ne donnait que quelques heures au 
sommeil, et partageait tout son temps entre la prière, la lec- 
ture des livres de religion, et l'instruction ou la consolation 
du prochain. Elle était toujours disposée à répondre à quiconque 
s'adressait à elle pour demander quelque explication ou quelque 
conseil, et tous ceux qui l'entendaient s'en retournaient chez eux 
satisfaits, touchés et édifiés. 
Le démon ne pouvait voir d'un œil tranquille tant de vertu et 
de zèle. Aussi, i)endant les quinze ans que Pierre et Thérèse 
vécurent ensemble dans la continence, leur suscita-t-il de violentes 
tentations pour les faire renoncer à leur sainte résolution. Pierre 
surtout fut, à différentes reprises, sur le point de violer sa pro- 
messe ; mais, chaque fois, Thérèse sut par de bonnes paroles le 
faire revenir à ses premiers sentiments; aussi tous deux ne ces- 
saient d'en rendre au Seigneur de ferventes actions de grâces. Ils 
s'étaient ainsi longuement préparés par l'exercice de toutes les 
vertus, quand Dieu permit qu'ils fussent mis à l'épreuve des 
grandes tribulations. Vers la fin de la troisième lune de l'année 
tieng-t'siouk (1817), au moment où l'on attendait de jour en jour 
le retour de Péking de Paul Tieng, un calendrier ecclésiastique 
fut saisi sur Pierre Tsio, ou selon d'autres, sur un nouveau caté- 
chumène qu'il instruisait alors et qui l'aurait dénoncé. Quoi qu'il 
en soit, ce calendrier ayant été porté au grand juge criminel, 
celui-ci expédia immédiatement ses satellites pour arrêter Pierre. 
Thérèse ne voulant pas se séparer de son mari, ni le laisser seul 
— 30^ — 
dans une position aussi critique et aussi décisive, le suivit et se 
constitua prisonnière avec lui. 
Pierre fut misa la (juestion, et, selon Tusage, on lui demanda 
d'apostasier, de donner ses livres et de dénoncer ses complices. 
Il tint ferme au milieu des tortures, et Délaissa pas échapper une 
seule i)arole ([ui |)ùl comj)i'oinettr(; (|ui que ce fût. Le juge voulut 
d'abord par la douceur amener Thérèse à aposlasier pour sauver 
sa vie. C'était bien peu connaître le grand cœur de cette femme 
courageuse. Elle répondit avec calme et fermeté : « Dieu étant le 
père de tous les hommes et le maître de toutes les créatures, com- 
ment voulez-vous que je le renie ? on ne pardonnerait pas dans 
le monde à quiconque renierait ses parents ; à plus forte raison 
ne doit-on pas renier celui ([ui est notre Père à tous. » on en 
vint donc aux supplices, mais elle les supporta avec joie ; son 
visage ne changeait même pas de couleur, et le mandarin vit de 
suite qu'il n'obtiendrait pas aisément sa soumission. Dans les 
interrogatoires faits aux deux époux, elle répondait toujours la 
première, sans laisser à son mari le temps de prendre la parole, 
et eut pour cela de plus violents supplices à subir. 
Dieu permit qu'ils eussent, pendant tout ce temps, une fidèle 
compagne de leur captivité et de leurs souffrances, Barbe-Made- 
leine Ko. Celle-ci était d'une famille du peuple, du district de 
Tsoi-rieng, province de Hoang-liai. Etant encore païenne, elle 
suivit son mari condamné à l'exil à la ville de Mou-san, et y ren- 
contra Justin Tsio Tong-siem-i, par qui elle fut instruite de la 
religion. Son mari étant mort dans cette ville, Barbe, sans être 
arrêtée par la distance et les difticullés, fit reporter son corps au 
tombeau de ses pères ; puis, considérant que rien ici-bas n'est 
comparable au service de Dieu et au salut de l'àme, elle se rendit 
à la capitale où, après de longues recherches, elle trouva enfin la 
maison de Pierre Tsio, qu'elle avait vu à Mou-san, pendant la 
visite qu'il fit à son parent Justin. Au comble de ses désirs, elle 
resta près de lui, comme servante, assidue à s'instruire et pra- 
tiquant la religion de tout son cœur. Quand Pierre et Thérèse 
furent arrêtés, à la troisième lune, elle ne voulut pas se séparer 
d'eux et les suivit à la prison, où elle eut à subir les mômes 
interrogatoires et les mêmes supplices. Elle sut imiter leur cons- 
tance, et partagea leur sort jusqu'à la fin. 
Cependant le procès de ces trois confesseurs traînait en lon- 
gueur. Le juge ne se pressait pas de porter la sentence, et sem- 
blait vouloir les laisser ])Ourrir dans des cachots infects, lis y res- 
tèrent plus de deux ans, se consolant par la pratique fidèle de 
— 304 — 
leurs devoirs religieux, et attendant avec patience Taccomplis- 
sement de la volonté divine. C'est alors surtout que Thérèse fit 
paraître sa force d'àme et son ardent amour de Dieu. Toujours 
gaie et heureuse, elle faisait sa joie des souffrances, conservait un 
visage calme et serein, et semblait pour les autres un ange con- 
solateur. Elle disait souvent : « A moi pécheresse. Dieu avait 
déjà bien voulu accorder la trop grande faveur de garder la vir- 
ginité, et voici qu'il daigne encore m'appeler au bienfait du mar- 
tyre. C'en est trop. Comment pourrais-je le remercier digne- 
ment? » Un jour son mari, dans une tentation de décourage- 
ment, lui dit que de tels supplices n'étaient plus supportables. 
Aussitôt Thérèse s'efforça de le ranimer, avec ces paroles éner- 
giques et insinuantes qu'elle savait si bien trouver dans son 
cœur. « Si vous manquez cette belle occasion, ajouta-t-elle, et 
que vous conserviez la vie, que pouvez-vous donc espérer de si 
beau dans le monde ? Ne vaut-il pas mille fois mieux que nous 
sovons martyrs ensemble, le même jour, pour Dieu ? » Depuis ce 
temps, Pierre ne fut plus ébranlé. Il écrivit même, de sa prison, 
plusieurs lettres pleines des plus beaux sentiments de foi, et qui 
édifièrent beaucoup ceux qui en prirent lecture. Malheureuse- 
ment, aucune de ces lettres n'est parvenue jusqu'à nous. Le détail 
des supplices que les prisonniers eurent à subir à différents inter- 
valles est également perdu. Nous savons seulement que, fermes 
jusqu'à la fin, ils méritèrent de donner leur vie pour Jésus-Christ 
et furent tous trois décapités, à la capitale, le 21 de la cinquième 
lune (1) de l'année kei-mio (1819), après vingt-sept mois 
de prison. Pierre avait alors trente-trois ans, Thérèse trente-six 
ans, et Barbe-Madeleine plus de soixante ans. Une chrétienne qui 
vivait encore il y a quelques années, vit le corps de Thérèse après 
son exécution ; il portait les traces de trois coups de sabre, et lui 
parut d'une beauté merveilleuse. Les corps de ces martyrs ne 
purent être recueillis qu'un mois après ; il ne restait plus que les 
ossements. La chevelure de Thérèse, déposée en désordre dans un 
panier d'osier, fut conservée chez Sébastien Nam, martyr en 1839, 
et plusieurs témoins ont attesté que lorsqu'on ouvrait le panier, 
il en sortait un parfum qui embaumait toute la chambre. 
C'est ainsi que les deux époux, Pierre et Thérèse, eurent le 
bonheur d'être unis dans la mort comme dans la vie, de joindre 
le lis de la virginité à la palme du martyre. C'est la seconde 
(1) D'après le témoignage de Brigitte T'soi, leur martyre n'aurait eu lieu 
que trois semaines plus tard, le 13 de la sixième lune. 
— 30S — 
t'ois ((lie nous roiiconlroiis en Corée ce t'ait remarquable, rare 
(railleurs dans l'hisloire de TEi^iise. Que ne doil-oii jtas allendre 
d'un peuple chez (|ui la relii;ion, à peine établie, imparfaitement 
connue, sans prêtres, sans sacrements, sans sacrifices, |)ro(liiit 
néanmoins de telles âmes et fait de pareils jirodises ! 
Les trois martyrs précédents ayant refusé de faire aucune 
dénonciation, personne ne fut compromis dans leur procès, et il 
n'y eut pas alors d'autres arrestations à la capitale. Mais nous 
avons à en mentionner (piehpies-unes dans les provinces. En 1817, 
à la dixième lune, les satellites de Ha'i-mi, on ne sait à quelle occa- 
sion, se présentèrent subitement au village de Pai-na-tari, district 
(leTek-san, et enchaînèrent un certain nombre de chrétiens, qu'ils 
conduisirent à Ha'i-mi. Cette persécution, ((ui ne s'étendit pas au 
delà de quelques districts voisins, ne nous est pas connue dans ses 
détails. Les mémoires du temps sont presque muets, et les témoi- 
gnages (jue l'on a pu recueillir laissent à désirer par leur 
manque de précision. Cela tient principalement à ce qu'il n'y eut 
pas d'exécution capitale; car les chrétiens, dans leurs relations 
écrites, s'occupent généralement beaucoup i)lus des martyrs mis 
à mort par la main du bourreau, que de ceux qui périssaient tout 
aussi glorieusement dans les prisons ou sur la route de. l'exil. 
Peut-être aussi la position isolée de Ha'i-mi et le peu d'impor- 
tance relative du procès ont contribué à l'oubli dans lequel est 
tombée cette affaire. 11 n'y eut qu'une trentaine de chrétiens 
arrêtés, et la plupart achetèrent immédiatement leur liberté par 
l'apostasie. Quelques autres restèrent fermes, et eurent la grâce 
de persévérer jusqu'à la mort. Voici ce que l'on sait de plus cer- 
tain sur les principaux d'entre eux. 
Pierre Min Tsiem-tsi, natif du district de Kiel-sieng, avait tou- 
jours fait sa principale occupation d'instruire et d'exhorter les 
autres chrétiens. Après avoir habité quelques années à Soiak-kol, 
au district de Mok-tsien, il émigra à Pai-na-tari, et se mit de 
suite, selon sa coutume, à catéchiser les gens de ce village. Sa 
charité et l'exemple de ses vertus lui attirèrent bientôt l'estime et 
l'affection de tous. Pris à la dixième lune, il ne se laissa ébranler 
ni par les supplices, ni par la défection de ses compagnons de 
captivité. Une de ses belles-sœurs, nommée Anne, qui était veuve 
depuis quelque temps, fut arrêtée avec lui et imita son courage. 
Après environ deux mois de souffrances, tous deux moururent de 
faim en prison. Ils avaient l'un et l'autre plus de soixante ans. 
Une tradition rapporte qu'Anne avait six doigts à une main. 
l'église de CORÉE. 20 
— 306 — 
Joseph Siong T'sien-tsi, oncle de Philippe Siong T'sioun-hoa, 
était, au moment de son arrestation, d'un âge très-avancé. 
Pauvre et sans famille, il vivait comme domestique chez d'autres 
chrétiens, aimé de tous ceux qui le connaissaient, à cause de son 
caractère doux, simple et dévoué. 11 ne voulut pas renier sa foi, 
et mourut aussi dans la prison de Haï-mi. 
Un autre chrétien, dont oij ignore le nom, après avoir confessé 
généreusement Jésus-Christ, attendait, dans cette même prison, 
la décision finale du mandarin. Les satellites, qui cherchaient à 
obtenir de lui la dénonciation d'un de ses parents, homme très- 
riche, dont ils voulaient piller la maison, le torturaient continuel- 
lement en secret. Il résolut d'échapper, coûte que coûte, à leurs 
mauvais traitements; et un jour, la fuite lui paraissant pos- 
sible, il s'arracha le poignet par lequel il était enchaîné, par- 
vint à tromper la vigilance des gardiens, s'évada, et se cacha chez 
une famille chrétienne, où il ne mourut que longtemps après. 
Joseph San len-ouk-i, né dans le district de Hong-tsiou, se 
distingua par son intrépidité à confesser la foi, aussi bien que 
par sa constance dans les supplices. C'était un homme doux, 
humble, charitable envers le prochain, et surtout très-exact dans 
la pratique de ses devoirs religieux. Souvent il témoignait le désir 
de donner sa vie pour Dieu. Lorsqu'il eut été pris et conduit à 
Haï-mi, le juge criminel le fit comparaître et voulut le forcer à 
dénoncer les chrétiens, à donner ses livres et à renier sa religion. H 
répondit à ces demandes comme doit le faire un soldat de Jésus- 
Christ, et par suite fut mis à la question. on continua les tortures 
pendant plusieurs jours, mais son cœur ne se laissa pas ébranler, 
et aucune i)arole compromettante ne tomba de ses lèvres qui 
semblaient n'avoir de mouvement que pour prier Dieu. La 
défection de beaucoup de ses compagnons de prison ne fit 
pas plus d'impression sur lui. Au contraire, il sembla en 
prendre occasion pour ranimer son zèle et s'exciter à réparer, 
par sa propre fidélité, l'indigne outrage fait à la gloire de Dieu. 
Après de longs et nombreux supplices, il fut laissé dans la prison, 
sans espoir d'en sortir jamais, et s'y installa comme pour y passer 
sa vie. Six ou sept ans s'écoulèrent ainsi, et sa ferveur, loin de 
diminuer, s'affermissait chaque jour. A la fin, il obtint de vivre 
avec son frère, dans une maison voisine de la prison. 11 y demeu- 
rait depuis quelques semaines seulement lorsqu'il mourut, dans 
des circonstances qui frappèrent beaucoup les chrétiens. 11 ne 
paraissait atteint d'aucune maladie, et nul ne prévoyait sa fin pro- 
chaine, quand un jour, après avoir passé tout« la nuit en prières 
— 307 — 
et récité même, assiire-l-oii, les oraisons de la recommandation 
de Tànie, il sortit dès le malin, alla se laver à la fontaine voisine, 
puis, s'asseyant an bord de la fontaine snr une grande pierre, 
rendit le dernier soni>ir, sans que les personnes qui étaient près 
de lui s'en aperçussent. Son corps exhalait une odeur agréable, 
et, pendant plusieurs jours, conserva toute sa souplesse. (Vêtait 
en Tannée kap-sin (1824). 
San le-sim-i, père de Joseph, avait été aussi arrêté, trois jours 
après son fils, et conduit à la préfecture de Haï-mi. 11 supporta 
résolument, à plus de vingt reprises différentes, de cruels sup- 
plices. Le bruit courut qu'à la tin il s'était laissé ébranler. 11 
est certain toutefois qu'il fut consigné à la prison et qu'il y 
avait passé au moins dix ans, avec d'autres chrétiens détenus 
comme lui, lorsqu'il fut atteint d'une maladie très-dangereuse. 
Le mandarin l'envoya dans sa famille, avec ordre de revenir 
après sa guérison ; mais cet ordre fut inutile, car il mourut bientôt 
après, dans l'année tieng-hai (1827). 
A l'histoire de l'année 1817 se rattache un trait bien édifiant, 
inconnu de la plupart des chrétiens. Ni long-pin-i, dont le nom 
de baptême n'est pas connu, qui peut-être même ne fut jamais 
baptisé, vivait à Kam-t'ang-kai, au district de Siou-ouen. Il avait 
épousé une personne de la famille chrétienne de Tsio Han-tsi, et 
perdu au milieu des intidèles, pratiquait la religion seul avec son 
épouse. Devenu veuf, il se retira chez un de ses parents qui tous 
étaient païens, pour y trouver un moyen d'existence, et continua 
d'accomplir ses devoirs religieux avec tidélité et ferveur. Déjà 
bien des murmures s'étaient élevés contre lui de la part de sa 
famille, mais il n'y faisait pas attention, et ne pensait qu'à servir 
Dieu de tout sou pouvoir. Un de ses cousins, animé de dispositions 
plus bienveillantes, semblait devoir écouter avec decilité quelques 
paroles sur la religion. Poussé par le désir de sauver cette âme, 
long-pin-i lui exposa, tout au long, ce qu'il savait du christia- 
nisme. Son zèle fut-il couronné de succès? nous l'ignorons ; mais 
sa famille, déjà mal impressionnée contre lui, craignant qu'il 
n'infatuât plusieurs de ses membres de la fatale doctrine, et n'at- 
tirât ainsi de grands maux sur la tête de tous, résolut de se 
défaire de lui. on essaya d'abord de le faire apostasier, et comme 
il ne voulait pas renoncer à sa foi, on l'enleva secrètement, et on 
le tu périr. 
Dans les années qui suivirent, nous ne rencontrons aucun évé- 
nement mémorable. Presque à chaque ambassade, Paul Tieng 
— 308 — 
repartait pour Péking, atni de solliciter TEvêque de cette ville 
d'envoyer un pasteur aux néophytes de Corée, la partie la plus 
désolée de son immense troupeau. Mais le jour fixé par la Provi- 
dence n'était pas encore arrivé, et ses tentatives renouvelées 
aboutissaient toujours au même insuccès. Rien néanmoins ne 
put diminuer son courage ou éteindre son espérance. 

on ne signale à cette époque aucune persécution. Les chré- 
tiens vivaient presque en liberté, et leur nombre s'augmentait 
tous les jours. L'Esprit-Saint suppléait directement, par l'abon- 
dance de ses grâces, au manque de prêtres et de sacrements, et, 
pour Tutilité de tous, accordait quelquefois des faveurs singu- 
lières à divers membres de la chrétienté. En l'absence de docu- 
ments et de témoignages assez positifs, nous nous abstenons de 
qualifier les faits que les chrétiens racontent , quoiqu'il nous 
semble tout à fait dans l'ordre de la Providence, que Dieu ait 
multiplié les secours spirituels extraordinaires, pour ranimer et 
soutenir ces pauvres néophytes abandonnés. Nous n'en citons 
(ju'un seul exemple, entre beaucoup d'autres analogues. 
Un enfant, né de parents chrétiens, et nommé Jacques loun, 
âgé de on^e ans, allait tous les jours chercher du bois sur la mon- 
tagne, avec ses camarades. Un jour il revint de bonne heure, 
harassé et souffrant, et se dit pris d'une maladie mortelle. Puis 
il ajouta : « Sur la montagne, me trouvant fatigué plus que de 
coutume, je me reposais, lorsqu'un sentiment intérieur invincible 
m'a fait connaître que je mourrai le jour de l'Ascension, à midi. » 
on examina son corps, on n'y trouva aucune marque de maladie; 
cependant il allait plus mal, et bientôt sa situation parut dange- 
reuse. Trois jours avant l'Ascension, il demanda instamment le 
baptême, qui lui fut conféré. La veille de la fête, il se fit donner 
des habits propres avec lesquels il désirait être enterré, puis dis- 
tribua à quelques camarades les objets dont il se servait habi- 
tuellement. Le jour de l'Ascension, rien ne paraissait annoncer 
une fin prochaine, il déclara toutefois que c'était son dernier 
moment, et à l'heure de l'Angelus, après avoir récité cette prière 
avec ceux qui l'entouraient, il s'endormit dans le Seigneur. N'é- 
tait-ce pas son ange gardien qui, en le prévenant ainsi de l'heure 
de sa mort, lui avait procuré le bonheur de se présenter devant 
Dieu, dans la splendeur de son innocence baptismale? 
En l'année siu-sa (1821), l'invasion subite du choléra fut cause 
que beaucoup de chrétiens, qui n'étaient encore que catéchu- 
mènes, reçurent le sacrement de baptême, les uns à l'heure 
même de la mort, les autres à l'avance, par une pieuse précau- 
— 300 — 
tion, afin de ne pas sVxposer à mourir sans avoir été régénérés. 
D'après la tradition, ce terrihle fléau, jusqu'alors inconnu en 
Corée, y arriva du Ja|)on. Ce (|ue l'on raconte de sa marche et de 
ses ravac^es ressemble à ce que l'on a vu en Europe et dans d'au- 
tres contrées, quand il s'y montra pour la première t'ois. Les 
Coréens en parlent encore en tremblant. C'était partout la mort, 
et la mort pres(|ue subite. Aucun remède ne pouvait arrêter les 
progrès du mal. Toutes les familles étaient daus le deuil, toutes 
les maisons renfermaient des cadavres, souvent même les routes 
en étaient jonchées. Après ({uelques mois, on crut avoir trouvé 
quelques remèdes d'une efiicacité au moins douteuse, ou i)lutôt le 
fléau diminua d'intensité, et finit par disparaître. Depuis lors, il 
n'a pas reparu comme épidémie, jusqu'en l'année 1850. Mais 
à cette époque, il s'est comme implanté dans le pays, et a fait 
à diverses reprises de nombreuses victimes, surtout en 1 858 et 
dans les quatre ou cinq années suivantes. 
CiCpendant Paul ïieng, malgré sa jeunesse, se trouvait par le 
fait à la tète des affaires de la chrétienté. Charles Hien, iils du 
martyr Hien Kim-heun-i, Paul Ni ïsiong-hoi, frère cadet du 
martyr Charles ?S'i, et plusieurs autres, dont nous aurons souvent 
à parler dans la période qui suivit l'arrivée des missionnaires, 
s'étaient associés à ses efforts. Chaque fois que Paul retournait à 
Péking, (fuelques chrétiens l'accompagnaient ])our recevoir les 
sacrements de Baptême, de Confirmation, de Pénitence et d'Eu- 
charistie. En d823, notre intrépide voyageur dut être bien 
consolé et fortifié par un événement tout providentiel qui, en 
rendant beaucouj) })lus faciles les communications avec l'Evêque 
de Péking, semblait annoncer que les temps de la miséricorde 
ap])rochaient. Nous voulons parler de la conversion d'Augustin 
Niou long-sim-i, homme vraiment grand par ses talents et son 
énergie, plus grand encore par ses vertus et sa patience dans les 
souffrances. 
Augustin Niou était d'une des principales familles d'inter- 
prètes, et depuis plusieurs générations, ses ancêtres avaient 
occupé des postes imi)ortants. Dès l'enfance, il montra beaucoup 
de goût pour l'étude et s'y livra avec une telle ardeur et un tel 
succès, qu'avant l'âge de vingt ans, il avait déjà la réputation 
d'homme très-instruit. Quoiqu'il fût riche et dans une belle [)Osi- 
sition, il ne recherchait aucunement la gloire et les plaisirs du 
monde; son unique passion était pour les études sérieuses. 11 
voulait arriver à connaître clairement l'origine et la tin de 
— 310 — 
l'homme et du monde; et dans l'espoir d'y réussir, il étudia h 
fond, jour et nuit, pendant plus de dix ans, les livres de la reli- 
gion de Fo, ainsi que beaucoup d'autres. on disait de lui qu'il 
renfermait dix mille volumes dans sa poitrine et que toutes les 
sciences, tant anciennes que modernes, s'y trouvaient réunies. 
Mais après de si vastes recherches, Augustin n'avait réussi qu'à 
altérer profondément sa santé par l'excès de travail ; il ne trou- 
vait nulle part de principes inébranlables de vérité, et son esprit 
était de moins en moins satisfait. 
Trop jeune en 1801 pour entendre parler de la religion, ou 
comprendre ce qu'on en disait, il apprit plus tard qu'à cette 
époque beaucoup de personnages, célèbies par leur science et leur 
vertu, avaient été tués comme professant la religion du Maître du 
Ciel, et qu'ils mouraient avec une joie extraordinaire. « Ne serait- 
ce pas là la vraie doctrine? » se dit-il en lui-même. Et dès lors il 
chercha à rencontrej- des chrétiens, ou du moins à se procurer 
des livres de leur religion : mais où trouver ces livres, oii ren- 
contrer ces hommes? 11 y avaif chez lui un meuble tapissé de 
papiers imprimés en chinois. Regardant un jour par hasard quel- 
ques feuilles à moitié déchirées, il y vit ces mots : âmesensitive... 
âme végétative... âme spirituelle... Des paroles si extraordinaires 
pour lui piijuèrcnt sa curiosité ; aussitôt il décolla une à une, avec 
les plus grandes précautions, toutes les feuilles qui recouvraient 
le meuble, et les coordonnant, il eut entre les mains une partie 
du livre chrétien intitulé : Vrais principes sur Dieu. 11 se mit à 
le lire avec toute l'attention possible, mais bien des choses étaient 
])eu claires et incomplètes, et il ne put encore apprendre ce qu'il 
désirait. Plus avide que jamais d'avoir la solution complète de 
toutes ses difficultés, il fit de nouveaux efforts pour trouver des chré- 
tiens, et Dieu, qui voyait la droiture de ses intentions, et la soif 
ardente de vérité qui dévorait son cœur, permit enfin, après mille 
recherches, qu'il en rencontrât. C'était en l'année kiei-mi (1823), 
La lumière se fait facilement dans les âmes de bonne volonté; 
aussi à peine Augustin eut-il entendu quelques explications orales, 
et lu les livres procurés ])ar les chrétiens, (|ue la religion lui j)arut 
claire et certaine. Après quel([ues jours d'étude, aucun doute ne 
lui resta dans l'esprit ; Dieu lui accorda le don inestimable de la 
foi, et il se mit de suite à la pratiquer avec assiduité. 
Tel était l'homme que la Providence allait associer à Paul 
Tieng et à ses compagnons, dans leurs tentatives pour se procurer 
enfin des pasteurs. Interprète du gouvernement par fonction, il 
lui était facile de faire la route de Péking ; sa charge le mettait 
— 311 - 
au-dessus des soupcous, et sa pnsiliou ol'ticielle lui donnail assez 
(rinllueiice jjour couvrir les (lémai'eli(\s des autres. Dès rannée 
qui suivit sa conversion, c'est-à-dire en 18^4, Aui^ustiii fil en 
effet le voyacfe de Pékiuii-, o) qualité d'interprète de Tambassade. 
Arrivé en cette ville, il se rendit avec Paul Tieng auprès de 
révèque et des prêtres, demanda et reçut le baptême, puis, 
mettant sous leurs yeux le triste état des fidèles de Corée, sembla- 
bles à des brebis délaissées, en proie à la fureur des loups, il les 
conjura de pourvoir à leur salut j)ar tous les moyens possibles. 
Son zèle éclairé ne se borna pas là ; il pensa, et avec raison, 
qu'une supplique adressée directement au Souverain Pontife, au 
nom de tous les chrétiens, ses frères, [)0urrait hâter la réalisation 
de leurs communs désirs, et il écrivit, cette année-là même, sui- 
vant les uns, ou plus probablement une des années suivantes, une 
lettre au Pape, dans laquelle lui dépeignant la misérable situa- 
tion de la chrétienté, il le conjurait de leur tendre la main, et de 
les tirer de l'abîme. 
Nous verrons plus tard que cette lettre eut son effet. De son côté 
l'Evêque de Péking touché des efforts constants de ces pauvres 
orj»helins, i)romit de leur accorder enfin un prêtre, l'année sui- 
vante. C'était au cinquième voyage de Paul Tieng. Les arrangements 
furent pris, et on fixa l'époque du rendez-vous à Pien-men, ville 
frontière de la Chine. Les Chrétiens accueillirent cette promesse 
avec une joie indicible. Tous les préparatifs se firent avec empres- 
sement, et, au temps convenu, on se rendit à Pien-men pour rece- 
voir et introduire l'envoyé du Seigneur. Mais une nouvelle 
épreuve devait désoler la patience de nos pauvres néophytes. 
Arrivés au lieu fixé, les courriers ne rencontrèrent pas le prêtre : 
personne n'y était venu. Comment décrire leur désappointement 
et leur tristesse ? Paul Tieng, ({ui était à leur tête, ne pouvant 
deviner la cause de ce contre-temps, poursuivit la route jusqu'à 
Péking, et vit que les déplorables circonstances dans lesquelles 
la chrétienté de Chine se trouvait elle-même à cette époque, 
avaient mis l'évêque dans l'impossibilité absolue de tenir sa pro- 
messe. 
Paul ne se découragea point cependant, et de concert avec 
Augustin Niou, il travailla à faciliter de plus en plus les commu- 
nications annuelles, et à multiplier pour l'avenir les chances de 
réussite. Leur projet était de s'associer quelque homme sûr et 
dévoué parmi les valets habitués de l'ambassade ; mais malheu- 
reusement aucun d'eux n'était chrétien. Après mûre rétiexion ils 
jetèrent les yeux sur Charles Tsio, alors païen, qu'ils avaient 
— 31 2 — 
un peu connu dans le voyage, et dont le caractère bon, droit, 
l'erme et désintéressé, semblait promettre une prompte et sincère 
conversion. Il était originaire du district de Hoi-iang, province 
de Kang-ouen. A Y âge de cinq ans il perdit sa mère, et peu après, 
les petites ressources de sa famille étant épuisées, il quitta la 
maison paternelle, se fit raser la tête et recevoir parmi les bonzes, 
chez qui il passa quelques années. Rentré dans la vie commune, 
il se plaça d'abord comme domestique dans diverses maisons, puis, 
à Tàge de vingt-trois ans, il se fit admettre au nombre des valets 
attachés à l'ambassade de Péking, et parvint à ramasser un petit 
})écule, dont il usa pour venir en aide à son père et à son frère. 
Son bon caractère le faisait remarquer entre tous ses compagnons, 
et lui avait gagné la confiance générale. 
Charles Tsio avait environ trente ans quand Paul songea à le 
convertir. on le fit donc appeler secrètement dans une maison 
chrétienne, et Augustin Mou se chargea de lui faire les premières 
ouvertures au sujet de la religion. Il fut un peu interdit d'abord 
et ne comprit rien à ce qu'on lui disait ; mais après ({uelques 
jours d'instructions suivies, son esprit s'ouvrit à la lumière de la 
foi, et il promit de pratiquer tout de lion. Quelque temps après 
il se mit en route avec Augustin pour Péking, s'y présenta aux 
prêtres, et eut le bonheur de recevoir le Baptême, la Confir- 
mation et la sainte Eucharistie. De retour en Corée, il ne se 
contenait pas de joie, et se faisait remarquer entre tous les 
néophytes par son humilité, sa patience, son amour ardent envers 
Dieu, et sa charité envers le prochain, qu'il soulageait par ses 
aumônes autant qu'il était en son pouvoir. Il fit tant d'efforts 
auprès de sa femme, qu'il parvint à surmonter ses réjiugnances, 
la convertit, et en fit une excellente chrétienne qui ne se démenti! 
})as jusqu'à sa mort. Cet homme vraiment dévoué rendit, dans 
son humble condition, de très-grands services à la chrétienté ; 
il contribua beaucoup par son activité et son zèle, à l'introduc- 
tion des missionnaires, et son nom ne peut plus être séparé de 
ceux de Paul Tieng et d'Augustin Niou. 
En cette même année 1825, nous trouvons encore quelques 
chrétiens tourmentés et emprisonnés, sans toutefois que la tran- 
(|uillité générale paraisse avoir été sérieusement troublée. Augus- 
tin Pai, autrement dit T'seng-mo, natif du district de Tong-tsin, 
et fils de François Pai, martyr en 1709, était parvenu à se cacher 
quelque temps lors de l'arrestation^de son père; mais étant revenu 
chez lui, il fut pris et conduit au tribunal de T'sieng-tsiou, où 
— 313 — 
son père était d('lPini. on lui demanda s'il était chrétien, et sur 
sa réponse aiiirmative, il lut sommé (ra|)Ostasier et de dénoncer 
ses complices. Il refusa, tut mis à de violentes tortures ([u'il sup- 
porta avec intréj)idité, lassa par sa patience la fureur de ses 
juges, et fut jeté dans un cachot séparé de celui de sou père. 
Quand celui-ci fut conduit au supplice, le mandarin permit à 
Aui;ustin de le voir, et après l'exécution lui remit le corps, avec 
permission d'aller l'enterrer. Augustin après avoir donné la sépul- 
ture à son père, profita de l'occasion pour s'enfuir, et afin de se 
dérober aux recherches, il fit pendant un an le métier de matelot, 
îl se cacha ensuite })endant quatre ou cinq ans au district de 
Kong-tsiou. La persécution étant apaisée, il alla s'établir à Kang- 
moun-i, district de Mien-l'sien, gagnant sa vie par des travaux 
de menuiserie dans lesquels il excellait, et copiant des livres 
religieux pour l'usage des chrétiens. 11 se tit toujours remanpier 
par une grande ferveur dans l'accomplissement de ses devoirs. 11 
fut repris, on ne sait à quelle occasion, en l'année eul-iou (1825), 
et conduit au tribunal de Haï-mi, oit on lui tlt subir de cruelles 
tortures. Soutenu par l'exemjjle de son père et fidèle ;i ses propres 
antécédents, il les supporta avec un grand courage. on assure 
qu'il fut alors condamné à mort ; mais le fait parait peu probable. 
Dans sa prison, il con({uit bientôt l'estime et la coiitiance de tous, 
et obtint, après deux ou trois ans, la permission de retourner 
chez lui, à la charge de se présenter le l'^'' et le 15 de chaque 
mois devant le mandarin. 11 mourut paisiblement à l'âge de 
soixante-trois ans, le 26 de la sixième lune de l'année kei- 
t'siouk (1829). 
Dans cette même prison de Haï-mi se trouvait la veuve Barbe 
Ha, dont la mémoire est restée en vénération parmi les chrétiens. 
Née de parents païens au district de Tong-t'sin, elle fut mariée 
dans celui de Mien-t'sien, et son caractère doux et complaisant 
engagea un des parents de son mari, à lui faire connaître la reli- 
gion. Elle l'embrassa avec joie, et se lit bientôt remarquer par 
ses vertus et sa fervente piété. Devenue veuve, elle s'occupa d'ins- 
truire et d'exhorter les filles et les femmes chrétiennes, et n'ayant 
|)lus d'autre but que le service de Dieu, parcourut dans tous 
les sens les différents districts de la plaine de Nai-po, exerçant 
son ministère de charité et convertissant aussi l)eaucoup de 
païennes. Son zèle et son activité à remplir cette fonction de 
catéchiste, l'ont rendue particulièrement chère aux chrétiens de 
cette province, dont un grand nombre lui doivent la connaissance 
de la religion. Dieu, pour récompenser sa foi et ses travaux, 
— ai 4 — 
permit qu'elle eut quelque part à la gloire des confesseurs. Elle 
fut arrêtée au village de Pan-tai-ma-cal, district de A-san, à la 
troisième lune de 18'2o, et conduite à Haï-mi, où elle rencontra 
Augustin Pai. Sommée d'apostasier et mise à la question plu- 
sieurs fois, elle montra une force toute virile et ne se laissa nul- 
lement ébranler. Elle obtint })lus tard de quitter la prison, sous 
la condition de se présenter au mandarin deux fois par mois, et 
mourut de maladie quelque temps après. 
L'année 1826 ne nous présente rien d'intéressant. D'après un 
bruit répandu parmi les chrétiens, l'empereur du Japon aurait 
alors écrit au roi de Corée pour l'avertir que six sujets japonais 
de la i^ligion de Jésus, avaient lui dans une petite barque. « S'ils 
sont venus dans votre royaume, ajoutait-il, veuillez les faire saisir 
et me les renvoyer. » Nous n'avons pu vérifier ce fait. 
Sauf les (|uelques vexations locales dont nous venons de parler, 
l'Eglise de Corée était en paix, et ses ennemis ne semblaient pas 
songer à l'attaquer de nouveau , lorsqu'en l'année tieng-hai 
(4827), l'imprudence et la mauvaise conduite de plusieurs chré- 
tiens devinrent la cause d'un horrible désastre. En 1815, nous 
avons vu la tempête se déchaîner sur la province de Ricng- 
siang; cette fois, le principal théâtre de la persécution sera la 
province de T'sien-la, si cruellement éprouvée déjà en 1801. De 
longues années de tran([uillité y avaient fait émigrer depuis lors 
un grand nombre de chrétiens, auxquels s'étaient joints, peu à 
peu, beaucoup de nouveaux prosélytes. 
Dans le village de Tek-sil, au disti-icl de Kok-sieng, vers le 
sud-est de la i)rovince, se trouvait une fabrique de poterie, dont 
tous les ouvriers étaient chrétiens. Un nouveau converti, nommé 
Tsien, y avait établi un débit de vins pour le service du village. 
Han Paik-kiem-i, fils du célèbre martyr Thomas Han, homme 
tro]i connu par la violence de son caractère et sa conduite peu 
exemplaire, vivait alors dans ce village, et par ses actes, ne jus- 
tifiait que trop le dicton des chrétiens : « Faut-il qu'un si noble 
martyr ait laissé un si mauvais fils? » Un jour que les vases de terre 
devaient être retirés du four, il y eut, selon l'usage, grand con- 
cours de peuple et, par suite, de copieuses libations. Han Paik- 
kiem-i, excité déjà par les fumées du vin, se plaignit vive- 
ment que ses vases étaient trop petits, et après s'être disputé 
avec le cabarelicr, il s'en prit à la femme de celui-ci, l'insulta et 
la battit cruellement. Le cabaretier, dont la foi n'était pas encore 
bien consolidée, ne put supporter une telle injure et résolut d'en 
— 315 - 
tirer une vongeance éclalanle. Il prit doiic des livres de relii^ion, 
et sans rélléchir, sans doute, au\'suiles de sa drniai'rlie, les porîa 
au mandarin de Kok-sieng-, en lui dénoncaiii comme propriétaires 
son ennemi Ilan Paik-kiem-i, et ([uehiues autres ehrétiens dont 
il oroyait avoir à se plaindre. Il est triste de voir cette misé- 
rable querelle entre chrétiens, devenir la cause de tant de ruines, 
occasionner tant d'apostasies, et amener la perte de tant (rames 
rachetées du sang de Jésus-Christ ! 
Le mandarin de Kok-sieng ayant en main des preuves mani- 
festes, n'hésiia pas un instant, et donna immédiatement ses 
ordres pour saisir les chrétiens. C'était à la deuxième lune de 
18'27. Alors se présenta de nouveau le spectacle déchirant de 
ces pauvres fidèles livrés à la merci de satellites féroces et avides ; 
(riiommes, de femmes et d'enfants, dépouillés brutalement de 
tout ce qu'ils possédaient, entassés dans les prisons, misa la (pies- 
tion et torturés sans pitié. Peu à peu, soit par suite de dénoncia- 
tions arrachées aux chrétiens faibles, soit parce qu'un incendie 
une fois allumé se communi(iue naturellement à tout ce qui est 
proche, la persécution s'étendit de district en district, dans 
toute la province. 
Beaucoup de chrétiens cherchaient leur salut dans la fuite; les 
autres attendaient chez eux, ou sur les montagnes environnantes, 
le sort ([ue Dieu leur réservait, et ni les uns ni les autres ne 
parvenaient à éviter les satellites ([ui pénétraient partout et gar- 
daient soigneusement toutes les routes. Ceux (|ue l'on dédaignait 
de saisir, laissés par le pillage sans vivres, sans ressource, 
n'osaient se féliciter d'avoir été épargnés, car il ne leur restait 
([u'à mourir de faim et de misère. Nous n'avons aucun détail sur 
les divers interrogatoires subis par les néophytes, dans les diffé- 
rentes petites préfectures où ils furent d'abord conduits. Q^iqI- 
({ues-uns des plus lâches apostasièrent de suite, mais le plus grand 
nombre furent transférés au tribunal de Tsien-tsiou, métro})ole de 
la province. 
Pendant le cours de la troisième lune, tout le nord de la pro- 
vince fut aussi envahi. Au district de Keum-san, parmi les chré- 
tiens saisis se trouva un nommé Kang qui, par crainte de ne pas 
se conduire assez courageusement devant les juges, se donna lui- 
même la mort en route, dans un accès de folie. 
Au district de Ko-san, on arrêta nombre de chrétiens, et presque 
tous furent aussi conduits à Tsien-tsiou. Les captifs se trouvèrent 
réunis dans cette ville au nombre de plus de deux cent (juarante, 
parmi lesquels beaucou}) de femmes. Soit que les prisons fussent 
— 316 — 
trop étroites, soit plutôt que Ton voulût empêcher les prisonniers 
de se concerter entre eux et de se soutenir mutuellement, on les 
dispersa en différents endroits de la ville, même dans des mai- 
sons particulières. Presque tous étaient enchaînés et avaient la 
cangue sur les épaules. D'autres étaient attachés ensemble avec 
des cordes qui leur liaient le cou et les jambes. 
Le gouverneur de Tsien-tsiou était, à cette éi»oque, Ni Koang- 
moun-i, de la branche des Ni de Sa-pong. 11 suivit un système 
différent de celui em])loyé dans les persécutions précédentes. 
Peut-être était-il personnellement moins hostile à la religion ; 
peut-être aussi, voyant que tous les chrétiens arrêtés étaient des 
gens du peuple, et qu'il n'y avait parmi eux aucun personnage 
important, voulut-il essayer d'arriver au même but par d'autres 
moyens. Quoi qu'il en soit, il évita autant que possible les exécu- 
tions capitales, condamnant seulement <*i l'exil même ceux qui se 
montraient termes dans les supplices et refusaient les dénoncia- 
tions demandées ; ou bien, quand les circonstances le forçaient à 
l>rononcer une sentence de mort, laissant les victimes végéter 
indéfiniment dans les j)risons, et s'éteindre, sans bruit, de faim 
et de misère. Ce système réussit au delà des espérances du 
gouverneur, car les chrétiens de la province de Tsien-la étaient 
tombés dans un grand relâchement ; et nous devons avouer que 
cette persécution de 18^7 fut la plus déplorable entre toutes, par 
la quantité de défections qu'elle occasionna. Jamais, proportion 
gardée, les apostats ne furent aussi nombreux. Quelques confes- 
seurs cependant ont maintenu par leur constante fermeté l'honneur 
de la religion. Nous allons nommer ici les plus connus. 
C'est d'abord Madeleine Ni, la sœur de Paul Ni de Tsiang-kiei. 
Née dans un petit village du Nai po, elle fut mariée à André Ni 
à làge de dix-sept ans, et Dieu bénissant celte union, elle en eut 
sept enfants qu'elle éleva et instruisit avec soin, et dont elle lit 
d'excellents chrétiens, moins encore par ses avis que par ses beaux 
exemples. Arrêtée au district de Kok-sieng, au commencement de 
cette persécution, elle fut traduite devant le juge criminel, dont 
tous les efforts tendirent à lui faire dénoncer le lieu delà retraite 
de son frère. Mais Madeleine, 'com])renant combien de telles décla- 
rations étaient contraires aux devoirs des disciples de Jésus- 
Clirist, supporta avec fermeté et patience les violentes tortures 
auxfiuelles elle fut soumise, et n'ouvrit pas la bouche. Les séduc- 
tions et les promesses ne firent pas j)lus d'impression sur son 
cœur. Le juge ne pouvant rien gagner, la condamna h l'exil, et 
elle fut envoyée à la ville de Paik-t'sien, province de Hoang-hai. 
— 817 ~ 
Là, de nouvelles épreuves rallendaieul. Les Jiabitants de ce lieu 
la poursuivirenl de plaisanteries et de sarcasmes sur la cause de 
son exil ; on ne lui épari^na ni les vexations, ni les mauvais trai- 
tements, ni les injures. Madeleine n'en continua pas moins la 
pratique fidèle de sa religion, et supporta tout avec une patience 
invincible, accei)tanl d'un co'ur soumis et content ce (pie |)erinet- 
lait la volonté de Dieu. Comme elle ne savait j)as lire, elle comp- 
tait les jours et taisait les exercices du dimanche, sans pouvoir 
observer les autres fêles dont elle ne connaissail pas la date. 
Elle passa ainsi quatre ans, ai)rès lesquels une maladie dont elle 
portait le germe depuis longtemps, la reprit avec violence. 
Sentant sa fin approcher, elle prit son chaj)elet, se mit à genoux 
pour prier, et rendit son âme à Dieu dans celte [)Osition, le i^2 de 
la onzième lune de Tannée kieng-in (1830), à Tcàge de cinquante- 
trois ans. 
Après cette fidèle servante de Dieu, nous mentionnerons André 
Kini To-mieng-i. Né au district de Mien-t"sien, de parents chré- 
tiens, il fut dès l'enfance docile à leurs instructions, et fit de 
rapides progrès dans la piété. Pris à la deuxième lune à Sin- 
tsiek, district de Sioun-lsiong, et conduit au juge criminel de 
Tsien-tsiou, il refusa constamment d'a])Ostasier et de dénoncer 
ses frères dans la foi, et malgré la torture et les menaces de 
mort, resta inébranlable jusqu'à la fin. Il n'est pas absolument 
certain qu'il ait été condamné h mort. on le laissa languir en pri- 
son, où il mourut sans avoir jamais laissé paraître un signe de 
faiblesse et de découragement, un peu après 1832, à l'âge de 
cinquante et quehjues années. 
Nous trouvons ensuite Jean-Baptiste Ni Seng-tsi, de la branche 
des Ni de Ham-pieng. Descendant d'une famille de mandarins 
militaires, il habitait le village de Nap-heun-moi, au district de 
Tek-san, et ne fut instruit du christianisme qu'à l'âge de vingt- 
quatre ans. L'aîné de trois frères, et chargé de la conduite de la 
maison, il comprit de suite que, dans son propre pays, au milieu 
de ses nombreux parents païens, le culte des tablettes et les 
autres superstitions lui seraient un grand empêchement dans le 
service de Dieu. Il en sortit donc avec toute sa famille et se retira 
dans les montagnes, afin de pouvoir observer librement les pré- 
ceptes de l'Evangile. Son petit avoir fut en peu d'années com- 
plètement épuisé, et toute la famille eut à souffrir de la faim et du 
froid. Aussi son père, demeuré païen, ne cessait de le quereller, 
de l'injurier, et de maudire cette religion qui les avait tous 
plongés dans la misère. Pour obtenir sa conversion, Jean-Bap- 
— 318 - 
liste multipliait ses prières et ses exercices de pénitence. Après 
plus de dix ans, ses efforts furent enfin couronnés de succès, et 
son père se fit chrétien deux ans avant sa mort. Obligé d'émi- 
grer plusieurs fois, Jean-Baptiste s'était enfin établi au district de 
Ho-san, province de Tsien-la, oîi il avait pour principale occu- 
pation de secourir les malades et les indigents, et dans les années 
de famine, de donner la sépulture aux morts abandonnés sur les 
routes. 
C'est dans l'exercice de ces bonnes œuvres qu'il fut arrêté, le 
23 de la troisième lune, par les satellites de Tsien-tsiou. Bientôt 
ses deux frères et tous les membres de sa famille, an nombre de 
treize, furent saisis et consignés, les uns à la prison, les autres 
cliez des particuliers sous caution. Jean-Baptiste comparut au 
tribunal de Tsien-tsiou. « Qu'as-tu fait de tes tablettes? » lui dit 
le mandarin. — Je les ai enterrées. — Tu n'honores donc pas 
tes ancêtres? — Je puis bien honorer mes parents, mais un mor- 
ceau de bois coupé sur la montagne peut-il devenir jamais mon 
père et ma mère? » — on lui demanda ensuite diverses dénon- 
ciations, et sur son refus, on lui fit subir l'écartement des os des 
bras plus de dix fois de suite ; ses bras furent brisés, il perdit 
connaissance, et on le reporta en prison la cangue au cou. Trois 
jours après, cité de nouveau, il fut encore sommé de faire des 
dénonciations et reçut plus de trois cents coups de bâton. Huit 
ou dix interrogatoires se succédèrent ainsi, et à chaque fois on 
lui infligeait de nouveaux supplices. A la fin, le gouverneur lui 
dit ; « Puisque tu violes la loi du royaume et restes entêté dans 
tes idées, périrais-tu dix mille fois, tu n'es pas digne de compas- 
sion. » Jean-Baptiste était décidé à mourir. on n'a pas cependant 
de preuves authentiques que sa sentence ait été prononcée, il 
fut laissé indéfiniment à la prison où, après neuf ans de souf- 
frances et huit mois de maladie, il mourut à l'âge de cinquante- 
huit ans, le H de la quatrième lune de l'année eul-mi (1835). 
Avec Jean-Baptiste Ni avait été saisi le troisième de ses frères, 
nommé Jean Ni Seng-sam-i. Celui-ci, dans sa jeunesse, avait, 
selon le désir de ses parents, étudié les lettres, tout en se livrant 
aux travaux du corps. Aussi copiait-il beaucoup de livres reli- 
gieux, qu'il vendait ou donnait aux chrétiens. Il s'occupait en 
outre de l'instruction des pauvres fidèles et, quoique son caractère 
fût naturellement violent et emporté, il avait su se dompter si 
bien, qu'il gagnait tous les cœurs par la douceur et la charité de 
ses paroles. Arrêté en 1827, il avait déjà subi de nombreux sup- 
plices devant le juge criminel, quand plusieurs prisonniers le 
— 319 — 
dénonceront comme le copiste des livres pris chez eux. Ce nouveau 
chef d'accusation devint pour lui la cause de bien des embarras et 
des souffrances. Traiit" dès lors comme chef des chrétiens, il fut 
mis un grand nombre de Ibis à la question, et eut à supporter 
des tortures si atroces, qu'il en mourut dans la prison, le 14 de 
la neuvième lune de cette même année, à l'âge de trente-trois ans. 
Avec lui se trouvaient emprisonnés quatre autres confesseurs 
dont le martyre commença à cette époque, pour ne se terminer 
que treize ans plus tard. C'étaient Paul Tsieng, Job Ni, Pierre 
Kim et Pierre Ni, tous originaires de la fameuse plaine du Nai-po, 
berceau et centre de la chrétienté coréenne. 
Paul Tsieng, dont le nom légal était Man-po, mais qui est plus 
connu sous son nom d'enfant : T'ai-pong, était du district deTek- 
san, et cousin issu de germain de Pierre Tsieng, martyr en 1801 . 
Ayant perdu de bonne heure son père et sa mère, il fut élevé 
chez un parent assez éloigné, et, comme il ari'ive fréquemment 
en pareilles circonstances, fut traité en véritable esclave. Son 
caractère, naturellement doux et complaisant, lui Ht supporter 
avec patience et résignation ces premières épreuves. Plus tard, 
lorsqu'il put se suffire à lui-même, il quitta le Nai-po, et se retira 
au district de Liong-tan, dans la province de Tsien-la. Il y 
demeurait depuis trois ans, lorsque s'éleva la persécution de 
1827. Paul avait toujours été un chrétien zélé, faisant tous ses 
efforts pour accomplir exactement ses devoirs, et si avide d'ins- 
truction que, quand il ouvrait un livre de religion, il ne pouvait 
le fermer qu'après l'avoir lu tout entier. Il sentait en son cœur 
un grand désir du martyre et, de temps en temps, plaçant un 
billot sous son menton, il disait : « Si je recevais le coup de 
sabre dans cette position, peut-être pourrais-je sauver mon âme.» 
Toutefois, pour ne pas agir avec trop de témérité, il se cacha 
d'abord. Mais comme il revenait très-souvent dans sa maison, 
il y fut rencontré un jour par les satellites, qui se présentaient 
avec un mandat d'arrêt lancé par le tribunal sur la dénonciation 
d'un apostat. Ce mandat portait un autre nom que le sien, et il 
eût été facile à Paul de s'esquiver; mais il n'eut garde de man- 
quer l'occasion favorable, et suivit les satellites à la préfecture de 
Liong-tan. Après un interrogatoire, suivi de la bastonnade sur 
les jambes, on l'envoya à Tsien-tsiou, chef-Jieu de la province. 
Là, il eut à subir par deux fois les sup])lices de l'écartement des 
Os et de la puncture des bâtons, et le mandarin voyant qu'il ne 
pourrait obtenir de lui ni apostasie ni dénonciation, le laissa en 
prison jusqu'à nouvel ordre. 
— 320 — 
Job Ni 11-en-i surnommé T"ai-mouii-i, plus connu sous le nom 
deNid'An-ei, était du village de Tai-pol, au district de Hong-tsiou. 
11 fut instruit de la religion par ses parents, et la pratiquait déjà 
avant la persécution de 180d . A cette époque il fut pris et, après 
une détention dont on ignore la durée elles détails, exiléàAn-ei, 
province de Kieng-siang. Arrivé au lieu de son exil, mal vu du 
mandarin et des prétoriens, il fut enfermé dans la prison, ce qui 
n'a pas lieu ordinairement pour les exilés. De plus, on ne lui 
donnait à manger qu'une fois par jour, quelquefois même tous 
les deux jours seulement, et on alla jusqu'à lui refuser le feu et 
Teau. Job demeura ainsi renfermé dans la prison pendant dix 
ans, exposé à toutes sortes d'avanies et de mauvais traitements. 
Mais en véritable chrétien , il semblait ne pas entendre les 
injures, ne pas ressentir les outrages. Son inaltérable résignation 
parvint à gagner les esprits prévenus, les geôliers devinrent peu 
à peu moins cruels envers lui et, à la fin, on lui permit d'aller se 
loger sous caution dans une maison particulière. 
En 1813, sa femme put venir le rejoindre au lieu de son exil, 
et ils vécurent ensemble à An-ei, jusqu'à la cinquième lune de 
l'année 1 826. Job fut mis alors en liberté, et vint s'établir au village 
de T ai-p'an, au district d'Im-sil, province de Tsien-la. 11 y était 
à peine installé quand surgit la persécution de 1827. Sa femme 
l'engageait à fuir, mais il ne semblait pas entendre ses paroles. 
Un jour qu'il avait disparu, on le chercha partout, et enfin on le 
rencontra seul dans un lieu retiré, assis et pleurant à chaudes 
larmes. Interrogé sur la cause de ses pleurs, il répondit : « Autre- 
fois j'ai manqué une belle occasion d'être martyr, et je regrette 
vivement de m'èire laissé envoyer en exil. Maintenant n'est-il pas 
bien triste pour moi d'être dans un lieu retiré et de n'avoir 
aucune chance de donner ma vie pour Dieu? » Ses soupirs étaient 
sans doute montés jusqu'au Ciel, car, trois jours après, les satel- 
lites de Tsien-tsiou vinrent inopinément l'arrêter. 11 les suivit 
plein de joie. Dès le premier interrogatoire, le juge criminel 
ayant connu ses antécédents, le fit battre plus cruellement que de 
coutume ; et, quelques jours après, le voyant déterminé, pro- 
nonça la sentence de mort. Job était petit et avait une chétive 
apparence. Mais sa constance et sa fermeté dans les supplices le 
firent bientôt remarquer de tous les gens du prétoire, et ils se 
disaient : « Nous l'avions mal jugé sur la mine. Cet homme-là est 
un vrai chef de chrétiens. » Job fut donc laissé à la prison en 
attendant l'exécution. 
Pierre Kim Tai-koan-i était d'une famille originaire de Sou- 
— 321 — 
tani, au district de T'sieng-iang, laquelle avait émigré à T'sieng- 
na-tong, district de Po-rieng. Frère aîné de Jacques Kirn martyr 
en 1816, il avait été instruit de la religion dès renfance, mais ne 
la pratiquait guère, et ce ne fut qu'après la mort de ses parents, 
que par une grâce spéciale de Dieu, il devint plus exact à tous 
ses devoirs religieux. Voici comment. S'étant établi au district 
de Kong-tsiou, où il travaillait dans une fabrique de poterie, il 
avait de très-fréquents démêlés avec sa femme. Un jour qu'ils 
s'étaient mis en une furieuse colère l'un contre l'autre, Pierre alla 
dormir dans la chambre intérieure, tandis que sa femme resta à 
la cuisine pour se livrer au repos. Pierre était dans son premier 
sommeil, lorsque, croyant entendre la voix de Dieu qui l'apjje- 
lait, il se leva en sursaut, et vit un tigre emportant sa femme dans 
la gueule. Aussitôt il poursuivit l'animal, en poussant de grands 
cris, et parvint à lui arracher sa victime; elle avait à la jambe 
une large blessure. Le lendemain il lui dit : « Cet accident est 
arrivé à cause de nos discordes, mais puisque Dieu a permis que 
tu aies la vie sauve, il faut d'abord l'en remercier, puis, profiter 
de notre mieux de cette leçon sévère, nous corriger, pratiquer le 
bien, et jusqu'à la mort vivre en bonne intelligence. » Ils gar- 
dèrent leur résolution, et dès ce moment vécurent tous deux dans 
la plus grande concorde. 
Chaque dimanche, Pierre exhortait et instruisait non-seulement 
sa famille, mais tous les gens du village. A la fête de Noël, il ne 
manquait pas d'aller sur quelqu'une des montagnes voisines, et 
prenant avec lui l'Evangile et quelques autres livres, il passait la 
nuit dans les exercices de piété. Un jour qu'il était en oraison sur 
une de ces montagnes, un gros tigre vint se placer vis-à-vis de 
lui et se mit à pousser des rugissements. Pierre, sans trop s'ef- 
frayer, resta où il était, fit toutes ses prières à l'ordinaire, puis le 
jour venant à paraître, descendit tranquillement à sa maison, 
pendant que le tigre regagnait son repaire. Durant le carême, 
Pierre était plus assidu que jamais à la prière et à la médilalion ; 
il ne faisait alors qu'un repas, ne prenait qu'une demi-écuelle 
de riz, qu'il mangeait avec de l'eau froide, sans autre assaison- 
nement qu'un peu de sel; sa vigueur corporelle n'était en rien 
altérée par cette mortification extraordinaire, 11 avait dans le 
cœur un vrai désir du martyre, et, après l'exécution de son frère 
cadet en 1816, ayant rapporté le billot sur lequel on lui avait 
tranché la tête, il se le plaçait souvent sous le menton, pendant la 
nuit, pour penser plus efficacement à la mort. 
Pierre avait émigré au district de Ko-san. Quand il apprit. 
L EGLISE DE COAEE. 
21 
— 322 — 
en 1827, que la persécution venait d'éclater, il engagea les autres 
à fuir pour l'éviter, mais lui-même attendit en paix que Dieu mani- 
festât sa volonté. Une bande de plus de cent satellites (1} cerna bien- 
tôt le village où il se trouvait, et se rua sur les pauvres chrétiens. 
Pierre, sans s'effrayer, alla en riant à leur rencontre, et aussitôt, 
lié de la corde rouge comme les grands criminels, fut conduit par 
eux au tribunal de Ko-san. Il semblait se rendre à un festin. 
«Suis-tu cette mauvaise religion? lui demanda le mandarin. — 
Je ne suis point de mauvaise religion, mais j'adore seulement 
le vrai Dieu du ciel et de la terre. » on le fit mettre à la can- 
gue, et on l'envoya au juge criminel de Tsien-tsiou, qui lui 
dit : « Toi aussi, tu es de cette mauvaise secte prohibée par le roi 
et les mandarins; si tu renies Dieu, je te relâche, toi et tes enfants , 
sinon, tu seras mis à mort. » Pierre fit alors, à haute et intelli- 
gible voix, cette admirable réponse qui a été rapportée par des 
témoins oculaires de son procès : « Dussé-je mourir sous les 
coups, je ne puis renier mon Dieu. Ces sentiments ont pénétré 
ma chair et mes os. Me coupât-on les membres , chaque mor- 
ceau en resterait imprégné ; me broyât-on les os, chaque frag- 
ment les conserverait intacts ; non, dix mille fois non, je ne puis 
renier mon Dieu. » 
Pierre ne redoutait pas plus ses juges qu'il n'avait autrefois 
redouté les tigres. Le mandarin, furieux de l'entendre ainsi parler, 
le fit dépouiller de ses vêtements et battre de verges, aussi violem- 
ment que possible. Pendant que le sang ruisselait de son corps, 
Pierre invoquait avec ferveur les saints noms de Jésus et de Marie, 
et conservait un visage souriant et joyeux. De là, il fut trans- 
porté dans une chambre voisine, où il eut à subir delà part des 
satellites et valets des supplices plus cruels encore ; mais sa 
résolution resta inébranlable. Le lendemain, il comparut de nou- 
veau devant le juge qui lui demanda ses livres de religion, et le 
somma de dénoncer ses complices. Sur sa réponse négative, on 
lui fit subir par trois fois la puncture des bâtons. Pendant cette 
affreuse torture, Pierre perdit connaissance, et fut reporté à la 
prison. Il reprit peu à peu ses sens et, voyant tout son corps 
(1) on s'élonnera peut-Olre de voir ainsi de tous côtés des satellites sans 
nombre. II est certain qu'il y en a énormément dans le pays. D'ailleurs, 
on donne habituellement ce nom à tous ceux qui les suivent, car les satel- 
lites proprement dits ont souvent sous leurs ordres, chacun deux, trois ou 
quatre valets qui les accompagnent. Il y a en outre d'autres gens que l'on 
recrute en cas de besoin,pour courir de côté et d'autre, à peu près comme 
on louerait des hommes de journée. 
— 323 — 
brisé, il dit : « Ponrrai-je bien par là payer la dix-millième partie 
des bienf;iits de Dieu?» puis, versant d'abondantes larmes de 
contrition et de reconnaissance, il se disposa tranquillement à 
mourir. on fit venir son fils arrêté comme lui, et lui mettant un 
couteau sur la gorge devant le père, on menaça celui-ci de tran- 
cher la tête de son enfant s'il n'apostasiait pas immédiatement. 
Pierre répondit : « Si mon fils a la tête coupée pour une pareille 
cause, ce sera une grande gloire pour lui et pour moi ; non, je 
n'apostasierai pas. » Le fils fut envoyé en exil. 
Après de nouvelles tentatives aussi inutiles que les premières, 
le juge lui fît infliger, à diverses reprises, le supplice de l'écar- 
tement des os, puis l'envoya au gouverneur. Celui-ci, entouré 
de quatre-vingts valets, tous le bâton à la main, le soumit, ce 
jour-là et le lendemain, à de nouveaux interrogatoires. Au milieu 
des tortures, Pierre conserva la môme fermeté, le même air tran- 
quille, et invoquant toujours le Seigneur ; il disait : « Comment 
faire pour payer, au moins d'une épaisseur de cheveu, les bien- 
faits de la Passion de Jésus-Christ? » Le mandarin, désespérant 
de le faire fléchir, le renvoya à la prison avec les autres con- 
fesseurs. 
Pierre Ni Seng-hoa, dont la famille et les antécédents sont 
déjà connus, avait continué, malgré ses premières faiblesses, a 
vivre dans la pratique exacte de la Religion. Quand s'éleva la 
persécution de 1827, il eût bien voulu prendre la fuite, mais 
toutes les routes étaient gardées si soigneusement, qu'il ne savait 
pas oîi se réfugier; d'ailleurs, avec sa vieille mère, sa femme et 
ses jeunes enfants, il lui était à peu près impossible de se mettre 
en chemin. Il se décida donc à attendre les ordres de Dieu et se 
contenta de faire évader son frère cadet à travers les montagnes. 
Les satellites ne tardèrent pas à se présenter, et le conduisirent 
devant le juge criminel, à Tsien-tsiou. C'était pour la troisième 
fois qu'il tombait entre les mains des persécuteurs. Après les 
interrogatoires ordinaires, il eut à supporter de nouveaux et 
plus terribles supplices, par suite de la dénonciation de quel- 
ques chrétiens qui déclarèrent avoir été instruits par lui, et 
avoir reçu des livres copiés de sa main. Il ne paraît pas qu'il ait 
apostasie, mais il avoua depuis qu'il avait eu la faiblesse, au 
milieu des supplices, de promettre de donner quelques livres, et 
de dénoncer un chrétien. Malgré cette tache dont on ne peut le 
laver, il se montra inébranlable dans tout le cours du procès, soit 
en présence du juge criminel, soit par-devant le gouverneur, et 
mérita d'entendre de la bouche de ce dernier ces paroles : « Cet 
— 324 — 
être-lk continuant de parler et d'agir ainsi, il est impossible de 
le laisser vivre. » Reconduit à la prison, il y resta avec les autres 
confesseurs, dans l'attente du dénouement. 
Nous devons noter ici que ces quatre derniers confesseurs, ainsi 
que les précédents, et ainsi que Pierre Sin dont nous parlerons bien- 
tôt, ont été vaguement accusés d'avoir, dans le commencement de 
leur procès, laissé échapper quelques paroles d'apostasie. Nous 
venons de dire ce qu'il en est pour Pierre Ni Seng-hoa. Pour les 
autres, l'accusation, très-improbable en elle-même, est positive- 
ment niée par divers témoins oculaires. D'ailleurs ils se sont tou- 
jours montrés résolus à mourir, jusqu'à signer à trois reprises 
leur sentence, et, pendant treize ans de captivité, ils ont constam- 
ment refusé de racheter leur vie par l'apostasie. 
CHAPITRE IV. 
Persécution de 1827 : interrogatoires de Pierre Sin et de Paul Ni. 
Lettres de Paul. 
Cependant de nouvelles dénonciations avaient été faites, vers le 
milieu de la quatrième lune, par-devant le juge de Tsien-tsiou, 
et plusieurs des personnes dénoncées demeuraient dans d'autres 
provinces. Or, d'après la loi, les trii)unaux criminels ne peuvent 
arrêter un individu, sans l'autorisation du mandarin civil au dis- 
trict duquel il appartient; quelquefois même il faut la permis- 
sion du gouverneur de la proviuce. Néanmoins, ils se dispensent 
souvent de cette formalité quand il s'agit des gens du peuple, et 
que l'accusé se trouve pour le moment dans le cercle de leur 
juridiction directe. Par suite de ces dénonciations, des satellites 
furent envoyés de Tsien-tsiou, tant à la province de Kieng-siang 
qu'à la capitale, pour saisir divers chrétiens, entre autres Pierre 
Sin et Paul Ni, dont nous allons raconter l'histoire. 
Pierre Sin T'ai-po, déjà bien connu de nos lecteurs, après 
avoir pris beaucoup de peine pour les collectes relatives au voyage 
de Péking, ne se mêlait plus des affaires de la chrétienté, et vivait 
dans la retraite, uniquement occupé du salut de son âme (1). 
Son nom toutefois était très-connu, et le grand nombre de livres 
qu'il avait transcrits devaient naturellement le compromettre 
plus que tout autre, en temps de persécution. Après avoir habité 
successivement en diverses provinces, il s'était enlin établi à Tsat- 
kol, au district de Siang-tsiou, province de Kieng-siang, où il 
vivait à l'écart, n'ayant que très-peu de relations avec les chré- 
tiens du dehors. Néanmoins, lorsqu'il connut les progrès de la 
persécution de 1827, il comprit qu'il ne pouvait manquer d'être 
dénoncé, et fit ses préparatifs pour mettre en sûreté sa famille et 
sa personne. Le 22 de la quatrième lune, tout était prêt, et on 
(I) Les chrétiens de l'époque ont souvent raconté que Pierre Sin étant 
encore catéchumène, fut tourmenté par plusieurs démons qui lui auraient 
apparu, et même l'auraient enlevé de l'appartement où il étudiait la religion. 
Ils cherchaient à le dissuader de recevoir le baptême. Pierre leur résista, 
et leur déclara que rien au monde ne pourrait l'empêcher de suivre la reli- 
gion; les démons furieux le rejetèrent à sa place avec une telle violence, 
qu'il en conserva toute sa vie une douleur dans les membres. 
— 326 — 
devait partir avant le jour, lorsque cette nuit-là même, au chant 
du coq, les satellites de Tsien-tsiou firent irruption dans le vil- 
lage, entourèrent la maison de Pierre Sin, et le déclarèrent pri- 
sonnier. Pierre, voyant les lettres de police venues de la pré- 
fecture de Tsien-tsiou, province différente de la sienne, refusa 
d'abord de les suivre, mais il dut aller avec eux chez le man- 
daiin du district qui, après avoir visé les pièces, le remit aux 
satellites. Ceux-ci eurent à retourner chez Pierre, avec des pré- 
toriens de la ville de Siang-tsiou, pour procéder à rarrestation 
selon les formes légales. 
Dans la route ils rencontrèrent une bande de leurs compagnons, 
envoyés pour arrêter les chrétiens d'un autre village. Dès qu'ils 
se virent de loin, ils se mirent à sauter et à frapper des mains, 
puis se félicitèrent de l'heureux succès de leur expédition, et 
manifestèrent leur joie par de copieuses libations. La nuit étant 
venue, force fut de s'arrêter en route dans un village. Là, ils se 
firent donner par menaces et de vive force du vin, du riz, des 
poules, etc., et passèrent la nuit en fête, aux frais des pauvres 
habitants. Arrivés à la maison de Pierre, les satellites de Tsien- 
tsiou voulaient la livrer au pillage, mais ceux de l'endroit les en 
empêchèrent, et prirent note de tous les objets qui s'y trouvaient, 
pour le cas où l'on réclamerait quelque chose. Après quoi on se 
mit en route, et, le quatrième jour, on fit halte sur le territoire de 
Tsien-tsiou, non loin de la ville. Pendant qu'on se préparait à 
passer la nuit, arriva dans le même lieu une troupe de chrétiens 
montés sur des bœufs ou des chevaux et escortés par des satel- 
lites. C'étaient de pauvres prisonniers qui, mis à la question, 
avaient reconnu posséder des livres de religion. Comme ils ne 
pouvaient marcher, par suite des tortures, on les envoyait de la 
sorte chercher leurs livres, pour les apporter au tribunal. Pierre 
passa la nuit avec eux, et pendant que tous les gens du prétoire 
étaient à boire, jouer, crier, chanter et se disputer dans la cour, 
il s'informa de l'état des choses, et apprit que parmi les livres 
dénoncés, beaucoup étaient écrits de sa propre main. Il devenait 
donc inutile pour lui de chercher à dissimuler plus longtemps le 
fait. Le lendemain on se sépara, et bientôt après, arrivé à la ville, 
Pierre fut conduit au juge criminel. 
C'est lui-même qui nous fait connaître tous ces détails, dans 
les mémoires qu'il écrivit plus tard dans sa prison, sur la demande 
d'un missionnaire, M. Chastan. Laissons-le maintenant raconter 
son procès. 
« Le juge me demanda d'abord : «Es-tu noble ? — Je répon- 
— 327 - 
dis : Une fois ici, la différence entre noble et roturier ne sert 
plus guère de rien. — on dit que dans trois provinces tu répands 
une doctrine perverse, et en infatués le peujde : est-ce vrai ? — 
Je ne suis pas de doctrine perverse, mais si^ilenfient la religion 
du Maître du ciel. — Il ne veut pas dire une doctrine perverse ! 
Il dit la religion du Maître du ciel ! Eh bien ! en suivant la doc- 
trine perverse du Maître du ciel, savais-tu qu'elle est sévère- 
ment proliibée ? — Comment Tignorerais-je ? Ce que j'ai fait, je 
l'ai fait sciemment. — Ayant contrevenu sciemment aux ordres 
du roi, n'es-tu pas digne de mort? — Je savais bien que l'on 
me ferait mourir. — Maintenant que le roi commande de vous 
mettre tous à mort, ne te raviseras-tu pas? — Celui qui, après 
avoir servi son Roi dans la prospérité, lui désobéirait dans l'ad- 
versité, serait un lâche; celui qui professe la vérité seulement 
quand tout lui sourit, et qui l'abandonne dans les jours difficiles 
est plus lâche encore. Que le mandarin agisse selon la loi, moi 
j'agirai selon mes convictions. — Ce coquin-là a la parole mau- 
vaise, reprit le juge. C'est sans doute un des chefs de la secte. Eh 
bien, puisque tu désires être traité selon la loi, tu seras satis- 
fait. » Puis il ordonna de me mettre à la question la plus sévère. 
on me lia donc les bras croisés derrière le dos, puis on fit passer 
entre eux et le dos un bâton qu'un valet devait faire manœuvrer. 
De plus, avec une corde en crin, on me lia ensemble les deux 
jambes aux genoux et au-dessus des chevilles, et on inséra entre 
les jambes deux gros bâtons sur chacun desquels un homme 
devait peser de chaque côté. Lors donc qu'attirant d'une part le 
bâton fixé contre le dos, de l'autre on appuya avec effort sur 
ceux croisés entre les jambes, il ncie sembla que mon corps était 
suspendu en l'air, que ma poitrine allait éclater et tous mes os 
être brisés. Je perdis connaissance, et le mandarin voyant que je 
ne pouvais répondre aux questions que l'on m'adressait, ordonna 
de lâcher un peu les courroies. Peu à peu je repris l'usage de mes 
sens ; les rayons du soleil me paraissaient des torches brûlantes, 
mes bras et mes jambes me semblaient ne plus exister, mon corps 
était tout en feu. 
« Deux valets me perçaient les côtés avec des bâtons aigus pour 
me faire parler. A grand'peine je pus répondre que j'avais été 
inst^'uit par un vieux chrétien martyrisé depuis longtemps, et 
que je n'avais aucun disciple. « Vilain fourbe, s'écria le juge, 
attends-tu donc de nouveaux supplices pour déclarer la vérité? — 
Si c'est oui, je dis oui; si c'est non, je dis non. Je suis déjà à 
moitié mort, et si on continue tant soit peu, je vais mourir tout à 
— 328 — 
fait. Au moment de mourir, comment pourrais-jetromper? — Non, 
non, tu n'en mourras pas, mais tu auras beaucoup plus à souf- 
frir ; vois un peu. » on me leva donc les jambes, et on appuya 
fortement sur les deux bâtons. Mon corps n'avait plus de vie , 
toute salive était épuisée, la langue s'allongeait hors de la 
bouche, les yeux sortaient de leurs orbites et la sueur couvrait 
tout mon corps. « Déclare tout, » hurlaient les satellites. Mais je ne 
répondis pas ; je priais Dieu de m'accorder promptement la mort. 
C'était le dernier jour de la quatrième lune. La nuit étant venue, 
le juge dit : « Il se fait tard. Comme c'est le premier jour, tu n'as 
eu qu'un échantillon, demain m auras de vrais supplices à sup- 
porter. Tcàche donc de réfléchir cette nuit, et d'aviser à conserver 
ta vie. » on me délia, et deux valets, me passant un bâton entre 
les jambes, m'emportèrent dans la prison, où bientôt on me servit 
à souper. Mais je ne pouvais ni m'asseoir, ni faire usage de mes 
bras : bien plus, l'odeur du riz me donnait des nausées, et comme 
je ne pouvais rien prendre, on approcha de mes lèvres un bol de 
vin trouble que je bus par petites gorgées ; alors seulement la 
raison sembla me revenir. 
« La nuit était déjà avancée, quand le chef des satellites qui 
m'avait amené à Tsien-tsiou, vint me dire ; « Vous êtes digne de 
pitié. Le mandarin est convaincu que Ni le-tsin-i est chez vous, 
ou bien, s'il n'y est plus, que vous savez oii il est. Demain vous 
aurez pour cette affaire de terribles supplices à endurer. Il vau- 
drait mieux, ce me semble, l'avouer franchement et vous sauver 
la vie. » Je répondis : " J'ignore quel est cet homme. En le 
voyant, je pourrais peut-être dire s'il m'est connu ou non; il 
n'est ni mon père ni mon frère, quelle raison aurais-je de le cacher 
au prix de ma vie? Mais toi qui as vu ma maison, tu peux savoir 
ce qu'il en est. Y était-il cache? Et d'ailleurs, comment pour- 
rais-je savoir où il s'est enfui maintenant*/ Il me semble que dans 
cette affaire, tout dépend de les paroles. )^ Il répondit : « A cause 
de ce Ni, le mandarin et les prétoriens m'accusent d'incapacité, 
pour ne l'avoir pas encore pris. Je n'ai plus rien à dire : mais à 
coup sûr, vous en savez quelque chose. Agissez en conséquence. 
on me reproche aussi de n'avoir saisi chez vous aucun livre. J'ai 
dit qu'après avoir tout examiné, je n'en avais pas trouvé. on 
vous interrogera aussi là-dessus : répondez net que vous n'en 
aviez pas. » Après quoi il suspendit la cangue dont j'étais chargé, 
afin qu'elle me fit moins souffrir: il appela le gardien pour lui 
recommander de me rendre les services de propreté que deman- 
dait ma position, ajoutant qu'il lui en tiendrait compte, puis 
— 329 — 
enfin me fit prendre du vin. Cette conduite me consola beaucoup, 
et je fus vivement touclié de ces marques de compassion. 
« Bientôt la porte de la préfecture s'ouvrit et des valets arri- 
vèrent pour m'y transporter. Le jugedil d'une voix forte : « Pense 
h ce que je t'ai dit hier et fais franchement les aveux demandés. 
— Hier, répondis-je, j'avais perdu connaissance, je ne me rap- 
pelle pas vos ordres. Pour ce qui est de faire des aveux, si j'en 
avais à faire, je n'aurais pas attendu jusqu'à présent. — Ni 
le-tsin-i était certainement chez toi, et tu connais ses affaires ; 
si tu ne l'avoues pas, malheur h toi ! — J'ignore quel est ce 
Ni, mais supposé môme que je l'eusse caché alors, comment 
pourrais-je savoir où il est allé maintenant? Je ne puis rien vous 
en dire. Il n'est ni mon père, ni mon frère; serait-il juste que 
je me fasse tuer pour lui ? Si vous voulez me mettre à mort, que 
ce soit pour mes propres fautes. — Il paraît que tu as trouvé le 
supplice d'hier léger, et tu veux en goûter de plus violents. Eh 
bien ! soit ! » En même temps il excita les bourreaux en disant : 
« Ce coupable , quoique vieux , est le plus obstiné de tous. Ne 
l'épargnez pas. » Et il me fit infliger de nouveau l'écartement 
des os des jambes. on serra les courroies et déjà j'étais presque 
évanoui, quand à force de presser, un bâton se brisa. Au bruit, 
je crus ma jambe cassée et je regardai tout effrayé. J'entendais 
des paroles et ne pouvais répondre. on m'apporta du vin et on 
l'approcha de mes lèvres ; mais je ne pus l'avaler. Apres quelques 
moments de repos, on me le présenta de nouveau et, peu à peu, 
je pus boire cette potion. Le juge dit à voix modérée : « Tu veux 
absolument mourir pour l'affaire d'autrui. Je ne comprends pas 
les principes. » Puis il fit préparer son escorte, monta à cheval 
et se rendit près du mandarin supérieur. 
« Comme il ne m'avait pas fait délier, je restai assis et exposé 
à l'ardeur du soleil. Toutefois, je ne sentais pas la chaleur, l'air 
me semblait froid. Après un assez long espace de temps, le juge 
revint et me dit d'un Ion irrité: « Puisque tu ne veux pas faire 
d'aveux, il faut que tu meures ou que je perde ma place. Il n'y a 
pas de milieu. Ainsi donc, recommencez les tortures. » on obéit ; 
les souffrances n'étaient ni plus ni moins fortes; seulement on 
variait les tourments, mais pour moi, c'était tout un. Le soir venu, 
je fus délié et remporté à la prison. Je ne pus manger le riz : on 
me donna une tasse de vin, et la nuit se passa ainsi. Le matin, 
j'entendis de nouveau les cris pour l'ouverture des portes de la 
préfecture. Ces cris me faisaient mal, et je croyais toujours en- 
tendre l'appel des accusés. Par le fait, les valets ne tardèrent pas 
— 330 — 
à venir me chercher. Ils poussaient des clameurs injurieuses et, 
sans aucune précaution ni ménagement, me mirent à cheval sur 
un bâton, m'enlevèrent et vinrent me déposer vis-à-vis du juge 
qui me dit : « Tu peux ;voir qu'il y a ici beaucoup de livres 
écrits par toi. Tu passes pour être le chef de trois provinces, et 
avoir fourni nombre de livres aux autres chrétiens. Avoue tout 
franchement, et ne t'obstine pas à mourir dans les tortures. » 
Je n'avais pas la force de parler. on me fit prendre un peu de vin, 
et à grand'peine je pus articuler quelques mots. Dans cet inter- 
rogatoire, d'après ce que m'avaient dit les chrétiens que j'avais 
rencontrés en route, j'avouai avoir copié quelques volumes pour 
eux, ajoutant que chez moi il n'y en avait pas, comme pouvaient 
le certitier les satellites qui avaient fouillé ma maison. « Quand 
je copiai ces livres, ajoutai-je, ce fut chez ces chrétiens et sur de 
vieux exemplaires qu'ils avaient. — Tu ne dis pas vrai , et tu ne 
dis pas tout ; nous verrons la fin. » Bientôt après je fusremporté, 
sans avoir eu à subir d'autre supplice. 
« Cette nuit-là on me déposa chez les prétoriens. Ils se réuni- 
rent en assez grand nombre autour de moi et me dirent : « Vous 
prétendez être noble et toutefois vous ne parlez pas franchement 
devant le mandarin. Ni le-tsin-i (1) n'ayant pas été saisi, cette 
affaire ne peut se terminer. Il est certain qu'il était dans votre vil- 
lage, et s'il en est sorti, c'est vous qui avez dirigé sa fuite. Dire 
que vous ne le connaissez pas et tromper aussi sur les livres, c'est 
vous exposer à des tortures plus cruelles encore. Gomment y tien- 
drez-vous? Demain on doit encore recommencer la question. 
Avouez-nous tout ici, et nous en avertirons le juge. » Je répon- 
dis : « Désirer la vie et craindre la mort est un sentiment commun 
à tous; et qui donc voudrait de gaîté de cœur s'attirer des souf- 
frances? Mais vous, vous ne procédez que par supplices, sans 
faire attention au fond des choses. Est-ce là de la justice? — 
Pourquoi vouloir prendre nos paroles en mauvaise part? nous 
n'agissons que pour vous épargner des souffrances. Dénoncez seu- 
lement ce Ni, et on ne parlera plus d'autre chose. Nous nous en 
chargeons. Pourquoi vous entêter ainsi? — J'ai dit tout ce que 
j'avais à dire, et n'ai rien de plus à avouer. Si je meurs, tout sera 
fini par là. Si on me laisse la vie, c'est un ordre de Dieu; mais je 
n'ai guère le désir de vivre. Reconduisez-moi vite là où j'étais. » 
Tout ceci avait été suggéré par le mandarin lui-même. 
(1) Il paraît que Ni le-lsin-i avait non-seulement été dénoncé comme 
chrétien, mais que ses voyages à Péking avaient aussi été révélés. Autrement, 
racliarnemenl avec lequel ou le ijoursuivait serait tout à fait inexplicable. 
— 331 — 
« on me ramena h la préfecture lorsiiue déjh les portes s'ou- 
vraient, et je fus bientôt traduit devant le juge ({ui dit à haute 
voix et en colère : « Je voudrais en finir avec cette affaire, 
mais lu fais des déclarations si confuses que je ne puis voir les 
choses. » Puis, en quelques mots, il conclut que le fait d'avoir 
écrit tous ces livres était à ma charge. Quel remède pouvais-je 
apporter à cela? Ce n'est pas tout. De nombreuses images et 
objets religieux, dont plusieurs venaient de pays étrangers, 
avaient aussi été pris chez des chrétiens, qui, pour se tirer d'em- 
barras, avaient jeté la faute sur moi. Le juge dit : «Tu n'as plus 
aucun moyen de te justifier. Explique donc d'où viennent ces 
images et autres objets. — J'ai déclaré la vérité pour les livres. 
Pour le reste, veuillez bien interroger ceux à qui ces objets appar- 
tiennent. ~ Tous n'accusent que toi. » Ne sachant quel parti 
prendre, je restai muet. Le juge demanda de nouveau aux chré- 
tiens prisonniers, si tous ces objets venaient de moi, et ils répon- 
dirent affirmativement. Je dis alors: « on m'a raconté autrefois 
qu'après l'année sin-iou(1801) quelqu'un ayant acheté la maison 
d'une personne exécutée à cette époque, trouva, en la démolis- 
sant, de ces objets dans les murailles. [Is auront été partagés 
et répandus de côté et d'autre. C'est sans doute de là qu'ils sont 
venus. » Le juge courroucé s'écria : « En allant de ce pas, nous 
n'arriverons à rien. Il faut d'abord torturer ces chrétiens. » 
« on se mit à leur scier les membres avec des cordes, et tous 
alors de rejeter la faute sur moi, avec plus d'insistance que 
jamais. Comme je me disposais à parler, le juge me soumit à la 
même torture, en criant: « Serrez, serrez, il faut en finir. » Les 
bourreaux ainsi excités n'eurent garde de m'épargner, et cepen- 
dant, par une grâce particulière de Dieu, je souffris moins 
qu'auparavant. « Ne feras-tu pas enfin des aveux complets? me 
cria le juge. — J'ai tout dit. — Qui a d'abord reçu ces différents 
objets, et par quelles mains ont-ils ensuite passé? — Les per- 
sonnes qui vivaient en 1801 sont presque toutes mortes, et s'il en 
reste quelques-unes, elles ne sont pas chrétiennes. — Qui les a 
d'abord reçus? A qui les a-t-il remis? — Je l'ignore. Ces objets, 
comme tous les autres, auront changé de maître soit par la mort, 
soit par dons ou achats. Qui pourrait jamais savoir par quelles 
mains tout a passé? — Dis ce que tu sais. » J'indiquai alors quatre 
ou cinq noms parmi les chrétiens déjà morts, et j'ajoutai: « Quant 
au reste, il m'est impossible de rien savoir. — Parmi un si grand 
nombre, tu n'en connais que quatre ou cinq; c'est une dérision.» 
on serra de nouveau mes liens, si fort que je crus mourir. Le 
— 332 — 
juge donna une liste de noms à un prétorien, et j'avais ordre, à 
mesure qu'il les prononçait, de déclarer si je connaissais ou non 
les individus désignés. Ne pouvant plus parler, je répondais par 
un signe de tête, et je fis une réponse négative pour tous, connus 
ou inconnus. Le juge ajouta :((Ne connais-tu pas non plusIa-So? » 
Je fis encore ce même signe négatif. Le soir était venu, on me 
délia, mais les cordes étant enfoncées dans les chairs, on ne 
pouvait les ôter, et je perdis connaissance pendant l'opération. 
on me remporta en prison, et, comme je ne pouvais rien manger, 
on me coucha, la tête appuyée sur ma cangue. 
« Les cris affreux du tribunal me restaient toujours dans 
roreille, la souffrance m'empêchait de dormir, et revenu à moi, 
je pensai par hasard à ces paroles du juge: « Ne connais-tu pas 
non plus la-So? » Alors seulement je réfléchis que les caractères 
chinois du saint nom de Jésus se prononçaient la-Soen coréen (1). 
Je me pris à trembler, à m'affliger, à déplorer ce qui était 
arrivé. J'en avais le cœur serré et pouvais à peine respirer. on 
vint encore me presser de prendre quelque nourriture, mais abattu, 
désespéré parla pensée que mon étourderic rendait désormais pour 
moi la mort infructueuse, je repoussai violemment ceux qui me 
présentaient le riz, et me décidai seulement, sur des sollicitations 
réitérées, à avaler quelques gorgées de vin. Puis j'essayai de me 
consoler. Je me disais :« Quoique le juge ait voulu désigner Jésus, 
je n'ai entendu que la-So. Dieu mêle pardonnera-t-il? » Et je 
résolus de me rétracter clairement le lendemain ; mais ayant été 
conduit dès lors devant le mandarin civil, je ne pus faire cette 
rétractation, et le regret m'en reste imprégné jusque dans la 
moelle des os. 
« Le lendemain, 5 de la cinquième lune, je fus traduit devant 
le mandarin civil. A la séance se trouvaient les mandarins de 
Mou-tsiou, de Ko-san et d'Ik-san. Ce dernier, accompagné d'un 
prétorien, vint se placer près de la balustrade et me dit : « Si vous 
voulez seulement régler votre conduite d'après les principes 
d'une saine morale, les livres de Confucius, de Meng-tse et des 
autres saints sont bien suffisants. Maintenant, contre la défense 
du roi, vous suivez une doctrine étrangère, et vous avez été saisi; 
n'est-ce pas un crime digne de mort? » Je vis de suite que je n'é- 
(1) Les caractères chinois se prononcent Ic-sou en Chine, et les chrétiens 
de Corée ont, par tradition, conservé celte prononciation; mais les païens, 
ne voyant que les caractères, lisent la-so, selon les règles de !a prononcia- 
tion coréenne. on i;onçoit qu'un pauvre patient n'ait pas fait cette réflexion, 
dans de telles circonstances. 
— 333 — 
ais plus au tribunal criminel. Le mandarin de mon district 
paraissait irrité, mais tous les autres avaient un air affable. Ils 
me regardaient avec compassion, et semblaient regretter les 
affreux supplices auxquels j'avais été soumis. Leurs valets eux- 
mêmes ne poussaient pas de vociférations, et parlaient à voix 
modérée. Ce ne semblait plus un tribunal, mais une maison par- 
ticulière. Je répondis avec d'autant plus de respect: « on défend 
notre religion, pour cela seul qu'elle vient d'un autre royaume. 
Mais partout je vois chez vous des objets venus de contrées 
étrangères: livres, habillements, meubles, etc.. — Ce sont des 
objets dont on se sert dans tous les pays, il n'y a donc nulle 
raison pour les prohiber. Mais, en fait de doctrine, Confucius et 
Meng-tse ne sont-ils pas suffisants? — Pour les maladies du corps, 
quand avec les médecines de notre pays on n'obtient pas d'effet, 
on a recours aux médecines de Chine, qui souvent opèrent la 
guérison. Chaque homme a les sept vices qui sont autant de ma- 
ladies de l'âme. Or, sans notre religion, on ne peut les guérir. 
Ce n'est pas que j'ignore la doctrine de Confucius et de Meng-tse, 
mais, vous le savez comme moi, dans les temples de ces sages ou 
d'autres semblables, on se bat pour une écuelle de riz ou un 
morceau de viande, en proférant même des injures grossières; 
non-seulement on s'inquiète fort peu de la doctrine et des actions 
de ces sages, mais souvent on les insulte, et leurs temples, au 
lieu d'être des écoles de vertu, deviennent des écoles de désordre. 
Il n'y a que peu de personnes qui sachent se contenir, au moins 
à l'extérieur, et garder un peu les convenances, et encore dans 
le fond du cœur, elles n'en restent pas moins mauvaises. Notre 
doctrine, au contraire, règle tout d'abord l'intérieur, redresse 
les sept passions, dirige par le moyen du Décalogue l'extérieur 
aussi bien que l'intérieur. Elle est, de fait, le perfectionnement 
des doctrines de Confucius et autres. — Si tu dis vrai, elle ne serait 
pas perverse, mais puisque le roi la prohibe, diras-tu que le roi a 
tort (1)? — De même qu'il n'y a qu'un soleil au ciel, vous voulez 
qu'il n'y ait qu'une seule doctrine dans le royaume ; c'est bien. 
Maintenant qu'à côté de la doctrine des lettrés se présente celle du 
Maître du ciel, le roi n'a peut-être pas tort de la prohiber momen- 
tanément jusqu'à ce qu'on ait fait la distinction du vrai et du 
faux; mais, d'autre part, celui qui suit notre religion laquelle par 
(1) Nous avons déjà fait romarquer que, dans ce pays, par respect pour le 
roi, on ne peut jamais dire qu'il atort. C'est pourcclaque les chrétiens, devant 
les tribunaux, éludent toujours celle question ou d'autres analogues. 
— 334 — 
le fail est la seule vraie, ne peut pas non plus avoir tort. — Que 
dis-tu là? Une chose fausse est fausse, une chose vraie est vraie. 
Or, d'après tes paroles, le vrai et le faux se rencontreraient en 
même temps pour le même objet. — En tout la raison est le 
grand maître. Or, quand par la raison on commence à vouloir 
faire la distinction du vrai et du faux, il y a un moment où rien 
n'est encore décidé. Dans les discussions, les uns découvrent la 
vraie raison avant les autres, et en fait de doctrine, un sujet peut 
bien apercevoir la vérité avant que le gouvernement n'ait réussi à 
la connaître. C'est précisément ce qui a lieu aujourd'hui dans ce 
royaume. — D'après cela, tous ceux qui parmi vous ont été exé- 
cutés selon la loi, avaient donc raison? — La doctrine étant 
vraie, ils ont eu raison ; si elle était fausse, ils auraient eu tort. » 
« Le mandarin du district se leva alors furieux en disant: « De 
telles paroles sont inutiles;» et il se fit apporter le livre des 
actes civils. Après quoi il proféra, au sujet de la sentence, 
quelques paroles que je n'entendis pas. Le mandarin de Mou- 
tsiou en prit lecture, et dit tout surpris: « Vous décideriez-vous 
donc pour l'exécution ? — Oui, répondit-il. — Mais reprit l'autre 
d'un air affligé, dans cette affaire, il n'y a pas de raison pour 
en venir toujours à l'exécution capitale. » Après quoi le man- 
darin d'Ik-san m'adressa la parole : « Répète tout ce que tu 
as dit devant le juge criminel, et explique aussi en détail ce que 
tu avais commencé sur les sept passions. » Je répétai donc ce 
que j'avais dit au tribunal criminel, et je développai comment 
chacune des sept passions se guérit par une des sept vertus oppo- 
sées. Un prétorien prenait note de tout. « A voir les supplices 
que tu as endurés, me dit ensuite le mandarin, à voir l'état où 
tu es réduit, je crois vraiment qu'on t'a fait trop souffrir. Il te 
serait difficile maintenant de prendre toi-même lecture du résumé 
de ta cause, un prétorien va te le faire entendre. » Puis il donna 
le papier au prétorien qui le lut. C'était à peu près le fond des 
choses, mais sans détails aucuns. on avait adouci les expres- 
sions, et on semblait pencher à me laisser la vie. Je dis : « Il paraît 
que vous êtes touchés de compassion, votre jugement sera un 
triomphe sur la loi elle-même. » Le mandarin du district s'écria 
alors d'un ton de colère: « Nous aurions bien fait de le condam- 
ner à mort. Ils sont tous entêtés à ce point. — D'après ses paroles 
vous n'auriez pas tort, » lui dit le mandarin d'Ik-san ; puis, se 
tournant vers moi : « Tu as violé les prohibitions du roi, et moi je 
suis délégué pour te juger. Peut-être serais-tu excusé ailleurs, 
mais autres pays, autres lois; ici, en Corée, à ta faute il n'y a 
— 335 — 
pas de remî^dc. » on appela ensuite le gardien pour me remettre 
entre ses mains, et je fus conduit dans une maison particulière. 
Après quelques jours, je pus me lever, sans toutefois être capa- 
ble de marcher. 3Ion estomac refusait tout aliment, et je ne pre- 
nais guère qu'un peu de vin, 
« Quelques jours plus tard, on me porta devant le gouverneur. 
Tous les chrétiens prisonniers étaient réunis. J'attendais devant 
la porte, assis et appuyé sur ma cangue. Les valets et les préto- 
riens se moquaient de moi ; les uns frappaient la cangue avec les 
pieds; les plus méchants montaient dessus pour la faire peser 
davantage; tous n'avaient pour moi que des injures. Je comparus 
le premier. Le gouverneurme dit : « Es-tu noble? — Je répondis: 
Qu'importe! quelle est ici la différence de noble à roturier? — 
Si vous autres chrétiens voulez suivre cette religion, pourquoi ne 
le faites-vous qu'en cachette?» Puis il m'ordonna de déclarer 
nommément le propriétaire de chaque livre, image et autre objet 
religieux. « Dans l'interrogatoire, repris-je, tous les prisonniers 
ayant jeté la faute sur moi, on m'a pressé de faire des aveux, et 
si je disais ne pas savoir, on redoublait les tortures, exigeant 
absolument que je prisse la responsabilité de tout. N'y pouvant 
plus tenir, j'ai accepté cette responsabilité. Maintenant, vous 
voulez que je dise à qui appartient chaque objet. Comment 
pourrais-je le savoir? — As-tu des tablettes? — Je n'en ai pas. 
— Et pourquoi n'en as-tu pas? — Resté seul d'une famille 
ruinée, sans maison et toujours errant de côté et d'autre, n'ayant 
pas même où les placer, je n'en ai pas. — Ne fais-tu pas les 
sacrifices aux ancêtres? — Aux jours anniversaires, je prépare seu- 
lement de la nourriture selon mes moyens, et je la partage avec 
les voisins, — Manges-tu alors sans faire même les génuflexions? 
— Je ne fais pas les génuflexions, » Puis, sans autres questions, 
on me remit au geôlier, 
« Le lendemain on me porta devant le mandarin du district ; 
tous les prisonniers chrétiens y étaient. Nous comparaissions cinq 
par cinq, et on nous donnait la bastonnade sur les jambes. Mais 
quoique l'on frappât vigoureusement, ce n'était rien auprès du 
supplice de la courbure des os. Ensuite, on déliait les accusés, on 
leur passait la cangue, et on leur mettait les fers aux pieds et aux 
mains. A moi seulement on ne mit pas les fers aux pieds, parce 
qu'ils étaient trop enflés. Quand on nous reconduisit à la prison, 
le mandarin, voyant mon état, dit au prétorien de me faire ôtev 
la grande cangue et de la remplacer par une plus légère, et pour 
la première fois elle me fut enlevée. Mes jambes étaient telle- 
— 336 - 
ment déchirées qu'on voyait les os, et je ne pouvais ni m'as- 
seoir ni manger le riz. Chaque jour, je ne prenais que deux 
ou trois bols de vin. La gangrène s'était mise dans mes plaies, 
et il s'en exhalait une odeur insupportable. De plus, la cham- 
bre était pleine de vers et de vermine, de sorte que personne 
n'osait m'approcher. Heureusement, quelques chrétiens en bonne 
santé me soutenaient pour que je pusse un peu remuer, et vou- 
laient bien nettoyer mon cachot de temps en temps. Comment les 
remercier assez de cet acte de charité? » 
Telle était la situation de Pierre Sin dans la prison où il devait 
attendre si longtemps h couronne du martyre. Nous avons rap- 
porté tout au long les intéressantes particularités de son procès, 
car rien ne peut donner une plus juste idée des procédés barbares 
dont on use envers les chrétiens, et des préjugés nourris contre 
eux par les idolâtres. Pour la même raison, malgré quelques 
redites inévitables, nous allons reproduire l'interrogatoire de 
Paul Ni. Ces détails nous montrent comment Dieu, qui sait tirer 
le bien du mal, protitait de la persécution elle-même pour faire 
prêcher l'Évangile devant les tribunaux, pour faire connaître la 
doctrine chrétienne aux principaux magistrats du royaume, et 
par eux à une foule d'autres personnes. Cette prédication au 
milieu des supplices a été la cause première de la conversion d'un 
grand nombre; elle justifiera la condamnation sévère de ceux 
qui, ayant des oreilles, n'ont pas voulu entendre, et, par des 
motifs humains, ont obstinément fermé les yeux à la lumière. 
Paul Ni Tsiong-hoi, appelé légalement Kieng-pien-i, était le 
dernier des frères de Charles Ni et de Luthgarde Ni, martyrisés 
en ISOI. Comme eux, il reçut dès l'enfance une éducation vrai- 
ment chrétienne D'une constitution frêle et délicate, d'un carac- 
tère à la fois doux et ferme, il brillait par les plus belles qualités 
du cœur et de l'esprit. Sa famille, issue du roi fondateur de la 
dynastie actuelle, avait occupé, jusqu'à la persécution, les plus 
grandes dignités du royaume. Mais son frère et sa sœur ayant 
été décapités en 1801, pour cause de religion, tous les siens 
furent proscrits, et sa maison entièrement ruinée. Paul n'avait 
alors que neuf ou dix ans. Resté avec sa mère veuve et sa belle- 
sœur veuve aussi, il vécut à la capitale dans une grande pau- 
vreté. Lorsqu'il fut en âge, on le maria à une personne de la 
classe moyenne, et par une permission de Dieu, sa femme 
se trouva être d'un caractère intraitable, en sorte qu'il eut avec 
elle, pendant tout le cours de sa vie, des peines sans nombre, 
qu'il supporta avec une patience exemplaire. En 1815, sa mère 
— 337 - 
et sa belle-sœur se retirèrent en province chez son frère aîné, 
à len-p'ong- ; et Paul resta seul à la capitale avec sa femme. 
Bien qu'il souffrît beaucoup d'une maladie intérieure dont les 
accès étaient fréquents et pénibles, il ne laissait échapper 
aucune plainte, conservait toujours un visage gai et affable, et 
s'appliquait continuellement à la lecture des livres de religion. 
Il aimait à se répandre parmi les chrétiens, dont il pouvait 
à juste litre être appelé le guide et le père; il exhortait les 
tièdes à la ferveur, travaillait par ses discours à instruire et 
exciter tous les autres, et n'omettait pas non plus de donner ses 
soins à la conversion des païens. Le jour ne suftîsant pas à ses 
œuvres de zèle, il y consacrait une partie des nuits, et malgré 
l'état de gêne où il vivait, il s'efforçait encore de soulager ceux 
qui étaient plus pauvres que lui. 
Toujours vigilant sur lui-même, il demandait aux autres s'il 
n'était pas pour eux une occasion de péché. « S'il en était ainsi, 
veuillez bien m'avertir, » disait-il souvent, et ces sentiments 
étaient si sincères chez lui, que nous trouvons dans une de ses 
lettres à un ami, datée de sa prison, ces paroles bien remar- 
quables : « Notre affection mutuelle était loin d'être une amitié 
ordinaire; sans vous, jamais personne ne m'aurait parlé de mes 
défauts. Maintenant que j'y réfléchis, vraiment je vois quel trésor 
c'était pour moi. » S'appliquait-il à la prière ou à la méditation, 
son attention était tellement fixée en Dieu qu'il ignorait s'il y 
avait ou non quelqu'un près de lui. Plein de défiance de lui- 
même, en parlant aux personnes du sexe, il ne les fixait jamais, 
aussi ne connaissait-il point leur visage. De si beaux exem- 
ples ne pouvaient manquer de faire impression sur tous ceux 
qui avaient le bonheur de le connaître, et il avait sur eux un 
tel ascendant, que bien peu de chrétiens tièdes restaient sourds 
à ses touchantes sollicitations. Pour soutenir son existence, 
il s'occupait à copier des livres de religion et des images, 
qu'il vendait ensuite aux chrétiens, et même, dans ses travaux 
manuels, il savait trouver un aliment à sa ferveur. Il fut un de 
ceux qui contribuèrent le plus à recueillir des ressources pour 
les messagers que l'on envoya plusieurs fois à Péking; et l'évêque 
de cette ville ayant ordonné de choisir quelques catéchistes des 
deux sexes, il travailla avec beaucoup d'ardeur à les former, les 
réunissant chez lui le premier dimanche de chaque mois, leur 
donnant des sujets de méditation, et les excitant à la vraie 
piété. 
Le fait suivant montre combien la vertu de Paul était solide. 
l'église de CORÉfi. 22 
— 338 *- 
Dans ce pays où les secondes noces sont en déshonneur, surtout 
parmi les personnes de haut rang, beaucoup de jeunes veuves ne 
pouvant supporter leur isolement, cherchent à se faire accepter 
comme concubines par des nobles. Or un jour, une vieille femme 
vint à Paul et lui présenta un rouleau qui ressemblait à une com- 
position littéraire. Il l'ouvrit : c'était une lettre d'une jeune veuve 
riche qui lui découvrait ses désirs et l'engageait à y répondre. La 
tentation devait être violente pour lui si pauvre, et que sa femme 
avait rendu si malheureux ; néanmoins, sans hésiter une seule 
minute, il chassa brusquement l'entremetteuse. Celle-ci, sans se 
décourager, se présenta une seconde fois, et il la chassa de nou- 
veau, avec une verte réprimande. Elle revint une troisième fois, 
et Paul dont les sentiments n'avaient pas changé, pensant qu'il 
pourrait peut-être prêcher et convertir la jeune veuve, fit semblant 
de donner son consentement, et suivit la vieille servante. Il arriva 
d'abord chez elle, et apprit bientôt qu'elle était la nourrice 
de la veuve. La nuit venue, elle le fit entrer dans une belle et 
grande maison où tout respirait l'aisance et le bien-être, le 
conduisit tout au fond, dans une des pièces de l'appariement des 
femmes, l'y fit asseoir, puis se retira. Bientôt une jeune personne 
vêtue de blanc, couleur de deuil que les veuves doivent toujours 
porter, se présenta tenant en main une lanterne, ouvrit la porte 
et s'assit non loin de lui. Le cœur de Paul était calme. Il lui parla 
uniquement des vérités de notre sainte Picligion, de Dieu, des 
Anges, de l'âme et du péché, des joies du ciel et des peines de 
l'enfer. Dans une seconde visite, il l'instruisit des mystères de 
rincarnation et delà Piédemption. Dans l'intervalle, la jeune veuv€ 
lui envoya plusieurs fois, par sa nourrice, des oi)jets de grand 
prix ; mais Paul refusa de les recevoir, et commanda à celle-ci 
de les déposer chez elle. Dieu, qui voyait la pureté de son cœur, 
le récompensa en lui accordant la conversion qu'il demandait. 
La jeune veuve s'appliquait à apprendre les principales prières, 
quand tout à coup elle tomba dangereusement malade. Elle fit 
aussitôt avertir Paul qui, saisissant un moment favorable, se ren- 
dit chez elle, compléta son instruction, et lui conféra le bap- 
tême. Trois jours après elle mourut. Paul dit alors à la vieille 
nourrice de reporter à la maison de la défunte les objets précieux 
déposés chez elle, mais comme elle le trouvait inconvenant, 
il les reçut lui-même, les vendit, puis, sous prétexte de restituer 
une somme empruntée autrefois, en fit remettre intégralement 
le prix aux héritiers de celte veuve, sauvant ainsi à la fois et sa 
pureté héroïque et son admirable désintéressement. 
— 339 — 
Paul entretenait toujours dans son cœur le désir du martyre et 
aimait h prendre pour sujet de méditation l'agonie de Notre-Sei- 
gneur au jardin des Olives. 11 engageait les autres à en faire 
autant, afin d'être toujours prêts à souffrir la mort pour Dieu. 
« Il faut que notre "sang soit versé, disait-il, pour que la religion 
se répande dans tout notre pays. » Quand la persécution s'éleva 
dans la province de Tsien-la en 1827, il fut dénoncé, dans 
un interrogatoire, au tribunal de Tsien-tsiou, pour les livres 
et images qu'il avait répandus de toutes parts. Les satellites 
de cette ville furent donc envoyés à la capitale pour se saisir de 
sa personne. Devant les juges, Paul suivit fidèlement les glo- 
rieuses traces de son frère et de sa sœur; comme eux, il 
confessa courageusement sa foi, et laissa aux chrétiens de la 
Corée, et du monde entier, des exemples dignes de toute notre 
admiration. Voici comment il raconte lui-jnême les péripéties 
de son procès, dans une lettre écrite de sa prison, et dont l'exac- 
titude est garantie par tans les témoins oculaires encore vivants. 
« Souvent je m'étais dit : « Par le martyre du moins, pourrai-je 
bien espérer de satisfaire pour tous mes péchés? » Au moment où 
je ne m'y attendais pas, le 21 de la quatrième lune, au commen 
cément de la nuit, Kim Seng-tsip-i et une dizaine de satellites, tant 
de la province que de la capitale, se présentèrent à moi, me sai- 
sirent et me déposèrent à une des préfectures de police. Ils me 
demandèrent s'il était vrai que j'eusse dessiné des tableaux reli- 
gieux; à cette question, je compris que tout était découvert. « Cela 
est vrai, » leur dis-je. Le jour suivant, le grand juge criminel 
m'appela et me dit : « Est-il vrai que tu suives la religion du Maître 
du ciel? — Oui. — Par qui as-tu été instruit? — Mon frère aîné 
étant mort pour cette religion, dès l'enfance j'en avais entendu 
un peu parler; mais, par la suite, je me suis lié avecTsio-siouk-i 
tué, lui aussi, pour la même doctrine ; je m'y suis exercé plu- 
sieurs années avec lui et m'en suis rempli le cœur. — Mainte- 
nant encore si tu veux te désister, je te ferai conserver la vie. — 
Je ne le puis. — Ce que tu as déclaré, hier, est-il vrai? — Oui, 
cela est vrai. » Et il me fît reconduire à la prison. Trois jours 
après, le grand juge, après avoir pris avis du premier ministre, 
me livra aux satellites, et à la chute du jour nous traversions le 
fleuve. Depuis mon arrestation, tracassé que j'étais par mille 
soucis, je n'avais pu rien manger et j'éta"s épuisé. La nuit se 
passa non loin de là, et le lendemain, de bonne heure, je partais 
accompagné de Seng-tsip-i et de six satellites. 
« La nature n'étant pas entièrement morte en moi, des larmes 
— 340 — 
coulèrent de mes yeux, quand je vis cette route que je commen- 
çais. Puis je pensai en moi-même : « Jésus-Christ a bien 
daigné faire route chargé de sa croix, pourquoi donc refuserais-je 
de faire ce voyage? Non, je veux suivre Jésus pas à pas. » Cette 
pensée me rendit des forces. Nous faisions, chaque jour, un che- 
min de 100 lys (dix lieues), et, le 28, au soir, j'entrai à la pré- 
fecture de police deTsien-tsiou , où, après quelques instants de 
repos, je fus introduit devant le juge. Il était entouré d'une 
vingtaine de serviteurs, dont les torches jetaient une vive lumière. 
Cette scène me rappelait Notre Seigneur Jésus lorsqu'il fut pris 
au jardin des Olives. on me demanda seulement mes noms, pré- 
noms, et ceux de quelques-uns de mes aïeux, et je fus reconduit 
aussitôt. Le riz me fut servi bien convenablement dans un appar- 
tement chaud, mais après en avoir pris trois ou quatre cuillerées, 
je ne pus continuer. Je m'étendis à terre pour dormir, on inséra 
mes pieds et mes mains entre deux barres de fer, et me passant 
au cou une grande cangue, on m'enferma. La nuit se passa 
sans sommeil; mes idées toutes confuses ne pouvaient s'arrêter 
à rien. 
« Dès le lendemain, quand le jour parut, je fus cité au tribunal 
et le juge me dit : « Combien as-tu dessiné de tableaux? Combien 
as-tu de livres et quels sont tes complices? » Je répondis 
sans détour. Je déclarai quelques tableaux livrés autrefois à 
Tsio-siouk-i, et deux donnés à Seng-tsip-i qui m'avait dénoncé. 
« En fait de complices, ajoutai-jc, je n'en ai point. Resté seul 
d'une famille ruinée , mes parents et amis m'ont tous dé- 
laissé. 11 n'y a pas jusqu'aux roturiers qui ne me méprisent 
et ne me crachent à la figure. Je n'ai donc plus d'amis, comment 
pourrais-je avoir ce que vous appelez des complices? Enfin quant 
aux livres : j'ai été instruit entièrement de vive voix, et mes 
livres sont seulement gravés dans mon cœur. Je n'en ai pas d'au- 
tres. — Tu me trompes. Parmi vous les roturiers ignorants ont 
eux-mêmes chacun trente ou quarante volumes, et toi, tu n'en 
aurais pas? Battez-le fortement. — Dussé-je mourir sous les 
coups, je n'ai ni complices, ni livres.» Ayant fait apporter ensuite 
une quantité d'images, de verres, de tableaux, à'Agnus Dei, et 
de médailles, il médit: « Ces peintures sont-elles de toi? » Je 
répondis affirmativement et on me remit en prison. Le juge se 
rendit de suite chez le gouverneur, et après quelque temps, on me 
fit passer dans une salle voisine du tribunal. Pendant que j'atten- 
dais, la pensée de ma sœur jugée et martyrisée en 1801 dans cette 
même ville de Tsien-tsiou, me revint a l'esprit. « Oui, me dis-je, 
— 341 — 
je la suivrai. Et vraiment n'est-ce pas elle qui m'attire à sa suite? » 
En mcMTie temps une joie mêlée de tristesse s'élevait dans mon cœur. 
« Je fus bientôt traduit devant le c^ouverncnr qui, accompagné 
du juî^e, me fit quelques questions auxquelles je répondis comme la 
veille. Mais tout l'appareil était dix fois plus terrible que chez le 
juge criminel. « Es-tu donc bien décidé à rester chrétien? demanda 
le gouverneur. — Je le suis. — Qu'est-ce que Dieu? — C'est le 
roi et le père suprême de tout l'univers. Lui seul a créé le ciel, la 
terre, les esprits, les hommes et tout ce ({ui existe. — Comment le 
sais-tu? — D'une part, examinant notre corps, et de l'autre, con- 
sidérant toutes les créatures, peut-on dire qu'il n'y a pas un créa-' 
leur de ces choses? — L'as-tu vu? — Ne peut-on donc croire 
qu'après avoir vu? Le mandarin a-t-il vu l'ouvrier qui a construit 
ce tribunal? Ce que nous appelons les cinq sens ne nous font per- 
cevoir que les sons, les couleurs, les odeurs, les saveurs et choses 
semblables ; mais pour les principes, la raison et toutes les choses 
immatérielles, c'est l'esprit qui les fait distinguer. » Après quel- 
ques instants, il ajouta : a Dis-moi tout ce que tu as appris. — Je 
sais les dix commandements qu'il faut suivre, les sept péchés qu'il 
faut éviter, et les prières que nous adressons à Dieu le matin et 
le soir. — Pour cela, je l'ai déjà entendu, mais à la fin ne te rétrac- 
teras-tu pas? — Je ne le puis. Un enfant qui ne sert pas son père, 
un sujet qui ne sert pas son roi, sont des impies et des rebelles. 
Comment étant homme pourrais-je ne pas servir Dieu? — Ne 
crains-tu pas la mort? — Pourquoi ne la craindrais-jepas? — S'il 
en est ainsi, comment n'abandonnes-tu pas cette religion? — La 
raison pour laquelle je ne puis l'abandonner, je vous l'ai donnée 
à l'instant: veuillez ne pas m'interroger de nouveau. J'en serai 
quitte pour mourir. » on me fit reconduire à la prison. 
« Le lendemain, le mandarin de Tsien-tsiou ainsi que ceux de 
Ko-san, de Kok-sieng, de Tong-pak, et de Tieng-euk s'étant 
assis, et ayant renvoyé tous leurs suivants, me firent appro- 
cher tout près de la barre, et le mandarin de Tsien-tsiou me dit 
d'une voix très-modérée : « Toi, enfant de noble, tu n'es pas 
comme ce peuple ignorant. Tu es bel homme d'ailleurs, com- 
ment donc peux-tu t'obstiner à suivre cette mauvaise religion? 
— Quand il s'agit de principes, il n'y a pas de supérieur ni 
d'inférieur, de noble ni de roturier, de visage plus ou moins 
avantageux: c'est seulement l'àme qui peut et doit faire la dis- 
tinction. — Dans cette religion du maître du ciel quel principe 
peut-il y avoir? » Après quoi, le mandarin de Tong-pak m'en- 
gageant à dire quels étaient les dogmes du christianisme, je rap- 
— 342 — 
portai en abrégé ce qui est exposé au long dans les trois parties de 
l'un de nos livres, savoir : la connaissance du vrai Dieu, la con- 
naissance de la nature humaine, et les récompenses et punitions. 
Puis, comme je développais le Décalogue, le mandarin deTsien- 
tsicii dit : «Ce sont toutes niaiseries, il n'y a pas d'âme; il n'y a 
ni ( iel ni enfer; il n'y a pas même de Dieu. Et puis vous n'offrez 
pas de sacrifices aux ancêtres. Parmi vous les biens et les femmes 
sont en commun. Peut-il exister une doctrine plus dénaturée et 
plus impie? — Que nous n'offrions pas de sacrifices, c'est vrai; 
mais que parmi nous les biens et les femmes soient en commun, 
cela n'est pas. Les sacrifices aux ancêtres sont une chose vaine, 
qu'une doctrine droite prohibe avec raison. Au moment de la 
mort, l'âme des bons va au ciel et l'âme des méchants va en 
enfer. Après y être entrées elles ne peuvent jamais en sortir. De 
plus, l'âme étant immatérielle, comment pourrait-elle manger des 
choses matérielles? et les tablettes étant simplement l'ouvrage 
d'un artisan, n'est-ce pas une injure de les vouloir honorer comme 
ses parents? Tout ceci est fondé sur la raison et je le crois ferme- 
ment. Quant au bien que l'on dit être en commun parmi nous, s'il 
n'y avait pas dans le monde quelque communication des richesses, 
comment les pauvres vivraient-ils? Enfin, pour ce qui est des 
femmes, ce qu'on nous impute est formellement prohibé dans 
les commandements, et répugne à tous les sentiments de la na- 
ture. Il nous est défendu même de désirer la femme du prochain. 
Comment pourrions-nous avoir les principes que vous nous prêtez? 
Et n'étant pas des animaux, comment pourrions-nous en agir 
ainsi? C'est une calomnie atroce et dix mille fois déplorable. » Un 
des mandarins reprit : « on dit que tu as encore ta mère, et de plus 
ta femme et des enfants; maintenant encore prononce seulement 
une parole, et sortant d'ici tu iras retrouver ta mère, ta femme 
et tes enfants. Ne sera-ce pas bien agréable?— Pour aller retrou- 
ver ma mère, vous voulez que j'apostasie? Mais Dieu étant le 
grand roi et le père de tous les hommes, ma mère elle-même 
ayant été créée par lui, comment pourrais-je renier le Créateur 
pour une de ses créatures? » Après avoir ainsi conversé pendant 
une demi-journée, je fus reconduit à la prison. 
« Trois jours après on me cita devant le juge criminel qui, 
entouré d'un appareil terrible, me dit : « Dénonce tes complices, 
donne tes livres et renie le Dieu du Ciel. » Puis il me fit placer 
sur la planche à tortures, lier et frapper cruellement. Mes forces 
étaient épuisées, et quoique j'eusse beaucoup de peine à parler, 
je répétais encore : « Je n'ai ni livres ni complices, et je ne puis 
— 343 — 
renier mon Dieu.» onniercporta à la prison. Le lendemain, même 
scènect mêmes supplices pendant lesquelsje m'évanouis. Plusieurs 
valets me portèrent dans le liant de la salle et me frictionnèrent 
doucement tout le corps. Quand je revins à moi, il était nuit. 
Le surlendemain je fus porté à dos chez le mandarin du district. 
A voir toutes les disposilions, je crus mon dernier moment arrivé. 
on me fit lecture du rapport au gouverneur et de l'adresse au roi, 
et le mandarin ajouta : « Tu le vois, tout le monde s'efforce de te 
conserver la vie. Les autres chrétiens se sont tous soumis au roi, 
pourquoi voudrais-tu seul agir avec entêtement? Dis seulement 
une parole. — Je ne le puis pas. » Aj^rès des tentatives sans nom- 
bre, n'ayant plus rien à essayer, il me fit signer ma condamna- 
tion. Il y a trois jours que ceci s'est passé, et on prétend que le 
juge criminel doit m'interroger de nouveau. Qu'en sera-t-il? Pen- 
dant toutes ces épreuves, quoique je ne m'appuyasse que sur Dieu 
et SA sainte Mère, j'ai eu de violentes tentations, me voyant entre 
la vie et la mort. Jour et nuit, j'étais singulièrement tourmenté. 
Depuis hier, mon cœur est plus calme. Combien grande est cette 
grâce? Comment faire pour en remercier Dieu ? Comment y 
répondre ? Je ne le puis que par ma mort. 
« Le 6 de la cinquième lune, après avoir été conduit au tribu- 
nal criminel, je fus ramené chez le mandarin du district. Lui et 
plusieurs autres mandarins réunis me firent comparaître par trois 
fois devant eux, et employèrent pour me sauver la vie mille 
paroles caressantes et pleines de finesse. A la fin, comme je ne 
me rendais pas : « Lui parler davantage, est inutile, » dirent-ils, 
et ils me renvoyèrent à la prison où, d'ailleurs, j'étais assez bien 
traité. Le 13, après qu'on eut fait subir l'interrogatoire à plus 
de cinquante chrétiens, je fus, vers quatre heures du soir, cité 
moi-même et le juge me dit : « A la tin ne viendras-tu pas à 
résipiscence ? » Je répondis négativement, et, sans plus de ques- 
tions, on me plaça sur la planche à tortures. Hélas ! je n'ai au- 
cune ferveur et suis d'une faible complexion, mais par une grâce 
toute spéciale, pendant que je fus sur cette planche, je ne pensais 
((u'àla llagellatiou et au crucifiement du Sauveur. A chaque coup, 
j'invoquais Jésus et Marie. Après une vingtaine de coups, sentant 
que je perdais connaissance, je dis : « Mon Dieu recevez mon 
âme entre vos mains. » Quand le nombre voulu fut achevé, on me 
tira de dessus la planche, ou me mit au cou une cangue d'une 
vingtaine de livres, et on me traîna jusqu'à la porte. La connais- 
sance me revenant un peu, j'essayai de marcher, soutenu par 
deux personnes, sans 'pouvoir y réussir. Un jeune homme, du 
— 344 — 
nombre des spectateurs, d'un air complaisant, me chargea sur 
son dos, et le chef de la prison soutenant le haut de ma cangue, 
je fus porté ainsi dans une chambre de la prison. 
« Pendant que ce jeune homme me soutenait couché dans ses 
bras, le chef de la prison, quelques prisonniers chrétiens et d'au- 
tres personnes se mirent à me presser doucement tous les mem- 
bres, et à bander mes blessures. J'ouvris les yeux, et je vis mes 
jambes en lambeaux et le sang coulant de toutes parts ou caillé 
sur les plaies. Hélas ! Jésus, dont le corps ne devait pas être plus 
fort que le mien, répandit une sueur de sang au jardin des Olives. 
Il subit la flagellation, et chargé de sa croix, il marcha plus de 
mille pas, jusqu'au sommet d'une haute montagne. Personne ne 
le regardait en pitié, et il n'y avait pas un chrétien pour lui venir 
en aide. Et moi, grand pécheur comme je suis, on me porte ainsi 
compassion et secours, on s'efforce de me faire revenir à la con- 
naissance. Quelles actions de grâces ne serait-il pas juste de 
rendre? Et cependant, dans ma faiblesse je ne sais pas même 
remercier. Anges et saints du paradis, et vous tous mes amis, 
veuillez bien rendre grâces à Dieu, en ma place, pour ce bien- 
fait! Plus j'avance, plus les grâces et faveurs divines augmen- 
tent. Le temps d'un repas ne s'était pas écoulé, que mes dou- 
leurs avaient disparu. Trois jours se sont passés depuis, et 
mes plaies ne me font pas trop souffrir. Je ne puis, il est vrai, 
faire usage des jambes, et une lourde cangue m'écrase, mais je 
prends un peu de nourriture, et mon cœur est très-calme. Si ce 
n'était le secours de Dieu et de Marie, comment par mes seules 
forces pourrait-il en être ainsi? Moi qui ne pouvais pas même sup- 
porter la morsure d'un insecte ! Vraiment, je n'y comprends rien. 
Le 15 on a dépêché vers le roi ; la réponse viendra, dit-on, vers 
le 20; quelle sera-t-elle? Je l'attends avec anxiété. J'ai mis 
tout mon espoir en Dieu seul; mais je suis sans mérites et tout 
couvert dépêchés, quel sera son ordre sur moi? Plus la fin est 
proche, plus je crains la mort et plus je tremble d'être rejeté. 
(( Le 16, quand je me réveillai, mes jambes se trouvèrent plus 
légères et les douleurs grandement diminuées. Je reçois bien- 
fait sur bienfait, comment remercier le Seigneur? Un jeune 
chrétien se trouve près de moi, fait toutes mes commissions et 
me sert sans relâche ; n'est-ce pas encore une grâce? D'autres 
chrétiens que je n'avais jamais vus, dont je n'avais jamais en- 
tendu parler, viennent de temps en temps me trouver. Les uns 
me donnent quelque argent, les autres me consolent. C'en est 
trop. Il semble que toutes les faveurs se soient réunies sur moi 
— 345 - 
seul. Tout mon corps se changeât-il en lèvres, comment chanter 
assez les louanges de Dieu ? Vous tous, chrétiens, veuillez, en 
ma place, remercier et remercier encore le Seigneur. J'aurais 
encore mille choses à dire, mais le temps me manque; nous nous 
retrouverons dans réternité. 
« P. -S. — Le 19, je fus reconduit devant le juge criminel, je 
signai de nouveau ma condamnation, et après m'avoir mis la 
cangue et les fers aux pieds, on me renvoya à la prison, et on 
dépêcha de nouveau au roi. J'étais certainement heureux dans 
le fond de mon âme, mais mes forces physiques et morales étaient 
épuisées, j'avais peine à calmer mon cœur effrayé. Revenu à la 
prison, je conversai avec quelques chrétiens, nous nous conso- 
lâmes mutuellement, et depuis ce temps, soutenu d'abord par la 
grâce de Dieu et le secours de Marie, puis aidé par mes com- 
pagnons de captivité, je passe les jours sans aucune nouvelle 
inquiétude. J'ignore encore quel sera le dénouement. Se pour- 
rait-il bien que Dieu me rejetât? Je le prie instamment, daignera- 
t-il m'écouter? Je ne puis qu'espérer, et j'espère, oui j'espère. » 
De la prison où il fut déposé en attendant la réponse défini- 
tive du roi, Paul écrivit plusieurs autres lettres, que les chré- 
tiens ont pieusement conservées. Elles méritent de figurer dans 
cette histoire avec celles de sa sœur Luthgarde. on y trouve les 
mêmes accents de foi vive, de ferme espérance, d'humilité héroï- 
que, d'amoureuse résignation à la volonté de Dieu. La première 
est adressée à sa mère, et collectivement à tous les membres de 
sa famille. 
« Ma mère, ma sœur, mon frère, ma belle-sœur, ma femme : 
Depuis treize ans quej'avais quitté la maison paternelle, jusqu'au 
jour de mon arrestation, je n'ai pu aller vous saluer que deux fois. 
C'est là, de ma pari, un grand manquedepiété. Pendant trente-six 
ans, aucun jour ne s'est passé pour moi sans quelque faute plus ou 
moins grave, je n'ai fait que manquer aux devoirs de la piété 
filiale, et aujourd'hui contre toute attente, par une grâce toute 
spéciale. Dieu appelle aux félicités de la vie éternelle cet être 
plein de péchés et de méchanceté. J'en suis honteux et je trem- 
ble, mais pourrais-je ne pas me soumettre à sa volonté sainte? 
« L'occasion est trop belle pour que je la laisse échapper. 
Je suis résolu à donner ma vie pour Dieu. Mais ce qui m'effraye, 
c'est d'avoir perdu inutilement, pour mon salut, plus de trente 
années. Tout le reste me fait peu d'impression. Même en ce 
jour, je n ai ni ferveur, ni contrition, ni charité parfaite ; mais 
mon seul espoir étant en la miséricorde sans bornes de Dieu 
— 346 — 
et de Marie, pourraient-ils «l'abandonner? Remerciez Dieu pour 
tous ses bienfaits. 
« Ma sœur, comment vous trouvez-vous ? En un frère tel que 
je suis, vous n'avez pu vraiment rencontrer aucune marque de 
fraternité! Voici maintenant que je vous quitte pour toujours. 
Je ne dois plus vous revoir en ce monde. Faites donc en sorte, 
par la pratique de la vertu, et l'acquisition de nombreux méri- 
tes, que nous puissions nous réjouir ensemble éternellement 
devant Dieu. Pour moi, je ne pourrai plus remplir mes devoirs 
de fils envers ma mère, non plus que ceux de frère envers vous ; 
du moins par l'union de nos cœurs, de nos prières et de nos efforts, 
faites que nous nous rencontrions dans les joies de l'éternité. 
« Cher frère, que vous dirai-je ? Bon et vertueux comme vous 
êtes, combien vous allez avoir le cœur affligé à l'occasion d'un 
frère inutile! Je vous recommande vivement de songer par- 
dessus tout au salut de votre âme. Ne considérez pas comme 
long ce temps qui passe aussi vite que l'étincelle jaillie du caillou. 
Ayez de ma mère, pendant ses dernières années, le plus grand 
soin possible ; et si toute la famille, mère, frères et sœurs peu- 
vent, réunis dans l'éternité, chanter les bienfaits de notre Père 
commun, quelle gloire ne sera-ce pas? Puisque Dieu daigne bien 
accorder une si grande faveur à un pécheur et à un méchant 
comme moi, vous, mon frère, naturellement bon et droit, pour 
peu que vous fassiez d'efforts, vous ne serez pas rejeté. Travaillez 
donc assidûment, et tâchez de mériter la grâce d'une bonne mort. 
Vraiment je suis tout honteux, je n'ai jamais été pour vous qu'une 
cause de soucis. Après ma mort, ma femme et mes deux enfants 
n'ont plus aucun appui, et à qui puis-je les recommander, si 
ce n'esta vous? Ayant déjà tant de charges, comment pour- 
rez-vous y suffire? Quelle misère ! j'en ai le cœur tout serré. 
« Ma belle-sœur aînée, comment allez-vous? Vous qui m'avez 
élevé, et si souvent porté dans vos bras, qui jusqu'ici étiez 
toujours si inquiète à mon égard, et si touchée de ma position, 
quand vous api)rendrez cette nouvelle, combien votre cœur ne 
sera-t-il pas iirisé? Toutefois remerciez Dieu de ses bienfaits. 
Dans sa bonté sans mesure, il veut bien accorder à votre misé- 
rable frère la grâce de suivre de loin Jésus sur le chemin de la 
croix. Mon frère et ma sœur martyrs m'ont obtenu le bonheur 
de marcher sur leurs traces ; je vous le répète, rendez grâces à 
Dieu. J'ai une faveur à vous demander, veuillez ne pas rejeter 
mes dernières paroles. Mon fils ne semble pas un enfant dont on 
ne puisse absolument rien faire. Veuillez l'adopter entièrement, 
— 347 — 
l'établir et le rendre vraiment homme. Toute ma vie est pour moi 
une source de regrets; trop souvent j'ai méconnu vos sentiments, 
peu écouté vos paroles, et tant d'autres choses que je ne puis rap- 
porter ; veuillez bien me tout pardonner. De cinq enfants que 
nous étions, voilà que trois sont martyrs; devant Dieu quelle plus 
grande gloire pouvait-on désirer? Pour les autres saints, pour 
mon frère et ma sœur, la chose n'est pas étonnante ; mais pour un 
être comme moi, quelle grâce extraordinaire ! 
« Et vous, mon épouse, maintenant pardonnez, pardonnez- 
moi. Il n'y a pas de mari aussi mauvais que je l'ai été, et tout ce 
que j'ai à me reprocher à votre égard ne pourrait s'écrire. Pendant 
les treize années de notre union, je ne suis jamais entré dans vos 
sentiments et ne vous ai causé que des afflictions; voici que tout 
à coup je me trouve en face de la mort. Que vous dirais-je ? Nous 
ne pourrons plus désormais vivre ensemble en ce monde ; il 
n'y a donc nul remède au passé, et le regret seul me reste. 
Quoique j'aie si mal rempli mes devoirs d'époux, si j'obtiens de 
monter au royaume du Ciel, j'intercéderai pour vous obtenir une 
bonne vie et une bonne mort, et, moi-même, messager du bon- 
heur qui vous est destiné par notre Père céleste, je viendrai à 
votre rencontre, et vous conduirai par la main pour vous mettre 
en possession des joies éternelles. 
c( Je vous le recommande instamment, soyez soumise en toutes 
choses à la volonté de Dieu, regrettez toutes les choses du passé, 
regardez ce monde comme un songe, et considérez l'éternité 
comme votre véritable patrie. Ah ! comment ai-je pu faire tant 
de cas d'un monde si futile? Dans quelques jours, tout paraît 
devoir finir pour moi. Maintenant seulement je le comprends, 
tout, même les plus petites choses, dépend de la volonté de Dieu, 
et les projets des hommes ne sont que vanité ; mais le regret 
même n'aboutit à rien. 
« Ma mère, vous êtes encore de ce monde, mais pour combien 
de jours? Soyez heureuse de voir les enfants que vous avez mis au 
monde suivre, l'un après l'autre, le chemin du martyre, excitez- 
vous à une véritalile contrition, et faites en sorte d'obtenir la 
grâce d'une bonne mort. Les paroles de mon frère et de ma 
sœur, à leur dernière heure, ont été pleines de dévouement et de 
piété filiale ; quelles que soient les miennes, veuillez bien y pen- 
ser. Je ne vous oublierai pas non plus, ma belle-sœur aînée, 
non, je ne vous oublierai pas. Quel est celui de mes frères et sœurs 
pour lequel je puisse être indifférent? Toutefois les peines et les 
soins ({ue vous avez pris pour moi ne le cèdent (|u'à ceux qu'a 
— 348 — 
pris ma mère elle-même ; et c'est aussi en vous, après ma mère, 
que je me confiais et m'appuyais davantage. Quand j'allai à len- 
p'ong, il y a quelques années, je revins sans avoir pu vous voir; 
je le regrette dix mille fois, mais qu'y faire maintenant? Que 
notre rendez-vous soit donc dans réternité ! 
« Mon fils et ma fille, par un bienfait du Seigneur je suis 
devenu votre père, mais la gravité de mes péchés m'a empêché de 
remplir convenablement mes devoirs, et avant même que vous 
ayez rintelligence ouverte, voici que le fil de mes jours se trouve 
coupé. N'ayant à vous laisser en héritage ni vertus ni richesses, je 
vous laisse seulement deux mots en testament. Ayez soin de 
suivre fidèlement la volonté de Dieu, et d'exercer envers votre 
mère tous les devoirs de la piété filiale. Vis-à-vis de toutes les 
autres personnes, soyez affables et pleins de charité, et si, dans 
ce monde, vous suivez la bonne voie, vous monterez certainement 
au royaume du Ciel. Je n'ai guère le droit de parler ainsi, moi 
pauvre pécheur, mais je suis père, et c'est mon devoir d'exciter 
mes enfants au bien. Je vous recommande encore de graver dans 
vos cœurs ce sage proverbe des anciens : Ne vous permettez jamais 
défaire le mal, quoiqu'il semble léger ; efforcez-vous toujours 
de faire le bien quelque peu considérable qu'il ])araisse. J'aurais 
bien des choses à dire à beaucoup d'autres personnes, mais non- 
seulement le papier et les pinceaux me manq-uent, mais je viens 
encore de subir une violente torture qui m'a ôté l'usage de la 
j)artie inférieure du corps, je suis chargé d'une cangue du poids 
de plus de vingt livres, et ma raison est tonte troublée et mon 
bras tremblant. Je ne puis donc en dire davantage. Surtout, 
surtout, tâchez de passer une bonne vie, et de faire une sainte 
mort. Je l'espère mille fois, dix mille fois. 
« Année tieng-hai, le 14 de la cinquième lune. » 
« Paul Ni, pécheur. » 
Le lendemain, Paul écrivit une lettre particulière à sa femme, 
(^ette lettre porte pour suscription: A la mère de Tieng-ei, parce 
(jue la politesse de ce pays demande que les femmes soient 
désignées par le titre de mère de tel ou tel de leurs enfants. 
Tieng-ei était le nom du jeune fils de Paul. 
« Depuis notre mariage, pendant treize ans, nous n'avons pu 
passer l'un et l'autre un seul jour tranquille, et nous avons eu 
toutes sortes de misères. Séparés tout d'un coup, nous ne devons 
— 349 - 
plus nous revoir en ce monde ; que la volonté de Dieu soit faite ! 
En considérant les actions de toute ma vie, et mes nombreux 
péchés, je regrette surtout tout ce que j'ai eu a me re|)rocher en- 
vers vous ; pardonnez-le-moi. Bien que je meure, pourrais-je 
vous oublier? Pour soutien ici-bas, il vous reste Tieng-ei et sa 
sœur; élevez-les bien, instruisez-les et faiies-leur suivre mes 
traces. Pour vous, si vous êtes soumise en toutes choses à la 
volonté de Dieu, si vous devenez amie du Seigneur, ne sera-ce 
pas là le vrai bonlieur? Depuis notre séparation, combien vous 
avez dû rencontrer de difficultés! Quand cette pensée me vient, 
j'en suis accablé ; mais songeant de suite à Dieu et à Marie, je 
calme mes inquiétudes. Surtout tâchez tous de bien finir la vie. 
Avez-vousdes nouvelles de len-p'ong? Hélas! hélas! quand ma 
mère va apprendre mon état, que va-t-clle devenir? Si je viens 
aussi à être martyr, quelle gloire pour elle, il est vrai, mais 
comment la natnre pourra-t-elle se contenir? Maintenant il faut 
vous quitter tout à fait, je n'ai plus de papier, et toujours sous 
les yeux des geôliers, je suis obligé de saisir à la dérobée quelques 
instants pour vous adresser ces deux mots; veuillez les faire cir- 
culer dans la famille. Et mon frère aîné comment est-il? Et 
ma belle-sœur aînée que je ne pourrai plus revoir? Mon espoir 
est que nous nous rencontrerons et réjouirons ensemble au 
royaume du ciel. 
« J'ignore si je mourrai ici ou à la capitale; si je meurs ici, 
j'obtiendrai la palme sur le même lieu où ma sœur l'a cueillie ; 
quel bienfait ! Anges et Saints du Paradis, chrétiens de toutes 
les parties de la terre, daignez rendre grâces à Dieu pour moi. 
Chaque circonstance me rappelle le souvenir des lettres de cette 
chère sœur martyre, et la seule chose qui m'aftlige, c'est le regret 
de ne pas avoir autant qu'elle aimé Dieu pendant ma vie. Mainte- 
nant, je voudrais commencera l'aimer, mais il est trop tard et qu'y 
faire ? J'en ai le cœur oppressé, mais si d'une part mes péchés sont 
sans nombre, la miséricorde de Dieu est aussi sans limites, voilà 
mon seul espoir. Par mes seules forces, je n'aurais pu tenir ferme 
même un instant. Non, maintenant plus que jamais, je reconnais 
qu'en toutes choses nos forces ne sont pour rien, et que la pro- 
tection de Dieu fait tout. 
« Quand la violence de la persécution sera un peu apaisée, 
venez chercher mes effets et donnez-les à mon fils. N'oubliez pas 
de faire rebaptiser mes deux enfants; ils ne l'ont pas été sîire- 
ment. J'ai quelques dettes et des commandes auxquelles je n'ai 
pu satisfaire. Nulle parole ne saurait rendre ce que j'en éprouve ; 
— 350 — 
j'espère seulement que Dieu me le pardonnera; faites tous vos 
efforts pour payer le tout. 
« Je ne puis écrire séparément à ma mère, copiez cette lettre 
et envoyez-la-lui. Les années qui vous restent ne seront pas lon- 
gues et le bonheur éternel approche; ne vous contristez pas trop 
et rencontrons-nous pour toujours près du Seigneur. L'ordre de 
me faire comparaître se fait entendre ; je termine donc ici. 
« Le 15 de la cinquième lune. 
« Votre mari, 
« Paul Ni. » 
Enfin, quelques jours avant sa mort, Paul écrivit une dernière 
lettre aux associés de la confrérie Mieng-to, ou confrérie de 
rinstrucliou chrétienne, dont il était un des principaux membres, 
peut-être même un des directeurs. Cette pieuse association, éta- 
blie d'abord en Chine, avait été transportée en Corée, comme 
nous l'avons vu, par le P. Tsiou, dans le but de préparer et d'en- 
courager les confrères à l'instruction des chrétiens et des païens. 
Voici cette lettre : 
« Moi, très-grand pécheur, qui, pendant trente-six ans, ai passé 
vainement mon temps, et suis sans aucun mérite, je méritais 
bien d'être délaissé de Dieu et de la vierge Marie. Aujour- 
d'hui, je suis appelé, par une faveur spéciale et tout extraor- 
dinaire. C'est, je n'en doute pas, un bienfait de Marie conçue 
sans péché, notre grande patronne qui, après m'avoir agrégé 
à la confrérie, fait découler sur moi cette grâce de premier 
ordre. Combien grandes ne sont pas la ferveur et les œuvres 
méritoires de tous les confrères ! Pour moi, honteux de moi- 
même et de mon indignité, en réfléchissant à la grandeur de mes 
péchés que le ciel et la terre ne peuvent contenir, je ne croyais 
pas pouvoir y prendre part. « Comment, me disais-je, pourrais-je 
bien me mêler à celte société ? » Ayant été, contre toute attente, 
jeté en prison pour la loi, je pense que l'intention de Marie 
m'est, par cela même, clairement révélée. Pour les autres con- 
frères, qui sont si riches en mérite et en vertus, elle pourra 
bien, sans les faire passer par la prison, les faire parvenir au 
terme; mais pour un pécheur comme moi, la bonne Mère 
a vu qu'il n"y avait pas d'autre moyen. vous tous, remerciez-la 
pour moi. 
« Comme j'ai été saisi tout à fait à Timproviste, vous en aurez 
tous été stupéfaits et dans une grande inquiétude. De mon 
— 351 — 
côté, je ne saurais exprimer tous les sentiments par lesquels je 
suis constamment avec chacun de vous. Je sais bien (jue vous 
agissez avec beaucoup de zèle. Laissez-moi pourtant vous dire 
un mot. Vous savez Thistoire de la vraie religion de Notre Sei- 
gneur Jésus-Christ dans notre pays. Après des efforts continués 
pendant de longues années, on était parvenu, par une disposition 
spéciale de la Providence, à bâtir une toute petite maison, et à y 
réunir quelques habit^ints. Puis, le temps n'étant pas favorable, 
voici qu'un vent et une pluie violente l'ont presque renversée; 
quand j'y songe, ma respiration se coupe, et toutefois j'espère 
que, par la protection de la bonne Mère, cette maison pourra se 
conserver; oui, je l'espère; priez, priez instamment. 
« Vous trouverez chez moi des détails sur tout ce que j'ai pu 
faire pendant le mois passé. Mais quand, ce mois-ci, arrive quel- 
qu'un de nos jours de réunion, ma douleur redouble, car main- 
tenant je me trouve séparé de vous pour toujours. Du reste, 
quand je survivrais, il n'y aurait pas pour la confrérie une 
grande utilité. Néanmoins, je sais bien que quand vous ferez 
vos réunions, vous ressentirez quelque tristesse et quelque 
regret, à cause de mon absence. Unissez plutôt vos cœurs et vos 
forces pour remercier Dieu d'un si grand bienfait. Je pense à 
chacun de vous en particulier. Il me semble même vous voir. 
De grâce, tous, faites vos efforts pour conserver la petite mai- 
son dont je viens de vous parler, et pour arriver sans faute à la 
grande Maison de Dieu, où nous nous réjouirons tous ensemble. 
« Les deux supérieurs sont-ils en bonne santé? Les supérieurs 
de chaque lieu sont-ils aussi bien portants? Je ne puis déposer 
toute inquiétude à cause de l'intérêt que je vous porte. Que de 
peines vous voulez bien vous donner! Si tout est tranquille à la • 
capitale, veuillez bien veiller à la conservation de la petite mai- 
son et de ses habitants si peu nombreux. Travaillez h ce que la 
religion devienne florissante. J'ai vu ici plus de deux cents chré- 
tiens; peu ont tenu ferme, presque tous sont tombés! Par la grâce 
de Dieu, quelques-uns pensent h. reprendre la vie, et je me dis : 
ceci encore n'est-il pas l'effet de rinterccssion des confrères? 
« Charles, mon ami (1), comment se porte votre mère? Certes 
notre affection mutuelle était bien loin d être une amitié ordi- 
naire. Sans vous, jamais personne ne m'aurait parlé de mes 
défauts ; maintenant que j'y réfléchis, vraiment vous étiez pour 
moi un trésor. Cher ami, écoutez favorablement ma prière, veuil- 
(1) Charles Bien, qui fut mariyrisé on 1846. 
— 352 — 
lez prendre soin de ma femme et de mes enfants. Il y en a bien 
d'autres à qui je pourrais me fier, et qui ne tromperaient pas ma 
confiance, mais entre tous, vous mon ami, comprenez toute ma 
pensée, et vous n'oublierez pas la parole d'un mourant. Le temps 
passe vite, déjà plus d'un mois s'est écoulé depuis mon arresta- 
tion. Quant aux souffrances, je ne suis pas moi-même capable de 
les supporter, le corps trop faible ne saurait les vaincre, et si ce 
n'était la grâce de Dieu et le secours de Marie, comment pour- 
rais-je tenir même un instant? Je suis tourmenté par la pensée 
de n'avoir pu payer les dettes contractées envers les chrétiens 
de la capitale et de la province, et de n'avoir pu reconnaître les 
bienfaits que j'ai reçus. 11 ne me reste qu'à invoquer Dieu, espé- 
rant qu'il m'en fera remise. 
« Je vous le dis de nouveau à tous, et j'ose espérer dix mille 
fois que vous m'écouterez : ce temps n'est vraiment qu'un 
instant, faites vos efforts, épuisez tous les moyens pour obtenir 
une bonne mort. La masse de mes péchés monte jusqu'au ciel, 
mais puisque Dieu m'a comblé de bienfaits jusqu'ici, certaine- 
ment il ne veut pas m'abandonner. Si j'obtiens le premier d'ar- 
river au ciel, qui que vous soyez, quand vous viendrez à notre 
grande demeure, j'irai à votre rencontre avec les instruments 
de musique, et nous monterons ensemble devant notre Père com- 
mun pour le louer et nous féliciter. J'aurais encore mille choses à 
vous dire, mais je ne le puis sur le papier. Ayez soin de con- 
serverie corps et l'àme en bon état dans ce monde qui passe, et, 
dans l'éternité, nous nous découvrirons entièrement les senti- 
ments de nos cœurs. 
« Année tieng-hai, le 25 de la cinquième lune. 
« Paul Ni. » 
Il ne paraît pas que Paul ait eu d'autres interrogatoires à subir 
après ceux qu'il nous a lui-même racontés. Dans la prison, il 
continua de faire l'édification de tous par sa patience, par sa fer- 
veur et sa soumission à la volonté de Dieu. Mais son corps, natu- 
rellement faible, avait été tellement brisé qu'il ne put prendre 
le dessus. Épuisé par ses blessures, notre courageux martyr lan- 
guit encore quelques jours, et le 4 de la cinquième lune interca- 
laire, sa belle âme s'envola vers le ciel pour y recevoir le prix 
de son invincible constance. Il avait alors trente-six ans. 
Ainsi mourut cet insigne confesseur de la foi, l'un des plus 
grands héros de l'Eglise coréenne. Depuis son arrivée à la pri- 
— 3B3 — 
son, sans cesse il avait relevé le courage de ceux qui étaient 
tombés, raffermi les faibles, consolé et soutenu ses compagnons 
de captivité, éditlé et instruit les païens, forcé Tadmiration de 
ses juges eux-mêmes. Parmi les autres prisonniers, un petit 
nombre, il est vrai, eurent le courage d'imiter ses exemples, mais 
tous l'admiraient et Taimaient, tous pleurèrent sa mort, et encore 
aujourd'liui, tous les lidclesont sa mémoire en vénération. 
Il était temps cependant de décider enfin du sort de tous ces 
chrétiens que, durant plus de deux mois, on avait réuni comme 
par troupeaux de toutes les parties de la province, et entassés 
dans les cachots de Tsien-tsiou. La plupart, nous l'avons déjà 
dit, avaient cru, par une Lâche apostasie, éviter les tortures, et 
racheter de suite leur vie et leur liberté. En cela, ils s'étaient 
trompés, et quoique dans la prison on les traitât avec un peu 
plus d'indulgence, ils virent bientôt que les juges n'étaient pas 
d'humeur a leur pardonner si vite le crime d'avoir adoré Jésus- 
Christ. Vers le milieu de la cinquième lune, on prépara le 
dénouement de leur procès. Vingt-quatre mandarins furent 
appelés pour coopérer à leur jugement, et siégèrent en un même 
jour dans les diverses parties du tribunal. Chacun d'eux avait à 
questionner un certain nombre d'accusés, cinq par cinq. 

on commença par administrer à chacun de ces malheureux 
apostats, trente coups de bâton, de sorte que, sans aucun mérite 
pour eux, leur sang coula, leurs corps furent meurtris et couverts 
de blessures. Puis, après quelques questions, on leur passa la 
cangue au cou, et on les renvoya h la prison. Dix jours après, 
chacun d'eux fut encore appelé, reçut deux ou trois volées de 
coups de bâton, et entendit sa sentence définitive. Les moins 
compromis, ainsi que ceux qui avaient non-seulement renié Dieu, 
mais trahi et dénoncé leurs frères, furent relâchés immédiate- 
ment. Les autres furent condamnés à l'exil dans diverses parties 
éloignées du royaume. Alors, ces infortunés qui n'avaient pas 
perdu la foi, et à qui la conscience reprochait cruellement leur 
faute, se dirigèrent chacun vers le lieu qui lui était assigné, trop 
heureux si, comme nous avons lieu de l'espérer pour le plus 
grand nombre, ils surent recevoir ce châtiment de la justice 
humaine en satisfaction de ce qu'ils devaient à la justice de 
Dieu. 
Le sort des apostats étant ainsi réglé, il fallait en finir avec 
les huit ou dix chrétiens fidèles, qui persistaient dans leur géné- 
reuse profession de foi. En voyant les prisons se vider autour 
d'eux, ils s'interrogeaient mutuellement du regard et se disaient : 
l'église de CORÉE. 23 
— 3o4 — 
« Nous, au moins, par un bienfait tout spécial de Dieu, porterons- 
nous des fruits de salut? » Peu de temps après, ils furent cités 
devant le mandarin du district. on leur fit signer leur sentence de 
mort, puis, les appelant un à un, on leur demanda par trois fois 
s'ils n'avaient pas de regret de mourir. Chacun répondit n'avoir 
aucun regret. on leur passa la cangue, on leur remit les fers 
aux pieds et on les reconduisit à la prison. Le lendemain ils 
comparurent devant un autre mandarin, et la même scène que 
le jour précédent fut répétée trois fois encore. Deux jours après, 
par-devant le gouverneur, la même triple interrogation fut 
faite et la même réponse donnée. Enfin toutes les formalités 
étant remplies, ils quittèrent le tribunal définitivement condam- 
nés à mort. Sur leur passage, les valets criaient mille injures 
grossières ; les uns les frappaient avec le pied, d'autres faisaient 
pirouetter leurs cangues, tous leur prodiguaient des marques de 
mépris et de dérision. 
De retour à la prison, ils s'attendaient à être presque immé- 
diatement livrés au bourreau. La réponse du roi devait arriver en 
quelques jours, et ils ne cessaient de se consoler et de se fortifier 
mutuellement. Une joie toute divine inondait leurs âmes, une 
sainte gaité animait leurs actions et leurs paroles. «C'est pour 
aujourd'hui, c'est pour demain,» disait-on ; et chacun, confiant 
dans le secours de Dieu, était bien résolu. Quelques jours se 
passèrent ainsi, puis quelques mois, puis des années entières, 
et l'on comprit enfin que l'exécution était indéfiniment ajournée. 
L'unique cause de ce retard était la volonté personnelle du roi. 
Ce prince que nous avons vu, vingt-cinq ans plus tôt, intervenir 
encore enfant pour faire cesser la grande persécution de 1801, 
était d'un naturel doux et tranquille. Il répugnait par instinct à 
verser le sang de ses sujets, et dans le cas présent, on ne put lui 
arracher la ratification de la sentence portée par le tribunal de 
Tsien-tsiou. 
Laissons donc pour un temps, dans la prison de cette ville, 
nos généreux confesseurs porler les chaînes pour le nom du Sau- 
veur Jésus, et suivons l'histoire de la persécution dans les autres 
provinces. 
CHAPITRE V. 
Persécution de 1827 : les confesseurs de Tai-kou et Tan-iang. — Martyre 
de Paul Kim Ho-ien-i. — Martyre de Pierre Hoang. — Résumé. 
Pendant plus de deux mois, la persécution, quoique très-vio- 
lente dans la province de Tsien-la, était restée, pour ainsi dire, 
concentrée dans celte province. Toutes les autres parties de la 
chrétienté avaient été en paix, jusqu'au 22 de la quatrième lune 
de cette année. A cette époque, comme nous l'avons vu, les 
satellites de Tsien-tsiou franchirent les barrières du Rieng-siang, 
et se saisirent de Pierre Sin, dans le district de Siang-tsiou. 
Deux jours après, d'autres satellites étaient envoyés dans le 
même district, au village d'Aing-raou-tang, pour arrêter d'au- 
tres chrétiens dénoncés. Mais déjà le bruit de l'emprisonnement 
de Pierre Sin s'était répandu et tous les chrétiens avaient pris la 
fuite; de sorte qu'on n'en put saisir aucun ce jour-là. Nous ne 
savons pas au juste comment les choses se passèrent alors à 
Siang-tsiou, mais la suite des faits semble indiquer que le man- 
darin civil et le mandarin criminel de cette ville, pinsi prévenus 
officiellement de l'existence des chrétiens dans leur district, et 
excités sans doute par les hauts faits de leurs collègues de la pro- 
vince de Tsien~la, voulurent aussi se donner le mérite de tour- 
menter les disciples de Jésus-Christ. 
Quoi qu'il en soit, vers la fin de la quatrième lune, cinq ou six 
grands villages chrétiens du district de Siang-tsiou furent subi- 
tement envahis par leurs satellites. Les plus alertes ou les plus 
adroits des néophytes trouvèrent leur salut dans la fuite, tandis 
qu'un bon nombre, saisis à domicile ou sur les routes, furent 
jetés dans les prisons de Siang-tsiou. Ici encore nous avons à 
déplorer de nombreuses apostasies; néanmoins la religion trouva 
quelques courageux défenseurs et d'éloquents apologistes. 
Le premier est Paul Pak Kieng-hoa, nommé aussi To-hang-i. 
Descendant d'une famille de la noblesse inférieure du district 
de Hong-tsiou, il jouissait d'une assez belle fortune, et vivait 
entouré de l'estime de ses concitoyens, lorsqu'il embrassa la reli- 
gion, vers l'année 1792. 11 avait alors trente-trois ans. Bientôt après, 
n'étant encore que catéchumène, pendant la persécution de 1794, 
il eut la faiblesse d'obtenir sa délivrance par une parole d'apos- 
- 356 — 
tasie. Mais comme il avait le cœur vraiment droit, sa chute ne 
fut pour lui qu'une occasion de redoubler de ferveur. Touché de 
repentir, il se remit avec plus d'exactitude à la pratique de ses 
devoirs, et rencontrant dans son pays beaucoup d'obstacles au 
service de Dieu, il abandonna ses biens et ses proches, et se 
retira dans les montagnes. Là, cachant son origine, il se fit 
passer pour un homme de la classe moyenne, et délivré de toutes 
les inquiétudes du siècle ne songea plus qu'au salut de son âme. 
Le P. Tsiou étant entré en Corée, il eut le bonheur de recevoir 
le baptême de sa main, et fut, depuis ce jour, un homme nou- 
veau. Il recherchait les lieux retirés pour pouvoir se livrer, à 
heures fixes, aux exercices de la prière et de la méditation, et 
employait le reste de son temps soit à s'instruire lui-même par 
des lectures pieuses, soit à expliquer aux autres les vérités de la 
religion. Tout le monde disait de lui : « Voilà un homme vraiment 
dépouillé de lui-même ; » et beaucoup le fréquentaient pour enten- 
dre ses paroles. Il avait le plus grand soin de l'éducation de ses 
enfants, leur faisait regarder l'exercice de la prière comme le plus 
important de tous pour un chrétien, et les exhortait sans cesse à 
la pratique de la vertu. Ses exemples ajoutaient à l'efficacité de 
ses conseils. 
En 1827, lorsqu'il vit la persécution sévir dans la province de 
Tsien-la, il s'efforça de consoler les chrétiens, de les rassurer, de 
leur inculquer la résignation à la volonté de Dieu. « Dans le cœur, 
disait-il, chacun doit se préparer au martyre : mais pour le corps, 
la prudence veut que l'on cherche à s'échapper quand cela est 
possible. » Lui-même ne songeait qu'à se disposer à la mort. Sou- 
vent, étant malade, il avait dit à son fils et aux autres personnes 
de sa maison, pour les rassurer et leur enlever toute inquiétude : 
«Soyez bien tranquilles, je ne mourrai pas ici en votre présence; » 
et nul ne savait le sens de ces paroles. Ce ne fut qu'après l'évé- 
nement que sa famille les comprit. Paul venait de quitter Ka-ma- 
ki dans les montagnes du district de Ta-niang, où il habitait 
depuis neuf ans, et s'était installé depuis quelques semaines seu- 
lement avec sa famille, à Meng-ei-moki, district de Siang-tsiou, 
lorsque le jour de l'Ascension, dernierjour de la quatrième lune, au 
moment où sa famille et les chrétiens du voisinage faisaient 
avec lui les prières accoutumées , un traître entra dans sa 
maison à la tête des satellites, qui saisirent presque tous ceux qui 
étaient présents. Pendant qu'on les conduisait à la ville, Paul 
répétait: « Rendons bien grâces à Dieu pour la route que nous 
faisons aujourd'hui ; » et la joie rayonnait sur son visage. Parla, 
— 357 — 
les satellites le reconnurent pour un des chefs, et dans les sup- 
plices, on n'oublia pas cette circonstance aggravante. 
Le juge criminel fil à Paul les interrogations d'usage, et celui- 
ci ne pouvant, en conscience, répondre h la plupart des questions, 
fut, malgré son grand âge, soumis à de terribles tortures. Comme 
on 'les réitérait plusieurs fois, il sentit ses forces défaillir, et 
s'écria: « J'abandonne mon corps entre les mains du mandarin ; 
pour mon âme, je la remets entre les mains de Dieu. » Il fut 
reconduit à la prison, où il commença aussitôt à exhorter les 
chrétiens et à leur rendre les petits services en son pouvoir. Cité 
de nouveau, il montra la même constance au milieu des sup- 
plices. Les bourreaux ne craignaient pas de le souffleter, de lui 
arracher la barbe et de l'accabler de mille injures; mais Paul 
disait seulement: « Ces souffrances sont un bienfait, pour lequel je 
rends grâces à Dieu. » Après quelques autres tentatives inutiles 
pour ébranler sa résolution, lejuge l'envoya au tribunal du gou- 
verneur à Tai-kou. Celui-ci lui dit: « Ces nombreux prisonniers 
ont été infatués par toi : un plus grave supplice t'est justement 
dû. » Et en même temps, il lui fit infliger une torture beaucoup 
plus cruelle. Mais Paul, soutenu par son amour pour Dieu, sup- 
portait tout sans se plaindre. Trois jours consécutifs, il dut subir 
encore des supplices extraordinaires, après quoi le gouverneur, 
désespérant de vaincre sa constance, prononça la sentence de 
mort et le fit reconduire à la prison. 
Le fils de Paul avait été pris avec lui. Il se nommait André Sa- 
sim-i,etson nom légal était Sa-ei. Imbu, dès l'enfance, des prin- 
cipes de la religion, et formé par les exemples de son vertueux 
père, il se livra de bonne heure aux exercices de piété, et se fit 
remarquer à mesure qu'il avançait en âge, par une foi et une 
ferveur peu communes. Réglé dans ses actions de chaque jour, 
complaisant et charitable envers tous, il brillait surtout par une 
admirable piété filiale. Quand ses parents étaient malades, il ne 
les quittait pas, et comme il s'était fait une loi de ne manger 
jamais qu'après eux, ils étaient obligés de se contraindre alors 
pour avaler quelque nourriture, afin qu'il put lui-même prendre 
son repas. Son père ayant l'habitude de boire un peu de vin, il 
ne manqua jamais de lui en offrir, malgré la pauvreté de la 
famille; il multipliait ses travaux et s'ingéniait en toute manière, 
pour pouvoir lui procurer celte petite satisfaction. Avait-il besoin 
de sortir, il ne dépassait jamais le jour ou le moment marqué 
pour son retour. Dans ces circonstances, ni le vent, ni la pluie 
ne l'arrêtaient, et il ne craignait pas même de braver les ténèbres 
— 358 - 
de la nuit afin d'éviter à ses parents l'inquiétude que son retard 
eût pu leur causer. Le moindre signe, le moindre désir de leur 
part, étaient pour lui des ordres. 
Un jour, son père ayant dit par manière de conversation: 
« Notre maison est bien étroite, et ne serait-ce que pour pouvoir 
donner au besoin Thospitalité à quelques chrétiens sans asile, il 
serait bon que nous eussions deux ou trois chambres de plus; » ces 
paroles furent un ordre pour André, Dès ce jour, tout en se 
livrant à ses travaux habituels, il ne manqua pas, chaque fois 
qu'il sortait, de rapporter une ou deux poutres ou solives, et 
bientôt il put construire ce que son père avait semblé désirer. De 
toutes parts, les chrétiens affluaient dans cette maison bénie, 
et comme Paul, tout pauvre qu'il fût, n'était pas en repos s'il 
ne pouvait traiter convenablement ses hôtes, André, entrant 
dans ses vues, trouvait moyen de faire face aux dépenses, même 
quand il lui fallait, pour cela, se refuser et refuser aux siens le 
nécessaire. Plusieurs fois des chrétiens riches, touchés de cet 
admirable dévouement d'André pour son vieux père, et sachant 
dans quelle pénurie il vivait lui-même, lui firent passer quelques 
secours en argent. Mais André ne voulait pas les recevoir, et 
disait: « Il est juste que je paye moi seul, par mon travail, les 
dettes queje contracte pour soutenir mon père et ma famille. » Et 
quand il ne pouvait pas renvoyer ces dons, loin de les approprier 
à son usage, il les distribuait en aumônes ;i quelques chrétiens 
plus pauvres que lui. C'est ainsi que ce pieux néophyte passait 
sa vie dans Fexercice de toutes les vertus, lorsqu'il fut saisi avec 
son père. Comme lui, il fit preuve d'une patience et d'un courage 
exiraordinaires dans les supplices, et tous deux ensemble furent 
transférés du tribunal de Siang-tsiou à celui de Tai-kou. 
D'après la loi du royaume, on ne doit pas faire subir la 
question au père et au fils simultanément, dans le même lieu. 
André voyant l'état de faiblesse et d'épuisement où son père était 
réduit par la prison et les tortures, ne pouvait supporter la 
pensée de le quitter, même pour quelques instants. 11 exposa ses 
craintes au juge qui, touché de sa piété filiale, lui dit : « D'après la 
loi, je ne devrais pas en agir ainsi, mais toutefois je ne puis 
refuser d'entrer dans tes vues, car ce que tu demandes est juste et 
convenable. «Aussi, quoique lesautres prisonniers fussent mis à la 
question chacun à part, il la fit toujours subir simultanément à 
André et h son père ; et André, alors même qu'après les supplices 
il pouvait h peine faire usage de ses membres, s'approchait pour 
soutenir et rendre plus légère la cangue dont son père était 
— 359 — 
charg'c , ce que tous les assistants ne pouvaient voir sans une 
vive émotion. André, non moins fidèle à son Dieu que dévoué à 
son père, supporta jusqu'au bout avec intrépidité de nombreuses 
tortures, et après avoir mérité d'entendre prononcer sa sen- 
tence de mort, fut aussi renvoyé à la prison juscju'au jour de l'exé- 
cution. 
La première expédition des satellites dans le village de Aincf- 
mou-tang avait, nous Tavons dit, complètement échoué. Une 
seconde tentative eut plus de succès. Parmi les chrétiens saisis 
alors et conduits à celte même préfecture de Siang-tsiou, deux 
surtout méritent de ilxer notre attention : ce sont André Kim et 
Richard An. 
André Kim Sa-keun-i était du district de Sie-san. Sa famille 
avait été riche et opulente : mais ses parents, après leur conver- 
sion, furent obligés d'abandonner leurs biens, et d'émigrer dans 
les montagnes, de sorte qu'il lui restait très-peu de chose. 
Quoiqu'il fût naturellement fier et irascible, son caractère, sous 
l'influence de l'éducation religieuse que lui donnèrent ses 
parents, était devenu doux, humble et charitable. En 1815, son 
oncle Simon fut martyr pour la foi, et son père Thaddée envoyé 
en exil. André jeune encore fut relâché, et depuis il disaii sou- 
vent avec regret : « Quelle belle occasion j'ai perdue! » Son père 
étant en exil, André consacra sa vie aux bonnes œuvres. Il 
allait de côté et d'autre chez les chrétiens, faisait parvenir dos 
livres et des objets religieux dans les lieux éloignés, prêchait et 
exhortait sans cesse, s'eiTorçait d'ouvrir l'intelligence aux igno- 
rants, et surtout baptisait beaucoup d'enfants païens en dan- 
ger de mort. 11 se rendait fréquemment an lieu d'exil de son 
père, le consolait et le fortifiait de tout son pouvoir. 11 donnait la 
plus grande partie de son temps à la prière, à la prédication et 
aux lectures pieuses, instruisant sa famille avec beaucoup de 
soin, édifiant tous les chrétiens par ses bons exemples. 11 conser- 
vait toujours dans le fond du cœur l'espérance que Dieu lui ren- 
drait l'occasion du martyre qu'il avait une fois manqiiée. 
Quand s'éleva la persécution de 1827, il comprit de suite 
qu'après avoir fait connaître la foi chrétienne, si souvent et en 
tant d'endroits divers, il ne pouvait manquer d'être dénoncé et 
saisi. En conséquence il multiplia ses oraisons pour se préparer 
à bien répondre aux desseins de Dieu. Quelque temps après, il 
fut pris en effet, et conduit au tribunal de Siang-tsiou. Le juge, 
après quelques questions préliminaires, lui dit: «Explique-moi 
franchement quelle est votre religion, et quelles sont les règles 
- 360 — 
que vous suivez. » André se mit aussitôt à développer la doctrine 
chrétienne sur l'existence et la nature de Dieu, puis h. expliquer 
en détail les dix commandements. Le juge lui dit : «Parlant aussi 
bien que tu le fais, tu as certainement beaucoup de disciples, 
fais-les connaître en détail. » Sur son refus, il commanda de le 
frapper avec le gros bâton, puis lui fit subir Técartement des os, 
et enfin ordonna de lui scier les jambes avec une corde. Ce sup- 
plice affreux est quelquefois , par un raffinement de barbarie, 
infligé entre les jambes, sur les parties naturelles. André tou- 
tefois paraît n'avoir été scié ainsi que sur les cuisses. Ses 
chairs étaient brûlantes, et les os paraissaient à nu, mais il ne 
cessait de répéter: « Dusse -je mourir, je ne puis dénoncer 
personne. — Et pourquoi ne peux-tu pas? — C'est qu'un 
homme juste ne peut rien faire qui doive tourner au détriment 
des autres. » Pendant trois jours consécutifs, il subit de sem- 
blables supplices sans faiblir. Au contraire, sa joie toute spiri- 
tuelle augmentait de plus en plus. 
Peu de temps après, il fut envoyé au tribunal du gouverneur 
à Tai-kou. Là encore il fut mis à la torture, et à la sommation 
de renier Jésus-Christ, il répondit: « Si j'avais voulu apostasier, 
je l'aurais fait devant le premier tribunaL A quoi bon venir jus- 
qu'ici? » Le gouverneur tout en colère dit : « Il faut que tu 
meures; » et après lui avoir fait endurer des supplices extraor- 
dinaires, ne pouvant rien en obtenir il le renvoya en prison. Le 
lendemain, André fut cité de nouveau, (c As-tu changé de senti- 
ment? » lui demanda le juge. « Je n'ai aucune envie d'en chan- 
ger, » répondit-il, et il fut remis à la torture. Quelques jours 
après, il dut se rendre au tribunal de Tsien-tsiou, pour répondre 
sur certains objets de religion, que les chrétiens emprisonnés 
dans cette ville avaient déclaré tenir de lui. Malgré l'affreux 
état de son corps tout déchiré, il fut jeté sur un cheval, et fit 
cette longue route avec des souffrances qu'il est plus facile d'ima- 
giner quededépeindre. Puis, après avoir subi un nouvel interroga- 
toire à Tsien-tsiou, il revint à sa première prison. Il avait parcouru 
ainsi près de mille lys (cent lieues). Il fut enfin condamné à 
mort, et déposé à la prison en attendant l'exécution de sa sen- 
tence. 
Richard An Koun-sim-i était originaire du district de Po- 
rieng. C'était un homme d'un visage ouvert, d'un caractère 
humble et complaisant. Après avoir embrassé la religion dans sa 
jeunesse, il quitta son pays natal, pour la pratiquer plus libre- 
ment. on admirait surtout le soin qu'il prenait de la bonne 
— 361 — 
('(lucation de ses enfants, et sa charité généreuse pour le pro- 
chain. Assidu il la prière et à la méditation, il ne mancpiait ja- 
mais à ces exercices; il jeûnait habituellement trois (ois la 
semaine. Il passait une grande partie de son temps à copier des 
livres religieux, pour subvenir à ses besoins et h ceux de sa fa- 
mille, et il se faisait un plaisir de les expliquer aux chrétiens et 
aux païens eux-mêmes. Arrêté une première fois, on ne sait 
en quelle année, le mandarin lui demanda : « Est-il vrai que 
tu exerces les arts mauvais? » Il répondit : « Je ne connais et 
n'exerce nullement des arts mauvais; » et sans l'interroger davan- 
tage, le mandarin le renvoya. Cette expression est quelquefois 
employée, quoique rarement, en parlant de la religion, mais 
d'une manière si impropre que nous ne savons si on ])ourrait 
blâmer la réponse de Richard. Néanmoins, il regretta toujours 
depuis de ne pas s'être expliqué plus clairement, et d'avoir man- 
qué de courage. 
En 1827, sentant bien qu'il serait nécessairement compromis 
à cause des nombreux livres écrits de sa main, et réfléchissant 
que Noire-Seigneur lui-même avait fui plusieurs fois devant ses 
ennemis, il se cacha quelque temps, tout en se préparant au 
combat par un redoublement de ferveur. Les satellites de Siang- 
tsiou finirent par le trouver et le conduisirent à cette ville. Le 
mandarin lui dit : « Est-il vrai que tu suis la religion chré- 
tienne? — Cela est vrai, répondit-il. — Explique-moi donc la 
doctrine de Dieu. » Richard fit de son mieux un exposé clair 
et succinct de la religion chrétienne. » Ce que tu dis est beau, 
mais enfreindre ainsi la loi du royaume, n'est-ce pas manquer de 
fidélité au roi ?» A cette question Richard fit la même réponse 
que nous avons entendu faire à presque tous nos martyrs, et 
dans les mêmes termes, parce qu'elle se trouve textuellement 
dans le catéchisme abrégé que presque tous savaient par cœur. 
Il dit : « Dieu étant le grand roi de l'univers et le père de tous 
les hommes, nous l'honorons par-dessus tout. Le roi, les manda- 
rins et les parents ne doivent être honorés qu'après Dieu. — Re- 
nonce à ce Dieu et fais connaître tes complices. » Sur son refus, 
on le frappa violemment, mais il demeura constant dans sa 
profession de foi et fut reconduit en prison. Le lendemain et 
les jours suivants, le mandarin fit recommencer les tortures 
mais sans succès, et après quelque temps d'inutiles efforts, le fit 
transférer à Tai-kou, résidence du gouverneur. Là , il eut à 
subir de nouveaux supplices, son corps n'était plus qu'une plaie, 
mais les souffrances ne faisaient qu'augmenter l'ardeur de son 
— 362 — 
amour pour Dieu. A la fin il fut condamné à mort et reconduit 
à la prison. 
Ces quatre confesseurs furent bientôt rejoints dans les cachots 
de Tai-kou, par deux autres non moins intrépides, André Ni et 
Ambroise Kim, que nous allons maintenant faire connaître. 
André Ni Tsiong-ir-i, originaire du district de Hong-tsiou, 
avait un caractère ferme, droit et charitable qui le faisait remar- 
quer et estimer de tous. Il ne fut instruit de la religion qu'àTàgede 
vingt et quelques années, mais sa conversion fut tellement sincère 
et complète que, ne se trouvant pas dans sa propre patrie assez 
libre de pratiquer sa foi comme il le désirait, il quitta sa famille, 
son avoir et ses proches, et se retira dans les montagnes. Forcé 
par les circonstances d'émigrer successivement en diverses pro- 
vinces, il eut bientôt dépensé le peu qu'il avait emporté avec lui, 
et dut soutenir son existence par le travail de ses mains. La rési- 
gnation d'André au milieu de la pauvreté et des privations qui 
en sont la suite, sa charité envers tous, sa patience à supporter 
les injures, sa réserve dans toutes ses paroles, le soin qu'il pre- 
nait de l'instruction et de l'éducation de sa famille, et tant 
d'autres vertus qui brillaient en lui, excitaient l'admiration de 
tous. Quoiqu'il fût très-occupé par les soins quV'xigeait l'entre- 
tien de sa maison, jamais il ne voulut rien relâcher de son appli- 
cation assidue et incessante à la prière et aux lectures pieuses. 
Lorsque la persécution s'éleva en 1827, il se prépara au mar- 
tyre par la fuite des sociétés mondaines et par Uii redoublement 
de ferveur. Il encourageait les siens en disant : « Il faut que cha- 
cun de nous se prépare à souffrir la mort, et loutCibis, ne connais- 
sant pas les desseins de Dieu, nous devons cher her à échapper 
aux persécuteurs si nous le pouvons. » 
11 vivait à Kom-tsik-i, au district de Sioun-heng, où les satel- 
lites vinrent le saisir. Il les reçut avec allégresse et fut conduit 
au tribunal d'An-tong. Le juge lui demanda : « Est-il vrai que tu 
suives une mauvaise doctrine? — Le Dieu du Ciel, répondit 
André, est le créateur de toutes choses ; il est le grand roi qui 
gouverne tout, le père suprême qui nourrit tous los hommes; c'est 
lui qui récompense le bien et punit le mal. Le devoir de tout 
homme étant de l'adorer, je l'adore et le sers. Quant à une mau- 
vaise doctrine je n'en connais pas. — Tu réponds bien insolem- 
ment, cria le mandarin, apostasie de suite. » Et il le fit battre 
cruellement. André, d'un visage calme et d'un ton de voix ferme, 
dit alors : « Dix mille et dix mille fois je ne puis renoncer à mon 
Dieu. Veuillez ne plus m'interroger là-dessus. » Le mandarin 
- 363 — 
piqué fit continuer les supplices pendant plusieurs jours; nciais 
l'amour de Dieu soutint André jusqu'au bout. Il fut envoyé ensuite 
au tribunal du gouverneur, qui lui dit : « on m'assure que tu ne 
veux pas abjurer. Nous allons voir. » Et il lui fil subir, par 
trois fois, des tortures atroces, mais en vain. on essaya ensuite 
de le gagner par des caresses et par la douceur, mais tous les 
moyens étant inutiles, il fut h la fin condamné à mort et consigné 
à la prison avec les autres confesseurs. 
Ambroise Kim Koun-mi, nommé aussi En-ou, descendait 
d'une famille d'interprètes de la capitale, et était parent éloigné 
de Thomas Kim, confesseur de la foi en 1783. A peine la reli- 
gion fut-elle introduite en Corée, qu'il l'embrassa de toute l'ar- 
deur de son âme, et la fit connaître à sa femme et à ses enfants. 
Mais ceux-ci ne l'écoutèrent point et non contents de ne pas 
l'imiter, cherchèrent par mille vexations à le ramener à l'ido- 
lâtrie. Sa femme surtout, d'un caractère violent et acariâtre, ne 
lui laissait aucun repos ; elle voulait, entre autres choses, l'em- 
pêcher d'observer les jeûnes et abstinences de l'Eglise, et disait 
souvent, à haute voix, force injures contre la religion. Ambroise, 
ftitigué de tant d"importunités, prit le parti de quitter sa maison, 
et faisant ses adieux à sa famille, peu après 1791, s'en alla trou- 
ver les chrétiens de la province, vivant tantôt chez l'un et tantôt 
chez l'autre, instruisant tous ceux qui voulaient l'entendre, et 
copiant des livres de religion, pour gagner sa vie. Il eut le bon- 
heur de voirie P. Tsiou, près duquel il paraît même être resté 
quelque temps, et y affermit sa foi et sa vertu. N'ayant pas de 
domicile, il se retirait de temps en temps dans les montagnes, 
pour vaquer plus tranquillement à ses exercices de piété. 11 ai- 
mait surtout à catéchiser les enfants, et ne cessait d'exciter cha- 
cun à la pratique des vertus, plus encore par ses exemples que 
par ses paroles. Chaque nuit, même dans les grands froids de 
l'hiver, il se levait à minuit pour se livrer à la prière. Très-sobre 
dans sa nourriture, il s'était prescrit des limites étroites qu'il ne 
dépassa jamais, quelle que fût la qualité bonne ou mauvaise des 
mets qu'on lui présentait. 
Ambroise avait échappé aux persécutions de 1801 et de 1815. 
En 1827, tous les chrétiens de sa connaissance étaient en fuite, 
et, chaque jour amenant la prise de plusieurs d'entre eux, le 
maître de la maison où il s'était réfugié alla se cacher chez un 
païen. Ambroise, qui ne savait plus de quel côté diriger ses pas, 
et ne voyait aucun moyen de se soustraire aux poursuites, prit la 
résolution de se livrer lui même. Il se rendit donc à la ville d'An- 
— 364 — 
tong à la cinquième lune, déposa chez un geôlier le petit paquet 
qu'il portait, et voulut se présenter devant le juge criminel. Le 
portier du tribunal l'en empêcha, mais Ambroise répondit : « Je 
suis chrétien ; allez avertir le juge que je suis là. » Les satel- 
lites le traitaient d'insensé et le repoussaient ; mais il cria à 
haute voix: «Je ne suis pas un insensé, mais bien un chrétien.» 
on dut donc avertir le juge, qui le fit venir et lui adressa quel- 
ques questions. Ambroise refusa de répondre sur le lieu de sa de- 
meure et sur l'endroit où étaient cachés ses livres, reçut une volée 
de coups sur les jambes et fut mis en prison. Un mois plus tard, 
il fut envoyé à Tai-kou où se trouvaient les autres confesseurs, 
tous ses amis intimes. Devant le gouverneur, il reçut par trois fois 
de violentes bastonnades, et fut soumis à diverses tortures, qu'il 
supporta avec une patience inébranlable. A la fin il fut condamné 
à mort, et laissé en prison en attendant la confirmation de la 
sentence. 
A cette même époque se trouvait, par hasard, dans le voisinage 
de Tai-kou. un bonze très-fameux dans la province, et qui s'était 
même coupé par dévotion quatre doigts de la main. Le juge eut 
l'idée de commander à Paul Pak de discuter avec ce iDonze la 
vérité ou la fausseté de leurs doctrines respectives. A cette nou- 
velle, tous les chrétiens prisonniers furent fort inquiets. Paul 
leur dit : « Sans études comme je le suis, comment pourrais-je 
lui tenir tète par mes propres forces? Mais si je compte unique- 
ment sur le secours de Dieu et de sa sainte Mère, qu'y a-t-il à 
craindre, et pourquoi vous inquiéter? Priez seulement pour moi.» 
Arrivé au tribunal et lorsque la discussion allait commencer, les 
prétoriensvoyantque les forces de Paul étaient épuisées, lui offri- 
rent une tasse de vin qu'il accepta avec reconnaissance. Après l'a- 
voir bue, il se mit à raisonner avec le bonze. on était à peine entré 
en matière que celui-ci, perdant le fil de son discours, resta sans 
réponse, fut obligé de s'avouer vaincu, et, tout couvert de honte, 
voulut prendre la fuite. En vain les mandarins, les prétoriens, 
les satellites, tous humiliés et furieux, voulurent ranimer leur 
champion ; ils ne purent le décider à proférer une seule parole, 
et finirent par le chasser ignominieusement. Paul rendit grâces 
à Dieu de la victoire qu'il lui avait accordée, et pendant qu'il 
retournait à sa prison, les satellites le louaient, l'exaltaient, le 
félicitaient grandement, et se disaient entre eux : « La religion 
du Dieu du Ciel est certainement une doctrine vraie. Quant aux 
bonzes sectateurs de Fô, qu'on en empoigne seulement deux 
ou trois et qu'on leur fasse subir les tourments qu'on inflige aux 
— 365 — 
chrétiens, il n'en restera pas, sous le ciel, même une petite graine, 
pour propager désormais la doctrine de Fô. » 

on ne voit pas que de nouvelles arrestations de chrétiens aient 
eu lieu après la cinquième lune. Le zèle des persécuteurs s'était-il 
ralenti de lui-même, ou des ordres secrets de la cour étaient-ils 
intervenus? nous l'ignorons. A cette époque, on ne songea plus 
qu'à se débarrasser des prisonniers. Tous furent interrogés de 
nouveau ; on relâcha les uns, on envoya les autres en exil. Les 
petits enfants de Paul Pak furent, h cause de leur jeunesse, mis 
en liberté. En les quittant Paul leur dit : « Allez et conservez vos 
âmes pures de tout péché, et si vous aviez le malheur d'offenser 
Dieu, repentez-vous sincèrement. Pratiquez toujours fidèlement 
notre sainte religion. Avant dix ans d'ici, les chrétiens de Corée 
auront un grand sujet de joie. » H voulait parler de l'entrée des 
prêtres dans le pays. . ^ m • 
Après quelques jours, il ne resta plus dans les prisons de lai- 
kou que les six confesseurs dont nous avons parlé. Inébranlables 
dans leur résolution et, voyant que l'exécution de leur sentence 
traînait en longueur, ils s'établirent dans les cachots comme pour 
y passer leur vie. Chacun d'eux, pour soutenir son existence, 
confectionnait des souliers de paille, ou exerçait quelque autre 
petit métier. Un nouveau gouverneur ayant remplacé le précè- 
dent, les fit citer à sa barre et, après un court interrogatoire, les 
fit battre très-violemment. Paul Pak, épuisé par l'âge et par les 
divers supplices qu'il avait endurés, ne put survivre à ces nou- 
velles tortures. Rentré à la prison, il languit encore quelques 
jours, puis, sentant que sa fin approchait, il appela auprès de lui 
son fils André et les autres prisonniers condamnés à mort, les 
exhorta a la constance et à la fidélité dans le service de Dieu. 
« Regardez cette prison, leur dit-il, comme un séjour de bon- 
heur • ne laissez pas partager votre cœur par une affection exces- 
sive et déréglée pour les parents ou enfants que vous avez au 
dehors, et suivez mes traces. on est bien heureux de mourir 
pour Jésus-Christ. » Après quoi, il rendit son âme à Dieu dans 
un calme et une paix admirables, le 27 de la neuvième lune de 
l'année tieng-hai (1827), à l'âge de soixante et onze ans. Il avait 
été cinq mois en prison. Ainsi mourut ce digne confesseur de la 
foi, dont la mémoire est restée en grande vénération dans tout 
le pays. Sa bonté extraordinaire, sa douceur inaltérable, l'hos- 
pitalité qu'il exerçait si généreusement envers tous, son zèle à 
répandre la religion chrétienne, et les autres vertus dont il 
donna toujours de si beaux exemples, pendant sa longue carrière, 
— 366 — 
attirèrent la bénédiction de Dieu sur lui et sur sa famille. Non- 
seulement son fils André, que nous retrouverons plus tard, ne 
dégénéra pas, mais aujourd'hui encore ses descendants se mon- 
trent dignes de lui, par leur foi et leur ferveur. 
Ambroise Kim mourut aussi dans la prison, un peu plus tard. 
Pendant sa vie il avait toujours regretté d'être à charge à ceux qui 
lui donnaient asile. Ayant appris que les prisonniers qui, comme 
lui, n'avaient aucune ressource étaient nourris au moyen d'une 
taxe imposée par le gouverneur aux maisons du voisinage, il fut 
singulièrement tracassé de cette pensée, qu'il était à charge aux 
gens du quartier. C'est sans doute ce qui le détermina à se priver 
presque entièrement de nourriture. Beaucoup de chrétiens, au 
contraire, ont attribué à une inspiration divine celte étrange 
résolution. Il commença donc un jeûne presque absolu ; ce 
qu'ayant vu , les autres prisonniers lui dirent: « Maître, puis- 
que vous ne mangez plus, nous devons tous faire comme vous. » 
Il les reprit fortement en disant : « Quoique je doive, moi , en agir 
ainsi, sans pouvoir vous en expliquer le motif, pour vous, une 
pareille conduite serait un suicide. » Les uns disent qu'il passa 
ainsi plusieurs jours, après quoi il s'éteignit paisiblement. Selon 
d'autres témoignages il aurait, afin de n'être à personne une 
cause de scandale, repris des aliments après son long jeûne, et 
survécu encore un certain temps. 11 mourut à l'càge de soixante- 
huit ans, le 27 de la dixième lune de l'année mou-Isa (1828). 
Enfin, pour compléter l'histoire de cette persécution de 1827, 
disons deux mots de l'arrestation de quelques chrétiens dans 
l'extrémité est de la province de Tsiong-tsieng. 
Laurent Niou Sioun-tsi était venu, au commencement de cette 
année, habiter Kip-keun-kol, au district de Tan-iang. Lorsque 
la persécution s'éleva dans de Kieng-siang, un certain nombre 
de chrétiens de cette province, ses parents ou amis, se réfugièrent 
chez lui pour se mettre à l'abri des poursuites. Sur ces entre- 
faites, un des amis païens de Laurent le dénonça aux prétoriens 
de Tan-iang, les engageant à le saisir pour en tirer quelque 
rançon, qu'il se promettait bien de partager avec eux. Ils n'eu- 
rent pas de peine à se rendre à une invitation si conforme à leurs 
goûts et, dans le courant de la cinquième lune, vinrent arrêter 
Laurent, et avec lui une vingtaine de personnes alors réunies 
dans sa maison. Conduits au tribunal de Tan-iang, tous se hâtè- 
rent d'apostasier, excepté Laurent que de violents supplices ne 
purent ébranler. Le mandarin dit alors : « Je voudrais bien vous 
— 367 — 
relâcher tous, mais ce coquin-là est un de vos chefs, et s'il n'a- 
postasie pas, je ne mettrai personne en liberté. » Aussitôt tous les 
prisonniers éclatèrent en murmures contre Laurent, lui faisant 
mille instances, le molestant et l'obsédant de telle sorte qu'à la 
fin, ne pouvant plus y tenir, il prononça comme eux une formule 
d'apostasie. 

on les relâcha immédiatement et ils sortirent tons ensemble. 
Laurent les renvoya chacun de son côté, leur recommandant de 
s'enfuir en toute hâte. Resté seul, il attendit pour leur donner le 
temps de se mettre en sûreté, puis retourna devant le mandarin, 
se rétracta, et se montra de nouveau déterminé à mourir. Les 
supplices ne lui manijuèrent pas : mais il les supporta sans 
faiblir, et on finit par l'envoyer au juge criminel de T'siong- 
tsiou. 
Comme il montrait toujours la même fermeté, le juge porta 
contre lui une sentence de mort, laquelle fut ensuite, on ne sait 
'pourquoi, changée en condamnation à l'exil. Laurent réclama 
en plein tribunal disant que, selon la loi, il devait mourir, mais 
on ne l'écouta point, et on l'expédia àMou-san, à l'extrémité sep- 
tentrionale de la province de Ham-kieng. En l'envoyant, le 
juge dit aux satellites : « Cet individu pourrait bien, pendant la 
route, infatuer de sa doctrine quelques hommes du peuple. Soyez 
sur vos gardes et surveillez-le. «Laurent répondit : « Dans la 
route je veux convertir seulement dix mille personnes. » Arrivé 
au lieu de son exil, il se mit à pratiquer sa religion ostensiblement, 
et à la prêcher a tous ceux qui l'approchaient, satellites ou gens 
du peuple, ce qui irrita beaucoup le mandarin et ses gens. Aussi 
Laurent fut-il, quelque temps après, enfermé dans une maison 
avec défense de sortir ; puis on finit par ne plus lui donner de 
nourriture. Quelques jours se passèrent, et, ne pouvant plus 
supporter la faim et la soif qui le dévoraient, il demanda instam- 
ment qu'on lui apportât quelque chose. on détrempa alors de 
la farine de riz, avec une égale quantité de sel, et on en forma 
des gâteaux qu'on lui offrit. Son estomac déjà ruiné par un long 
jeûne ne put supporter cet horrible mets, et, avant d'en avoir 
pris la moitié, le confesseur expira, comme l'avaient prévu ses 
bourreaux. Celait vers la douzième lune de cette année, ou, selon 
d'autres, à la troisième lune de l'année mou-tsa (1828). Lau- 
rent était alors âgé de trente-cinq à quarante ans. 
Telle est, sur celte affaire de Tsiong-tsieng , la version qui 
nous a paru la plus digne de foi. Nous n'avons pas cru devoir 
passer ces faits sous silence, quoique h manque de témoignages 
— 368 — 
suffisamment précis ne nous permette pas d'en affirmer la com- 
plète authenticité. 
Ainsi passa, comme un violent orage, cette persécution de 
J827. Toutes les chrétientés de la province de Tsien-la furent 
ravagées; mais sauf quelques districts du Kieng-siang, et un 
village de Tsiong-tsieng, on ne voit pas que les fidèles des autres 
provinces aient été inquiétés. Cette persécution diffère des pré- 
cédentes en plusieurs points qu'il n'est pas inutile de noter. Elle 
fut comparativement assez courte. Les premières arrestations 
eurent lieu vers la fin de la deuxième lune ; trois mois après, 
elles avaient cessé. Il semble évident aussi que le gouverne- 
ment central ne fut pour rien dans les poursuites. L'avidité des 
mandarins et de leurs satellites, les rancunes populaires, les 
dénonciations individuelles furent la cause de tout le mal. Une 
autre différence, c'est que le gouvernement, loin de prodiguer le 
sang des chrétiens comme auparavant , ne permit d'exécuter 
aucune des sentences de mort portées par les tribunaux de pro- 
vince, et fit laisser les condamnés en prison pour un temps indé- 
fini. Cette indulgence relative venait très-probablement , comme 
nous l'avons déjà remarqué, de l'opposition personnelle du roi 
aux mesures de rigueur proposées par ses ministres et ses man- 
darins. Enfin, ce qui distingue d'une manière bien triste la per- 
sécution de 1827 de toutes celles qui avaient précédé ou qui sui- 
vront, c'est le grand nombre des apostats. Il y avait eu près de 
cinq cents arrestations, il n'y eut guère de confesseurs fidèles que 
ceux dont nous avons cité les noms et raconté l'histoire. C'est 
un spectacle bien affligeant sans doute, mais quand on se rap- 
pelle que sur les cinq cents chrétiens arrêtés, près de la moitié 
n'étaient que catéchumènes, que quatre ou cinq d'entre eux 
au plus avaient vu le prêtre et reçu une fois ou deux les 
sacrements, on ne s'étonne que d'une chose, c'est que tous n'aient 
pas apostasie, c'est que parmi ces néophytes délaissés, Jésus- 
Christ ait trouvé des confesseurs et des martyrs. D'ailleurs, 
cette fois-ci comme toujours, presque tous ceux qui avaient eu la 
faiblesse de céder aux tortures, ne discontinuèrent pas leurs pra- 
tiques de religion, et, à peine rentrés chez eux, se repentirent 
de leur faute et travaillèrent à la réparer. 
A la persécution succéda une période de grande tranquillité pour 
les chrétiens de Corée, et nous ne trouvons dans les quatre ou 
cinq années suivantes que très-peu de faits intéressants à signaler. 
k 
— 369 — 
Le roi alors régnant était Sioun-tsong, prince ainié et estimé 
de son peuple. Bien qu'âgé seulement d'une quarantaine d'années, 
il ne se sentait plus ni la force, ni l'envie de rien diriger par lui- 
même. Ses facultés mentales semblaient s'affaiblir de jour en 
jour, il soupirait après le calme et la tranquillité, et voulait à tout 
prix'se décharger des soucis du gouvernement. Dans ce but il 
avait, depuis quelque temps, associé à la conduite des affaires 
son fils Ik-tsong, et s'était fait préparer, pour sa retraite, un 
palais à la ville de Siou-ouen, éloignée de soixante lys (six lieues) 
delà capitale. L'époque à laquelle il devait s'y retirer définitive- 
ment n'était pas éloignée, lorsqu'on 1830, le jeune roi fut atta- 
qué d'une maladie grave qui bientôt fit craindre pour ses jours. 
Toute la science des médecins de la cour étant inutile, on résolut 
d'appeler près du malade quelques-uns des plus célèbres docteurs 
du rovaume. L'un d'eux était Jean Tieng lak-iong, que nous avons 
vu condamner à l'exil, vers la fin de 1801. on l'avait, il est vrai, 
rappelé en 1 818, mais la grâce accordée n'était pas complète ; il 
n'avait pas été réintégré dans ses dignités, et menait la vie de 
simple particulier. Or, d'après les usages, la porte du palais ne peut 
être ouverte à de pareilles personnes, et à plus forte raison, le roi ne 
peut pas les recevoir en sa présence. Comme le danger pressait, 
un édit royal rétablit immédiatement Jean Tieng dans tous ses 
honneurs et dignités, et rendit à sa famille ses titres héréditaires 
de noblesse. Mais il était trop tard pour le jeune prince, et l'habi- 
leté de Jean ne put lui sauverlavie.il mourut quelques jours 
après et, comme il avait eu en main l'administration du royaume, 
on lui fit de pompeuses obsèques, comme à un roi, et non pas 
seulement comme à l'héritier présomptif de la couronne. Les 
cérémonies furent troublées par un accident que tous regardèrent 
comme de sinistre augure. Le feu prit à l'appartement ou se fai- 
sait la pompe funèbre, et le cercueil fut à demi brûle, ainsi 
que tous les ornements qui le décoraient. 
Depuis son retour de l'exil, Jean Tieng avait repris avec plus 
de ferveur qu'auparavant tous ses exercices religieux. Touche 
d'un sincère repentir pour le crime qu'il avait commis en 1801, 
en reniant de bouche la foi de Jésus-Christ, il vivait sépare du 
monde, presque toujours enfermé dans sa chambre, ou il ne 
recevait qu'un petit nombre d'amis. Il se livrait fréquemment au 
ieûne et autres exercices de pénitence, et ne quittait jamais des 
chaînes de fer dont il s'était fait une ceinture fort douloureuse. Ses 
méditations étaient longues et fréquentes. Il a laisse par écrit 
une partie de ses réflexions, ainsi que divers autres ouvrages, 
l'église de CORÉE. 
— 370 — 
composés pour réfuter les superstitions des païens, ou pour 
instruire les néophytes. Plusieurs de ses écrits, souvent cachés 
sous terre en temps de persécution, ont été rongés par les vers 
ou par la pourriture ; beaucoup sont conservés dans sa famille. 
Après son entière réintégration, Jean ne changea rien à son genre 
de vie retirée, et sa ferveur toujours croissante réjouit et édifia 
tous les chrétiens, que sa chute avait autrefois scandalisés. Il 
mourut en 1835, après l'entrée du P. Pacifique en Corée, et 
reçut les derniers sacrements de sa main. 
Ajoutons de suite, pour compléter l'histoire de Jean Tieng, que 
son fils Hong-iou-san, homme très-remarquable par ses talents 
et ses connaissances, après avoir longtemps manifesté un grand 
éloignemenl pour la religion chrétienne, qu'il accusait de tous 
les malheurs de sa famille, finit par se convertir, et reçut le 
baptême quelques années avant sa mort. Une sœur de Jean était 
belle-fille du ministre Tsaï, dont nous avons parlé à l'occasion 
de la persécution de 1801. Devenue veuve dès lage de seize ans, 
elle passa une vie triste et solitaire dans la famille toute païenne 
de son mari. Elle eut enfin le bonheur, dans sa vieillesse, d'em- 
brasser la foi, et, quand elle mourut, en 1851, le prêtre indigène 
Thomas T'soi trouva le moyen de s'introduire furtivement auprès 
d'elle pour lui administrer les sacrements. 
Pendant que Jean Tieng reprenait son rang dans la haute 
noblesse du royaume, un autre noble chrétien, exilé comme lui 
lors de la grande persécution, mourait à Mou-san, à l'extrémité 
de la province septentrionale, après trente ans de privations et de 
souffrances. C'était Justin Tsio Tong-sien-i, déjà bien connu de 
nos lecteurs. Pris à lang-keun, à la fin de 1800, et conduit à 
la capitale, il fut condamné à l'exil, quoique très-probablement 
il n'eût jamais donné le moindre signe d'apostasie. Il continua 
toujours à pratiquer la religion, et supporta avec un calme héroï- 
que le départ de son fils, qu'on enlevait d'auprès de lui, pour le 
condamner aux tortures et à la mort. En 1819, l'arrestation de 
Pierre Tsio Siouk-i, l'un de ses parents, fut cause qu'on lui fit 
subir un nouvel interrogatoire. Le mandarin lui demanda s'il 
pratiquait encore sa religion ; Justin répondit : « Si je ne la pra- 
tiquais plus, serais-je dans cette position ? — Si tu t'obstines à 
résister à l'ordre du roi , on te mettra à mort et avec toi celui 
de ta famille que l'on vient de prendre. — Je ne crains rien de 
tout cela, répondit Justin, faites ce que vous voudrez. » Dès 
ce moment, le mandarin donna des ordres pour ne plus lais- 
ser communiquer personne avec lui. Beaucoup de ceux qui le 
— 371 — 
fréquentaient auparavant obéirent à cette injonction du manda- 
rin, mais une grande quantité d'élèves qu'il instruisait dans les 
lettres chinoises, et (jui lui étaicni très-attachés, ne firent aucun 
cas de la consigne. Sous les yeux des gardes, ils escaladaient les 
murs et les haies pour se rendre à ses leçons, et ils étaient si 
nombreux et si résolus, que le mandarin crut plus sage de fermer 
les yeux sur leur conduite. 
Pendant trente ans d'exil, Justin supporta avec une patience et 
une résignation admirables les misères et les épreuves de sa 
position. Il était heureux de souffrir pour Jésus-Christ, et le 
Sauveur, acceptant son sacrifice, lui accorda la grâce d'une sainte 
mort, le 14 de la sixième lune de l'année kieng-in(2 aoîit 1830). 
Justin Tsio avait alors quatre-vingt-douze ans. Dans les années 
qui suivirent, quelques-uns de ses disciples vinrent plusieurs fois 
à 1,500 ou 1,600 lys (150 ou 160 lieues) de distance, dans des 
pays inconnus pour eux, cherchant à se mettre en rapport avec 
les fidèles, à compléter l'éducation religieuse qu'ils avaient reçue 
de Justin, et à entrer dans le sein de l'Eglise. Malheureusement, 
la crainte de se compromettre empêcha ceux auxquels ils s'adres- 
saient de se déclarer chrétiens, et ces pauvres gens furent obligés 
de retourner dans leur pays, sans avoir reçu le baptême. on n'en 
a plus entendu parler depuis, caries chrétiens n'ont aucun rapport 
avec cette province éloignée. Toutefois, nous ne pouvons croire 
que ces hommes courageux, qui ont fait des démarches si extra- 
ordinaires pour trouver le salut, aient été entièrement abandon- 
nés. C'est Dieu qui a dit : « Celui qui demande obtient, celui 
qui cherche trouve, on ouvre à celui qui frappe ; » et notre Dieu 
est fidèle à ses promesses. 
En cette même année 1830, au nord de la province de Kieng- 
siang, la grâce de Dieu opérait des prodiges dans la personne 
d'un jeune homme nommé Kim Ho-ien-i. Descendant d'une 
famille du district de An-tong, célèbre par la rare vertu d'un de 
ses ancêtres, il était lui-même d'un caractère bon, doux, simple 
et réfléchi. Dès l'enfance, il parlait peu et ne se mêlait guère aux 
jeux et aux amusements de ses compagnons. Quelques-uns pen- 
sèrent d'abord que c'était chez lui idiotisme, mais ils furent 
bientôt détrompés. Avant lage de vingt ans, Ho-ien-i avait 
acquis une connaissance exacte de la plupart des livres sacrés du 
pays ; il était versé dans toute espèce de sciences , dans la 
morale, la philosophie, les mathématiques, l'astronomie, les 
arts magiques , les doctrines les plus abstruses de Fô et de 
— 372 — 
Laotse. Cependant le monde n'avait aucun attrait pour lui, et il 
faisait si peu de cas de la gloire et de la réputation, qu'il ne vou- 
lut pas se donner la peine de concourir aux examens publics. 
Toujours dans un coin, modestement assis, plongé dans quelque 
méditation, il adressait à peine la parole à ses amis, et ne 
répondait pas à leurs plaisanteries. Aussi le signalait-on dans 
tout le pays comme un sage, et sa réputation de savoir et de 
vertu se répandant au loin, beaucoup de personnes venaient le 
voir et lui demander la solution des plus difficiles problèmes. 
Ennuyé de cette affluence, il quitta son pays en cachette et se 
retira au pied de la montagne Tai-paik-san, au district de Sioun- 
heng, poury jouir de la solitude, et continuer ses travaux. C'est Ik 
que la grâce l'attendait. A peine fut-il arrivé, qu'il fit connaissance 
avec un chrétien instruit et capable, qui habitait dans ces mêmes 
montagnes. Leurs conversations roulant toujours sur les sciences, 
il eut bientôt conçu une haute estime pour ce chrétien, que la 
lumière de la vérité mettait à même de traiter et de résoudre des 
questions inconnues aux païens. Plus il le consultait, et plus son 
admiration augmentait. Le chrétien fut peu à peu amené à parler 
de sa religion, et à peine en eut-il exposé les premiers principes, 
que Ilo-ien-i, tressaillant de joie, lui dit : « Voilà ce que je cher- 
chais. Toute ma vie, j'avais présumé que l'homme doit avoir une 
fin digne de lui, mais ne trouvant rien là-dessus dans nos livres 
sacrés, j'en étais resté à des doutes ; aujourd'hui, j'ai rencontré 
la vraie doctrine. » 
Sans perdre de temps, il se mit à étudier quelques livres de 
religion, rompit à l'instant avec toutes les superstitions païennes, 
et détestant toutes les erreurs dont son âme avait été jusqu'a- 
lors victime, ne pensa plus qu'à obtenir la connaissance et la 
grâce de Dieu. Tout occupé à cette préparation, il ne prenait 
aucun repos. Il passa ensuite une vingtaine de jours dans les 
exercices de la pénitence pour purifier son âme, et invita le 
chrétien à aller faire une promenade avec lui. Ils devisaient en- 
semble, quand arrivés sur les bords d'un petit ruisseau, Ho-ien-i, 
qui avait tout calculé d'avance, se mit à genoux, demanda le 
baptême , et fit des instances si pressantes que le chrétien ne put 
y résister ; il lui administra le sacrement de la régénération. 
Ho-ien-i prit le nom de Paul. Tout ce jour, des larmes abon- 
dantes coulaient de ses yeux, et dans l'excès de son bonheur, il 
disait : « Pour remercier Dieu de ses incomparables bienfaits, 
il n'y a d'autre moyen que de souffrir le martyre. » Sa ferveur 
augmenta dès lors d'une manière prodigieuse. Il ne s'occupait 
— 373 — 
que de ses exercices de piété et de l'accomplissement de ses 
devoirs. 
Bientôt il retourna h la maison paternelle, instruisit son frère, 
et peu après fit voir à son père des livres de religion. Celui-ci 
bc rendit d'abord et reconnut la vérité du christianisme, mais 
ayant ensuite étudié plus attentivement les conséquences de ses 
dogmes, il entra dans une grande colère, et prononça ces pa- 
roles qui résument bien l'idolâtrie coréenne, et les principales 
superstitions qui, dans ce pays, font obstacle à l'Évangile : « Si 
l'on suit celte nouvelle religion, les temples du génie protec- 
teur du royaume, les temples des ancêtres du roi, les temples 
de Confucius et des grands hommes, les tablettes des ancêtres 
et tous les sacrifices deviennent inutiles et doivent disparaître. 
Je comprends maintenant combien le roi a eu raison de l'inter- 
dire sévèrement, et de punir ses sectateurs. » Puis il répri- 
manda son fils très-fortement, lui ordonna de rompresur-le-champ 
avec les chrétiens et de brûler tous ses livres, et ne cessa plus 
de le maltraiter pour l'empêcher de pratiquer sa foi. Le frère 
de Paul, homme violent et brutal, s'emporta plusieurs fois jus- 
qu'à le frapper avec un bâton. Mais notre courageux néophyte, 
affermi par la grâce qu'il avait reçue le jour de son baptême, op- 
posa une résistance inflexible. 
Cependant, comme il était d'une constitution naturellement 
très-délicate, il craignit de succomber à ces mauvais traitements 
répétés. C'est pourquoi il quitta secrètement sa maison, et alla 
se cacher chez de pauvres chrétiens, où il passa quelques mois 
dans un dénûment absolu, et au milieu de privations difficiles à 
décrire. 11 s'était choisi une place qu'il ne quittait jamais. Là, 
assis sur ses talons, il se livrait à la prière, à la lecture, à la mé- 
ditation, passait ainsi tout le jour et une partie de la nuit, et, au 
chant du coq, faisait semblant de prendre quelque repos. De plus, 
il jeûnait régulièrement les vendredis et samedis; de sorte que 
les chrétiens se disaient entre eux que Paul était comme un 
homme n'ayant pas de corps. Pendant les grandes chaleurs de 
l'été, il ne changea rien à ce régime, et on ne le vit pas une 
seule fois sortir de sa chambre pour prendre l'air. Malgré cela, 
il se portait très-bien, et on ne voyait sur son visage aucune 
trace de fatigue, ce que chacun attribua à un miracle de la 
Providence. 
Le père de Paul voyant qu'il ne revenait pas après plusieurs 
mois, se douta qu'il était quelque part chez des chrétiens, et se 
disposa à en accuser quelques-uns devant le mandarin, afin de 
- 374 — 
retrouver son fils. Cette affaire pouvait avoir de graves consé- 
quences. on en fit avertir Paul, qui prit le parti de retourner 
chez lui. Il confia aux chrétiens un livre qu'il avait composé sur 
la religion, et les divers objets religieu.x qu'il possédait, et leur 
fit ses adieux en disant : « Revoyons-nous dans la véritable pa- 
trie. » Quand il se présenta à la maison paternelle, son père le 
reçut d'abord d'un air affable, mais peu de jours après il lui dit: 
« Pendant que tu n'étais pas ici, beaucoup de personnes sont 
venues de toutes parts te chercher; ta réputation en toute espèce 
de sciences est déjà répandue au loin ; quand on viendra te con- 
sulter de nouveau, si tu t'obstines dans cette religion, comment 
pourras-tu répondre aux questions qui te seront adressées ? Pour- 
quoi rester ainsi entêté? Je saurai bien te guérir de cette folie; » 
et il le battit cruellement. La même scène se répéta les jours sui- 
vants. Paul supportait le tout avec patience, sans discontinuer 
ses pieux exercices ; mais après quelques semaines il tomba 
gravement malade. Ses forces étaient épuisées, et il était devenu 
d'une maigreur effrayante. 
Environ deux mois se passèrent ainsi, sans que la colère de 
ce père dénaturé se calmât, et sans que la ferveur et la rési- 
gnation de Paul eussent en rien diminué. Il était presque à l'ago- 
nie quand son père vint le trouver, un couteau à la main, et lui 
dit : « Tu dois évidemment mourir sous peu ; si tu meurs après 
avoir apostasie, je te reconnais pour mon fils; mais si tu refuses 
d'apostasier, je têtue maintenant avec ce couteau, puis, avec le 
même couteau, je me donnerai la mort à moi-même.» Paul répon- 
dit : « Pour obéir à un père, on ne peut transgresser les ordres 
du roi ; à plus forte raison, Dieu étant le .souverain roi de tout 
l'univers et le père de tous les hommes, récompensant le bien 
et punissant le mal, devons-nous lui obéir malgré tout. Vous 
voulez me forcer à le renier, est-ce là le devoir d'un père? » Il 
n'avait pas achevé, que son père, exaspéré, se précipite et veut le 
percer de son couteau ; mais la mère et les frères de Paul s'élan- 
cent sur lui et le retiennent. Ne pouvant se débarrasser d'eux 
et atteindre son fils, il veut se couper la gorge. on l'en empêche 
également. Cependant, Paul disait avec beaucoup de douceur : 
« Mon père, quoique vous en veniez à ces excès, je ne puis, pour 
suivre vos ordres, enfreindre les commandements de notre père 
céleste. » 
Le lendemain, dès le matin, Paul se livra selon sa coutume 
à la prière et à la méditation. Pendant la matinée, il demandait fré- 
quemment s'il était midi, et ce temps arrivé, il récita dévotement 
- 375 — 
YAityclus ; puis, bientôt, levant les yeux au ciel, il s'agenouilla et 
rei.dit l'âme à Dieu, si tranquillement que ceux qui étaient près 
de lui ne s'aperçurent pas de son dernier soupir. C'était à la 
huitième lune de l'année sie-mio (septembre 1831). Un an s'é- 
tait à peine écoulé depuis la conversion de Paul, et il n'était 
âgé que de trente-six ans. on rapporte qu'après sa mort, ses 
parents ayant voulu faire les sacrifices d'usage, l'autel dressé à cet 
effet s'écroula de lui-même. 
Les chrétiens de Corée comptent Paul au nombre de leurs plus 
glorieux martyrs, et Dieu sans doute aura ratifié leur jugement. 
La conduite de Paul fut admirable, surtout pour un Coréen. 
N'oublions pas que, plusieurs fois déjà, nous avons vu des con- 
fesseurs, après avoir bravé les mandarins et vaincu les sup- 
plices, succomber misérablement aux assauts de la tendresse 
naturelle pour les parents. Ce sentiment de piété filiale, si saint 
en lui-même, est tout-puissant dans ce pays, au point de faire 
souvent oublier, même à des chrétiens, que la loi de Dieu prime 
toute autre loi, et que son amour doit primer tout autre amour. 
Honneur donc à Paul pour avoir, en de telles circonstances, 
gardé sa foi avec tant d'héroïsme ! 
En 1 832, Dieu voulut denouveau châtier l'orgueil de cette nation 
coréenne qui continuait à repousser les vérités évangéliques, si élo- 
quemment prêchées par la voix des martyrs devant ses tribunaux, 
et par leur sang sur les places publiques. Il permit que des pluies 
continuelles et, par suite, des inondations extraordinaires 
vinssent ravager le pays, et faire disparaître à l'avance presque 
tout espoir de récolte. Or, il a toujours été d'usage en Corée 
qu'au milieu des grandes calamités publiques, le roi répande lar- 
gement ses faveurs, en amnistiant des coupables et graciant des 
condamnés, afin d'attirer par ces actes de clémence les regards 
bienveillants du ciel. La grâce accordée alors par le roi paraît 
avoir été des plus étendues. Les nombreux chrétiens exilés pen~ 
dant les précédentes persécutions furent presque tous relâchés, et 
revinrent prendre place dans les diverses chrétientés. 
Malheureusement la faveur royale n'était pas gratuite. L'usage 
observé ordinairement en pareil cas est de rendre la liberté 
au coupable après seulement qu'il a de nouveau détesté son crime, 
et par conséquent, lorsqu'il s'agit de chrétiens, après une nou- 
velle apostasie de leur foi. Il n'est que trop probable que tous les 
exilés, alors rappelés, achetèrent leur délivrance à ce prix hon- 
teux. Quelques-uns cependant refusèrent. Ainsi, Protais Hong qui 
— 376 — 
avait échappé à la mort, en 1801, par l'apostasie, et que nous 
verrons marcher au supplice en 1839, ne voulut pas se délivrer 
par une seconde lâcheté, et resta en exil. Les généreux confesseurs 
que Ton avait emprisonnés et condamnés à mort à Tsien-Tsiou, 
en 1827, et qui, depuis cette époque, languissaient dans la pri- 
son, eurent de même le courage de refuser une abjuration, au 
prix de laquelle on leur promettait la vie et la liberté. Aussi les 
verrons-nous plus tard obtenir la plus belle récompense que 
Dieu puisse donner en ce monde à ceux qui l'aiment, la couronne 
du martyre. 
Pendant l'été de cette même année, le pavillon britannique se 
montrait sur les côtes de la Corée. Un navire marchand, expédié 
probablement par quelques agents des sociétés bibliques, aborda 
près de l'île appelée Ouen-san, presque à l'entrée de la baie 
formée par la côte Ouest de la province de Tsiong-tsieng. 
L'étonnement fut général, et les chrétiens surtout étaient en grand 
émoi, car ce navire portait écrit sur son pavillon, en gros carac- 
tères chinois : Religion de Jésus-Christ. Quelques chrétiens, pen- 
sant rencontrer des frères, s'empressèrent d'aller à bord, sans 
s'inquiéter des mauvaises affaires qu'ils pouvaient s'attirer de la 
part du gouvernement ; mais ils furent bien surpris quand, à leur 
arrivée, un ministre protestant les salua avec ces paroles qui 
sont sacramentelles parmi les païens : « Que l'esprit de la terre 
vous bénisse ! » A ces mots les néophytes voyant qu'ils s'étaient 
trompés, et devinant qu'un piège était tendu à leur bonne foi, 
se retirèrent en toute hâte, sans même répondre au salut, et ne 
reparurent plus (1). 
Ce navire demeura plus d'un mois à l'ancre, surveillé jour et 
nuit par les Coréens. Faute de mieux, les ministres firent déposer 
sur divers points du rivage plusieurs caisses de livres religieux. 
on prétend aussi qu'ils envoyèrent au roi quelques cadeaux, avec 
des livres en chinois et en anglais. Le roi, assure-t-on, refusa 
de les recevoir, et les fit aussitôt reporter aux étrangers, sans 
permettre même de les ouvrir. Cette impolitesse refroidit le zèle 
des colporteurs de bibles qui, tout bien considéré, jugèrent à pro- 
pos de ne pas s'aventurer dans l'intérieur des terres. Ils avaient 
raison, car ils y auraient trouvé autre chose que ce qu'ils cher- 
chaient, et ils durent, sans doute, se féliciter de leur prudence, 
(1) Gutzlaff etLindsay, les prcdicants dont il est ici question, ont publié la 
relation de leur voyage. Entre autres assertions aventurées, ils prétendent 
qu'à l'époque de leur séjour près de la côte, il ne restait en Corée aucune trace 
de christianisme. 
— 377 - 
quand ils apprirent, quelques années plus tard, le massacre des 
missionnaires catholiques qui, en 1839, se livrèrent eux-mêmes 
pour sauver leur troupeau. 
L'amnistie générale accordée aux exilés chrétiens semblait 
indiquer dans le gouvernement un certain esprit de tolérance, 
qui tranquillisait les fidèles. Mais chacune des pages de cette his- 
toire nous a déjà montré combien précaire est la paix dont peu- 
vent jouir, en Corée, les disciples de Jésus-Christ. 
Au moment où Ton s'y attendait le moins, le iO de la neu- 
vième lune de cette année 183^, les satellites delà capitale se 
ruèrent au milieu de la nuit sur la maison d'André Hoang, chré- 
tien fervent et dévoué, que ses divers voyages à Péking et d'au- 
tres généreux travaux en faveur de ses frères avaient depuis 
longtemps mis en évidence. Il ne paraît pas toutefois que cette 
affaire ait été suscitée par l'autorité supérieure; ce fut ou le désir 
du pillage chez les satellites, ou quelque motif d'avidité rancu- 
neuse de la part d'un mandarin subalterne, qui en fut l'unique 
cause. André, ne se trouvant pas alors chez lui, ne put être arrêté; 
mais son oncle Pierre Hoang fut saisi avec les autres personnes 
de la maison, et quelques chrétiens qui habitaient près de là. 
on fit en tout dix prisonniers. Sur ce nombre, neuf cédant aux 
supplices, furent bientôt ou relâchés ou exilés. Pierre seul con- 
fessa généreusement sa foi. 
Pierre Hoang Sa-ioun-i, descendu d'une famille noble de la 
province, vivait dans son village natal de Sain-kol, district de 
Sioun-ouen. C'était un homme d'un caractère grave et austère, 
respecté de tous ses parents et voisins, et devant lequel personne 
n'eût osé se permettre des paroles légères ou inconvenantes. 
A l'âge de quarante ans, il fut instruit de la religion, se conver- 
tit avec toute sa famille, et dès lors pratiqua la loi chrétienne 
avec une ferveur persévérante, malgré tous les obstacles. « Avant 
ma conversion, disait-il souvent, je ne voyais dans le désir du 
martyre manifesté par quelques chrétiens, qu'une illusion d'en- 
thousiasme et le délire d'une imagination échauffée, mais je suis 
bien détrompé. » l\ s'appliqua à dompter son caractère trop sé- 
vère et trop impérieux, et à corriger ses autres défauts. Ayant 
pris la résolution de ne plus boire de vin, dont il avait trop usé 
autrefois, il n'en approcha jamais plus une goutte de ses lèvres. 
Il perdit successivement ses quatre enfants, puis sa femme ; mais 
au milieu de ces épreuves, il ne laissa paraître aucune douleur 
exagérée, ne laissa échapper de ses lèvres aucune plainte indigne 
— 378 — 
d'un chrétien. Au contraire, il remerciait Dieu de les avoir tous 
appelés à lui, pendant qu'ils étaient dans de bonnes dispositions 
pour mourir. Après que sa famille eut été ainsi éteinte, et sa 
petite fortune dissipée, il n'en fut que plus assidu h la prière ; 
il chercha et trouva dans la pratique de la vertu la seule véritable 
consolation. L'égalité d'câme, la calme et franche résignation avec 
lesquelles il supportait ses malheurs, faisaient l'admiration de 
tous. 
Il s'était retiré à la capitale depuis quelque temps, chez son 
neveu André, quand il fut pris à l'improviste dans sa maison, 
comme nous l'avons dit. Le juge criminel après avoir entendu sa 
confession de foi, touché peut-être de pitié pour ses cheveux blancs, 
lui promit la vie, pourvu qu'il prononçât une parole d'apostasie. 
Le confesseur refusa hautement. « Qui es-tu donc, reprit le juge, 
pour vouloir ainsi enfreindre les défenses du roi? » Et en même 
temps, il le fit mettre h la question, mais en vain. Pierre resta 
ferme et fut envoyé à la prison, où il eut beaucoup à souffrir de 
l'insolence et de la cruauté des geôliers. Il avait été pris sans 
qu'on eût trouvé en sa possession aucun objet religieu.x, ce qui 
rendait son élargissement plus facile ; mais, désirant la mort 
plus qu'il ne la craignait, et voulant tirer d'embarras autant 
que possible les chrétiens arrêtés avec lui , il leur suggéra de 
le désigner comme propriétaire de tous les objets qui avaient 
été saisis. Nous avons vu souvent en effet , dans de pareilles 
circonstances, les meilleurs chrétiens assumer ainsi sur eux la res- 
ponsabilité des objets de religion appartenant à d'autres, soit 
pour éviter les dénonciations compromettantes que la possession 
de ces objets provoque de la part des faibles, soit pour dimi- 
nuer, à leurs propres risques, le fardeau de leurs compagnons 
de captivité. Ils ignoraient certainement que le mensonge est 
absoluinent défendu par la loi de Dieu, dans ce cas comme 
dans tous les autres, et leur bonne foi aussi bien que leur charité 
auront été leur excuse. 

on fit donc passer Pierre, selon sa demande, pour propriétaire 
des objets saisis, ce qui lui attira des interrogatoires plus longs, 
et des tortures plus multipliées. Dans la suite, le juge, soupçon- 
nant quelque fraude , dit que ces objets n'appartenaient réelle- 
ment pas a Pierre, mais celui-ci se récria fortement et maintint sa 
première affirmation. Après plusieurs interrogatoires au tribunal 
des voleurs, Pierre, toujours inébranlable fut transféré au tri- 
bunal des crimes. Là encore, il refusa énergiquement de racheter 
sa vie au prix de sa foi, et eut à subir de nouveaux supplices. 
- 379 — 
Pendant qu'on le torturait cruellement, il s'écria : «Eh quoi! 
je vais bientôt mourir de vieillesse ; il y a trente ans que j'observe 
les commandements du Seigneur créateur du ciel et de la terre, 
et vous voudriez que par une parole infâme, je perde en un instant 
l'amour de mon Dieu ! » Qui ne se rappellerait les paroles du 
disciple de saint Jean en pareille circonstance : « H y a quatre- 
vingt-dix ans que je sers le Christ et il ne m'a jamais fait de mal, 
comment voulez-vous que je le maudisse? » Les sentiments sont 
semblables, parce que le même Esprit de Dieu inspirait les deux 
martyrs. 
Après une glorieuse confession, Pierre eut le bonheur de 
s'entendre condamner à mort. Il signa joyeusement sa sentence, 
après quoi, chargé d'une lourde cangue, il fut envoyé dans une 
prison à part. A son arrivée les prisonniers païens, parmi les- 
quels un bachelier nommé Kim, furent tous étonnés de l'air de 
sainte joie qui paraissait dans la contenance et sur le visage du 
chrétien. « Chacun a ses fautes à payer, disaient-ils, mais pour- 
quoi ce vieillard, loin de craindre la mort, semble-t-il si content 
de la subir ? Maître, pourquoi semblez-vous si heureux? — C'est, 
répondit Pierre, que le Dieu que je sers est le grand roi du ciel 
et de la terre, le père de toutes les créatures et, plutôt que de le 
renier, j'aimerais mieux mourir dix mille fois pour lui. — S'il 
en est ainsi, reprirent les prisonniers, faites-nous donc connaître 
cette doctrine. » Pierre ne se fit pas prier et, à dater de ce jour, 
leur développa fréquemment les vérités de la religion et les com- 
mandements de Dieu. Il passa ainsi près de huit mois, toujours 
inquiet de ce que Dieu semblait ne pas vouloir accepter son sacri- 
fice, et se recommandant sans cesse à la sainte Vierge. Tout à 
coup il tomba malade et, en peu de jours, rendit paisiblement 
son âme à Dieu, dans le commencement de la cinquième lune de 
l'année kiei-sa (juin d833). 11 était âgé de près de soixante-dix 
ans, et avait subi cinq fois la question comme les plus grands 
criminels, sans compter les autres supplices. 

on fit connaître sa mort aux membres de sa famille, et quand 
ils vinrent réclamer le corps, le bachelier païen Kim leur dit : 
« Au moment de la mort de Pierre Hoang, une vive lumière 
apparut dans toute la prison. Nous tous, ses compagnons de cap- 
tivité, sortîmes pour voir ce que c'était. Un feu brillait dans sa 
chambre, nous y entrâmes et vîmes une colombe qui tournait au- 
dessus de lui et, quelques minutes après, il expirait. » C'est ainsi 
que Dieu se plaît, même ici-bas, h glorifier ceux qui meurent pour 
sa gloire. 
- 380 — 
Ces quelques cas isolés de persécution n'avaient pas troublé 
la paix générale dont la chrétienté jouissait depuis 1827. Aussi 
nos intrépides courriers Paul Tieng, Augustin Niou et leurs com- 
pagnons continuaient-ils à faire, presque chaque année, le voyage 
de Péking pour demander des prêtres. Toujours trompés dans 
leurs espérances, ils revenaient toujours, et, en attendant le 
jour de Dieu, ils resserraient les liens entre les deux Eglises de 
Chine et de Corée, nouaient des relations utiles, multipliaient les 
renseignements, et posaient des jalons pour l'avenir. 
Le moment approchait où cette admirable persévérance allait 
enfin être récompensée par le succès. Les trente années de veu- 
vage de l'Église coréenne, prédites par le P. Tsiou lorsqu'il 
allait au supplice, étaient écoulées. Depuis 1828, le Saint-Siège 
avait résolu de détacher la Corée du diocèse de Péking; et enfin, 
en 1831, ce royaume fut définitivement érigé en vicariat aposto- 
lique et Mgr Bruguière, de la société des Missions-Étrangères, 
évêque de Capse, coadjuteur du vicaire apostolique de Siam, fut 
appelé à ce poste aussi glorieux que difficile. Avec cette nouvelle 
ère qui, à la parole du souverain Pontife, s'ouvre pour la mis- 
sion de Corée, commence la seconde partie de notre histoire. 
Résumons maintenant les faits de cette première période. 
Cinquante ans se sont écoulés depuis le jour où le jtremier 
néophyte coréen a été baptisé à Péking, jusqu'au moment où l'heu- 
reuse nouvelle de l'arrivée prochaine des missionnaires, se répan- 
dant parmi les chrétiens, commence à ranimer leur foi et à rele- 
ver leur courage. Pendant ce temps, la religion de Jésus-Christ 
s'est établie, s'est maintenue, s'est propagée dans ce pays, malgré 
une persécution continuelle, par l'action directe de l'Esprit-Saint 
et l'on peut dire, sans prêtre, sans sacrifice, sans sacrements, 
car le seul prêtre qui ait été envoyé à l'Église naissante n'y est 
demeuré que cinq ans, caché à tous les regards, presque inacces- 
sible aux chrétiens eux-mêmes. Dans ce miracle d'un demi-siècle, 
on peut distinguer trois époques ayant chacune un caractère bien 
différent. 
La première s'étend de 1784 jusqu'à 1801 ; c'est l'époque de 
création et de développement. La persécution commence avec la 
propagation de l'Évangile, car il n'y avait pas un an que Pierre 
Ni était revenu de Péking, quand déjà les ministres du roi requé- 
raient la proscription de la nouvelle secte ; mais cette persécu- 
— 381 — 
tion, quoique sanglante, est contenue un peu parla modération 
personnelle du roi et par la présence au pouvoir du parti des 
Nam-in, auquel appartenaient la plupart des premiers prosé- 
lytes. Dans le principe ce sont surtout des nobles, des savants, 
des lettrés qui se font chrétiens. Plusieurs peut-être ne voyaient 
tout d'abord dans FÉvangile qu'une école de haute philosophie; 
mais à peine Teau du baptême a-t-elle touché leurs fronts, que 
le véritable esprit chrétien se manifeste en eux;' ils se répandent, 
ils prêchent partout et à tous, ils ramassent autour d'eux les 
petits et les ignorants. Enfin la présence du prêtre aide à régu- 
lariser leurs efforts, à organiser cette chrétienté naissante, à la 
fortifier pour les prochaines épreuves. 
La seconde époque, c'est la grande persécution de l'année 
1801. A la mort du roi, la haine religieuse, envenimée par la 
haine politique, éclate avec une fureur inouïe, et la nouvelle 
Église est, pour ainsi dire, noyée dans le sang. Presque tous 
ces nobles, tous ces docteurs, si nombreux parmi les néophytes 
dans les premiers temps, disparaissent, les uns en mourant glo- 
rieusement pour la foi et en laissant d'impérissables exemples de 
courage et de charité, les autres, qui ont aimé la gloire des hom- 
mes plus que la gloire de Dieu, en scandalisant leurs frères par 
une lâche apostasie. La persécution finie, le parti ennemi des 
chrétiens demeure en possession du pouvoir; la chrétienté, com- 
posée maintenant de faibles, de pauvres, de petits, d'ignorants, 
reste meurtrie, désorganisée, et désormais sans appui humain. 
La troisième époque s'étend depuis 1801 jusqu'à l'époque à 
laquelle nous sommes arrivés. La persécution dure toujours, 
comme un monstre souvent assoupi, qui se réveille de temps à 
autre dans des accès de rage. Le gouvernement laisse les chré- 
tiens plus tranquilles, parce qu'il méprise leur faiblesse, et qu'il 
n'y a plus parmi eux de personnages dont l'influence ou la richesse 
puisse exciter sa jalousie, mais il ne les tolère pas, et les lois de 
proscription sont toujours en vigueur. Cette Église néanmoins 
se reforme, s'étend, et pour obtenir des pasteurs fait de conti- 
nuelles tentatives, que le triste état de la chrétienté de Chine et 
le contrecoup des révolutions d'Europe rendent longtemps inu- 
tiles. 
Telle est, en quelques mots, l'histoire de l'Evangile dans ce 
pays durant ces cinquante années; histoire à la fois triste et con- 
solante, pénible et glorieuse, et d'où ressortent pour la foi d'un 
chrétien les plus magnifiques enseignements. 
Nous y voyons, d'un côté. Dieu accomplir toujours les mômes 
— 382 - 
prodiges. Sa parole toute-puissante, qui est esprit et vie, change 
complètement les cœurs qui la reçoivent. De ces êtres si timides, 
elle fait des héros; de ces pauvres idolâtres, elle fait des saints ; 
de ces esclaves aplatis dans une servitude sans nom, elle fait des 
hommes qui, — chose inouïe dans l'extrême Orient, —osent 
dire iVon à leurs juges et même à leurs rois; de ces ignorants, elle 
fait des savants qui connaissent le vrai Dieu et la véritable des- 
tinée de rhomme, c'est-à-dire tout ce qu'il importe à l'homme de 
savoir. Elle lue dans son germe ce mépris inné que partout et 
toujours, dans les sociétés païennes, les riches, les puissants, 
les lettrés, ressentent pour les pauvres, les déshérités, les misé- 
rables ; elle rapproche les classes extrêmes de la société, et 
apprend à tous qu'ils doivent s'aimer comme des frères, parce 
qu'ils sont les enfants du même Père qui est au ciel. Elle fait 
pratiquer la chasteté au milieu des fanges du paganisme ; elle 
change les tribunaux des persécuteurs en autant de chaires où 
l'Evangile est publiquement prêché; elle peuple le ciel de confes- 
seurs et de martyrs. 
D'un autre côté, nous voyons le démon et ses suppôts employer 
toujours les mêmes armes, mettre en jeu les mêmes passions, 
propager les mêmes calomnies, se servir des mêmes ruses, com- 
mettre les mêmes crimes, avoir la même soif du sang innocent. 
A entendre les questions des mandarins dans les interrogatoires, 
ces menaces, ces promesses, ces insinuations, ces accusations de 
révolte, de crimes mystérieux ; à voir cette injustice flagrante 
qui laisse libres des sectes et des doctrines impies pour ne per- 
sécuter que les disciples de Jésus-Christ, ne se croirait-on pas 
dans les prétoires romains des trois premiers siècles? 
Et, en effet, ce sont toujours les mêmes adversaires, le Dieu 
fait homme et Satan ; c'est toujours la même lutte, avec des péri- 
péties analogues, aboutissant tôt ou tard à la même victoire. 
L'histoire de cette pauvre mission de Corée, perdue à l'extrémité 
du monde, n'est qu'un épisode de l'histoire de l'Eglise catho- 
lique et, en Corée, comme ailleurs, cette histoire prouve que 
l'Eglise, bien que ses ennemis la croient toujours à l'agonie, 
sort plus brillante et plus forte de tous les assauts. Au moment 
oii le pape Grégoire XVI donnait un évêque à cette chrétienté 
désolée, dans quel état se trouvait-elle, humainement parlant? 
Çà et là quelques confesseurs que le gouvernement dédaignait de 
tuer et qu'il laissait pourrir dans les prisons ; de loin en loin 
quelques fidèles honnêtes et fervents qui espéraient contre toute 
espérance et luttaient de toutes leurs forces contre le relâche- 
— 383 — 
ment général ; et autour d'eux, des néophytes découragés, dont 
l'immense majorité tiède, timide, délaillanle, semblait prête à 
apostasier au premier souffle de persécution. Voilà tout ce que 
l'œil de Tliomme pouvait y voir. En fait, cependant, il y avait 
l'Eglise vivante, ayant au ciel de nombreux intercesseurs et sur 
la terre d'intrépides témoins de la vérité. Ces quelques prison- 
niers étaient le germe d'où bientôt allait surgir une floraison 
nouvelle de saints et de martyrs; ces qucl(|ues fidèles étaient le 
levain qui bientôt allait amener la fermentation de la masse ; 
et sur cette terre de Corée, qui avait bu des flots de sang clirétien, 
les prêtres de Jésus-Christ allaient bientôt, malgré la mort, et en 
dépit de l'enfer, affermir et étendre le règne du Dieu vivant, de 
celui qui est la mort de la mort, et le vainqueur de l'enfer. 
mors, ero mors tua, morsits luusero, infcrnc. (Osée, 13, 14.) 
FIN DU PREMIER VOLUME. 
Le Mans. — imp. Ed. Monnojer, place des Jacobins, li. — 1870. 
^^ 
TABLE DES MATIÈRES 
TOME I" 
DÉDICArE V 
PRÉFACE vij 
INTRODUCTION 
Sur l'histoire, les institutions, la langue, les mœurs 
et coutumes coréennes. 
F Géographie physique de la Corée. — Sol. — Climai. — 
Productions. — Population i 
Il Histoire de la Corée. — Son état de vasselage vis-à-vis de 
la Chine. — Origine des divers partis politiques xi 
ni Rois. — Princes du sang. — Eunuques du palais. — 
Funérailles royales xxiv 
IV Gouvernement. — Organisation civile et militaire xxxiii 
V Tribunaux. — Prétoriens et satellites. — Prisons. — 
Supplices Lviii 
VI Examens publics. — Grades et dignités. — Ecoles 
spéciales lxx 
VII La langue coréenne lxxvii 
VIII État social. — Différentes classes. — Noblesse.— Peuple.— 
Esclaves r, 
IX Condition des femmes. — Mariage cxvi 
X Famille. — Adoption.— Liens de parenté. — Deuil légal.. cxxix 
XI Religion. — Culte des ancêtres. — Bonzes. — Superstitions 
populaires cxxxviii 
XII Caractère des Coréens : leurs qualités morales, leurs 
défauts, leurs habitudes eu 
XIII Jeux. — Comédies. — Fêtes du nouvel an. — LeHoan-kap. c.i.xii 
XIV Logements. — Habillements. — Coutumes diverses clxix 
XV Sciences. ~ Industrie. — Commerce. — Relations inter- 
nationales CLXXX 
T. I. — l'église de CORÉE. "2lj 
HISTOIRE DE L'ÉGLISE DE CORÉE 
PREMIÈRE PARTIE 
De l'introduction du Christianisme en Corée à l'érection de ce 
royaume en Vicariat apostolique. 
1784-1831. 
LIVRE PREMIER. 
Depuis les premières conversions, jusqu'à Varrivée du P. Jacques Tsiou, 
prêtre chinois, envoyé par l'évêque de Péking. 
1784-1794. 
Chat. i. — Invasion des Japonais en Corée au xvi* siècle. — 
Néophytes et martyrs coréens au Japon 1 
Chap. II. — Origine de l'Eglise de Corée. — Premières conversions. 13 
Chap. III. — Premières épreuves.— Rapports de l'Eglise coréenne avec 
l'évêque de Péking 27 
Chap. iv. — Persécution de 1791. — Martyre de Paul loun et de 
Jacques Kouen 37 
Chap. v. — Suite de la persécution. — Défection de quelques 
chrétiens influents. — Martyre de Pierre Ouen 57 
LIVRE II. 
Depuis l'entrée du P. Tsiou en Corée , jusqu'à son glorieux martyre. 
1794-1801. 
Chap. i. — Entrée du P. Tsiou en Corée. — Martyre de ses intro- 
ducteurs. — Travaux du P. Tsiou 69 
Chap. ii. — Per.séculions partielles. — Martyre de Ni Tokei, de 
François Pak, etc. — Mort du roi 82 
Chap. m. — Kégence. — Persécution générale. — Martyre de Jean T'soi, 
d'Augustin Tieng, de Louis de Gonzague Ni, etc 109 
Chap. iv. — Les six martyrs de Nie-tsiou. — Martyre de, Barbe Sim, 
d'Alexis Hoang, etc.— Martyre du P. Tsiou 128 
LIVRE III. 
Depuis le martyre du P. Jacques Tsiou, jusqu'à la fin de la persécution. 
1801-1802. 
Chap. i. — Martyre de Josaphal Kim. — Martyre de Colombe Kang 
cl de ses compagnes 119 
— 3S7 — 
CH.\r. II.— Martyrs dans les provinces depuis le cinquième jusqu'au 
huilièmo mois 164 
Chap. 111. — Procès de la famille Niou. — .Martyre de Jean Niou et de 
sa femme Lulligardc Ni. — Lettres de Lulligarde 176 
Chat. iv. — Martyre d'Alexandre Hoaii;?. — Sa lettre à r;'vê(jue de 
Péking. — Lettre du roi de Corée à l'empereur de 
Chine, et réponse de l'empereur 198 
Chap. v. — Proclamation royale au sujet de la religion chrétienne. — 
Dernières exécutions. — Uésumé 22t> 
MVRE IV. 
Depuis la fin de Ut pcrsccntion de ISOl, jusqu'à l'ereclion de lu Corée en 
Vicariat apostolique. 
180:2-1831. 
Chap, i. — État déplorable de la chrétienté. — Lettres des chrétiens 
de Corée à l'évèque de Péking. — Leur lettre au 
Souverain Pontife. — Nouveaux martyrs 243 
Chap. m, — Persécution de 1815. — Les martyrs de Taï-kou et de 
Ouen-tsiou 273 
Chap. m. — Nouveaux voyages à Péking. — Martyre de Pierre Tsio et 
de sa femme Thérèse, en 1819. — Persécution de 1827: 
les confesseurs de Tsien-lsiou 297 
Chap. iv. — Persécution de 1827 : interrogatoires de Pierre Sin et de 
Paul Ni. — Lettres de Paul 325 
Chap. v. — Persécution de 1827 : les confesseurs de ïai-kou et 
Tan-iang. — Martyre de Paul Kim Ho-ien-i. —Martyre 
de Pierre Hoang. — Résumé 35S 
FIN DE L.\ T.\BLE Ht" TOME PRE.MIER. 
Le Mans. — Imp. Ed. MoN^ovEl;. — Mai 1874. 
/ 
7 
il 
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( 
V: 
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1 
BR 1320 .D3 1874 
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Dallet, Charles. 
Histoire de IV&lise de 
Core : pnâfcdet 
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